Recherches sur les effets de la saignée/Chapitre I

La bibliothèque libre.

CHAPITRE PREMIER.

Recherches sur les effets de la saignée dans quelques maladies inflammatoires.


Le résultat de mes recherches sur les effets de la saignée dans les inflammations, est si peu d’accord avec l’opinion commune, que ce n’est pas sans une sorte d’hésitation que je me décide à les publier. Après avoir analysé une première fois les faits qui y sont relatifs, j’ai cru m’être trompé, et j’ai recommencé mon travail ; mais les résultats de cette nouvelle analyse restant les mêmes, il ne m’a plus été possible de mettre en doute leur exactitude ; et je vais les exposer tels que la première me les avait donnés.

Sans doute ces résultats paraîtront peu satisfaisans ; mais qu’importe, s’ils sont vrais, puisque tout ce qui a ce caractère ne peut manquer, en définitive, d’avoir une utilité réelle.

Il convient d’ailleurs de remarquer que les faits que j’ai recueillis ne sont ni assez nombreux, ni assez variés, pour que les conséquences qui en découlent puissent être considérées, dès aujourd’hui, comme des lois invariables ; et mon but, en les publiant, a été principalement d’appeler de nouveau l’attention des observateurs, sur les effets de la saignée dans le traitement des phlegmasies.

La pleuropneumonie, l’érysipèle de la face et l’angine, étant les inflammations que j’ai observées le plus grand nombre de fois, c’est sur elles seulement que ces recherches ont dû porter.


Article premier.

Effet des émissions sanguines dans la pleuropneumonie.

Les sujets dont je vais étudier l’histoire sont au nombre de soixante-dix-huit. Vingt-huit d’entre eux ont succombé ; et tous étaient dans un état de santé parfaite au moment où les premiers symptômes de la maladie se sont développés[1].

Des cinquante sujets qui ont guéri, trois furent saignés dès le premier jour de l’affection ; autant le deuxième, six le troisième, onze le quatrième, six le cinquième, cinq le sixième, six le septième, autant le huitième, quatre le neuvième ; et la durée moyenne de la maladie fut, dans l’ordre indiqué, de 12, 10, 18, 19, 22, 20, 17 et 23 jours. Mais le tableau suivant fera mieux saisir le rapport de la durée de l’affection avec l’époque où la première saignée a été faite.

1 2 3 4 5 6 7 8 9[2]
10 3 07 3 19 3 19 3 28 2 13 1 24 2 19 2 35 1
12 2 10 2 29 3 12 2 17 3 16 2 12 4 12 1 11 2
14 2 12 2 20 2 15 2 40 2 23 3 19 2 18 1 17 2
20 2 22 4 13 2 35 5 18 2 20 3 30 3
16 3 12 4 21 2 17 2 15 2 13 2
17 4 21 2 13 2 27 2 21 2
25 3
28 4
40 2
16 2
12 4
12 2⅓ 10 2⅓ 18 3 19 3 22 2 20 2⅖ 19 2⅓ 17 2 23 2

C’est-à-dire que si l’on pouvait établir une proposition générale à l’aide de ce petit nombre de faits, il faudrait en conclure que le traitement antiphlogistique, commencé les deux premiers jours d’une pneumonie, peut en abréger beaucoup la durée ; tandis que, ces deux jours passés, il n’importe pas beaucoup de l’entreprendre un peu plus tôt ou un peu plus tard. Mais l’espèce d’opposition qui existe entre ces deux propositions, doit en faire soupçonner l’exactitude ; et l’examen approfondi des faits montre effectivement, que l’influence de la saignée, pratiquée les deux premiers jours de la maladie, est moindre qu’elle ne semble l’être au premier abord ; et qu’en général sa puissance est très limitée.

Déjà chez les sujets d’une même colonne, ou dont le traitement antiphlogistique a été commencé le même jour (à part ceux de la première et de la seconde colonnes), la durée de la maladie a offert les plus grandes variations ; en sorte que parmi ceux de la quatrième colonne, les uns étaient convalescens le douzième jour, les autres (pour ne pas prendre les termes les plus divergens) les vingt-cinquième et vingt-huitième. Ce qu’on ne peut attribuer au degré de l’affection, qui était le même ; ou à la différence du traitement, qui fut également énergique et dirigé par le même médecin. D’où il semble résulter rigoureusement, que chez les sujets dont j’analyse l’histoire, l’utilité de la saignée a eu des bornes assez étroites.

