Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations/Livre 1/10

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Traduction par Germain Garnier, Adolphe Blanqui.
Guillaumin (tome Ip. 132-186).


CHAPITRE X.

des salaires et des profits dans les divers emplois du travail et du capital.


Chacun des divers emplois du travail et du capital, dans un même canton, doit nécessairement offrir une balance d’avantages et de désavantages qui établisse ou qui tende continuellement à établir une parfaite égalité entre tous ces emplois. Si, dans un même canton, il y avait quelque emploi qui fût évidemment plus ou moins avantageux que tous les autres, tant de gens viendraient à s’y jeter dans un cas, ou à l’abandonner dans l’autre, que ses avantages se remettraient bien vite de niveau avec ceux des autres emplois. Au moins en serait-il ainsi dans une société où les choses suivraient leur cours naturel, où l’on jouirait d’une parfaite liberté, et où chaque individu serait entièrement le maître de choisir l’occupation qui lui conviendrait le mieux et d’en changer aussi souvent qu’il le jugerait à propos. L’intérêt individuel porterait chacun à rechercher les emplois avantageux et à négliger ceux qui seraient désavantageux.

À la vérité, les salaires et les profits pécuniaires sont, dans tous les pays de l’Europe, extrêmement différents, suivant les divers emplois du travail et des capitaux. Mais cette différence vient en partie de certaines circonstances attachées aux emplois mêmes, lesquelles, soit en réalité, soit du moins aux yeux de l’imagination, suppléent, dans quelques-uns de ces emplois, à la modicité du gain pécuniaire, ou en contre-balancent la supériorité dans d’autres ; elle résulte aussi en partie de la police de l’Europe, qui nulle part ne laisse les choses en pleine liberté.

Pour examiner particulièrement et ces circonstances, et cette police, je diviserai ce chapitre en deux sections.



Section I.
Des inégalités qui procèdent de la nature même des emplois.


Autant qu’il m’a été possible de l’observer, les circonstances principales qui suppléent à la modicité du gain pécuniaire dans quelques emplois, et contre-balancent sa supériorité dans d’autres, sont les cinq suivantes : 1o l’agrément ou le désagrément des emplois en eux-mêmes ; 2o la facilité ou le bon marché avec lequel on peut les apprendre, ou la difficulté et la dépense qu’ils exigent pour cela ; 3o l’occupation constante qu’ils procurent, ou les interruptions auxquelles ils sont exposés ; 4o le plus ou moins de confiance dont il faut que soient investis ceux qui les exercent ; 5o la probabilité ou improbabilité d’y réussir.

Premièrement, les salaires du travail varient suivant que l’emploi est aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé. Ainsi, dans la plupart des endroits, à prendre l’année en somme, un garçon tailleur gagne moins qu’un tisserand ; son ouvrage est plus facile[1]. Le tisserand gagne moins qu’un forgeron ; l’ouvrage du premier n’est pas toujours plus facile, mais il est beaucoup plus propre ; le forgeron, quoiqu’il soit un artisan, gagne rarement autant, en douze heures de temps qu’un charbonnier travaillant aux mines, qui n’est qu’un journalier[2], gagne en huit. Son ouvrage n’est pas tout à fait aussi malpropre ; il est moins dangereux, il ne se fait pas sous terre et loin de la clarté du jour. La considération entre pour beaucoup dans le salaire des professions honorables. Sous le rapport de la rétribution pécuniaire, tout bien considéré, elles sont, en général, trop peu payées, comme je le ferai voir bientôt[3]. La défaveur attachée à un état produit un effet contraire. Le métier de boucher a quelque chose de cruel et de repoussant ; mais, dans la plupart des endroits, c’est le plus lucratif de presque tous les métiers ordinaires. Le plus affreux de tous les emplois, celui d’exécuteur public, est, en proportion de la quantité de travail, mieux rétribué que quelque autre métier que ce soit.

La chasse et la pêche, les occupations les plus importantes de l’homme dans la première enfance des sociétés, deviennent, dans l’état de civilisation, ses plus agréables amusements, et il se livre alors par plaisir à ce qu’il faisait jadis par nécessité. Ainsi, dans une société civilisée, il n’y a que de très-pauvres gens qui fassent par métier ce qui est pour les autres l’objet d’un passe-temps. Telle a été la condition des pêcheurs depuis Théocrite[4]. Dans la Grande-Bretagne, un braconnier est un homme fort pauvre. Dans le pays où la rigueur des lois ne permet pas le braconnage, le sort d’un homme qui fait son métier de la chasse, moyennant une permission, n’est pas beaucoup meilleur. Le goût naturel des hommes pour ce genre d’occupation y porte beaucoup plus de gens qu’elle ne peut en faire vivre dans l’aisance, et ce que produit un tel travail, en proportion de sa quantité, se vend toujours à trop bon marché pour fournir aux travailleurs au-delà de la plus chétive subsistance.

Le désagrément et la défaveur de l’emploi influent de la même manière sur les profits des capitaux. Le maître d’une auberge ou d’une taverne, qui n’est jamais le maître chez lui, et qui est exposé aux grossièretés du premier ivrogne, n’exerce pas une industrie très-agréable ni très-considérée ; mais il y a peu de commerce ordinaire dans lequel on puisse, avec un petit capital, réaliser d’aussi gros profits.

Secondement, les salaires du travail varient suivant la facilité et le bon marché de l’apprentissage, ou la difficulté et la dépense qu’il exige.

Quand on a établi une machine coûteuse, on espère que la quantité extraordinaire de travail qu’elle accomplira avant d’être tout à fait hors de service remplacera le capital employé à l’établir, avec les profits ordinaires tout au moins. Un homme qui a dépensé beaucoup de temps et de travail pour se rendre propre à une profession qui demande une habileté et une expérience extraordinaires, peut être comparé à une de ces machines dispendieuses. On doit espérer que la fonction à laquelle il se prépare lui rendra, outre les salaires du simple travail, de quoi l’indemniser de tous les frais de son éducation, avec au moins les profits ordinaires d’un capital de la même valeur. Il faut aussi que cette indemnité se trouve réalisée dans un temps raisonnable, en ayant égard à la durée très-incertaine de la vie des hommes, tout comme on a égard à la durée plus certaine de la machine.

C’est sur ce principe qu’est fondée la différence entre les salaires du travail qui demande une grande habileté, et ceux du travail ordinaire.

La police de l’Europe considère comme travail demandant de l’habileté celui de tous les ouvriers, artisans et manufacturiers, et comme travail commun celui de tous les travailleurs de la campagne. Elle paraît supposer que le travail des premiers est d’une nature plus délicate et plus raffinée que celui des autres. Il peut en être ainsi dans certains cas ; mais le plus souvent il en est autrement, comme je tâcherai bientôt de le faire voir[5]. Aussi les lois et coutumes d’Europe, afin de rendre l’ouvrier capable d’exercer la première de ces deux espèces de travail, lui imposent la nécessité d’un apprentissage, avec des conditions plus ou moins rigoureuses, selon les différents pays[6] ; l’autre reste libre et ouvert à tout le monde, sans condition. Tant que dure l’apprentissage, tout le travail de l’apprenti appartient à son maître ; pendant ce même temps, il faut souvent que sa nourriture soit payée par ses père et mère ou quelque autre de ses parents, et presque toujours il faut au moins qu’ils l’habillent. Ordinairement aussi, on donne au maître quelque argent pour qu’il enseigne son métier à l’apprenti. Les apprentis qui ne peuvent donner d’argent donnent leur temps, ou s’engagent pour un plus grand nombre d’années que le temps d’usage ; convention toujours très-onéreuse pour l’apprenti, quoiqu’elle ne soit pas toujours, à cause de l’indolence habituelle de celui-ci, très-avantageuse pour le maître[7]. Dans les travaux de la campagne, au contraire, le travailleur se prépare peu à peu aux fonctions les plus difficiles tout en s’occupant des parties les plus faciles de la besogne ; et son travail suffit à sa subsistance dans tous les différents degrés de sa profession. Il est donc juste qu’en Europe les salaires des artisans, gens de métier et ouvriers de manufactures, soient un peu plus élevés que ceux des ouvriers ordinaires ; ils le sont aussi et, à cause de la supériorité de leurs salaires, les artisans sont regardés presque partout comme faisant partie d’une classe plus relevée. Cependant cette supériorité est bien peu considérable ; le salaire moyen d’un ouvrier à la journée, dans les fabriques les plus communes, comme celles de draps et de toiles unies, n’est guère supérieur, dans la plupart des lieux, aux salaires journaliers des simples manœuvres. À la vérité, l’artisan est plus constamment et plus uniformément occupé, et la supériorité de son gain paraîtra un peu plus forte si on le calcule pour toute l’année ensemble. Toutefois, cette supériorité ne s’élève pas au-dessus de ce qu’il faut pour compenser la dépense plus forte de son éducation[8].

L’éducation est encore bien plus longue et plus dispendieuse dans les arts qui exigent une grande habileté, et dans les professions libérales. La rétribution pécuniaire des peintres, des sculpteurs, des gens de loi et des médecins doit donc être beaucoup plus forte, et elle l’est aussi.

Quant aux profits des capitaux, ils semblent être très-peu affectés par la facilité ou la difficulté d’apprentissage de la profession dans laquelle ils sont employés. Les différents emplois des capitaux dans les grandes villes paraissent offrir communément chacun la même somme de facilités et de difficultés. Une branche quelconque de commerce, soit étranger, soit domestique, ne saurait être beaucoup plus compliquée qu’une autre.

Troisièmement, les salaires du travail varient dans les différentes professions, suivant la constance ou l’incertitude de l’occupation.

Dans certaines professions, l’occupation est plus constante que dans d’autres. Dans la plus grande partie des ouvrages de manufactures, un journalier est à peu près sûr d’être occupé tous les jours de l’année où il sera en état de travailler ; un maçon en pierres ou en briques, au contraire, ne peut pas travailler dans les fortes gelées ou par un très-mauvais temps et, dans tous les autres moments, il ne peut compter sur de l’occupation qu’autant que ses pratiques auront besoin de lui ; conséquemment, il est sujet à se trouver souvent sans occupation. Il faut donc que ce qu’il gagne quand il est occupé, non-seulement l’entretienne pour le temps où il n’a rien à faire, mais le dédommage encore en quelque sorte des moments de souci et de découragement que lui cause quelquefois la pensée d’une situation aussi précaire[9]. Aussi, dans les lieux où le gain de la plupart des ouvriers de manufactures se trouve être presque au niveau des salaires journaliers des simples manœuvres, celui des maçons, est en général, de la moitié ou du double plus élevé. Quand les simples manœuvres gagnent 4 et 5 schellings par semaine, les maçons en gagnent fréquemment 7 et 8 ; quand les premiers en gagnent 6, les autres en gagnent souvent 9 et 10 ; et quand ceux-là en gagnent 9 ou 10, comme à Londres, ceux-ci communément en gagnent 15 et 18. Cependant, il n’y a aucune espèce de métier qui paraisse plus facile à apprendre que celui d’un maçon. On dit que pendant l’été, à Londres, on emploie quelquefois les porteurs de chaises comme maçons en briques. Les hauts salaires de ces ouvriers sont donc moins une récompense de leur habileté, qu’un dédommagement de l’interruption qu’ils éprouvent dans leur emploi.

Le métier de charpentier en bâtiment paraît exiger plus de savoir et de dextérité que celui de maçon. Cependant, en plusieurs endroits, car il n’en est pas de même partout, le salaire journalier du charpentier est un peu moins élevé. Quoique son occupation dépende beaucoup du besoin accidentel que ses pratiques ont de lui, cependant elle n’en dépend pas entièrement, et elle n’est pas sujette à être interrompue par les mauvais temps.

Quand il arrive que, en certaines localités, l’ouvrier n’est pas occupé constamment dans les mêmes métiers où, en général, il l’est constamment ailleurs, alors son salaire s’élève bien au-dessus de la proportion ordinaire avec le salaire du simple travail. À Londres, presque tous les compagnons de métier sont sujets à être arrêtés et renvoyés par leurs maîtres, d’un jour à l’autre ou de semaine en semaine, de la même manière que les journaliers dans les autres endroits. La plus basse classe d’artisans, celle des garçons tailleurs, y gagne en conséquence une demi-couronne[10] par jour, quoique 18 deniers[11] y puissent passer pour le salaire du simple travail. Dans les petites villes et les villages, au contraire, les salaires des garçons tailleurs sont souvent à peine au niveau de ceux des simples manœuvres ; mais c’est qu’à Londres ils restent souvent plusieurs semaines sans occupation, particulièrement pendant l’été.

Quand l’incertitude de l’occupation se trouve réunie à la fatigue, au désagrément et à la malpropreté de la besogne, alors elle élève quelquefois les salaires du travail le plus grossier au-dessus de ceux du métier le plus difficile. Un charbonnier des mines, qui travaille à la pièce, passe pour gagner communément, à Newcastle, environ le double, et dans beaucoup d’endroits de l’Écosse environ le triple des salaires du travail de manœuvre. Ce taux élevé provient entièrement de la dureté, du désagrément et de la malpropreté de la besogne. Dans la plupart des cas, cet ouvrier peut être occupé autant qu’il le veut. Le métier des déchargeurs de charbon à Londres égale presque celui des charbonniers pour la fatigue, le désagrément et la malpropreté ; mais l’occupation de la plupart d’entre eux est nécessairement très-peu constante, à cause de l’irrégularité dans l’arrivée des bâtiments de charbon. Si donc les charbonniers des mines gagnent communément le double et le triple des salaires du manœuvre, il ne doit pas sembler déraisonnable que les déchargeurs de charbon gagnent quatre et cinq fois la valeur de ces mêmes salaires. Aussi, dans les recherches que l’on fit, il y a quelques années, sur le sort de ces ouvriers, on trouva que sur le pied auquel on les payait alors, ils pouvaient gagner 6 à 10 schellings par jour ; or, 6 schellings sont environ le quadruple des salaires du simple travail à Londres, et dans chaque métier particulier on peut toujours regarder les salaires les plus bas comme ceux de la très-majeure partie des ouvriers de ce métier. Quelque exorbitants que ces gains puissent paraître, s’ils étaient plus que suffisants pour compenser toutes les circonstances désagréables qui accompagnent cette besogne, il se jetterait bientôt tant de concurrents dans ce métier, qui n’a aucun privilège exclusif, que les gains y baisseraient bien vite au taux le plus bas.

Les profits ordinaires des capitaux ne peuvent, dans aucune industrie, être affectés par la constance ou l’incertitude de l’emploi. C’est la faute du commerçant, et non celle des affaires, si le capital n’est pas constamment employé.

Quatrièmement, les salaires du travail peuvent varier suivant la confiance plus ou moins grande qu’il faut accorder à l’ouvrier.

Les orfèvres et les joailliers, en raison des matières précieuses qui leur sont confiées, ont partout des salaires supérieurs à ceux de beaucoup d’autres ouvriers dont le travail exige non-seulement autant, mais même beaucoup plus d’habileté.

Nous confions au médecin notre santé, à l’avocat et au procureur notre fortune, et quelquefois notre vie et notre honneur ; des dépôts aussi précieux ne pourraient pas, avec sûreté, être remis dans les mains de gens pauvres et peu considérés. Il faut donc que la rétribution soit capable de leur donner dans la société le rang qu’exige une confiance si importante. Lorsque à cette circonstance se joint encore celle du long temps et des grandes dépenses consacrés à leur éducation, on sent que le prix de leur travail doit s’élever encore beaucoup plus haut.

Quand une personne n’emploie au commerce d’autres capitaux que les siens propres, il n’y a pas lieu à confiance, et le crédit qu’elle peut d’ailleurs se faire dans le public ne dépend pas de la nature de son commerce, mais de l’opinion qu’on a de sa fortune, de sa probité et de sa prudence. Ainsi, les différents taux du profit dans les diverses branches d’industrie ne peuvent pas résulter des différents degrés de confiance accordés à ceux qui les exercent.

Cinquièmement, les salaires du travail dans les différentes occupations varient suivant la chance de succès.

