Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Septième livre/Chapitre 11

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 53-55).


CHAPITRE XI.
DE L’INVENTION DE LA SAINTE CROIX (7).


I. Notre seconde espérance est dans la sainte Croix du Seigneur. Car, de même que la bienheureuse Vierge porta le Seigneur, la sainte Croix le porta aussi à sa manière. Et comme le Seigneur donne aux eaux du baptême et aux autres sacrements la vertu qui sanctifie, de même, par son contact avec la chair du Seigneur, le bois de la Croix a été sanctifié, afin qu’à sa manière elle pût nous sanctifier ; et comme la Croix nous sauve par de semblables effets et par la vertu qu’elle possède, c’est pourquoi on chante en son honneur :

II. « O croix ! plus brillante que les astres, etc., qui seule as été digne (c’est-à-dire après en avoir reçu le privilège) de porter le prix de la rédemption du monde… etc. » Et comme la fin de la Croix est la gloire, c’est pourquoi, à la fin d’un grand nombre d’antiennes de la Croix, on dit Alleluia. On dit pendant les heures le capitule Mihi absit gloriari (Galat., dernier chapitre).

III. On célèbre deux fêtes de la Croix, savoir celle de l’Exaltation, dont on parlera en son lieu, et celle de l’Invention, parce que la sainte Croix fut trouvée du temps du pape Eusèbe par la bienheureuse Hélène, mère de Constantin, par le moyen d’un nommé Judas, qui alors était Juif. C’est pourquoi, dans le canon du même Eusèbe (De consec., dist. iii, Crucis) on lit ceci : « Nous ordonnons que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vient d’être découverte dernièrement, le v d’avant les calendes de mai, sous notre pontificat et notre gouvernement de la sainte Église romaine, soit célébrée par une festivité, le jour susdit des calendes de son invention. » Or, cette fête est plus grande que la fête de l’Exaltation, comme on le dira ici.

IV. Or, on lit touchant le Judas précité que, s’étant converti à la foi, il devint ensuite évêque de Jérusalem, et ayant changé de nom, il prit celui de Quiriace. On dit que le diable prophétisa ainsi à son égard : « Judas livra le Christ à la mort ; mais ce Judas-ci a exalté le Christ mort, et découvert ou dévoilé l’art des magiciens. Mais Julien, mon intime et mon ami, deviendra bientôt roi et me vengera de lui ; » c’est ce qui arriva (XI, q. iii, {{|Julianus}}, i et ii).

V. Car le moine Julien, ayant apostasie et abandonné son monastère et son ordre, et acquis le consulat à Rome par le crime, devint ainsi empereur et persécuteur des chrétiens, les affligea de diverses peines et les fit mettre à mort. On lit encore qu’un certain soldat nommé Quiriace tua ensuite ce Julien. On lit sur ce Julien qu’il s’échappe encore de sa tombe, à Constantinople, une puanteur insupportable.

VI. Si l’on demande pourquoi on fait une fête de la croix sur laquelle le Christ a été honni et flagellé, et non pas celle de l’ânesse sur laquelle il fut très-honoré, et aussi des choses que le Seigneur a touché, on peut répondre à cela que les louanges elles honneurs qui lui furent rendus sur l’ânesse sont transitoires et de ce monde ; de plus, ce n’est pas de là qu’est sorti notre salut, et il ne faut pas en avoir souci. En outre de cela, on ne dit pas que ces autres choses que le Seigneur a touchées aient opéré des miracles et des guérisons ; ce n’est pas par elles non plus que nous avons été rachetés, tandis que les outrages que le Christ a soufferts sur la croix ont produit notre rédemption. Aujourd’hui, on dit l’introït Nos autem (aux Galates, dernier chapitre) ; et on lit l’épître Confido de vobis in Domino, parce que l’on y dit Mihi autem absit gloriari, nisi in cruce Domini Jesu Christi, « Loin de moi la pensée de me glorifier, si ce n’est dans la croix du Seigneur Jésus-Christ. » D’autres églises disent : Hoc sentire (aux Philipp., ii). L’évangile est : Simile est regnum cœlonim, « Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ, etc., » parce que la croix du Seigneur a été trouvée littéralement dans un champ, ou bien moralement dans le champ de l’Église. La croix du Seigneur est appelée trésor, parce que c’est par elle que le royaume des cieux nous a été acheté. Celui qui voit ce trésor dans l’Église va et vend tout ce qu’il a, c’est-à-dire tous les plaisirs passagers, et il achète ce champ de l’Église. D’autres disent : Erat homo ex Pharisœis (chap. iii). Et il faut remarquer que la fête de la Croix se fait toujours avec la fête des Martyrs, parce que la croix désigne le martyre. Et c’est pour cela que dans les festivités de la sainte Croix on lit, dans certaines églises, six leçons des martyrs, et il y a mélange des deux offices. Nous avons parlé du signe de la croix dans la préface de la cinquième partie.