Des différences non moins considérables dans la durée de l’affection auraient sans doute eu lieu chez les sujets saignés dans les premières vingt-quatre ou quarante-huit heures, si le nombre en eût été plus grand. Et, dans la même supposition, la différence de la durée moyenne de la pneumonie, chez les sujets saignés les deux premiers jours et chez ceux qui ne l’ont été qu’à une époque plus éloignée du début, aurait été au contraire moins considérable. De manière qu’on s’approcherait davantage de la vérité, qu’on connaîtrait mieux la différence réelle apportée dans la marche de l’affection par la plus ou moins grande promptitude avec laquelle on a eu recours aux émissions sanguines, en prenant la durée moyenne de la maladie, d’une part, chez les sujets saignés dans les quatre premiers jours ; et, de l’autre, chez ceux qui ne l’ont été que du cinquième au neuvième inclusivement. Et alors la durée moyenne de la pneumonie serait de dix-sept jours chez les premiers, et de vingt chez les seconds.

Mais la moyenne donnée par le tableau, est probablement encore un peu trop favorable aux malades saignés dans les deux premiers jours, pour une nouvelle raison ; savoir : que n’ayant commis aucune erreur de régime avant les émissions sanguines, ces malades étaient dans les circonstances les plus favorables au traitement ; ce qui n’était pas pour ceux dont la première saignée fut faite à une époque plus éloignée, et parmi lesquels, plusieurs, dans chaque groupe, avaient commis des erreurs de régime, pris des boissons fortes, du vin chaud sucré, un ou plusieurs jours de suite, en quantité plus ou moins considérable ; quelquefois même de l’eau-de-vie. La durée de leur affection a dû en être augmentée.

L’âge n’eut point d’influence appréciable, toutes choses égales d’ailleurs, sur cette durée ; car il était à-peu-près le même, terme moyen, chez les sujets saignés, pour la première fois, avant le quatrième jour, et chez ceux qui ne le furent qu’après cette époque ; trente-trois ans chez les premiers, et près de trente-six chez les autres. Fait qui ne me paraît pas devoir être érigé en loi cependant, l’âge ayant certainement une influence fâcheuse sur l’issue de la pneumonie.

Toutefois, en adoptant les précédentes remarques sur les causes qui ont dû, indépendamment de l’époque à laquelle la première saignée a été faite, amener des différences dans la durée moyenne de l’affection, on dira peut-être que la pneumonie était moins grave dans les cas ou la première émission sanguine eut lieu tardivement, que dans ceux où la veine fut ouverte les premiers jours de l’affection ; que c’est sans doute pour cette raison que les malades tardèrent à invoquer les secours de la médecine ; qu’ainsi, les circonstances défavorables à la prompte terminaison de la maladie, se trouvaient compensées. Mais en appréciant, avec toute l’exactitude dont je suis capable, les symptômes éprouvés par les malades au début de leur affection et à leur entrée à l’hôpital, j’ai trouvé des cas de péripneumonie forte ou faible en proportion presque égale, chez les différens groupes de sujets : en sorte qu’à supposer quelque erreur de ma part, elle ne saurait être assez grave pour influencer beaucoup les résultats indiqués, et faire rejeter les conséquences tirées des faits analysés. Les médecins qui fréquentent peu les hôpitaux, ou qui donnent rarement des soins à la classe ouvrière, croiront peut-être difficilement ce qui vient d’être dit : mais ceux qui se trouvent dans des circonstances différentes, savent que, soit par apathie, soit par répugnance pour les hôpitaux, les malades n’y entrent souvent que fort tard, alors même que leurs maladies ont eu beaucoup d’intensité dès le début.

Peut-être aussi croira-t-on que j’ai fixé le début et la terminaison de la pneumonie d’après des bases peu sûres, et que sa durée moyenne en aura encore été altérée. Mais j’ai prévenu, ce me semble, les objections légitimes à cet égard, en fixant, pour tous les sujets ; d’une part, le début de l’affection à l’époque où ils ont éprouvé un mouvement fébrile plus ou moins violent, promptement suivi ou accompagné de douleurs à l’un des côtés de la poitrine, ou de crachats rouillés ; ces deux symptômes paraissant à-la-fois ou à des distances très rapprochées : et de l’autre, en plaçant la convalescence à l’époque où les malades ont commencé à prendre quelques alimens légers ; trois jours au moins après la cessation du mouvement fébrile ; les symptômes locaux n’étant pas encore dissipés dans tous les cas. C’est-à-dire qu’alors la percussion de la poitrine n’était pas toujours parfaitement sonore dans la partie correspondante au poumon qui avait été affecté, ni la respiration très pure ; l’oreille découvrant encore, çà et là, quelques craquemens et des traces de crépitation. Faibles restes d’un état pathologique très grave, qui se dissipèrent dans la convalescence, et avec d’autant plus de rapidité que le traitement antiphlogistique avait été commencé plus tôt.