Dans les divers genres d’occupation, il est plus ou moins probable, à divers degrés, qu’un apprenti acquerra la capacité nécessaire pour remplir l’emploi auquel on le destine. Dans la plus grande partie des métiers, le succès est à peu près sûr, mais il est très-incertain dans les professions libérales. Mettez votre fils en apprentissage chez un cordonnier, il n’est presque pas douteux qu’il apprendra à faire une paire de souliers ; mais envoyez-le à une école de droit, il y a au moins vingt contre un à parier qu’il n’y fera pas assez de progrès pour être en état de vivre de cette profession. Dans une loterie parfaitement égale, ceux qui tirent les billets gagnants doivent gagner tout ce que perdent ceux qui tirent les billets blancs. Dans une profession où vingt personnes échouent pour une qui réussit, celle-ci doit gagner tout ce qui aurait pu être gagné par les vingt qui échouent. L’avocat, qui ne commence peut-être qu’à l’âge de quarante ans à tirer parti de sa profession, doit recevoir la rétribution, non-seulement d’une éducation longue et coûteuse, mais encore de celle de plus de vingt autres étudiants, à qui probablement cette éducation ne rapportera jamais rien. Quelque exorbitants que semblent quelquefois les honoraires des avocats, leur rétribution réelle n’est jamais égale à ce résultat. Calculez la somme vraisemblable du gain annuel de tous les ouvriers d’un métier ordinaire, dans un lieu déterminé, comme cordonniers ou tisserands, et la somme vraisemblable de leur dépense annuelle, vous trouverez qu’en général la première de ces deux sommes l’emportera sur l’autre ; mais faites le même calcul à l’égard des avocats et étudiants en droit dans tous les différents collèges de jurisconsultes, et vous trouverez que la somme de leur gain annuel est en bien petite proportion avec celle de leur dépense annuelle, en évaluant même la première au plus haut, et la seconde au plus bas possible. La loterie du droit est donc bien loin d’être une loterie parfaitement égale, et cette profession, comme la plupart des autres professions libérales, est évidemment très-mal récompensée, sous le rapport du gain pécuniaire.

Ces professions cependant ne sont pas moins suivies que les autres, et malgré ces motifs de découragement, une foule d’esprits élevés et généreux s’empressent d’y entrer. Deux causes différentes contribuent à cette vogue : la première, c’est le désir d’acquérir la célébrité qui est le partage de ceux qui s’y distinguent ; et la seconde, c’est cette confiance naturelle que tout homme a plus ou moins, non-seulement dans ses talents, mais encore dans son étoile.

Exceller dans une profession dans laquelle très-peu atteignent la médiocrité, est la marque la plus décisive de ce qu’on appelle génie ou mérite supérieur. L’admiration publique, qui accompagne des talents aussi distingués, compose toujours une partie de leur récompense, ou plus grande ou plus faible, selon que cette admiration publique est d’un genre plus ou moins élevé ; elle forme une partie considérable de la récompense dans la profession de médecin, une plus grande encore peut-être dans celle d’avocat, et elle est presque la seule rémunération de ceux qui cultivent la poésie et la philosophie.

Il y a des talents très-brillants et très-agréables qui entraînent une certaine sorte d’admiration pour celui qui les possède, mais dont l’exercice, quand il est fait en vue du gain, est regardé, soit raison ou préjugé, comme une espèce de prostitution publique. Il faut donc que la récompense pécuniaire de ceux qui les exercent ainsi soit suffisante pour indemniser, non-seulement du temps, de la peine et de la dépense d’acquérir ces talents, mais encore de la défaveur qui frappe ceux qui en font un moyen de subsistance. Les rétributions exorbitantes que reçoivent les comédiens, les chanteurs et danseurs d’opéra, etc., sont fondées sur ces deux principes : 1o la rareté et la beauté du talent ; 2o la défaveur attachée à l’emploi lucratif que l’on en fait. Il paraît absurde, au premier coup d’œil, de mépriser leurs personnes et en même temps de récompenser leurs talents avec une extrême prodigalité. C’est pourtant parce que nous faisons l’un, que nous sommes obligés de faire l’autre. Si l’opinion publique ou le préjugé venait jamais à changer à l’égard de ces professions, leur récompense pécuniaire tomberait bientôt après. Beaucoup plus de gens s’y adonneraient, et la concurrence y ferait baisser bien vite le prix du travail. Ces talents, quoique bien loin d’être communs, ne sont pourtant pas aussi rares qu’on le pense. Il y a bien des gens qui les possèdent dans la dernière perfection, mais qui regarderaient comme au-dessous d’eux d’en tirer parti ; et il y en a encore bien davantage qui seraient en état de les acquérir, si ces talents étaient plus considérés.

L’opinion exagérée que la plupart des hommes se forment de leurs propres talents est un mal ancien qui a été observé par les philosophes et les moralistes de tous les temps. Leur folle confiance en leur bonne étoile a été moins remarquée ; c’est cependant un mal encore plus universel, s’il est possible. Il n’y a pas un homme sur terre qui n’en ait sa part, quand il est bien portant et un peu animé. Chacun s’exagère plus ou moins la chance du gain ; quant à celle de la perte, la plupart des hommes la comptent au-dessous de ce qu’elle est, et il n’y en a peut-être pas un seul, bien dispos de corps et d’esprit, qui la compte pour plus qu’elle ne vaut.

Le succès général des loteries nous montre assez que l’on s’exagère naturellement les chances du gain. On n’a jamais vu et on ne verra jamais une loterie au monde qui soit parfaitement égale, ou dans laquelle la somme du gain compense celle de la perte, parce que l’entrepreneur n’y trouverait pas son compte. Dans les loteries établies par les gouvernements, les billets ne valent pas, en réalité, le prix que payent les premiers souscripteurs, et cependant ils sont communément revendus sur la place, à 20, 30 et quelquefois 40 p. 100 de bénéfice. Le vain espoir de gagner quelqu’un des gros lots est la seule cause de la demande. Les gens les plus sages ont peine à regarder comme une folie ce fait de payer une petite somme pour acheter la chance de gagner 10 ou 20,000 livres, quoiqu’ils sachent bien que cette petite somme est peut-être 20 ou 30 p. 100 plus que la chance ne vaut. Dans une loterie où il n’y aurait pas de lot au-dessus de 20 livres, mais qui se rapprocherait plus d’une parfaite égalité que les loteries publiques ordinaires, les billets ne seraient pas aussi courus. Afin de s’assurer une meilleure chance pour quelques-uns des gros lots, il y a des gens qui achètent beaucoup de billets, et d’autres qui s’associent pour de petites portions dans un beaucoup plus grand nombre de billets. C’est pourtant une des propositions les mieux démontrées en mathématiques, que plus on prend de billets, plus on a de chances de perte contre soi. Prenez tous les billets de la loterie, et vous serez sûr de perdre ; or, plus le nombre des billets pris sera grand, plus on approchera de cette certitude.

Les profits extrêmement modérés des assureurs nous font bien voir le plus souvent que les chances de perte sont calculées au-dessous de ce qu’elles sont, et presque jamais au-dessus. Pour que l’assurance, ou contre l’incendie, ou contre les risques de mer, soit une industrie, il faut que la prime ordinaire soit suffisante pour compenser les pertes ordinaires, payer les frais de l’établissement et fournir le profit qu’aurait pu rapporter le même capital employé à tout autre commerce. La personne qui ne paye pas plus que cela ne paye évidemment que la vraie valeur du risque ou le prix le plus bas auquel elle puisse raisonnablement s’attendre qu’on voudra le lui garantir. Mais, quoique beaucoup de gens aient gagné un peu d’argent dans le commerce des assurances, il y en a très-peu qui y aient fait de grandes fortunes, et de cette seule considération il paraît résulter assez clairement que la balance ordinaire des profits et des pertes n’est pas plus avantageuse dans ce genre d’affaires que dans tout autre genre de commerce, où tant de gens font leur fortune. Et encore, toute modérée qu’est la prime d’assurance, beaucoup de gens font si peu de compte du risque, qu’ils ne se soucient pas de la payer. À prendre tout le royaume en masse, il y a dix-neuf maisons sur vingt, ou peut-être même quatre-vingt-dix-neuf sur cent, qui ne sont pas assurées contre les incendies[12]. Les risques de mer sont plus alarmants pour la plupart des intéressés, aussi la proportion des vaisseaux assurés à ceux qui ne le sont pas est-elle beaucoup plus forte. Il en est cependant un grand nombre, dans tous les temps et même en temps de guerre, qui font voile sans être assurés ; et quelquefois cela peut se faire sans imprudence. Quand une grande compagnie ou même un gros négociant a vingt ou trente vaisseaux en mer, ils s’assurent pour ainsi dire l’un l’autre. Il se peut que la prime épargnée sur tous fasse compensation avec les pertes qu’il est probable de rencontrer d’après le cours ordinaire des chances diverses. Toutefois, dans la plupart des cas, c’est moins par suite d’un calcul aussi approfondi que l’on néglige d’assurer les vaisseaux, que par l’effet de cette insouciance et de cette présomption qui portent à mépriser le danger, comme pour l’assurance des maisons.

L’âge où les jeunes gens font le choix d’un état est, de toutes les époques de la vie, celle où ce mépris du danger et cette confiance présomptueuse qui se flatte toujours de réussir agissent le plus puissamment. C’est là qu’on peut observer combien peu la crainte d’un événement malheureux est capable de balancer l’espoir d’un bon succès. Si l’empressement avec lequel on embrasse les professions libérales en est une preuve, cette preuve est encore bien plus sensible dans l’ardeur que mettent les gens du peuple à s’enrôler comme soldats ou comme matelots.

On voit tout d’un coup l’étendue des risques que court un soldat. Cependant, sans réfléchir au danger, les jeunes volontaires ne sont jamais si empressés de s’enrôler qu’au commencement d’une guerre ; et quoiqu’il n’y ait pour eux presque aucune chance d’avancement, leurs jeunes têtes se figurent mille occasions, qui n’arrivent jamais, d’acquérir de la gloire et des distinctions. Ces espérances romanesques sont le prix auquel ils vendent leur sang. Leur paye est au-dessous du salaire des simples manœuvres, et quand ils sont en activité de service, leurs fatigues sont beaucoup plus grandes que celles de ces derniers.

La loterie de la marine n’est pas tout à fait aussi désavantageuse que celle de l’armée. Le fils d’un ouvrier ou d’un bon artisan se met en mer souvent avec le consentement de son père ; mais c’est toujours sans ce consentement qu’il s’enrôle comme soldat. Dans le premier de ces métiers, d’autres personnes que lui voient quelque possibilité à ce qu’il y fasse quelque chose ; dans l’autre, cette chance n’est visible que pour lui seul. Un grand amiral excite moins l’admiration publique qu’un général, et les plus grands succès dans le service de mer promettent moins de gloire et d’honneurs que de pareils succès sur terre. On retrouve la même différence dans tous les grades inférieurs des deux services. Par les règlements sur la préséance, un capitaine dans la marine a le même rang qu’un colonel dans l’armée, mais dans l’opinion générale il ne tient pas la même place. Comme dans cette loterie les premiers lots sont moindres, il faut que les petits soient plus nombreux. Aussi les simples matelots sont plus souvent dans le cas d’avancer et de se faire un sort que les simples soldats, et c’est l’espoir de ces lots qui met principalement ce métier en crédit. Qu’il exige bien plus de savoir et de dextérité que presque tout autre métier d’artisan, et quoique toute la vie d’un matelot soit une suite continue de travaux et de dangers, cependant, tant qu’il reste simple matelot, pour tout ce savoir et toute cette dextérité, pour tous ces travaux et ces dangers, il reçoit à peine d’autre récompense que le plaisir d’accomplir les uns et de surmonter les autres. Le salaire du matelot n’est pas plus fort que celui d’un simple manœuvre, dans le port qui règle le taux de ces salaires. Comme les matelots passent continuellement d’un port à un autre, la paye mensuelle de ceux qui partent de tous les différents ports de la Grande-Bretagne se rapproche bien plus du même niveau, que celle des autres ouvriers dans tous ces endroits différents, et le taux du port d’où part et où arrive le plus grand nombre de matelots, qui est le port de Londres, règle le taux de tous les autres ports. À Londres, les salaires de la majeure partie des différentes classes d’ouvriers sont environ le double de ceux de la même classe à Édimbourg. Mais les matelots qui partent du port de Londres, gagnent rarement au-delà de 3 ou 4 schellings par mois de plus que ceux qui partent du port de Leith, et souvent même la différence n’est pas si grande. En temps de paix et dans le service marchand, le prix de Londres est de 1 guinée à 27 schellings environ, par mois de trente jours[13]. Un ouvrier ordinaire à Londres, sur le pied de 9 à 10 schellings par semaine, peut gagner, dans le même mois, de 40 à 45 schellings. À la vérité le matelot est fourni de vivres en sus de sa paye ; cependant leur valeur n’excède peut-être pas toujours la différence de sa paye avec celle de l’ouvrier ordinaire ; et quand cela serait quelquefois, ce surplus ne forme pas un gain net pour le matelot, puisqu’il ne peut pas le partager avec sa femme et ses enfants, qu’il est toujours obligé de faire subsister chez lui sur ses salaires[14].

Cette vie, pleine d’aventures et de périls, où l’on se voit sans cesse à deux doigts de la mort, loin de décourager les jeunes gens, semble donner à la profession un attrait de plus pour eux. Dans les rangs inférieurs du peuple, une mère tremble souvent d’envoyer son fils à l’école dans une ville maritime, de peur que la vue des vaisseaux et le récit des aventures des matelots ne l’excitent à se mettre en mer. La perspective lointaine de ces hasards, dont nous espérons triompher par courage et par adresse, n’a rien de désagréable pour nous, et elle ne fait nullement hausser les salaires dans un emploi. Mais il n’en est pas de même des risques où le courage et l’adresse ne peuvent rien. Dans les métiers qui sont connus pour être très-malsains, les salaires du travail sont très-élevés. Le défaut de salubrité est une sorte de désagrément, et c’est sous cette distinction générale qu’il faut ranger les effets qu’il produit sur les salaires.

Dans les divers emplois du capital, le taux ordinaire du profit varie plus ou moins, suivant le plus ou moins de certitude des rentrées. Il y a, en général, moins d’incertitude dans le commerce intérieur que dans le commerce étranger, et dans certaines branches du commerce étranger que dans d’autres ; dans le commerce de l’Amérique septentrionale, par exemple, que dans celui de la Jamaïque. Le taux ordinaire du profit s’élève toujours plus ou moins avec le risque. Il ne paraît pas pourtant qu’il s’élève en proportion du risque, ou de manière à le compenser parfaitement. C’est dans les commerces les plus hasardeux que les banqueroutes sont les plus fréquentes. Le métier du contrebandier, le plus hasardeux de tous, mais aussi le plus lucratif quand l’affaire réussit, conduit infailliblement à la banqueroute. Cette confiance présomptueuse dans le succès paraît agir ici comme partout ailleurs, et entraîner tant de gens à s’aventurer dans les affaires périlleuses, que la concurrence y réduit le profit au-dessous de ce qui serait nécessaire pour compenser le risque. Pour le compenser tout à fait, il faudrait que les rentrées ordinaires, outre les profits ordinaires du capital, pussent non-seulement remplacer toutes les pertes accidentelles, mais encore qu’elles rapportassent aux coureurs d’aventures un surcroît de profit du même genre que le profit des assureurs. Mais si les rentrées ordinaires suffisaient à tout cela, les banqueroutes ne seraient pas plus fréquentes dans ce genre de commerce que dans les autres.

Ainsi, des cinq circonstances qui font varier les salaires du travail, il n’y en a que deux qui influent sur les profits du capital : l’agrément ou le désagrément, la sûreté ou le risque qui accompagnent le genre d’affaire auquel le capital est employé. Sous le rapport de l’agrément ou désagrément, il n’y a, dans la très-grande partie des emplois du capital, que peu ou point de différence, mais il y en a beaucoup dans les emplois du travail ; et quant au risque, quoiqu’il fasse hausser les profits du capital, il ne paraît pas que cette hausse ait toujours lieu en proportion du risque. De tout cela il résulte nécessairement que, dans une même société ou dans une même localité, le taux moyen des profits ordinaires dans les différents emplois du capital se rapprochera bien plus de l’égalité que celui des salaires pécuniaires des diverses espèces de travail ; aussi est-ce bien ce qui arrive. La différence entre le gain d’un simple manœuvre et celui d’un avocat ou d’un médecin, est évidemment bien plus grande que celle qui peut exister entre les profits ordinaires de deux différentes branches d’industrie, quelles qu’elles soient. D’ailleurs, la différence apparente qui semble exister entre deux différents genres d’industrie est, en général, une illusion qui provient de ce que nous ne distinguons pas toujours ce qui doit être regardé comme salaire, de ce qui doit être regardé comme profit.

