Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Huitième livre/Chapitre 10

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 191-196).


CHAPITRE X.
DE L’EMBOLISME.


I. Touchant l’embolisme ou saut de la lune, il faut remarquer que Embolismos, en grec, se dit en latin super augmentum, augmentation en plus, ou bien super excrescentia, excédant de l’année solaire sur l’année lunaire. Comme donc l’année solaire excède l’année lunaire de onze jours, c’est cet excédant qui forme les sept lunaisons dans les dix-neuf ans du cycle lunaire, en multipliant ces onze jours. On les appelle lunaisons enibolismales ; et chacune d’elles est de trente jours, et elles sont attribuées à sept années enibolismales, de sorte qu’à chaque cycle lunaire il y a sept années enibolismales et douze années communes.

II. Or, on dit année embolismale, parce que l’année embolismale, depuis la quatorzième lune de Pâques précédent jusqu’à la quatorzième lune de Pâques suivant, a treize lunaisons ou quatorze mois lunaires, c’est-à-dire trois cent quatre-vingt-quatre jours ; et cette année a été révélée d’une manière divine au saint homme Moïse. L’année commune n’a que douze lunaisons, c’est-à-dire trois cent cinquante-quatre jours, dont ce vers indique la disposition.

Cur fies has lachrymas, odiosum quare tyrannum ?

Dans ce vers il y a sept mots qui servent pour les sept années embolismales ; le premier pour la première, le second pour la seconde, et ainsi par ordre ; de sorte que l’année du cycle épactal, correspondant à l’ordre numéral dans l’alphabet de quelqu’un de ces mots, sera une année embolismale ; par exemple, Cur est le premier mot et sert à la première année embolismale. C’est la première lettre de ce mot et la troisième de l’alphabet ; donc la troisième année du cycle lunaire est embolismale ; et ainsi des autres, en observant que le mot lias doit être écrit avec un H.

III. On l’appelle l’année commune, communis, parce que souvent deux années marchent conjointement, de telle sorte qu’elles se suivent mutuellement dans la solennité pascale ; car l’année embolismale est toujours seule. L’ordre de ces années communes et embolismales paraît avec évidence dans les lignes suivantes :

Commune, commune, embolismale, commune, commune, embolismale, commune, embolismale, commune, commune, embolismale, commune, commune, embolismale, commune, embolismale, commune, commune, embalismale.

Lorsque l’on a l’année embolismale, on peut savoir en quel mois a lieu la lunaison embolismale, par le vers suivant :

Mobilis et Christum modo liber habeto cœnum.

Dans ce vers il y a sept mots qui servent pour les sept mois dans lesquels arrivent les lunaisons embolismales ; le premier sert au premier, le second au second, et ainsi par ordre ; de sorte que la lunaison embolismale correspondra au nombre occupé dans l’alphabet par la première lettre de quelqu’un de ces mots et arrivera en tout mois de l’année à laquelle sert ou correspond ce mot. De même, suivant l’ordre numéral de la première lettre de la seconde syllabe, dans l’alphabet la lunaison embolismale commence à tout jour du mois correspondant à cette lettre. Par exemple, Mobilis est le premier mot et sert pour la première lunaison qui arrive dans la troisième année du cycle lunaire. M est la première lettre de ce mot et la douzième de l’alphabet ; donc la lunaison embolismale arrive dans le douzième mois. De même, B est la première lettre de la seconde syllabe et la seconde de l’alphabet ; donc cette lunaison commence le second jour de ce mois, et ainsi des autres. Si tu veux t’assurer d’une manière plus complète de la vérité de cela, aie recours à l’épacte, et ainsi tu trouveras les nombres réguliers de l’année dont tu veux prendre connaissance et dont tu veux savoir les lunaisons embolismales.

IV. Voyons maintenant quand est-ce que l’épacte, jointe aux nombres réguliers, nous induit en erreur, à cause de l’embolisme ou du saut de la lune. À ce sujet, remarque que, quoique dans le cycle lunaire il y ait sept années embolismales, comme il a été dit plus haut, cependant l’épacte ne trompe qu’en trois années, la huitième, la onzième et la dix-neuvième ; d’où ce vers :

Octavo, undecimo, postremo, fallit epactu.

« L’épacte induit en erreur, la huitième, la onzième et la dernière année. »

On peut voir dans les vers suivants en quel endroit ou quel mois, ou eu quels eudroits trompe l’épacte unie aux nombres réguliers :

Julius undenis, ter Maius, octo vicenis,
Bissextus nisi sit, Mars peccat in unde tricenis.
In totidem Maius, Augustus vero duobus.