Enfin, le lecteur se demandera sans doute si la saignée a été le seul moyen de traitement un peu énergique mis en usage : et, dans le cas où on en aurait employé d’autres, si ces nouveaux moyens n’auraient pas eu quelque influence sur la durée moyenne de la maladie ; s’ils n’auraient pas nui aux bons effets de la saignée. À cela je répondrai que des vésicatoires furent appliqués à un certain nombre de sujets ; mais ces vésicatoires n’eurent pas d’influence appréciable sur la marche de l’affection, comme nous le verrons plus loin, au chapitre suivant : de manière qu’il reste démontré que les émissions sanguines n’ont eu qu’un effet très borné sur le cours de la pneumonie des sujets qui nous occupent[3].

Les faits relatifs aux sujets qui ont succombé, confirment ces conclusions, et semblent resserrer encore davantage les limites d’utilité de la saignée. En effet, des vingt-huit individus dont il s’agit, dix-huit furent saignés dans les quatre premiers jours de la maladie, neuf du cinquième au neuvième ; et si l’on réunit, d’un côté, tous les malades qui ont été saignés pour la première fois, dans les quatre premiers jours de la pneumonie, quelle qu’ait été d’ailleurs sa terminaison ; de l’autre, tous ceux qui ont été saignés plus tard : on a, dans l’ordre indiqué, d’une part, quarante-et-un sujets, parmi lesquels dix-huit, ou les trois septièmes environ, ont succombé ; et de l’autre, trente-six, parmi lesquels neuf, ou la quatrième partie seulement, ont eu le même sort. Résultat effrayant, absurde en apparence ; et dont l’explication se trouve, jusqu’à un certain point, dans le tableau suivant, qui indique à-la-fois, pour chaque colonne, de gauche à droite ; la durée de la maladie, le nombre de saignées faites, et l’âge des sujets qui ont succombé : tandis que le chiffre placé au-dessus marque le jour où la première saignée a été pratiquée.

1 2 3 4 5 6 7 8 9
6 5 18 53 2 65 04 1 57 29 2 19 16 4 58 62 4 20 20 2 68 25 1 40 22 1 50
12 3 69 16 2 54 29 4 46 08 2 63 10 2 40
08 2 65 06 3 30 12 1 85 09 4 24 29 3 24
12 1 55 06 4 47 15 3 37
17 7 75 47 2 75 17 1 67
11 4 45 20 3 22
6 5 20 3 15 3 18 2⅓ 64 3 23 3 20 2 25 1 22 1

On voit, en effet, que les malades saignés dans les quatre premiers jours de la maladie, étaient, à part celui de la première colonne qui n’avait que dix-huit ans, plus âgés que ceux dont le traitement antiphlogistique ne fut commencé qu’après cette époque, dans la proportion de cinquante-et-un à quarante-trois ans : différence qui, sans être très considérable relativement à son effet présumé, a pu avoir une grande influence sur l’issue de la maladie. À la vérité, la différence dont il s’agit, celle de l’âge, est beaucoup moindre si l’on réunit, d’une part, tous les sujets saignés dans les quatre premiers jours ; de l’autre, tous ceux qui l’ont été plus tard ; que ces sujets aient succombé ou guéri : car alors on a, pour l’âge moyen des premiers, quarante-et-un ans, et pour celui des seconds, trente-huit. Mais cela n’empêche pas que le nombre des malades saignés le premier jour, qui avaient dépassé cinquante ans, ne fût presque deux fois plus considérable que celui des sujets du même âge qui furent saignés plus tard ; ce qui a dû avoir une grande influence sur la mortalité.

Mais il ne suffit pas d’avoir étudié l’effet des émissions sanguines sur la marche et sur la terminaison de la pneumonie ; il faut encore rechercher quelle a été leur influence sur chacun de ses symptômes en particulier. Commençons par la douleur.