Les profits des apothicaires passent, par une sorte de dicton, pour quelque chose de singulièrement exorbitant. Cependant ce profit, en apparence énorme, n’est souvent autre chose qu’un salaire fort raisonnable. Le savoir d’un apothicaire est d’une nature bien plus délicate et plus raffinée que celui d’aucun autre ouvrier, et la confiance dont il doit être investi est aussi d’une bien plus haute importance. Il est, dans toutes les circonstances, le médecin des pauvres, et celui des riches, quand le danger ou la souffrance ne sont pas très-considérables. Il faut que ses salaires soient en raison de ce savoir et de cette confiance, et il ne peut les trouver en général que dans le prix de ses drogues. La totalité des drogues que l’apothicaire le plus achalandé pourra vendre dans le cours d’une année, dans la ville qui fournit le marché le plus étendu, ne lui coûtera peut-être pas plus de 30 ou 40 livres. Quand même il ne les vendrait à 3 ou 400, ou même à 1000 pour 100 de profit, ce prix ne serait souvent que le salaire raisonnable de son travail, qui se trouve ainsi compris dans le prix de ses drogues, car il ne peut pas être prélevé autrement. La plus grande partie de ses profits apparents n’est qu’un véritable salaire déguisé sous la forme de profits.

Dans un port de mer peu considérable, un petit épicier se fera 40 ou 50 p. 100 d’un capital d’une centaine de livres sterling, tandis qu’un fort marchand en gros, dans le même lieu, pourra à peine faire rendre 8 à 10 p. 100 à un capital de 10,000 livres. Le commerce de l’épicier y est nécessaire à la consommation des habitants ; mais un marché aussi resserré ne peut pas comporter l’emploi d’un plus gros capital dans ce négoce. Cependant il faut non-seulement qu’un homme vive de son commerce, il faut encore qu’il puisse en vivre convenablement aux conditions que ce commerce exige de lui. Outre celle de posséder un petit capital, il faut encore ici celle de savoir lire, écrire et compter ; il faut celle de pouvoir aussi juger assez passablement de peut-être cinquante ou soixante espèces de marchandises différentes, de leurs prix, de leurs qualités, et des marchés où on peut se les procurer au meilleur compte ; il faut, en un mot, avoir toutes les connaissances nécessaires a un gros marchand, et rien n’empêche celui-ci de le devenir, que le manque d’un capital suffisant. On ne peut pas dire que 30 ou 40 livres par an soient une récompense trop forte pour le travail d’un homme qui réunit toutes ces connaissances. Si vous déduisez cela des gros profits apparents de son capital, il ne restera plus guère que les profits ordinaires. La plus grande partie du profit apparent est donc aussi, dans ce cas, un véritable salaire[15].

La différence entre le profit apparent de la vente en détail et celui de la vente en gros est bien moindre dans une capitale que dans une petite ville ou dans un village. Quand il est possible d’employer un fonds de 10,000 livres au commerce d’épicerie, les salaires du travail de l’épicier ne sont qu’une bagatelle à ajouter à ce qui est réellement le profit d’un aussi gros capital. Ainsi les profits apparents d’un très-fort détaillant, dans une grande ville, se rapprochent beaucoup plus de ceux du marchand en gros ; c’est pour cette raison que les marchandises qui se vendent en détail sont, en général, à aussi bon marché, et souvent à bien meilleur marché dans la capitale que dans les petites villes ou dans les villages. Les épiceries, par exemple, y sont généralement à bien meilleur marché ; le pain et la viande de boucherie y sont souvent à aussi bon marché. Il n’en coûte pas plus pour transporter des épiceries dans une grande ville que dans un village ; mais il en coûte bien davantage pour transporter dans la première du blé et du bétail, dont la plus grande partie est amenée d’une grande distance. Le premier prix des épiceries étant le même dans les deux endroits, elles seront à meilleur marché là où elles sont chargées d’un moindre profit. Le premier prix du pain et de la viande de boucherie est plus fort dans la grande ville que dans le village ; quoique chargés d’un profit moindre, ils n’y sont pas toujours à meilleur marché, mais ils s’y vendent souvent au même prix. Dans des articles comme le pain et la viande, la même cause qui diminue le profit apparent augmente les frais de premier achat. C’est l’étendue du marché qui, offrant de l’emploi à de plus gros capitaux, diminue le profit apparent ; mais aussi c’est elle qui, obligeant de se fournir à de plus grandes distances, augmente le premier coût. Cette diminution d’une part, et cette augmentation de l’autre, semblent, en beaucoup de cas, se contrebalancer à peu près ; et c’est là probablement la raison pour laquelle les prix du pain et de la viande de boucherie sont en général, à très-peu de chose près, les mêmes dans la plus grande partie du royaume, quoiqu’en différents endroits il y ait ordinairement de grandes différences dans les prix du blé et du bétail.

Quoique les profits des capitaux, tant pour la vente en détail que pour la vente en gros, soient, en général, plus faibles dans la capitale que dans de petites villes ou dans des villages, cependant on voit fort souvent dans la première de grandes fortunes faites avec de petits commencements, et on n’en voit presque jamais dans les autres. Dans de petites villes et dans des villages, le peu d’étendue du marché empêche le commerce de s’étendre à mesure que grossit le capital ; aussi, dans de pareils lieux, quoique le taux des profits d’une personne en particulier puisse être très-élevé, cependant la masse ou la somme totale de ces profits et, par conséquent, le montant de son accumulation annuelle, ne peuvent pas être très-considérables. Au contraire, dans les grandes villes, on peut étendre son commerce à mesure que le capital augmente, et le crédit d’un homme qui est économe et en prospérité augmente encore bien plus vite que son capital. Suivant que l’un et l’autre augmentent, il agrandit la sphère de ses opérations ; la somme ou le montant total de ses profits est en proportion de l’étendue de son commerce, et ce qu’il accumule annuellement est proportionné à la somme totale de ses profits. Toutefois il arrive rarement que, même dans les grandes villes, on fasse des fortunes considérables dans une industrie régulière fixée et bien connue, si ce n’est par une longue suite d’années d’une vie appliquée, économe et laborieuse. À la vérité il se fait quelquefois, dans ces endroits, des fortunes soudaines dans ce qu’on appelle proprement le commerce ou la spéculation. Le négociant qui s’abandonne à ce genre d’affaires n’exerce pas d’industrie fixe, régulière, ni bien connue. Il est cette année marchand de blé, il sera marchand de vin, l’année prochaine, et marchand de sucre, de tabac ou de thé, l’année suivante. Il se livre à toute espèce de commerce qu’il présume pouvoir donner quelque profit extraordinaire, et il l’abandonne quand il prévoit que les profits en pourront retomber au niveau de ceux des autres affaires : ses profits et ses pertes ne peuvent donc garder aucune proportion régulière avec ceux de toute autre branche de commerce fixe et bien connue. Un homme qui ne craint pas de s’aventurer peut quelquefois faire une fortune considérable en deux ou trois spéculations heureuses ; mais il est tout aussi probable qu’il en perdra autant par deux ou trois spéculations malheureuses. Un tel commerce ne peut s’entreprendre que dans les grandes villes. Ce n’est que dans les endroits où les affaires et les correspondances sont extrêmement étendues, qu’on peut se procurer toutes les connaissances qu’il exige.

Les cinq circonstances qui viennent d’être exposées en détail occasionnent bien des inégalités très-fortes dans les salaires et les profits, mais elles n’en occasionnent aucune dans la somme totale des avantages et désavantages réels ou imaginaires de chacun des différents emplois du travail ou des capitaux ; elles sont de nature seulement à compenser, dans certains emplois, la modicité du gain pécuniaire, et à en balancer la supériorité dans d’autres[16].

Cependant, pour que cette égalité ait lieu dans la somme totale des avantages et désavantages des emplois, trois choses sont nécessaires, en supposant même la plus entière liberté : la première, que l’emploi soit bien connu et établi depuis longtemps dans la localité ; la seconde, qu’il soit dans son état ordinaire, ou ce qu’on peut appeler son état naturel, et la troisième, qu’il soit la seule ou la principale occupation de ceux qui l’exercent.

Premièrement, cette égalité ne peut avoir lieu que dans ces emplois qui sont bien connus et qui existent depuis longtemps dans la localité.

Toutes choses égales d’ailleurs, une entreprise nouvelle donne de plus hauts salaires que les anciennes. Quand un homme forme le projet d’établir une manufacture nouvelle, il faut, dans le commencement, qu’il attire les ouvriers et les détourne des autres emplois par l’attrait de salaires plus forts que ceux qu’ils gagneraient dans leurs propres professions, supérieurs à ceux que mériterait le nouveau travail, et il se passera un temps considérable avant qu’il puisse risquer de les remettre au niveau commun. Les manufactures dont le débit est entièrement fondé sur la mode et la fantaisie changent continuellement, et elles ne durent presque jamais assez longtemps pour qu’on puisse les regarder comme d’anciens établissements. Au contraire, celles dont le débit tient principalement à la nécessité ou à l’utilité sont moins sujettes au changement, et peuvent conserver, pendant des siècles entiers de suite, la même forme et le même genre de fabrication. Les salaires doivent donc naturellement être plus forts, dans les manufactures de la première espèce, que dans celles de la dernière. Birmingham produit principalement des ouvrages de la première sorte ; Sheffield, des ouvrages de la seconde ; et l’on dit que les salaires du travail dans chacune de ces places sont conformes à cette différence dans la nature de leurs produits.

Tout établissement nouveau en manufacture, toute branche nouvelle de commerce, toute pratique nouvelle en agriculture, est toujours une spéculation dont l’entrepreneur se promet des profits extraordinaires. Ces profits sont quelquefois très-forts ; plus souvent peut-être, c’est tout le contraire qui arrive ; mais, en général, ils ne sont pas en proportion régulière avec ceux que donnent dans le voisinage les anciennes industries. Si le projet réussit, les profits sont ordinairement très-élevés d’abord. Quand ce genre de trafic ou d’opération vient à être tout à fait établi et bien connu, la concurrence réduit les profits au niveau de ceux des autres emplois.

Secondement, cette égalité dans la somme totale des avantages et désavantages des divers emplois du travail et des capitaux ne peut avoir lieu que dans les emplois qui sont dans leur état ordinaire, ou dans ce qu’on peut appeler leur état naturel.

Dans presque chaque espèce différente de travail, la demande est tantôt plus grande, tantôt moindre que de coutume. Dans le premier cas, les avantages de ce genre d’emploi montent au-dessus du niveau commun ; dans l’autre, ils descendent au-dessous. La demande de travail champêtre est plus forte dans le temps des foins et de la moisson que pendant le reste de l’année, et les salaires haussent avec ce surcroît de demande[17]. En temps de guerre, lorsque quarante ou cinquante matelots sont forcés de passer de la marine marchande au service du roi, la demande de matelots pour le commerce s’élève nécessairement en proportion de leur rareté ; et dans ces cas-là, leurs salaires montent communément d’une guinée ou de 27 schellings par mois, à 40 schellings et à 3 livres. Au contraire, dans une manufacture qui décline, beaucoup d’ouvriers, plutôt que de quitter leur ancien métier, se contentent de salaires plus faibles que ceux que comporterait sans cela la nature de leur travail.

Le profit du capital varie avec le prix des marchandises qui font l’objet de l’emploi. Quand le prix d’une marchandise s’élève au-dessus du taux ordinaire ou moyen, les profits d’une partie au moins du capital employé à la mettre sur le marché montent au-dessus du niveau général ; et quand ce prix baisse, au contraire, ils tombent au-dessous de ce niveau. Toutes les marchandises sont plus ou moins sujettes à des variations dans leur prix, mais quelques-unes le sont beaucoup plus que d’autres. Dans toutes les choses qui sont le produit de l’industrie humaine, la demande annuelle règle nécessairement la quantité d’industrie qui s’y porte annuellement, de telle sorte que le produit moyen annuel puisse égaler, d’aussi près qu’il est possible, la consommation annuelle. On a déjà observé[18] que, dans quelques emplois, la même quantité d’industrie produira toujours la même ou presque la même quantité de marchandises. Par exemple, dans une manufacture de toiles ou de draps, le même nombre de bras fabriquera, dans une année, la même quantité, à fort peu de chose près, de toiles ou de draps. Le prix de marché de ce genre de marchandises n’a donc varié qu’en conséquence de variations accidentelles dans la demande, par exemple, en conséquence d’un deuil public qui fera hausser le prix du drap noir. Mais comme, en général, la demande de la plupart des espèces de drap ou de toile est assez uniforme, il en est de même de leur prix. Au contraire, il y a d’autres emplois où la même quantité d’industrie ne produira pas toujours la même quantité de marchandises. Par exemple, la même quantité d’industrie produira, en différentes années, des quantités fort différentes de blé, de vin, de houblon, de sucre, de tabac, etc. Aussi, le prix de ce genre de marchandises varie, non-seulement d’après les variations de la demande mais encore d’après les variations bien plus fortes et bien plus fréquentes de la quantité produite, et il est, par conséquent, extrêmement mobile. Or, il faut nécessairement que le profit de quelques-uns de ceux qui font commerce de ces denrées se ressente de la mobilité du prix. Ceux qui se livrent au commerce de spéculation établissent leurs principales opérations sur ces sortes de marchandises. Quand ils prévoient que le prix pourra monter, ils en accaparent autant qu’ils peuvent, et ils cherchent à vendre quand il y a apparence de baisse.

Troisièmement, cette égalité dans la somme totale des avantages et désavantages de divers emplois de travail et de capitaux ne peut avoir lieu que dans les emplois qui sont la seule ou la principale occupation de ceux qui les exercent.

Lorsqu’une personne tire sa subsistance d’un emploi qui n’occupe pas la plus grande partie de son temps, elle consent volontiers, dans ses intervalles de loisir, à travailler à quelque autre emploi pour un salaire moindre que ne le comporterait sans cela la nature de ce travail.

Il existe encore, dans plusieurs endroits de l’Écosse, une classe de gens qu’on nomme cotters ou cottagers[19], qui étaient, il y a quelques années, encore plus nombreux qu’aujourd’hui[20]. Ce sont des espèces de domestiques externes des propriétaires et des fermiers. La rétribution d’usage qu’ils reçoivent de leur maître, c’est une maison, un petit jardin potager, autant d’herbe qu’il en faut pour nourrir une vache, et peut-être une acre ou deux de mauvaise terre labourable. Quand le maître les emploie, il leur donne en outre quatre gallons[21] de farine d’avoine par semaine, valant environ 16 deniers sterling. Pendant une grande partie de l’année, il ne les emploie pas ou les emploie très-peu, et la culture de leur petite possession ne suffit pas pour occuper tout le temps qu’on leur laisse libre. Quand ces tenanciers étaient plus nombreux qu’ils ne sont maintenant, on dit que, moyennant une très-faible rétribution, ils donnaient volontiers le superflu de leur temps à quiconque les voulait employer, et qu’ils travaillaient pour de moindres salaires que les autres ouvriers. Il paraît qu’ils ont été autrefois très-communs dans toute l’Europe. Dans des pays mal cultivés et encore plus mal peuplés, la plus grande partie des propriétaires et des fermiers n’auraient pas pu sans cela se pourvoir des bras extraordinaires qu’exigent, dans certaines saisons, les travaux de la campagne. Il est évident que la rétribution journalière ou hebdomadaire que ces ouvriers recevaient accidentellement de leurs maîtres n’était pas le prix entier de leur travail ; leur petite possession en formait une partie considérable. Cependant plusieurs écrivains qui ont recueilli les prix du travail et des denrées dans les temps anciens, et qui se sont plu à les représenter tous deux prodigieusement bas, ont regardé cette rétribution accidentelle comme formant tout le salaire de ces ouvriers.

Le produit d’un travail fait de cette manière se présente souvent sur le marché à meilleur compte que la nature de ce travail ne le permettrait sans cette circonstance. Dans plusieurs endroits d’Écosse, on a des bas tricotés à l’aiguille à beaucoup meilleur marché qu’on ne pourrait les établir au métier partout ailleurs ; c’est l’ouvrage de domestiques et d’ouvrières qui trouvent dans une autre occupation la principale partie de leur subsistance. On importe par an, à Leith, plus de mille paires de bas de Shetland, dont le prix est de 5 à 7 deniers la paire. À Learwick, la petite capitale des îles de Shetland, le prix ordinaire du simple travail est, à ce qu’on m’a assuré, de 10 deniers par jour. Dans les mêmes îles, on tricote des bas d’estame[22], de la valeur d’une guinée la paire, et au-dessus.