C’est-à-dire que, la huitième année du cycle solaire, l’épacte avec les nombres réguliers induit en erreur en mai et en juillet, puisque dans les calendes de mai, où la lune devrait être le 28, selon l’épacte, on ne la trouve que le 27, à cause de l’embolisme. De même, elle trompe dans les calendes de juillet, la même année, parce qu’alors la lune devrait se trouver le 30, d’après l’épacte, et cependant on ne la trouve que le 29, à cause de l’embolisme, et alors il faut se fier à l'embolisme et non à l’épacte. De même, l’épacte trompe dans la onzième année, parce que, dans les calendes de mars, d’après l’épacte, la lune devrait être le 29 ; mais, à cause de l’embolisme, elle n’est que le 28. Cependant, si le bissexte a lieu en cette année, l’erreur disparaît, parce qu’à cause du bissexte on ajoute un jour. De même, dans la dix-neuvième année, l’épacte trompe en deux, endroits ; car, selon l’épacte, la lune devrait être le 29 dans les calendes de mai ; mais, à cause de l’embolisme, on ne la trouve que le 28. Et, dans la même année encore, elle trompe dans les calendes d’août, parce que, selon l’épacte, la lune en ce mois devrait être le 2 ; mais elle n’est que le 3, à cause du saut de la lune, parce que la lunaison de juillet, qui devrait être le 30, n’est que le 29, cette année-là, à cause de l’erreur de notre comput ; et alors l’année est dépassée de deux jours par l’année solaire.

V. Voici un vers sur le saut de la lune :

Luna facit saltum quintilis luce suprema.

« La lune fait un saut le dernier jour du cinquième mois » (quintilis).

En effet, la lune retarde d’un jour, comme nous l’avons dit, à cause de l’erreur de notre comput, afin que, l’année suivante, la lune revienne, comme elle le doit, dans les calendes de septembre. Si l’on ne réunissait les sauts de la lune, voici l’erreur qui arriverait : c’est que, dans quatorze cycles, on dirait première lune, quand on serait dans la pleine lune. Or, on forme un jour de la manière suivante ; car chaque lunaison, pour que les lunaisons fussent égales, aurait 29 jours et un demi jour, moins quatre moments, puis une once et un atome. Or, il y a dans un cycle 235 lunaisons ; il y aura donc quatre fois autant de moments, qui sont en tout 960, qui, divisés par 40, donnent 24 heures et une demi-heure. Ensuite 235 onces font dix-neuf moments, plus six onces de reste ; et 335 atomes font cinq onces, lesquelles onces, réunies aux sept précédentes, font douze onces ou un moment, lequel, réuni aux dix-neuf moments obtenus ci-dessus, forme une demi-heure qui, réunie aux 23 autres heures, plus à l’autre demi-heure, forme un jour, qui, la dernière année, est retranché de la lunaison de juillet, et appelé saut de la lune. On peut encore former plus facilement ce jour, de la manière suivante. L’année lunaire est formée de 354 jours moins une heure, le quart d’une heure et le 76° d’une heure, ou la 76° quatrième partie d’une seule heure, ou la 76° partie d’un quart d’heure. Donc, en dix-neuf ans, ceci nous fait 19 heures, 19 quarts d’heures et 19/77 du 1/4 d’une heure, qui font en 19 ans le 1/4 d’une heure. Nous aurons donc 20/4 d’heures, = 5 heures qui, réunies aux 23 heures obtenues auparavant, forment un jour.

VI. Le saut de la lune est donc un jour formé, dans l’espace de dix-neuf ans, de l’excédant qui est donné aux lunaisons ; et on dit saut de la Inné, non que la lune saute plutôt ce jour-là qu’un autre, mais parce que nous, en calculant la lune, nous sautons ce jour ou nous omettons ce jour sur lequel, dans les autres années, la lunaison de juillet est dite trigesima, trentième ; car, dans la dernière année du cycle de dix-neuf ans, nous ne sautons que la dix-neuvième année et nous ne tenons pas compte de la lune dans la dernière année du cycle de dix-neuf ans de la lune. Or, on retranche ce jour de la lunaison de juillet dans la dernière année du cycle de dix-neuf ans, parce que juillet est le dernier dans l’année épactale parmi les mois ayant trente jours dans la lunaison ; d’où vient que, dans la dernière année la lunaison de juillet n’a que vingt-neuf jours au lieu de trente. C’est pourquoi le nombre d’or de cette année, savoir 19, quoiqu’il croisse, suit sans intervalle le nombre plus petit, minorem, et par conséquent dans les autres mois suivants jusqu’à janvier, comme on le dira plus bas ; donc le saut de la lune fait qu’il y a également deux lunaisons de vingt-neuf jours. Or, pour corriger plus facilement les erreurs précitées, on a inventé le Nombre d’Or, dont il nous faut parler en peu de mots.