La douleur ne fut jugulée par la saignée dans aucun des cas ou celle-ci fut pratiquée dans les quatre premiers jours de la maladie. Elle augmenta généralement, au contraire, pendant les douze ou vingt-quatre heures qui suivirent ; et sa durée moyenne, ordinairement proportionnée à celle de la maladie, fut de six jours, chez les sujets saignés dans les quatre premiers ; de huit et une fraction, chez ceux dont la veine ne fut ouverte que plus tard. Elle céda plus promptement à la saignée locale qu’à la saignée générale.

La durée moyenne des crachats visqueux, rouillés, ou marmelade d’abricots, et demi-transparens, varia comme celle de la douleur, ou à-peu-près : étant de cinq jours chez les sujets saignés dans les trois premiers, de six chez ceux qui le furent dans les trois suivans, de sept dans les cas où la saignée fut faite du septième au neuvième jour inclusivement.

Le caractère des crachats devenait plus saillant après la saignée, dans la majeure partie des cas où elle fut pratiquée à une époque voisine du début. Il s’effaçait, au contraire, et il devenait beaucoup moins évident, le lendemain de l’émission sanguine, dans ceux où elle avait été prescrite à une époque éloignée. Ce qu’on ne peut expliquer, ce me semble, que parce que la maladie touchait à son terme naturel dans ce dernier, et qu’elle en était plus ou moins éloignée dans les autres. Fait important, qui explique la différence des effets de la saignée dans des circonstances qui ne sont semblables qu’en apparence, et qui indique, avec beaucoup d’autres du même genre, qu’on ne jugule probablement pas les inflammations, comme on le croit assez généralement.

Pour ce qui est de la crépitation, de la résonance de la voix, de l’égophonte ou de l’obscurité du son de la poitrine, leur durée ordinaire variait comme celle des symptômes précédens ; et elles furent encore plus prononcées, pendant un ou plusieurs jours après la première saignée, qu’elles ne l’avaient été jusque-là ; quand cette saignée fut faite peu après le début : tandis qu’elles diminuèrent rapidement après la première émission sanguine, quand celle-ci eut lieu plus tard ; au moins dans la majorité des cas.

L’accélération du pouls persista encore quatre, cinq, six, sept jours et plus, après la première saignée, quand elle fut faite du premier au sixième jour de l’affection. Quelquefois même, elle augmenta d’un jour à l’autre entre, deux émissions sanguines. L’effet de la saignée sur le pouls paraissait plus marqué, quand on la pratiquait au-delà du terme indiqué. C’est-à-dire que dans un assez grand nombre de cas de cette espèce, le pouls devenait calme, trois jours après l’ouverture de la veine ; bien plus rarement après quatre à cinq jours. Ce qui tenait, à n’en pas douter, comme je l’ai dit pour la matière de l’expectoration, à ce que dans ces derniers cas les saignées avaient été faites à une époque voisine de celle où le pouls, d’après la marche naturelle de la maladie, devait reprendre son calme habituel.

Comme la vitesse du pouls, la chaleur et les sueurs ne diminuèrent promptement, après les émissions sanguines que quand celles-ci eurent lieu à une certaine distance du début. Les sueurs persistèrent plus que la chaleur, et eurent une durée proportionnément plus considérable que les autres symptômes, chez les sujets qui ne furent saignés, pour la première fois, que six jours après le début de l’affection.

Ainsi, l’étude des symptômes généraux et locaux, la mortalité et les variations de la durée moyenne de la pneumonie, suivant l’époque à laquelle les émissions sanguines furent commencées ; tout dépose des bornes étroites de l’utilité de ce moyen de traitement, dans la pneumonie. En obtiendrait-on de plus grands résultats, si, comme c’est assez d’usage en Angleterre, on portait la première saignée des pneumoniques jusqu’à la syncope ? Cette pratique mérite d’être éprouvée ; mais son grand succès me semble douteux ; vu que plusieurs des malades dont j’ai recueilli l’histoire et qui ont succombé, furent assez largement saignés, entre autres celui dont la première évacuation sanguine eut lieu le premier jour de l’affection, et qui n’en mourut pas moins le sixième ; la veine ayant été ouverte cinq fois, et la quantité de sang perdue, de douze à seize onces chaque fois.


Article II.

Effet des émissions sanguines dans l’érysipèle de la face.