La filature de toile se fait en Écosse de la même manière à peu près que les bas à l’aiguille, c’est-à-dire par des femmes qui sont louées principalement pour d’autres services. Celles qui essayent de vivre uniquement de l’un ou de l’autre de ces métiers gagnent à peine de quoi ne pas mourir de faim. Dans la plus grande partie de l’Écosse, il faut être une bonne fileuse pour gagner 20 deniers par semaine[23].

Dans les pays opulents, le marché est, en général, assez étendu pour qu’une seule occupation suffise à employer tout le travail et tout le capital de ceux qui s’y livrent. Ce n’est guère que dans les pays pauvres qu’on trouve des exemples de gens qui vivent d’un emploi et retirent en même temps quelques petits bénéfices d’un autre. Cependant, la capitale d’un pays très-riche peut nous fournir un exemple de quelque chose de semblable. Il n’y a pas, je crois, de ville en Europe où les loyers de maisons soient plus chers qu’à Londres, et je ne connais pourtant pas de capitale où on puisse trouver des chambres garnies à si bon marché ; non-seulement les logements à Londres sont moins chers qu’à Paris, ils le sont même beaucoup moins qu’à Édimbourg, au même degré de commodité ; et ce qui pourra paraître singulier, c’est la cherté des loyers[24], qui est la cause du bon marché des logements. La cherté des loyers de maison à Londres ne procède pas seulement des causes qui les rendent chers dans toutes les capitales, c’est-à-dire la cherté du travail, la cherté des matériaux de construction qu’il faut en général transporter de fort loin, et par-dessus tout la cherté de la rente ou loyer du sol[25] ; chaque propriétaire de sol agit en monopoleur, et exige très-souvent, pour une seule acre de mauvaise terre dans la ville, une plus forte rente que ne pourraient lui en produire cent acres des meilleures terres de la campagne. Mais la cherté de ces loyers provient encore en partie de la coutume du pays, qui oblige tout chef de famille à prendre à loyer une maison entière, de la cave au grenier. En Angleterre, on comprend sous le nom d’habitation ou domicile tout ce qui est renfermé sous le même toit ; tandis que ce mot, en France, en Écosse et dans beaucoup d’autres endroits de l’Europe, ne signifie souvent rien de plus qu’un seul étage. Un industriel à Londres est obligé de prendre à loyer une maison entière, dans le quartier où demeurent ses pratiques. Il tient sa boutique au rez-de-chaussée, et il couche, ainsi que sa famille, dans les combles ; ensuite il tâche de regagner une partie de son loyer en prenant des locataires dans les deux étages du milieu. C’est sur son industrie, et non sur ses locataires, qu’il compte pour entretenir sa famille, tandis qu’à Paris et à Édimbourg les gens qui fournissent les logements n’ont ordinairement pas d’autres moyens de subsistance, et qu’il faut que le prix du logement paye non-seulement le loyer de la maison, mais encore toute la dépense de la famille.


Section II.
Inégalités causées par la police de l’Europe.


Telles sont les inégalités qui se trouvent dans la somme totale des avantages et désavantages des divers emplois de travail et de capitaux, même dans les pays où règne la plus entière liberté, lesquelles proviennent du défaut de quelqu’une des trois conditions ci-dessus expliquées ; mais la police qui domine en Europe, faute de laisser les choses dans une entière liberté, donne lieu à d’autres inégalités d’une bien plus grande importance.

Elle produit cet effet principalement de trois manières : la première, en restreignant la concurrence, dans certains emplois, à un nombre inférieur à celui des individus qui, sans cela, seraient disposés à y entrer ; la seconde, en augmentant dans d’autres le nombre des concurrents au-delà de ce qu’il serait dans l’état naturel des choses ; et la troisième, en gênant la libre circulation du travail et des capitaux, tant d’un emploi à un autre, que d’un lieu à un autre.

Premièrement, la police qui règne en Europe donne lieu à une inégalité considérable dans la somme totale des avantages et désavantages des divers emplois du travail et des capitaux, en restreignant, dans certains endroits, la concurrence à un plus petit nombre d’individus que ceux qui s’y porteraient sans cela.

Pour cet objet, les principaux moyens qu’elle emploie, ce sont les privilèges exclusifs des corporations.

Le privilège exclusif d’un corps de métier restreint nécessairement la concurrence, dans la ville où il est établi, à ceux auxquels il est libre d’exercer ce métier. Ordinairement, la condition requise pour obtenir cette liberté est d’avoir fait son apprentissage sous un maître ayant qualité pour cela. Les statuts de la corporation règlent quelquefois le nombre d’apprentis qu’il est permis à un maître d’avoir, et presque toujours le nombre d’années que doit durer l’apprentissage. Le but de ces règlements est de restreindre la concurrence à un nombre d’individus beaucoup moindre que celui qui, sans cela, embrasserait cette profession. La limitation du nombre des apprentis restreint directement la concurrence ; la longue durée de l’apprentissage la restreint d’une manière plus indirecte, mais non moins efficace, en augmentant les frais de l’éducation industrielle.

À Sheffield, un statut de la corporation interdit à tout maître coutelier d’avoir plus d’un apprenti à la fois. À Norwich et à Norfolk, aucun maître tisserand[26] ne peut avoir plus de deux apprentis, sous peine d’une amende de 5 livres par mois envers le roi. Dans aucun endroit de l’Angleterre ou des colonies anglaises, un maître chapelier ne peut avoir plus de deux apprentis, sous peine de 5 livres d’amende par mois, applicables, moitié au roi, moitié au dénonciateur. Quoique ces deux derniers règlements aient été confirmés par une loi du royaume, ils n’en sont pas moins évidemment dictés par ce même esprit de corporation qui a imaginé le statut de Sheffield. À peine les fabricants d’étoffes de soie à Londres ont-ils été une année érigés en corporation, qu’ils ont porté un statut qui défendait à tout maître d’avoir plus de deux apprentis à la fois ; il a fallu un acte exprès du Parlement pour casser ce statut.

La durée de l’apprentissage, dans la plupart des corps de métiers, paraît avoir été anciennement fixée, dans toute l’Europe, au terme ordinaire de sept ans. Ces corporations se nommaient autrefois universités, d’un mot latin qui désigne en effet une corporation quelconque. Dans les vieilles chartes des villes anciennes, nous trouvons souvent ces expressions : l’université des forgerons, l’université des tailleurs, etc. Lors du premier établissement de ces corporations particulières, qui sont aujourd’hui désignées spécialement sous le nom d’universités, le terme des années d’étude qui fut jugé nécessaire pour obtenir le degré de maître ès arts, paraît évidemment avoir été fixé d’après le terme d’apprentissage dans les métiers dont les corporations étaient beaucoup plus anciennes. De même qu’il était nécessaire d’avoir travaillé sept ans sous un maître dûment qualifié pour acquérir le droit de devenir maître dans un métier ordinaire et d’y tenir ainsi des apprentis, de même il fut nécessaire d’avoir étudié sept ans sous un maître pour être en état de devenir, dans les professions libérales, maître, professeur ou docteur (termes autrefois synonymes), et pour prendre sous soi des étudiants ou apprentis (termes qui furent aussi synonymes dans l’origine).

Le statut de la cinquième année d’Élisabeth, appelé communément le statut des apprentis, décida que nul ne pourrait à l’avenir exercer aucun métier, profession ou art pratiqué alors en Angleterre, à moins d’y avoir fait préalablement un apprentissage de sept ans au moins ; et ce qui n’avait été jusque-là que le statut de quelques corporations particulières devint la loi générale et publique de l’Angleterre, pour tous les métiers établis dans les villes de marché ; car quoique les termes de la loi soient très-généraux et semblent renfermer sans distinction la totalité du royaume, cependant, en l’interprétant, on a limité son effet aux villes de marché seulement, et on a tenu que, dans les villages, une même personne pouvait exercer plusieurs métiers différents, sans avoir fait un apprentissage de sept ans pour chacun[27].

De plus, par une interprétation rigoureuse des termes du statut, on en a limité l’effet aux métiers seulement qui étaient établis en Angleterre avant la cinquième année d’Élisabeth, et on ne l’a jamais étendu à ceux qui y ont été introduits depuis cette époque.

Cette limitation a donné lieu à plusieurs distinctions qui, considérées comme règlements de police, sont bien ce qu’on peut imaginer de plus absurde. Par exemple, on a décidé qu’un carrossier ne pouvait faire, ni par lui-même, ni par des ouvriers employés par lui à la journée, les roues de ses carrosses, mais qu’il était tenu de les acheter d’un maître ouvrier en roues, ce dernier métier étant pratiqué en Angleterre antérieurement à la cinquième année d’Élisabeth. Mais l’ouvrier en roues, sans avoir jamais fait d’apprentissage chez un ouvrier en carrosses, peut très-bien faire des carrosses, soit par lui-même, soit par des ouvriers à la journée, le métier d’ouvrier en carrosses n’étant pas compris dans le statut, parce qu’à cette époque il n’était pas pratiqué en Angleterre. Il y a pour la même raison un grand nombre de métiers dans les industries de Manchester, Birmingham et Wolverhampton, qui, n’ayant pas été exercés en Angleterre antérieurement à la cinquième année d’Élisabeth, ne sont pas compris dans le statut.

En France, la durée de l’apprentissage varie dans les différentes villes et dans les différents métiers. Le terme fixé pour un grand nombre, à Paris, est de cinq ans ; mais dans la plupart, avant que l’ouvrier puisse avoir le droit d’exercer comme maître, il faut qu’il travaille encore cinq ans de plus comme ouvrier à la journée ; pendant ce dernier terme il est appelé le compagnon du maître, et ce temps s’appelle son compagnonnage[28].

En Écosse, il n’y a pas de loi générale qui règle universellement la durée de l’apprentissage. Le terme est différent dans les différentes corporations. Quand le terme est long, on peut, en général, en racheter une partie en payant un léger droit. En outre, dans beaucoup de villes, on achète la maîtrise dans un corps de métier quelconque, moyennant un droit très-faible. Les tisserands en toiles de lin et de chanvre, qui sont les principales fabrications du pays, ainsi que tous les autres ouvriers qui en dépendent, ouvriers en rouets, ouvriers en dévidoirs, etc., peuvent exercer leur métier dans toute ville incorporée[29], sans payer aucun droit. Dans les villes de corporation, toute personne est libre de vendre de la viande de boucherie à tous les jours de la semaine où il est permis d’en vendre. Le terme ordinaire de l’apprentissage en Écosse est de trois ans, même dans quelques métiers très-difficiles ; et, en général, je ne connais pas de pays où les lois de corporation soient moins oppressives.

La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés est celle de son propre travail, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres propriétés. Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses mains ; et l’empêcher d’employer cette force et cette adresse de la manière qu’il juge la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage à personne, est une violation manifeste de cette propriété primitive. C’est une usurpation criante sur la liberté légitime, tant de l’ouvrier que de ceux qui seraient disposés à lui donner du travail ; c’est empêcher à la fois l’un, de travailler à ce qu’il juge à propos, et l’autre, d’employer qui bon lui semble. On peut bien en toute sûreté s’en fier à la prudence de celui qui occupe un ouvrier, pour juger si cet ouvrier mérite de l’emploi, puisqu’il y va assez de son propre intérêt. Cette sollicitude qu’affecte le législateur, pour prévenir qu’on n’emploie des personnes incapables, est évidemment aussi absurde qu’oppressive.

Ce n’est pas l’institution de longs apprentissages qui pourra vous garantir qu’on n’exposera pas très-souvent en vente des ouvrages défectueux. Quand on en produit de ce genre, c’est en général l’effet de la fraude, et non du manque d’habileté ; et les plus longs apprentissages ne sont pas des préservatifs contre la fraude. Pour prévenir cet abus, il faut avoir recours à des règlements d’une tout autre nature. La marque sterling sur la vaisselle, ou l’empreinte sur les draps et sur les toiles, donne aux acheteurs une garantie beaucoup plus sûre que tous les statuts d’apprentissage possibles. Aussi fait-on, en général, attention à ces marques quand on achète, tandis qu’on ne songe guère à s’informer si l’ouvrier a rempli ou non ses sept années d’apprentissage.

L’institution des longs apprentissages ne tend nullement à rendre les jeunes gens industrieux. Un journalier qui travaille à la pièce est bien plus disposé à devenir laborieux, parce que l’exercice de son industrie lui procure un bénéfice. Un apprenti doit naturellement être paresseux, et il l’est aussi presque toujours, attendu qu’il n’a pas d’intérêt immédiat au travail. Dans les emplois inférieurs, la récompense du travail est le seul attrait du travail. Ceux qui seront le plus tôt à portée de jouir de cette récompense prendront vraisemblablement le plus tôt le goût de leur métier et en acquerront les premiers l’habitude. Naturellement, un jeune homme conçoit du dégoût pour le travail, quand il travaille longtemps sans en retirer aucun bénéfice. Les enfants qu’on met en apprentissage sur les fonds des charités publiques sont presque toujours engagés pour un terme plus long que le nombre d’années ordinaires et, en général, ils deviennent très-paresseux et très-mauvais sujets.

L’apprentissage était totalement inconnu chez les anciens, tandis que les devoirs réciproques du maître et de l’apprenti forment un article important dans nos codes modernes. La loi romaine n’en parle pas. Je ne connais pas de mot grec ou latin, et je pourrais bien avancer, je crois, qu’il n’en existe point, qui réponde à l’idée que nous attachons aujourd’hui au mot d’apprenti, c’est-à-dire un serviteur engagé à travailler à un métier particulier pour le compte d’un maître, pendant un terme d’années, sous la condition que le maître lui enseignera ce métier[30].

De longs apprentissages ne sont nullement nécessaires. Un art bien supérieur aux métiers ordinaires, celui de faire des montres et des pendules, ne renferme pas de secrets qui exigent un long cours d’instruction. À la vérité, la première invention de ces belles machines, et même celle de quelques instruments qu’on emploie pour les faire, doit être le fruit de beaucoup de temps et d’une méditation profonde, et elle peut passer avec raison pour un des plus heureux efforts de l’industrie humaine. Mais les uns et les autres étant une fois inventés et parfaitement connus, expliquer à un jeune homme, le plus complètement possible, la manière d’appliquer ces instruments et de construire ces machines, cela doit être au plus l’affaire de quelques semaines de leçons, peut-être même serait-ce assez de quelques jours. Dans les arts mécaniques ordinaires, quelques jours pourraient certainement suffire. À la vérité, la dextérité de la main, même dans les métiers les plus simples, ne peut s’acquérir qu’à l’aide de beaucoup de pratique et d’expérience. Mais un jeune homme travaillerait avec bien plus de zèle et d’attention, si dès le commencement il le faisait comme ouvrier, en recevant une paye proportionnée au peu d’ouvrage qu’il exécuterait, et en payant à son tour les matières qu’il pourrait gâter par maladresse ou défaut d’habitude. Par ce moyen son éducation serait, en général, plus efficace, et toujours moins longue et moins coûteuse. Le maître, il est vrai, pourrait perdre à ce compte ; il y perdrait tous les salaires de l’apprenti, qu’il épargne à présent pendant sept ans de suite ; peut-être bien aussi que l’apprenti lui-même pourrait y perdre. Dans un métier appris aussi aisément, il aurait plus de concurrents, et quand l’apprenti serait devenu ouvrier parfait, ses salaires seraient beaucoup moindres qu’ils ne sont aujourd’hui. La même augmentation de concurrence abaisserait les profits des maîtres, tout comme les salaires des ouvriers. Les gens de métier et artisans de toute sorte, ceux qui exploitent des procédés secrets, perdraient sous ce rapport, mais le public y gagnerait, car tous les produits de la main-d’œuvre arriveraient alors au marché à beaucoup meilleur compte.

C’est pour prévenir cette réduction de prix et, par conséquent, de salaires et de profits, en restreignant la libre concurrence qui n’eût pas manqué d’y donner lieu, que toutes les corporations et la plus grande partie des lois qui les concernent ont été établies. Autrefois, dans presque toute l’Europe, il ne fallait pas d’autre autorité pour ériger un corps de métier, que celle de la ville incorporée où il était établi. À la vérité, en Angleterre, il fallait aussi une charte du roi. Mais il paraît que cette prérogative a été réservée à la couronne plutôt comme moyen de tirer de l’argent des sujets que comme moyen de défendre la liberté générale contre ces monopoles oppresseurs. On voit qu’en payant un droit au roi, la charte était, en général, accordée sur-le-champ ; et lorsque quelque classe d’artisans ou de marchands s’était avisée d’agir comme corporation sans avoir pris de charte, ces communautés de contrebande, comme on les appelait, ne perdaient pas toujours pour cela leurs franchises, mais elles étaient tenues de payer au roi un droit annuel, pour la permission d’exercer les privilèges qu’elles avaient usurpés[31]. La surveillance immédiate de toutes les corporations et des statuts qu’elles jugeaient à propos de faire pour leur propre régime, appartenait aux villes incorporées où elles étaient établies, et toute discipline qui s’exerçait sur elles procédait ordinairement, non du roi, mais de la grande corporation municipale, dont ces corporations subordonnées n’étaient que des membres ou des dépendances.

Le régime des villes incorporées se trouva tout à coup dans la main des marchands et artisans, et l’intérêt évident de chacune de leurs classes particulières fut d’empêcher que le marché ne fût surchargé, comme ils disent ordinairement, des objets de leur commerce particulier, c’est-à-dire, en réalité, de l’en tenir toujours dégarni. Chaque classe travailla avec ardeur à fabriquer les règlements les plus propres à ce but et, pourvu qu’on la laissât faire, elle fut très-disposée à laisser faire de même les autres classes. Chaque classe, il est vrai, au moyen de ses règlements, se trouvait obligée d’acheter les marchandises dont elle avait besoin dans la ville même, chez les marchands et artisans des autres classes, et de les payer un peu plus cher qu’elle n’aurait fait sans cela ; mais en revanche elle se trouvait aussi à même de vendre les siennes plus cher, dans la même proportion, ce qui revenait à peu près au même ; dans les affaires que les classes différentes faisaient entre elles dans la ville, aucune d’elles ne perdait à ces règlements. Mais dans les affaires qu’elles faisaient avec la campagne, toutes également trouvaient de gros bénéfices, et c’est dans ce dernier genre d’affaires que consiste tout le trafic qui soutient et qui enrichit les villes.

Chaque ville tire de la campagne toute sa subsistance et tous les matériaux de son industrie. Elle paye ces deux objets de deux manières : la première, en renvoyant à la campagne une partie de ces matériaux travaillés et manufacturés et, dans ce cas, le prix en est augmenté du montant des salaires des ouvriers, et du montant des profits de leurs maîtres ou de ceux qui les emploient immédiatement ; la seconde, en envoyant à la campagne le produit brut manufacturé ou importé dans la ville, soit des autres pays, soit des parties éloignées du même pays ; et dans ce cas aussi, le prix originaire de ces marchandises s’accroît des salaires des voituriers ou matelots, et du profit des marchands qui les emploient. Le gain résultant de la première de ces deux branches d’industrie compose tout le bénéfice que la ville retire de ses manufactures. Le gain résultant de la seconde compose tout le bénéfice de son commerce intérieur et de son commerce étranger. La totalité du gain, dans l’une et dans l’autre branche d’industrie, consiste en salaires d’ouvriers et dans les profits de ceux qui les emploient. Ainsi, tous règlements, qui tendent à faire monter ces salaires et ces profits au-dessus de ce qu’ils devaient être naturellement, tendent à permettre à la ville d’acheter, avec une moindre quantité de son travail, le produit d’une plus grande quantité du travail de la campagne. Ils donnent aux marchands et artisans de la ville un avantage sur les propriétaires, fermiers et ouvriers de la campagne, et ils rompent l’égalité naturelle, qui s’établirait sans cela dans le commerce entre la ville et la campagne. La totalité du produit annuel du travail de la société se divise annuellement entre ces deux classes de la nation. L’effet de ces règlements est de donner aux habitants des villes une part de ce produit plus forte que celle qui leur reviendrait sans cela, et d’en donner une moindre aux habitants des campagnes.

Le prix que payent les villes pour les denrées et matières qui y sont annuellement importées, consiste dans tous les objets de manufactures et autres marchandises qui en sont annuellement exportés. Plus ces derniers sont vendus cher, plus les autres sont achetés bon marché. L’industrie des villes en est plus favorisée au détriment de l’industrie des campagnes.

Pour nous convaincre que l’industrie qui s’exerce dans les villes est, dans toute l’Europe, plus favorisée que celle qui s’exerce dans les campagnes, il n’est pas besoin de se livrer à des calculs compliqués, il suffit d’une observation très-simple et à la portée de tout le monde. Il n’y a pas un pays en Europe où nous ne trouvions au moins cent personnes qui auront fait de grandes fortunes avec peu de chose, par le moyen du commerce et des manufactures, autrement par l’industrie des villes, contre une seule qui aura fait fortune par l’industrie agricole, par celle qui obtient les produits de la terre par la culture et l’amélioration du sol. Il faut donc que l’industrie soit mieux récompensée, que les salaires du travail et les profits des capitaux soient évidemment plus forts dans les villes que dans les campagnes. Or, le travail et les capitaux cherchent naturellement les emplois les plus avantageux. Naturellement donc, ils se jetteront dans les villes le plus qu’ils pourront, et abandonneront les campagnes[32].

Les habitants d’une ville, étant rassemblés dans un même lieu, peuvent aisément communiquer et se concerter ensemble. En conséquence, les métiers les moins importants qui se soient établis dans les villes ont été presque partout érigés en corporations et, même quand ils ne l’ont pas été, l’esprit de corporation, la jalousie contre les étrangers, la répugnance à prendre des apprentis ou à communiquer les secrets du métier, y ont toujours généralement dominé, et les différentes professions ont bien su empêcher, par des associations et des accords volontaires, cette libre concurrence qu’elles ne pouvaient gêner par des statuts. Les métiers qui n’emploient qu’un petit nombre de bras sont ceux où on se livre le plus aisément à ces sortes de complots. Il ne faut peut-être qu’une demi-douzaine de cardeurs de laine pour fournir de l’ouvrage à un millier de fileuses et de tisserands. En convenant entre eux de ne pas prendre d’apprentis, non-seulement ils peuvent se ménager plus d’occupation, mais encore tenir en quelque sorte dans leur dépendance toute la fabrique des draps, et faire monter le prix de leur travail fort au-dessus de ce que vaut la nature de leur emploi.

Les habitants de la campagne, qui vivent dispersés et éloignés l’un de l’autre, ne peuvent pas facilement se concerter entre eux. Non-seulement ils n’ont jamais été réunis en corps de métier, mais même l’esprit de corporation n’a jamais régné parmi eux. On n’a jamais pensé qu’un apprentissage fût nécessaire pour l’agriculture, qui est la grande industrie de la campagne. Cependant, après ce qu’on appelle les beaux-arts et les professions libérales, il n’y a peut-être pas de profession qui exige une aussi grande variété de connaissances et autant d’expérience. La quantité innombrable de volumes qui ont été écrits sur cet art, dans toutes les langues, prouve bien que les nations les plus sages et les plus éclairées ne l’ont jamais regardé comme un sujet de facile étude. Et nous aurions peine encore à trouver dans tous ces volumes ensemble autant de connaissances sur les opérations si diverses et si compliquées de cette profession, qu’en possède communément un cultivateur même ordinaire, malgré tout le dédain avec lequel affectent de parler de lui certains auteurs inconsidérés qui ont écrit sur cette matière. Au contraire, il n’y a presque pas une profession mécanique ordinaire dont on ne puisse expliquer toutes les opérations dans une brochure de quelques pages, aussi complètement et aussi clairement que de pareilles choses peuvent se rendre à l’aide du discours et des figures. Il y en a plusieurs qui sont expliquées de cette manière dans l’Histoire des Arts et Métiers, publiée par l’Académie des sciences de France. En outre, il faut bien plus de jugement et de prudence pour diriger des opérations qui doivent varier à chaque changement de saison, et suivant une infinité d’autres circonstances, que pour des travaux qui sont toujours les mêmes ou à peu près les mêmes.

Non-seulement l’art du cultivateur, qui consiste dans la direction générale des opérations de la culture, mais même plusieurs des branches inférieures des travaux de la campagne, exigent beaucoup plus de savoir et d’expérience que la majeure partie des arts mécaniques. Un homme qui travaille sur le cuivre ou sur le fer travaille avec des outils et sur des matières dont la nature est toujours la même ou à peu près ; mais celui qui laboure la terre avec un attelage de chevaux ou de bœufs travaille avec des instruments dont la santé, la force et le tempérament sont très-différents, selon les diverses circonstances. La nature des matériaux sur lesquels il travaille n’est pas moins sujette à varier que celle des instruments dont il se sert, et les uns et les autres veulent être maniés avec beaucoup de jugement et de prudence ; aussi est-il rare que ces qualités manquent à un simple laboureur, quoiqu’on le prenne, en général, pour un modèle de stupidité et d’ignorance. À la vérité, il est moins accoutumé que l’artisan au commerce de la société ; son langage et le son de sa voix ont quelque chose de plus grossier et de plus choquant pour ceux qui n’y sont pas accoutumés ; toutefois, son intelligence, habituée à s’exercer sur une plus grande variété d’objets, est en général bien supérieure à celle de l’autre, dont toute l’attention est ordinairement du matin au soir bornée à exécuter une ou deux opérations très-simples. Tout homme qui, par relation d’affaires ou par curiosité, a un peu vécu avec les dernières classes du peuple de la campagne et de la ville, connaît très-bien la supériorité des unes sur les autres[33]. Aussi dit-on qu’à la Chine et dans l’Indostan, les ouvriers de la campagne sont mieux traités, pour la considération et les salaires, que la plupart des artisans et ouvriers de manufactures. Il en serait probablement de même partout, si les lois et l’esprit de corporation n’y mettaient obstacle.

Ce n’est pas seulement aux corporations et à leurs règlements qu’il faut attribuer la supériorité que l’industrie des villes a usurpée dans toute l’Europe sur celle des campagnes, il y a encore d’autres règlements qui la maintiennent ; les droits élevés dont sont chargés tous les produits de manufacture étrangère et toutes les marchandises importées par des marchands étrangers, tendent tous au même but[34]. Les lois de corporation mettent les habitants des villes à même de hausser leurs prix, sans crainte d’être supplantés par la libre concurrence de leurs concitoyens ; les autres règlements les garantissent de celle des étrangers. Le renchérissement de prix qu’occasionnent ces deux espèces de règlements est partout supporté, en définitive, par les propriétaires, les fermiers et les ouvriers de la campagne, qui se sont rarement opposés à l’établissement de ces monopoles. Ordinairement, ils n’ont ni le désir ni les moyens de se concerter entre eux pour de pareilles mesures[35] ; les marchands, par leurs clameurs et leurs raisonnements captieux, viennent aisément à bout de leur faire prendre pour l’intérêt général ce qui n’est que l’intérêt privé d’une partie, et encore d’une partie subordonnée de la société[36].

Il paraît qu’anciennement, dans la Grande-Bretagne, l’industrie des villes avait sur celle des campagnes plus de supériorité qu’à présent ; aujourd’hui, les salaires du travail de la campagne se rapprochent davantage de ceux du travail des manufactures, et les profits des capitaux employés à la culture, de ceux des capitaux employés au commerce et aux manufactures, plus qu’ils ne s’en rapprochaient, à ce qu’il semble, dans le dernier siècle ou dans le commencement de celui-ci. Ce changement peut être regardé comme la conséquence nécessaire, quoique très-tardive, de l’encouragement forcé donné à l’industrie des villes. Le capital qui s’y accumule devient, avec le temps, si considérable, qu’il ne peut plus y être employé avec le même profit à cette espèce d’industrie qui est particulière aux villes ; cette industrie a ses limites comme toute autre, et l’accroissement des capitaux, en augmentant la concurrence, doit nécessairement réduire les profits. La baisse des profits dans les villes force les capitaux à refluer dans les campagnes, où ils vont créer de nouvelles demandes de travail, et font hausser, par conséquent, les salaires du travail agricole ; alors ces capitaux se répandent, pour ainsi dire, sur la surface du sol, et l’emploi qu’on en fait en culture les rend en partie à la campagne, aux dépens de laquelle ils s’étaient originairement accumulés dans les villes. Je tâcherai de faire voir, par la suite[37], que c’est à ces débordements de capitaux ordinairement accumulés dans les villes que, dans toute l’Europe, on est redevable des plus grandes améliorations faites dans la culture du pays, et je tâcherai de démontrer en même temps que, quoique ce cours des choses ait amené quelques pays à un degré considérable d’opulence, néanmoins une telle marche est nécessairement par elle-même lente, incertaine, sujette à être interrompue par une foule innombrable d’accidents, et qu’elle est à tous égards contraire à l’ordre de la nature et de la raison. Dans les troisième et quatrième livres de ces Recherches, je tâcherai de développer, avec autant de clarté et d’étendue qu’il me sera possible, quels sont les intérêts, les préjugés, les lois et coutumes qui ont donné lieu à ce fait.

Il est rare que des gens du même métier se trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix[38]. Il est impossible, à la vérité, d’empêcher ces réunions par une loi qui puisse s’exécuter, ou qui soit compatible avec la liberté et la justice ; mais si la loi ne peut pas empêcher des gens du même métier de s’assembler quelquefois, au moins ne devrait-elle rien faire pour faciliter ces assemblées, et bien moins encore pour les rendre nécessaires.

Un règlement qui oblige tous les gens du même métier, dans une ville, à faire inscrire sur un registre public leurs noms et demeures, facilite ces assemblées ; il établit une liaison entre des individus qui autrement ne se seraient peut-être jamais connus, et il donne à chaque homme de métier une indication pour trouver toutes les autres personnes de sa profession.

Un règlement qui autorise les gens du même métier à se taxer entre eux pour pourvoir au soulagement de leurs pauvres, de leurs malades, de leurs veuves et orphelins, en leur donnant ainsi des intérêts communs à régir, rend ces assemblées nécessaires.

Une corporation rend non-seulement les assemblées nécessaires, mais elle fait encore que la totalité des membres se trouve liée par le fait de la majorité. Dans un métier libre, on ne peut former de ligue qui ait son effet, que par le consentement unanime de chacun des individus de ce métier, et encore cette ligue ne peut-elle durer qu’autant que chaque individu continue à être du même avis. Mais la majorité d’un corps de métier peut établir un statut, avec des dispositions pénales, qui limitera la concurrence d’une manière plus efficace et plus durable que ne pourrait faire aucune ligue volontaire quelconque.

C’est sans le moindre fondement qu’on a prétexté que les corporations étaient nécessaires pour régir sagement l’industrie. La discipline véritable et efficace qui s’exerce sur un ouvrier, ce n’est pas celle de la corporation, mais bien celle de ses pratiques. C’est la crainte de perdre l’ouvrage qu’elles lui donnent qui prévient ses fraudes et corrige sa négligence. Une corporation exclusive diminue nécessairement la force de cette discipline. On vous oblige alors d’employer une classe particulière de gens, qu’ils se comportent bien ou mal. C’est pour cette raison que, dans plusieurs grandes villes de corporation, on ne trouve quelquefois pas d’ouvriers passables, même dans les métiers les plus indispensables. Si vous voulez avoir de l’ouvrage fait avec quelque soin, il faut le commander dans les faubourgs, où les ouvriers, n’ayant pas de privilège exclusif, ne peuvent compter que sur la bonne réputation qu’ils se font, et ensuite il faut l’introduire en contrebande dans la ville.

C’est ainsi que la police des pays de l’Europe, en restreignant dans quelques localités la concurrence à un plus petit nombre de personnes que celui qui s’y serait porté sans cela, donne lieu à une inégalité très-considérable dans la somme totale des avantages et désavantages des divers emplois du travail et des capitaux.

Secondement, la police des pays de l’Europe, en augmentant la concurrence dans quelques emplois au-delà de ce qu’elle serait naturellement, occasionne une inégalité d’une espèce contraire dans la somme totale des avantages et désavantages des différents emplois du travail et des capitaux.