De trente-trois sujets atteints d’érysipèle de la face, et qui tous étaient dans un état de santé parfaite, au moment où ils furent atteints de cette maladie, vingt-et-un furent saignés. La durée moyenne de l’affection fut de sept jours un quart chez l’un d’eux, et de huit chez les autres. C’est-à-dire, qu’après cette époque, l’érysipèle cessa de s’étendre ; que les symptômes locaux, la rougeur, la dureté et l’épaississement de la peau, diminuèrent. Il semble donc que, dans les cas dont il s’agit, les émissions sanguines ont abrégé la durée de la maladie de trois quarts de jours. Car je puis faire abstraction de deux autres moyens de traitement qui furent employés de la même manière, chez presque tous les malades saignés et non saignés ; je veux parler des évacuans et des pédiluves sinapisés.

On croira peut-être que la différence n’a été si peu considérable entre les deux ordres de sujets qui nous occupent, que parce que la maladie était grave et étendue chez les uns, médiocre ou légère, et très limitée chez les autres. Mais il n’en a pas été ainsi ; et chez les sujets saignés, comme chez ceux qui ne le furent pas, l’érysipèle offrit plusieurs degrés ; de manière que, sous ce rapport, il y avait presque égalité entre eux. Ce qui fit obstacle aux saignées, c’est, ou l’arrivée tardive des malades à l’hôpital, ou le peu d’intensité du mouvement fébrile qu’ils présentaient ; en sorte qu’on a cru pouvoir se borner, pour eux, aux dérivatifs. J’ajouterai que quelques sujets saignés, le furent avant d’avoir été soumis à mon observation, et qu’il n’est pas à présumer que le mouvement fébrile ait été considérable chez tous ceux qui furent dans ce cas.

Au reste, les détails dans lesquels je vais entrer, donneront aux faits dont il s’agit leur valeur réelle, en les montrant, pour ainsi dire, sous une autre forme.

Les vingt-et-un malades saignés, ne le furent pas tous à la même époque. Chez l’un d’eux, c’était un étudiant en médecine, âgé de plus de trente ans et d’une constitution forte, une première émission sanguine eut lieu le premier jour de la maladie, et l’érysipèle ne fut stationnaire, ne commença à diminuer, que huit jours après son début. Les autres malades furent saignés les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième jours de l’affection : et la durée moyenne de celle-ci fut, pour chacun de ces groupes et dans l’ordre indiqué, de sept jours, de six, de sept et trois quarts, de sept et demi, et de sept jours un quart. C’est-à-dire à-peu-près toujours la même, à quelque époque que la première saignée ait été pratiquée. Ce qui n’a pu avoir lieu, que parce que la marche de l’érysipèle de la face est presque constamment uniforme, et que les émissions sanguines n’ont sur elle que fort peu d’influence ; sans quoi cette influence eût été très sensible chez les sujets saignés dans les deux ou dans les trois premiers jours de l’affection. Il est même à remarquer que la majeure partie des sujets dont les symptômes locaux offrirent le plus d’intensité, furent saignés dès le deuxième ou le troisième jour de la maladie, et au moins deux fois. Et si l’on ne peut pas en conclure que la saignée a été nuisible, dans ces cas, au moins faut-il reconnaître que son utilité n’est pas démontrée.

On pensera peut-être que si, au lieu de recourir à la lancette, on eût appliqué des sangsues dans le voisinage de la partie enflammée, ou sur cette partie même, on aurait obtenu, des émissions sanguines, des succès plus marqués. Mais les faits ne s’accordent pas avec cette hypothèse. Car chez six sujets auxquels on appliqua des sangsues, près de la partie malade, les deuxième, troisième et quatrième jours de l’affection (trois d’entre eux furent encore saignés le lendemain, et l’un d’eux le jour même du début) ; chez ces sujets, dis-je, la durée moyenne de l’érysipèle fut de huit jours un quart ; plus considérable par conséquent que chez les autres. Ce que je n’attribuerai certainement pas aux sangsues ; mais j’en conclurai, du moins, que leur influence sur la marche de l’érysipèle n’est pas telle qu’on l’a prétendu ; qu’il est même douteux qu’elles aient le faible degré d’utilité de la saignée générale.