On a regardé comme une chose de si grande importance qu’il y eût un nombre convenable de jeunes gens élevés dans certaines professions, qu’il a été institué dans cette vue, tantôt par l’État, tantôt par la piété de quelques fondateurs particuliers, une quantité de pensions, de bourses, de places dans les collèges et séminaires, etc., qui attirent dans ces professions beaucoup plus de gens qu’il n’y en aurait sans cela. Je crois que, dans tous les pays chrétiens, l’éducation de la plupart des ecclésiastiques est défrayée de cette manière. Il y en a très-peu parmi eux qui aient été élevés entièrement à leurs propres frais ; ceux qui sont dans ce cas ne trouveront donc pas toujours une récompense proportionnée à une éducation qui exige tant de temps, d’études et de dépense, les emplois ecclésiastiques étant obsédés par une foule de gens qui, pour se procurer de l’occupation, sont disposés à accepter une rétribution fort au-dessous de celle à laquelle ils auraient pu prétendre sans cela, avec une pareille éducation ; et ainsi la concurrence du pauvre emporte la récompense du riche. Sans doute, il ne serait pas convenable de comparer un curé ou un chapelain à un artisan à la journée. On peut bien pourtant, sans blesser les convenances, considérer les honoraires d’un curé ou d’un chapelain comme étant de la même nature que les salaires de cet artisan. Tous les trois sont payés de leur travail en vertu de la convention qu’ils ont-faite avec leurs supérieurs respectifs. Or, jusques après le milieu du quatorzième siècle, les honoraires ordinaires d’un curé ou d’un prêtre gagé dans une paroisse, en Angleterre, ont été de 5 marcs d’argent (contenant environ autant d’argent que 10 livres de notre monnaie actuelle), ainsi que nous le trouvons réglé par les décrets de plusieurs conciles nationaux. À la même époque, il est déclaré que la paye d’un maître maçon est de 4 deniers par jour, contenant la même quantité d’argent qu’un schelling de notre monnaie actuelle, et celle d’un compagnon maçon, de 3 deniers par jour, égaux à 9 d’aujourd’hui[39]. Ainsi, les salaires de ces ouvriers, en les supposant constamment employés, étaient fort au-dessus des honoraires du curé ; et en supposant le maître maçon sans ouvrage pendant un tiers de l’année, ses salaires étaient encore aussi élevés que ces honoraires. Dans le statut de la douzième année de la reine Anne, chapitre xii, il est dit : « Qu’attendu qu’en plusieurs endroits les cures ont été mal desservies faute de fonds suffisants pour entretenir et encourager les curés, l’évêque sera autorisé à leur allouer, par acte revêtu de sa signature et de son sceau, des émoluments ou une rétribution fixe et suffisante, qui n’excède pas 50 livres, et qui ne soit pas au-dessous de 20 livres par an. » On regarde aujourd’hui 40 livres par an comme une rétribution suffisante pour un curé[40], et malgré cet acte du Parlement, il y a beaucoup de cures au-dessous de 20 livres[41]. Or, il y a à Londres des cordonniers à la journée qui gagnent 40 livres par an, et il n’y a presque pas un ouvrier laborieux, de quelque genre que ce soit, dans cette capitale, qui n’en gagne plus de 20. Cette dernière somme n’excède même pas ce que gagnent très-souvent de simples manœuvres dans plusieurs paroisses de campagne, Toutes les fois que la loi a cherché à régler les salaires des ouvriers, c’est toujours pour les faire baisser plutôt que pour les élever ; mais en maintes occasions la loi a tâché d’élever les honoraires des curés, en obligeant les recteurs des paroisses, pour maintenir la dignité de l’Église, à leur donner quelque chose de plus que la misérable subsistance qu’ils se seraient volontiers soumis à accepter. Dans l’un comme dans l’autre cas, la loi a également manqué son but, et elle n’a jamais eu le pouvoir d’élever le salaire des curés, non plus que d’abaisser celui des ouvriers jusqu’au degré qu’elle s’était proposé, parce qu’elle n’a jamais pu empêcher que les premiers, vu leur état d’indigence et la multitude des concurrents, ne consentissent à accepter moins que la rétribution fixée par la loi ; ni que les autres, vu la concurrence contraire de ceux qui trouvent leur profit et leur plaisir à les employer, ne reçussent davantage.

Les grands bénéfices et les autres honneurs ecclésiastiques soutiennent la dignité de l’Église, malgré la chétive condition de ses membres inférieurs. La considération que l’on porte à cette profession, même pour ces derniers, dédommage de la modicité de leur récompense pécuniaire. En Angleterre et dans tous les pays catholiques ro­mains, la chance de fortune dans l’Église est, en réalité, plus avantageuse qu’il ne le faut. Il suffit de l’exemple des Églises d’Écosse, de Genève et de plusieurs autres de la communion protestante, pour nous convaincre que dans une profession aussi recom­mandable, où l’on a tant de facilité pour se procurer l’éducation nécessaire, la seule perspective de bénéfices beaucoup plus modiques attirerait dans les ordres sacrés un nombre suffisant d’hommes instruits, bien nés et respectables[42].

Si l’on élevait proportionnellement une aussi grande quantité de personnes aux frais du public, dans les professions où il n’y a pas de bénéfices, telles que le droit et la médecine, la concurrence y serait bientôt si grande, que la récompense pécuniaire baisserait considérablement : personne alors ne voudrait prendre la peine de faire élever son fils à ses dépens dans l’une ou l’autre de ces professions. Elles seraient aban­données uniquement à ceux qui y auraient été préparés par cette espèce de chari­té publique, et ces deux professions, aujourd’hui si honorées, seraient tout à fait dé­gra­­dées par la misérable rétribution dont ces élèves si nombreux et si indigents se verraient en général forcés de se contenter.

La classe d’hommes peu fortunés qu’on appelle communément gens de lettres est à peu près dans la même position que celle où se trouveraient probablement les jurisconsultes et les médecins, dans la supposition ci-dessus. La plupart d’entre eux, dans toutes les parties de l’Europe, ont été élevés pour l’Église, mais ils ont été détournés, par différentes raisons, d’entrer dans les ordres. Ils ont donc, en général, reçu leur éducation aux frais du public, et leur nombre est partout trop grand pour que le prix de leur travail ne soit pas réduit communément à la plus mince rétribution.

Avant l’invention de l’imprimerie, les gens de lettres n’avaient d’autre emploi, pour tirer parti de leurs talents, que celui d’enseigner publiquement, ou de communiquer à d’autres les connaissances utiles et curieuses qu’ils avaient acquises ; et cet emploi est encore assurément plus utile, plus honorable et même, en général, plus lucratif que celui d’écrire pour des libraires, emploi auquel l’imprimerie a donné naissance. Le temps et l’étude, le talent, le savoir et l’application nécessaires pour former un professeur distingué dans les sciences sont au moins équivalents à ce qu’en possèdent les premiers praticiens en médecine et en jurisprudence ; mais la rétribution ordinaire d’un savant professeur est, sans aucune proportion, au-dessous de celle d’un bon avocat ou d’un bon médecin, parce que la profession du premier est surchargée d’une foule d’indigents qui ont été instruits aux dépens du public, tandis que dans les deux autres il n’y a que très-peu d’élèves qui n’aient pas fait eux-mêmes les frais de leur éducation. Cependant, toute faible qu’elle est, la récompense ordinaire des professeurs publics et particuliers serait indubitablement beaucoup au-dessous même de ce qu’elle est, s’ils ne se trouvaient débarrassés de la concurrence de cette portion plus indigente encore de gens de lettres qui écrivent pour avoir du pain. Avant l’invention de l’imprimerie, étudiant et mendiant étaient, à ce qu’il semble, des termes à peu près synonymes, et il paraît qu’avant cette époque les différents recteurs des universités ont souvent accordé à leurs écoliers la permission de mendier.

Dans l’Antiquité, où l’on n’avait aucun de ces établissements charitables destinés à élever des personnes indigentes dans les professions savantes, les professeurs étaient, à ce qu’il semble, bien plus richement récompensés. Isocrate, dans son Discours contre les sophistes, reproche aux professeurs de son temps leur inconséquence. « Ils font à leurs écoliers, dit-il, les promesses les plus magnifiques ; ils se chargent de leur enseigner à être sages, à être heureux, à être justes, et en retour d’un service d’une telle importance, ils stipulent une misérable récompense de 4 ou 5 mines. Ceux qui enseignent la sagesse, continue-t-il, devraient certainement être sages eux-mêmes ; cependant, si l’on voyait un homme vendre à si bas prix une telle marchandise, il serait convaincu de la folie la plus manifeste. » Sans doute, il n’entend pas ici exagérer le montant de la rétribution, et nous pouvons être bien sûrs qu’elle n’était pas moindre qu’il ne la représente. Quatre mines étaient égales à 13 livres 6 sous 8 deniers[43] ; 5 mines, à 16 livres 13 sous 4 deniers ; ainsi, il faut que, dans ce temps, on ne payât guère moins que la plus forte de ces deux sommes aux premiers professeurs d’Athènes. Isocrate lui-même exigeait de chacun de ses élèves 10 mines, ou 33 livres 6 sous 8 deniers. Quand il enseignait à Athènes, on dit qu’il avait une centaine d’écoliers. J’entends par là le nombre auquel il enseignait à la fois, ou ceux qui assistaient à ce que nous appellerions un cours de leçons, et ce nombre ne paraîtra pas extraordinaire dans une si grande ville pour un professeur aussi célèbre, et qui enseignait celle de toutes les sciences qui était alors le plus en vogue, la rhétorique. Il faut donc que chacun de ses cours lui ait valu 1,000 mines, ou 3,333 livres 6 sous 8 deniers. Aussi, Plutarque nous dit-il ailleurs que 1,000 mines étaient son didactron ou le revenu ordinaire de son école. Beaucoup d’autres grands professeurs de ces temps-là paraissent avoir fait des fortunes considérables. Gorgias fit présent au temple de Delphes de sa propre statue en or massif ; cependant il ne faut pas, à ce que je crois, la supposer de grandeur naturelle. Son genre de vie, aussi bien que celui d’Hippias et de Protagoras, deux autres professeurs distingués du même temps, nous est représenté par Platon comme d’un luxe qui allait jusqu’à l’ostentation. On dit que Platon lui-même vivait d’une manière très-somptueuse. Aristote, après avoir été le précepteur d’Alexandre et avoir été magnifiquement récompensé, comme chacun sait, tant par ce prince que par Philippe, trouva que les leçons de son école valaient bien encore la peine qu’il revînt à Athènes pour les reprendre. Les professeurs des sciences étaient probablement moins communs à cette époque qu’ils ne le devinrent un siècle ou deux après, lorsque la concurrence eut sans doute diminué le prix de leur travail et l’admiration qu’on avait pour leurs personnes. Cependant, les premiers d’entre eux paraissent toujours avoir joui d’un degré de considération bien supérieur à tout ce que pourrait espérer aujourd’hui un homme de cette profession. Les Athéniens envoyèrent en ambassade solennelle à Rome Carnéade l’académicien et Diogène le stoïcien ; et quoique leur ville fût alors déchue de sa première grandeur, c’était encore une république considérable et indépendante. Carnéade, d’ailleurs, était Babylonien de naissance ; et comme jamais aucun peuple ne se montra plus jaloux que les Athéniens d’écarter les étrangers des emplois publics, il faut que leur considération pour lui ait été très-grande.

En somme, cette inégalité est peut-être plus avantageuse que nuisible au public. Elle tend bien à dégrader un peu la profession de ceux qui s’adonnent à l’enseignement ; mais ce léger inconvénient est à coup sûr grandement contre-balancé par l’avantage qui résulte du bon marché de l’éducation littéraire. Cet avantage serait encore d’une bien autre importance pour le public, si la constitution des collèges et des maisons d’éducation était plus raisonnable qu’elle ne l’est aujourd’hui dans la plus grande partie de l’Europe[44].

Troisièmement, la police des pays de l’Europe, en gênant la libre circulation du travail et des capitaux, tant d’un emploi à un autre que d’un lieu à un autre, occasionne en certains cas une inégalité fort nuisible dans la somme totale des avantages de leurs différents emplois.

Les statuts d’apprentissage gênent la libre circulation du travail d’un emploi à un autre, même dans le même lieu. Les privilèges exclusifs des corporations la gênent d’un lieu à un autre, même dans le même emploi.

Il arrive fréquemment que, tandis que des ouvriers gagnent de gros salaires dans une manufacture, ceux d’une autre sont obligés de se contenter de la simple subsistance. L’une sera dans un état d’avancement et, par conséquent, demandera sans cesse de nouveaux bras ; l’autre sera dans un état de décadence, et les bras y deviendront de plus en plus surabondants. Ces deux manufactures seront quelquefois dans la même ville, quelquefois dans le même voisinage, sans pouvoir se prêter l’une à l’autre la moindre assistance. L’obstacle qui s’y oppose peut résulter de la loi d’apprentissage dans un cas ; il peut résulter, dans l’autre, et de cette loi et de l’institution des corporations exclusives. Cependant, dans plusieurs manufactures différentes, les opérations ont tant d’analogie, que les ouvriers pourraient aisément changer de métier les uns avec les autres, si ces lois absurdes n’y mettaient empêchement. Par exemple, l’art de tisser la toile unie et celui de tisser les étoffes de soie sont presque entièrement la même chose. Celui de tisser la laine en uni est un peu différent ; mais la différence est si peu de chose, qu’un tisserand, soit en toile, soit en soie, y deviendrait en quelques jours un ouvrier passable. Si l’une de ces trois manufactures capitales venait à déchoir, les ouvriers pourraient trouver une ressource dans l’une des deux autres qui serait dans un état de prospérité et, de cette manière, leurs salaires ne pourraient jamais s’élever trop haut dans l’industrie en progrès, ni descendre trop bas dans l’industrie en décadence. À la vérité, les manufactures de toile, en Angleterre, par un statut particulier, sont ouvertes à tout le monde ; mais, comme ce genre n’est pas très-cultivé dans une grande partie du pays, il ne peut pas fournir une ressource générale aux ouvriers des autres manufactures en déclin ; partout où la loi de l’apprentissage est en vigueur, ces ouvriers n’ont donc d’autre parti à prendre que de se mettre à la charge de la paroisse, ou de travailler comme simples manœuvres, ce à quoi ils sont bien moins propres, par leurs habitudes, qu’à tout autre genre d’industrie qui aurait quelque rapport avec leur métier ; aussi, en général, ils préfèrent se mettre à la charge de la paroisse.

Tout ce qui gêne la libre circulation du travail d’un emploi à un autre gêne pareillement celle des capitaux, la quantité de fonds qu’on peut verser dans une branche de commerce dépendant beaucoup de celle du travail qui peut y être employé. Cependant, les lois des corporations apportent moins d’obstacles à la libre circulation des capitaux d’un lieu à un autre, qu’à celle du travail. Partout un riche marchand trouvera plus de facilité pour obtenir le privilège de s’établir dans une ville de corporation, qu’un pauvre artisan pour avoir la permission d’y travailler.

La gêne que les lois des corporations apportent à la libre circulation du travail est, je pense, commune à tous les pays de l’Europe ; celle qui résulte des lois sur les pauvres est, d’autant que je puis le savoir, particulière à l’Angleterre. Elle vient de la difficulté qu’un homme pauvre trouve à obtenir un domicile (settlement)[45], ou même la permission d’exercer son industrie dans une autre paroisse que celle à laquelle il appartient. Les lois des corporations ne gênent que la libre circulation du travail des artisans et ouvriers de manufacture seulement ; la difficulté d’obtenir un domicile gêne jusqu’à la circulation du travail de simple manœuvre. Il ne sera pas hors de propos de donner à ce sujet quelques éclaircissements sur l’origine, le progrès et l’état actuel de ce mal, l’un des plus fâcheux peut-être de l’administration de l’Angleterre.

Lors de la destruction des monastères, quand les pauvres furent privés des secours charitables de ces maisons religieuses, après quelques tentatives infructueuses pour leur soulagement, le statut de la quarante-troisième année d’Élisabeth, chapitre II, régla que chaque paroisse serait tenue de pourvoir à la subsistance de ses pauvres, et qu’il y aurait des inspecteurs des pauvres établis annuellement, lesquels, conjointement avec les marguilliers, lèveraient, par une taxe paroissiale, les sommes suffisantes pour cet objet.

Ce statut imposa à chaque paroisse l’obligation indispensable de pourvoir à la subsistance de ses pauvres. Ce fut donc une question de quelque importance, de savoir quels étaient les individus que chaque paroisse devait regarder comme ses pauvres. Après quelques variations, cette question fut enfin décidée dans les treizième et quatorzième années de Charles II, où il fut statué qu’une résidence non contestée de quarante jours ferait acquérir le domicile dans une paroisse, mais que, pendant ce terme, deux juges de paix pourraient, sur la réclamation des marguilliers ou inspecteurs des pauvres, renvoyer tout nouvel habitant à la paroisse sur laquelle il était légalement établi en dernier lieu, à moins que cet habitant ne tînt à loyer un bien de 10 livres de revenu annuel, ou bien qu’il ne fournît, pour la décharge de la paroisse où il était actuellement résident, une caution fixée par ces juges.

On dit que ce statut donna lieu à quelques fraudes, les officiers de paroisse ayant quelquefois engagé par connivence leurs propres pauvres à aller clandestinement dans une autre paroisse, et à s’y tenir cachés pendant les quarante jours pour y gagner le domicile, à la décharge de la paroisse à laquelle ils appartenaient réellement. En conséquence, il fut établi par le statut de la première année de Jacques II, que les quarante jours de résidence non contestée exigés pour gagner le domicile ne commenceraient à courir que du jour où le nouveau résident aurait donné à l’un des marguilliers ou inspecteurs de la paroisse où il venait habiter, une déclaration par écrit du lieu de sa demeure et du nombre d’individus dont sa famille était composée.

Mais les officiers de paroisse, à ce qu’il paraît, furent quelquefois aussi peu scrupuleux à l’égard de leurs propres paroisses qu’à l’égard des autres paroisses, et ils prêtèrent la main à ces intrusions en recevant la déclaration, sans faire ensuite aucune des démarches qu’il convenait de faire. En conséquence, comme on supposa que chaque habitant avait intérêt d’empêcher, autant qu’il était en lui, l’admission de ces intrus qui augmentaient la charge de la paroisse, le statut de la troisième année de Guillaume III ajouta aux précédentes dispositions, que le terme de quarante jours de résidence ne courrait que de la date de la publication faite le dimanche à l’église, immédiatement après le service divin, de la déclaration donnée par écrit.

« Après tout, dit le docteur Burn, cette espèce de domicile, par une résidence de quarante jours continuée après la publication de la déclaration par écrit, s’obtient fort rarement, et le but de la loi est bien moins de faire gagner les droits de domicile que d’annuler ceux des personnes qui s’introduisent clandestinement dans une paroisse ; car donner une déclaration, c’est seulement mettre la paroisse dans la nécessité de vous renvoyer. Mais lorsque la position de la personne est telle qu’il est incertain si elle est actuellement dans le cas de renvoi ou non, en donnant sa déclaration elle forcera la paroisse ou à lui accorder le domicile sans contestation, en lui laissant continuer ses quarante jours, ou à faire juger la chose en lui signifiant son renvoi. »

Ainsi, ce statut rendit à peu près impraticable pour les pauvres l’ancienne voie de gagner le domicile par quarante jours d’habitation. Mais, pour ne pas paraître ôter tout à fait aux gens d’une paroisse la possibilité de jamais s’établir tranquillement sur une autre, ce statut ouvrit quatre autres voies par lesquelles on pourrait gagner le domicile sans déclaration par écrit ni publication. La première fut d’être porté sur les rôles de la paroisse et de payer la taxe ; la deuxième, d’être élu à un des emplois annuels de la paroisse et de l’exercer pendant un an ; la troisième, de faire son temps d’apprentissage dans la paroisse ; la quatrième, d’y être engagé pour servir un an, et de rester au même service pendant tout ce temps.

Ce n’est qu’un acte public de la paroisse entière qui peut faire gagner le domicile par les deux premières voies ; en effet, lorsqu’un nouveau venu n’a que son travail pour subsister, la paroisse connaît trop les conséquences qui en résulteraient, pour consentir à l’adopter, soit en l’imposant aux taxes paroissiales, soit en le nommant à un office.

Un homme marié ne peut guère gagner le domicile par les deux dernières voies. Un apprenti est presque toujours garçon, et il est expressément statué qu’aucun domestique marié ne pourra gagner le domicile en s’engageant pour un an au service de quelqu’un. Le principal effet qu’ait produit l’introduction de cette voie de gagner le domicile par service a été de détruire en grande partie l’ancienne méthode de louer les domestiques pour une année, méthode auparavant si ordinaire en Angleterre que, même encore aujourd’hui, quand il n’y a pas de terme particulier de convenu, la loi suppose que tout domestique est loué pour l’année. Mais les maîtres ne sont pas toujours dans l’intention de donner le domicile à leurs domestiques en les louant de cette manière ; et les domestiques, de leur côté, ne sont pas non plus toujours d’avis de se louer ainsi, parce que, le dernier domicile emportant déchéance de tous les précédents, ils pourraient perdre par là leur domicile originaire dans le lieu de leur naissance, ou de celui où résident leurs parents et leur famille.

Il est bien évident qu’un ouvrier indépendant, soit manœuvre, soit artisan, ne voudra jamais gagner le domicile par apprentissage ni par service. Aussi, quand un de ces ouvriers venait porter son industrie dans une nouvelle paroisse, il était sujet, quelque bien portant et laborieux qu’il pût être, à être renvoyé, selon le bon plaisir d’un marguillier ou d’un inspecteur, à moins qu’il ne tint un loyer de 10 livres par année, chose impossible à un ouvrier qui n’a que son travail pour vivre, ou bien qu’il ne pût fournir pour la décharge de la paroisse une caution, à l’arbitrage de deux juges de paix. Le montant de cette caution est, à la vérité, laissé entièrement à leur prudence, mais ils ne peuvent guère l’exiger au-dessous de 30 livres, puisqu’il a été statué que l’acquisition, même en pleine propriété, d’un bien valant moins de 30 livres, ne pourrait faire gagner le domicile, cette somme n’étant pas suffisante pour la décharge de la paroisse. Or, c’est encore une caution que ne pourrait presque jamais fournir un homme vivant de son travail, et très-souvent on en exige une beaucoup plus forte.

Pour rétablir donc en quelque sorte la libre circulation du travail, que ces différents statuts avaient presque totalement détruite, on imagina les certificats. Dans les huitième et neuvième années de Guillaume III, il fut statué que lorsqu’une personne aurait obtenu de la paroisse où elle avait son dernier domicile légal un certificat signé des marguilliers et inspecteurs des pauvres, et approuvé par deux juges de paix, tout autre paroisse serait tenue de la recevoir ; qu’elle ne pourrait être renvoyée sur le simple prétexte qu’elle était dans le cas de devenir à la charge de la paroisse, mais seulement pour le fait d’y être actuellement à charge, auquel cas la paroisse qui avait accordé le certificat serait tenue de rembourser tant la subsistance du pauvre que les frais de son renvoi. Et à l’effet de donner à la paroisse, sur laquelle le porteur d’un tel certificat venait demeurer, la sûreté la plus complète, il fut réglé de plus, par le même statut, que ce porteur de certificat ne pourrait y gagner le domicile par quelque voie que ce fût, excepté celle de tenir un loyer de 10 livres par an, ou de remplir personnellement, pendant une année entière, un des offices annuels de la paroisse ; en conséquence, cette personne ne pouvait pas gagner le domicile par déclaration, ni par service, ni par apprentissage, ni par le payement des taxes. Il fut même encore statué, dans la douzième année de la reine Anne, statut Ier[46], chap. xviii, que les domestiques et les apprentis du porteur d’un tel certificat ne pourraient gagner aucun droit de domicile dans la paroisse où celui-ci demeurerait à la faveur de ce certificat.

Une observation fort judicieuse du docteur Burn peut nous apprendre jusqu’à quel point l’invention des certificats a rétabli cette libre circulation du travail, presque entièrement anéantie par les statuts précédents. « Il est évident, dit-il, qu’il y a plusieurs bonnes raisons pour exiger des certificats des personnes qui viennent s’établir dans un endroit : d’abord, c’est afin que celles qui résident à la faveur de ces certificats ne puissent gagner le domicile, ni par apprentissage, ni par service, ni par déclaration, ni par le payement des taxes ; c’est afin qu’elles ne puissent donner le domicile ni à leurs apprentis, ni à leurs domestiques ; c’est afin que, si elles deviennent à la charge de la paroisse, on sache où on doit les renvoyer, et que la paroisse soit remboursée de la dépense du renvoi et de celle de leur subsistance pendant ce temps ; enfin, que si elles tombent malades de manière à ne pouvoir être transportées, la paroisse qui a donné le certificat soit tenue de les entretenir ; toutes choses qui ne pourraient avoir lieu sans la formalité du certificat. Ces raisons, d’un autre côté, seront à proportion tout aussi puissantes pour empêcher les paroisses d’accorder des certificats dans les cas ordinaires ; car il y a une chance infiniment plus qu’égale pour que les porteurs de leurs certificats leur reviennent, et encore dans une condition pire. » Le sens de cette observation, à ce qu’il semble, c’est que la paroisse où un homme pauvre vient demeurer devrait toujours exiger le certificat, et que celle qu’il se propose de quitter ne devrait presque jamais en accorder. « Il y a quelque chose de révoltant dans cette institution », dit encore ce judicieux auteur, dans son Histoire de la législation des pauvres, « c’est d’attribuer à un officier de paroisse le pouvoir de tenir ainsi un homme, pour toute sa vie, dans une espèce de prison, quelque inconvénient qu’il puisse y avoir pour lui à rester dans l’endroit où il aura eu le malheur de gagner ce qu’on appelle un domicile, ou quelque avantage qu’il puisse trouver à aller vivre ailleurs[47]. »

Quoiqu’un certificat n’emporte avec soi aucune attestation de bonne conduite et ne certifie autre chose, sinon que la personne appartient à la paroisse à laquelle elle appartient réellement, cependant il est absolument laissé à l’arbitraire des officiers de paroisse de l’accorder ou de le refuser. On demanda une fois, dit le docteur Burn, une ordonnance de Mandamus pour enjoindre à des marguilliers et inspecteurs de signer[48] un certificat ; mais la requête fut rejetée par la cour du banc du roi[49], comme une prétention très-étrange.

C’est probablement aux obstacles qu’un pauvre ouvrier trouve, dans la loi du domicile, à porter son industrie d’une paroisse à une autre sans l’aide d’un certificat, qu’il faut attribuer cette inégalité si forte qu’on remarque fréquemment en Angleterre dans les prix du travail, à des endroits assez peu distants l’un de l’autre. Un ouvrier garçon qui est bien portant et laborieux pourra quelquefois résider, par tolérance, sans cette formalité ; mais un homme ayant femme et enfants, qui se risquerait à le faire, serait sûr, dans la plupart des paroisses, d’être renvoyé et, en général, il en serait de même du garçon s’il venait par la suite à se marier ; ainsi, la disette de bras dans une paroisse ne peut pas toujours être soulagée par la surabondance dans une autre, comme cela se fait constamment en Écosse et, je présume, dans tous les pays où il n’existe pas d’entraves à la liberté de s’établir. Dans ces pays-là, quoique les salaires s’y élèvent quelquefois un peu dans le voisinage des grandes villes et partout ailleurs où il y a demande extraordinaire de travail, ils baissent ensuite par degrés à mesure que la distance de ces endroits vient à augmenter, jusqu’à ce qu’ils retombent au taux ordinaire des campagnes ; mais nous n’y rencontrons jamais ces différences tranchantes et inexplicables que nous remarquons quelquefois dans les salaires de deux places voisines en Angleterre, où les barrières artificielles d’une paroisse sont bien plus difficiles à franchir pour un pauvre ouvrier, que des limites naturelles, telles qu’un bras de mer ou une chaîne de montagnes qui forment ailleurs une démarcation très-sensible entre les différents taux des salaires.

C’est un attentat manifeste contre la justice et la liberté naturelles, que de renvoyer un homme qui n’est coupable d’aucun délit de la paroisse où il choisit de demeurer ; cependant le peuple, en Angleterre, qui est si jaloux de sa liberté, mais qui, comme le peuple de la plupart des autres pays, n’entend jamais bien en quoi elle consiste, est resté, déjà depuis plus d’un siècle, assujetti à cette oppression sans y chercher de remède. Quoique les gens sages se soient aussi quelquefois plaints de la loi du domicile comme d’une calamité publique, néanmoins elle n’a jamais été l’objet d’une réclamation universelle du peuple, comme celle qu’ont occasionnée les Warrants généraux[50] ; pratique sans contredit très-abusive, mais qui pourtant ne peut donner lieu à une oppression générale ; tandis qu’on peut affirmer qu’il n’existe pas en Angleterre un seul pauvre ouvrier, parvenu à l’âge de quarante ans, qui n’ait eu à éprouver, dans un moment ou dans un autre de sa vie, des effets excessivement durs de cette oppressive et absurde loi du domicile[51].

Je terminerai ce long chapitre en observant que s’il a été d’usage anciennement de fixer le taux des salaires, d’abord par des lois générales qui s’étendaient sur la totalité du royaume, et ensuite par des ordonnances particulières des juges de paix pour chaque comté particulier, aujourd’hui ces deux pratiques sont tout à fait tombées en désuétude. « Après une expérience de plus de quatre cents ans, dit le docteur Burn, il est bien temps enfin de ne plus se tourmenter pour assujettir à des règlements précis ce qui, par sa nature, ne paraît être susceptible d’aucune exacte limitation ; car s’il fallait que toutes les personnes reçussent des salaires égaux dans le même genre de travail, il n’y aurait plus d’émulation, et ce serait fermer la voie à l’industrie et au talent. »

Toutefois, on essaye encore de temps à autre, dans des actes du Parlement, de fixer le taux des salaires dans quelques métiers et dans quelques endroits particuliers ; ainsi, le statut de la huitième année de Georges III défend, sous de graves peines, à tous maîtres tailleurs à Londres et à cinq milles à la ronde, de donner à leurs ouvriers, et à ceux-ci d’accepter plus de 2 s. 7 d. et demi par jour, excepté en cas de deuil public. Toutes les fois que la législature essaye de régler les démêlés entre les maîtres et leurs ouvriers, ce sont toujours les maîtres qu’elle consulte ; aussi, quand le règlement est en faveur des ouvriers, il est toujours juste et raisonnable ; mais il en est quelquefois autrement quand il est en faveur des maîtres : ainsi, la loi qui oblige les maîtres, dans plusieurs métiers, à payer leurs ouvriers en argent et non en denrées, est tout à fait juste et raisonnable, elle ne fait aucun tort aux maîtres ; elle les oblige seulement à payer en argent la même valeur que celle qu’ils prétendaient payer, mais qu’ils ne payaient pas toujours réellement, en marchandises. Cette loi est en faveur des ouvriers, mais celle de la huitième année de Georges III est en faveur des maîtres. Quand les maîtres se concertent entre eux pour réduire les salaires de leurs ouvriers, ordinairement ils se lient, par une promesse ou convention secrète, à ne pas donner plus que tel salaire, sous une peine quelconque. Si les ouvriers faisaient entre eux une ligue contraire de la même espèce, en convenant, sous certaines peines, de ne pas accepter tel salaire, la loi les en punirait très-sévèrement. Si elle agissait avec impartialité, elle traiterait les maîtres de la même manière ; mais le statut de la huitième année de Georges III donne force de loi à cette taxation que les maîtres cherchaient quelquefois à établir par des ligues secrètes. Les plaintes des ouvriers semblent parfaitement bien fondées, quand ils disent que ce statut met l’ouvrier le plus habile et le plus laborieux sur le même pied qu’un ouvrier ordinaire[52].

Il était aussi d’usage, dans les anciens temps, de chercher à borner les profits des marchands et autres vendeurs, en taxant le prix des vivres et de quelques autres marchandises. La taxe du pain est, autant que je sache, le seul vestige qui reste de cet ancien usage. Partout où il existe une corporation exclusive, il est peut-être à propos de régler le prix des choses de première nécessité ; mais où il n’y en a point, la concurrence le réglera bien mieux que toutes les taxes possibles. La méthode établie par le statut de la trente-unième année de Georges II, pour régler le prix du pain, ne peut se pratiquer en Écosse, à cause d’une omission à la loi, son exécution dépendant de l’office de clerc du marché[53], qui n’existe pas dans ce pays. On ne remédia à cette omission qu’à la troisième année de Georges III. Le défaut de taxe n’occasionna pas d’inconvénient remarquable, et son établissement, dans un petit nombre d’endroits où elle eut lieu, ne produisit aucun avantage sensible. Il y a pourtant, dans la plus grande partie des villes d’Écosse, une corporation de boulangers qui réclame des privilèges exclusifs, mais ceux-ci ne sont pas, au reste, très-sévèrement observés[54].