On objectera peut-être encore aux conséquences qui me paraissent découler rigoureusement des faits, que les malades atteints d’érysipèle de la face éprouvent assez ordinairement un soulagement réel, ont le visage beaucoup moins rouge, pendant la saignée, ou immédiatement après, qu’avant. Ce soulagement et cette pâleur de la face ont effectivement lieu quelquefois ; mais ils sont momentanés, et les sujets qui les éprouvent ne guérissent pas plus rapidement que les autres. De manière que la seule conséquence à tirer de ce fait, c’est qu’il ne faut pas confondre les effets immédiats et les effets thérapeutiques, à proprement parler, des médicamens.

D’ailleurs, comme on l’a déjà vu pour la pneumonie, on s’explique très bien comment l’utilité des émissions sanguines dans l’érysipèle de la face a été exagérée, en considérant ce qui eut lieu dans quelques cas où la saignée fut faite à une époque éloignée du début. En effet, chez trois sujets dont la veine fut ouverte au sixième jour de la maladie seulement, il y eut, dès le lendemain, une amélioration remarquable dans tous les symptômes ; et cette amélioration fit des progrès rapides. Mais qui ne voit que dans ces cas, l’érysipèle étant voisin de son terme le plus ordinaire, au moment où la saignée fut pratiquée, il n’y a peut-être eu, dans l’amélioration indiquée, qu’une simple coïncidence ; et que tout ce qu’on peut présumer, avec quelque fondement, en faveur de l’émission sanguine, c’est qu’elle aura diminué la durée de l’affection d’une demi-journée, ou de trois quarts de journée. Nouvelle preuve de la nécessité d’avoir une connaissance exacte de la marche naturelle des maladies, pour apprécier, à leur juste valeur, l’action des agens thérapeutiques.

Sans m’appesantir sur l’état des symptômes généraux à la suite des émissions sanguines, je remarquerai que dans la troisième partie des cas dont il s’agit, le pouls perdit sa fréquence un jour avant le commencement de la marche rétrograde de l’affection, celle-ci étant alors dans son état, comme on dit. Fait qui n’est pas sans importance, relativement aux affections inflammatoires des organes profondément situés, dont les progrès et le déclin sont ordinairement appréciés par le pouls ; puisqu’il indique la nécessité d’attendre au moins trois ou quatre jours après le retour du calme de la circulation, avant d’affirmer que l’inflammation ne laisse plus que de faibles traces dans l’organe malade.


Article III.

De l’effet des émissions sanguines dans l’angine gutturale.

J’ai recueilli trente-cinq cas d’angine gutturale, chez des sujets parfaitement bien portans jusque-là. Chez douze d’entre eux, la maladie fut très légère, se dissipa spontanément, ou à-peu-près, en quatre ou cinq jours ; et je les écarte de mon analyse, afin que tout soit comparable, sous le point de vue qui nous occupe. Le nombre de mes observations ainsi réduit, la proportion des cas d’angine forte ou faible est presque la même parmi les sujets qui ont été saignés et parmi ceux qui ne l’ont pas été. Chez tous l’inflammation des amygdales a eu lieu, a été primitive, en apparence du moins, et compliquée, ou de l’inflammation du pharynx, ou de celle du voile du palais et de la voûte palatine ; de ces deux dernières, dans la grande majorité des cas.

Sur les vingt-trois sujets dont il s’agit et dont l’angine a été plus ou moins forte, treize ont été saignés. La durée moyenne de l’affection fut de neuf jours chez ces malades ; de dix jours un quart chez les autres. Et, comme le reste du traitement fut le même chez ces deux ordres de sujets (pédiluves sinapisés, gargarismes adoucissans, cataplasmes autour du cou), cette différence ne peut être attribuée, ce me semble, qu’aux émissions sanguines, ou à leur défaut.

L’examen détaillé des faits confirme cette proposition. Ainsi, la durée moyenne de la maladie fut de huit jours et demi, dans deux cas où l’on appliqua des sangsues au cou dès le début ; les symptômes ayant diminué le huitième jour chez un des sujets, et le neuvième chez l’autre. Elle fut de sept jours et demi chez deux malades saignés au troisième jour de l’affection, qui fut néanmoins à-peu-près aussi intense que chez les premiers ; de dix, neuf, et dix jours et demi, chez ceux qui furent saignés, les cinquième, sixième et neuvième jours. Ce qui n’aurait pu avoir lieu, si les émissions sanguines avaient une grande influence sur la marche de l’angine gutturale. Il est même à remarquer qu’un des cas où la maladie eut le plus de durée (dix jours), est relatif à un sujet auquel on appliqua des sangsues les premier et quatrième jours de l’affection, en petit nombre il est vrai ; mais en grande quantité les cinquième et sixième (vingt-cinq chaque fois) ; que dans un autre où la saignée fut faite de la même manière et abondante (quinze onces), aux troisième et sixième jours de la maladie, les symptômes ne diminuèrent qu’au onzième ; qu’il en fut à-peu-près de même dans un troisième cas où l’on appliqua, le sixième jour de l’angine, vingt sangsues, qu’on fit suivre d’une saignée copieuse du bras, dans la soirée.