J’ai déjà remarqué[55] que la proportion entre les taux différents, tant des salaires que des profits, dans les divers emplois du travail et des capitaux, ne paraissait pas être beaucoup affectée par l’état de richesse ou de pauvreté de la société, par son état croissant, stationnaire ou décroissant. Ces révolutions dans la propriété publique ont bien une influence générale sur l’universalité des salaires et des profits ; mais, en définitive, cette influence agit également sur tous, quels que soient les différents emplois. Ainsi, la proportion qui règne entre eux subsiste toujours la même, et aucune de ces révolutions ne doit guère y apporter de changements, au moins pour un temps considérable.


  1. Il s’est opéré de bien grands changements dans la condition relative des diverses classes d’ouvriers. Où trouverait-on aujourd’hui le salaire d’un tailleur inférieur à celui d’un malheureux tisserand ? A. B.
  2. Sur la différence entre le travail d’artisan et celui de manœuvre et journalier, voyez ci-après, p. 136.
  3. Voyez ci-après, même chapitre.
  4. Voyez sa 21e Idylle.
  5. Seconde section de ce chapitre.
  6. Il n’est pas besoin d’avertir que les lois qui réglaient le temps et les conditions de l’apprentissage n’existent plus aujourd’hui, du moins en France.
  7. Voyez la 2e section de ce chapitre.
  8. Tout cela pouvait être vrai en Angleterre, à l’époque d’Adam Smith ; mais aujourd’hui ces principes souffrent de nombreuses exceptions, surtout en France, où l’agriculture tend à se relever de son infériorité, depuis que le travailleur agricole peut être propriétaire.
  9. Ce taux du strict nécessaire ne varie pas uniquement à raison du genre de vie plus ou moins passable de l’ouvrier et de sa famille, mais encore à raison de toutes les dépenses regardées comme indispensables dans le pays où il vit. C’est ainsi que l’on met d’abord au rang des dépenses nécessaires celle d’élever des enfants ; il en est d’autres moins impérieusement commandées par la nature des choses, quoiqu’elles le soient au même degré par le sentiment : tel est le soin des vieillards. Dans la classe ouvrière, il est trop négligé. La nature, pour perpétuer le genre humain, ne s’en est rapportée qu’aux impulsions d’un appétit violent, et aux sollicitudes de l’amour paternel ; les vieillards dont elle n’a plus besoin, elle les abandonne à la reconnaissance de leur postérité, après les avoir rendus victimes de l’imprévoyance de leur âge. Si les mœurs d’une nation rendaient indispensable l’obligation de préparer, dans chaque famille, quelque provision pour la vieillesse, comme elle en accorde en général à l’enfance, les besoins de première nécessité étant ainsi un peu plus étendus, le taux naturel des plus bas salaires serait un peu plus fort. J.-B. Say.
  10. Environ 5 francs.
  11. 18 décimes, ou 1 franc 80 centimes
  12. La proportion des maisons assurées au nombre total est aujourd’hui infiniment plus grande qu’à l’époque de la publication de la Richesse des nations.
  13. Aujourd’hui la paye mensuelle des matelots peut être évaluée de 50 à 60 schellings. Mac Culloch.
  14. Il est étrange que le docteur Smith n’ait pas fait allusion à l’usage de la presse, en énumérant les désavantages du service de mer. Mac Culloch.
  15. La part du travailleur est la rémunération de ses efforts, et forme son salaire. Celle du capitaliste consiste, en grande partie, à retrouver la portion de capital qui a été consommée, entamée ou absorbée pendant son emploi. Mais outre cette restitution, il doit rester un excédent à ce dernier ; car ce ne pourrait être le désir de personne d’employer son capital productivement, si on ne devait en espérer aucun profit. Le surplus qui échoit au capitaliste après restitution de ses fonds est le seul fruit qu’il en retire, et prend le nom de profit. Le profit est l’attrait qui porte le capitaliste à appliquer des fonds à la production, comme le salaire est le fait qui détermine le travailleur à déployer son habileté et sa force dans le même but. Le premier a évidemment autant de droits à être récompensé, pour l’emploi de son capital, que le second pour sa dépense de travail. Tous les deux se sont réunis pour produire un résultat complexe qui n’eût pu être produit à défaut de l’un d’eux. Sans le capital, le travail eût été presque improductif ; sans le travail, le capital fût demeuré inactif et sans accroissement, même étant à l’abri des dilapidations. Le droit de posséder le capital, d’en disposer librement et de recevoir toute rémunération ou tout profit obtenu en le plaçant à titre de prêt, ou en le rendant productif par le loyer du travail d’autrui ; ce droit, dis-je, repose évidemment sur les mêmes bases que celui par lequel on possède ou l’on dispose de toute autre chose reconnue également comme le produit du travail. P. Scrope
  16. Cette conclusion de l’auteur nous semble bien obscure et bien hasardeuse. Les choses ne se passent pas ainsi dans la réalité. A. B.
  17. C’est ce qui fait que dans les pays où les habitants des campagnes ne sont que journaliers, comme en Angleterre, la population agricole est réduite à l’état de misère. Elle n’est pas sûre d’être occupée toute l’année, et les salaires de son travail, suffisant à l’entretenir quand on a besoin d’elle comme à l’époque de la fenaison et de la moisson, tombent au-dessous des besoins les plus grossiers à d’autres époques. A. B.
  18. Chap. vii.
  19. Du mot cottage, qui veut dire chaumière.
  20. Aujourd’hui cette classe a entièrement disparu. Mac Culloch.
  21. En anglais pecks. Le peck anglais vaut 2 gallons, ou 9 litres 86 millilitres en mesures françaises.
  22. Worsted, c’est une laine filée beaucoup plus torse que l’autre, et préparée exprès pour faire des bas.
  23. Le fil de toile est généralement filé aujourd’hui à la mécanique. Mac Culloch.
  24. C’est-à-dire, du loyer ou prix du bail d’une maison entière, par opposition au prix d’un logement ou appartement qui ne comprend qu’une partie de la maison.
  25. Voyez sur ce loyer du sol, liv. V, chap. ii.
  26. Ce sont des tisserands en laine, ou ouvriers qui tissent les draps.
  27. Le statut d’apprentissage a été rapporté en 1814 par le statut 54 Geo. III, ch. 96. Cet acte ne touchait pas aux droits, privilèges ou statuts des différentes corporations légalement constituées ; mais là où d’anciens privilèges légaux ne font pas obstacle, les conditions de l’apprentissage et sa durée sont complètement abandonnées à la discrétion des parties intéressées. Mac Culloch.
  28. Il n’est pas besoin d’avertir que ces privilèges n’existent plus.
  29. Les villes de corporation, ou villes incorporées, ont acquis par charte royale, par acte du parlement, ou par usage immémorial, ce privilège, qui consiste à agir, posséder, etc., en corps ou nom collectif, et à s’organiser ou se nommer des chefs, syndics, etc. Plusieurs villes qui sont incorporées n’ont pas pour cela le droit de députer au parlement ; et plusieurs villes ou bourgs qui députent au parlement, ne sont pas incorporés, tels, par exemple, que la cité de Westminster.
  30. Nous ne connaissons pas assez l’état de l’industrie dans l’antiquité pour affirmer que l’apprentissage des métiers était absolument libre ou soumis à des conditions. Une grande partie des travaux industriels était faite par des esclaves, et c’est ce qu’Adam Smith a l’air d’oublier ici. Nous savons que chez les Romains l’industrie était organisée en collèges (collegia), soumis à des règlements particuliers. La loi des Douze Tables reconnaît aux collèges le droit d’établir des statuts, pourvu que ces statuts ne blessent en rien les lois.
    Mac Culloch.
  31. Voyez le Firma Burgi de Madox, pag. 26, etc. Note de l’auteur.
  32. L’industrie n’est pas réellement, en moyenne, mieux récompensée dans les villes que dans la campagne ; mais les marchands et les manufacturiers résidant dans une ville ont, comme le docteur Smith l’a déjà expliqué, un champ plus large pour l’exercice de leur industrie, ou plus d’occasions de faire fortune par l’emploi d’un grand capital. Mac Culloch.
  33. Ce passage sur la supériorité morale de la population agricole comparée à la population ouvrière des villes, est un de ceux qui révèlent le mieux la bonne foi et le génie du fondateur de l’économie politique. Les disciples d’Adam Smith, en Angleterre, n’ont pas voulu admettre le fait incontestable si bien exposé par leur maître. Mac Culloch prétend, dans une note, que si jamais la population agricole a été supérieure en intelligence et en moralité à la population industrielle, il n’en est plus de même aujourd’hui. Il soutient que les ouvriers de l’industrie anglaise sont aujourd’hui plus intelligents que les paysans agriculteurs. Selon lui, l’intelligence du paysan, continuellement occupée par les faits nombreux et variés qui passent sous ses yeux, n’a pas le temps de réfléchir, et elle reste endormie ; tandis que la monotonie des occupations industrielles sert d’excitation à l’intelligence de l’ouvrier des villes. Il prétend que la nature même de leurs occupations provoque les ouvriers de l’industrie à exercer leur intelligence, et il cite pour exemple les tisserands de Glasgow, de Manchester, etc. Ici, Mac Culloch est complètement démenti par les enquêtes récentes faites sur la condition des tisserands à la main. Les commissaires de l’enquête ont constaté que les tisserands étaient autrefois une classe intelligente et morale ; mais que, sous l’influence de la misère, ils sont descendus à l’abrutissement et à la dégradation morale, qui est la condition des basses classes de la nation anglaise. (Voyez, pour les résultats de celle enquête, l’ouvrage intitulé De la Misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, Paris 1841.) Mac Culloch confond ici évidemment l’esprit plus éveillé qui se montre chez les ouvriers de l’industrie, avec le solide bon sens. Comme du temps d’Adam Smith, et plus encore, les populations agricoles sont supérieures en bon sens, en raison pratique, à celles des grandes villes d’industrie ; c’est un fait incontestable, qui n’est que trop démontré par la moralité comparée des agriculteurs et des ouvriers des villes. Il est aussi vrai que l’avantage intellectuel et moral est de leur côté, qu’il est vrai qu’ils vivent plus longtemps. La différence n’est peut-être pas aussi sensible qu’en France, parce que, en Angleterre, la plupart des ouvriers de l’agriculture sont réduits à la misère et à la dégradation morale qui en est la conséquence. Adam Smith a donc encore raison aujourd’hui en soutenant que les travaux agricoles sont plus favorables à la moralité, à la raison de l’homme, à la santé, que les travaux de l’industrie telle qu’elle est constituée aujourd’hui, surtout en Angleterre.
  34. Voyez le liv. IV, et surtout les chap ii, iii et viii.
  35. Si Adam Smith avait été témoin de ce qui s’est passé depuis 1791, relativement aux lois céréales, il aurait assurément modifié cette opinion. Mac Culloch.
  36. Voyez ci-après chap. xi, sur la fin.
  37. Voyez le liv. III, et notamment le chap. iv.
  38. Mac Culloch fait observer que ces coalitions ne peuvent jamais atteindre le but qu’elles se proposent. Du moment où une coalition élève les prix à un taux artificiel, l’intérêt que les individus ont à se séparer de cette coalition devient trop grand pour permettre que cette élévation de prix soit durable. A. B.
  39. Voyez le statut des ouvriers, vingt-cinquième année d’Édouard III. Note de l’auteur.
  40. Un curé est le dernier grade ecclésiastique dans l’église d’Angleterre ; c’est un ministre gagé pour desservir la cure pendant la vacance du bénéfice ou l’empêchement du titulaire. Garnier.
  41. Un acte passé en 1817 (57, Geo. III, ch. xcxix) autorise les évêques à nommer des curés et à leur assigner une pension qui, en aucun cas, ne doit être au-dessous de 80 livres sterling par an, et qui doit s’élever à 150 livres sterling, suivant l’accroissement de la population dans la paroisse. Mais, bien que cet acte ait certainement amélioré la condition des curés, on peut douter encore, par les raisons que donne le docteur Smith, que les dispositions de cet acte ne soient éludées par des conventions privées entre les curés et ceux qui les emploient. Mac Culloch.
  42. Voyez liv. V, chap. i, sect. 3, art. 3.
    Un acte passé en 1812 élève à 150 livres sterling les honoraires des ecclésiastiques d’Écosse, qui étaient au-dessous de cette somme, sans compter le logement et le casuel. On admet généralement que cette somme est insuffisante pour entretenir un ecclésiastique d’une manière conforme à sa condition, et que le minimum des honoraires, outre le logement et le casuel, devrait être élevé à 250 ou 300 livres sterling par an. Mac Culloch.
  43. L’auteur évalue ici le denier ou la drachme des anciens à 8 den. st. Ainsi la mine, qui valait 100 drachmes, répond, dans son calcul, à 3 liv. 6 sous 8 den. st. Nos auteurs français, qui suivent la même opinion sur les monnaies anciennes, pensent que le denier des Romains ou la drachme des Grecs contenait 66 de nos grains d’argent fin ; ce qui donnerait environ, pour la valeur de la mine, 79 fr. 50 cent. G. Garnier.
  44. Voyez liv. V, chap. i, sect. 3, art. 2.
  45. Garnier traduit le mot anglais settlement, domicile, par le mot insignifiant et incompréhensible d’établissement.
  46. Quand il y a eu, dans le cours de la même année, deux sessions du parlement, on désigne par le statut premier les actes passés dans la première de ces sessions.
  47. L’acte de Guillaume III, qui obligeait un pauvre à se procurer un certificat avant de pouvoir sortir d’une paroisse, a été rappelé en 1795 ; et il fut déclaré en même temps que les pauvres ne pourraient jamais être renvoyés de la paroisse, ou du lieu qu’ils habitaient, à l’endroit où ils avaient leur dernier domicile légal, avant d’être devenus présentement à charge à la paroisse.
    Mac Culloch.
  48. Garnier traduit signifier un certificat, pour signer un certificat.
  49. Cour suprême de justice, à laquelle est spécialement attribuée la connaissance
  50. Les mandats d’arrêt ou warrants généraux sont ceux qui portent commission d’arrêter en général toutes personnes suspectes d’un tel délit, sans autre désignation de personnes. Ils ont été pratiqués surtout dans les poursuites contre les libelles et autres délits résultant de la presse. Enfin, cette forme a été déclarée illégale en 1766, et tout warrant doit être spécial, à peine de nullité, c’est-à-dire qu’il doit désigner spécialement et nominalement l’individu qu’il s’agit d’arrêter.
  51. On a accusé le docteur Smith d’avoir exagéré les effets pernicieux des lois de domicile, et peut-être ce reproche est-il fondé dans une certaine proportion. Mais malgré les améliorations apportées à ces lois par l’acte de 1795, qui abolit les certificats, et qui défend de renvoyer un pauvre avant qu’il soit devenu à charge à la paroisse, ces lois n’en ont pas moins donné lieu à une immense quantité de litiges. Les sommes dépensées en actions légales concernant les domiciles ou l’expulsion des pauvres, avant les changements opérés dans les lois des pauvres en 1834, furent rarement au-dessous de 300,000 à 350,000 livres sterling par an ! Aussi longtemps qu’existera un système de charité forcée pour l’entretien des pauvres, les paroisses répugneront toujours extrêmement à donner à un pauvre le droit de domicile, et seront toujours disposées à l’empêcher de l’obtenir par tous les moyens.
    Mac Culloch.
  52. Ces lois et d’autres sur les salaires ont été rappelées par le statut de la cinquième année de Georges IV, chap. xcxv. Les maîtres et les ouvriers sont libres maintenant, en Angleterre, de se concerter pour abaisser ou élever les salaires. Mac Culloch.
  53. Officier de justice, dont la fonction est de juger criminellement tous délits incidents aux foires et marchés, tels que la vente à faux poids et mesures, etc. Comme il était anciennement commis par l’évêque, il a conservé le nom de clerc, quoique aujourd’hui ce juge soit presque toujours un laïque.
  54. Les lois relatives à la taxe du pain, à Londres et dans ses environs, ont été rappelées par un acte local passé en 1813 (55, Geo. III, ch. xix), et celles relatives à la taxe du pain en d’autres lieux, sont rarement exécutées. Mac Culloch.
  55. Chap. vii, à la fin.