Sans doute l’angine était forte chez les trois derniers malades, et l’on croira pouvoir expliquer l’excès de sa durée, par son intensité. Je crois l’explication excellente ; mais qu’en conclure, sinon que l’influence de la saignée sur la marche de l’angine, est extrêmement bornée ?

Les mêmes faits doivent aussi faire naître des doutes, sur la grande utilité des sangsues appliquées à l’épigastre dans la gastrite, ou sur toute autre partie de l’abdomen, dans les points correspondans aux viscères présumés malades. Comment, en effet, accorder beaucoup de confiance aux préceptes à priori qu’on donne généralement à ce sujet, quand les sangsues appliquées le plus près possible de l’organe affecté, dans l’érysipèle et dans l’angine gutturale, n’ont qu’une action si légère, qu’elle est beaucoup moins évidente que celle de la saignée générale ?

Signalons encore un fait important par son analogie avec ceux qui ont été rapportés plus haut, savoir : que dans deux cas où la saignée fut faite les sixième et neuvième jours de l’affection, les symptômes de l’angine furent beaucoup moindres le lendemain et le surlendemain, comme si les émissions sanguines eussent eu beaucoup d’influence dans ces deux cas ; mais bien plutôt, sans doute, et presque uniquement, parce que l’affection était voisine de son terme naturel, au moment où la veine fut ouverte.

Il résulte des faits exposés dans ce chapitre, que la saignée n’a eu que peu d’influence sur la marche de la pneumonie, de l’érysipèle de la face et de l’angine gutturale, chez les malades soumis à mon observation ; que son influence n’a pas été plus marquée dans les cas où elle a été copieuse et répétée, que dans ceux où elle a été unique et peu abondante ; qu’on ne jugule pas les inflammations, comme on se plaît trop souvent à le dire ; que, dans les cas où il paraît en être autrement, c’est sans doute, ou parce qu’il y a eu erreur de diagnostic, ou parce que l’émission sanguine a eu lieu à une époque avancée de la maladie, quand celle-ci était voisine de son déclin ; qu’il serait bon néanmoins d’essayer, dans les maladies inflammatoires dont le péril est imminent, la péripneumonie, par exemple, si une première saignée, poussée jusqu’à la syncope, de vingt-cinq à trente onces et plus, n’aurait pas un plus grand succès ; qu’enfin, dans les cas où j’ai pu comparer l’effet de la saignée par la lancette, avec l’effet qu’on peut attribuer aux sangsues, la supériorité du premier moyen m’a paru démontrée.

J’ajouterai que, malgré les bornes de leur utilité, les émissions sanguines ne peuvent pas être négligées dans les maladies inflammatoires graves, et qui ont pour siège un organe important ; soit à raison de leur influence sur l’état de l’organe malade ; soit parce qu’en abrégeant la durée de l’affection, elles diminuent les chances des lésions secondaires, qui en augmentent le péril ; que les maladies inflammatoires ne pouvant être jugulées, on ne doit pas multiplier les saignées, dans l’intention d’atteindre ce but imaginaire ; qu’il ne faut pas oublier d’ailleurs qu’un certain degré de force est nécessaire à la résolution de l’inflammation, puisqu’elle est d’autant plus grave et environnée de dangers, que les sujets sont plus faibles, et que cette faiblesse favorise aussi le développement des maladies secondaires ; qu’enfin, l’utilité des saignées générales étant mieux démontrée, par mes observations, que celle des saignées locales, la lancette paraît devoir être préférée aux sangsues, dans les maladies dont il vient d’être question.

  1. J’ai encore recueilli de 1821 à 1827, quarante-cinq histoires de pneumonie ou de pleuropneumonie ; mais relatives à des sujets dont l’affection s’était développée dans des circonstances différentes ; c’est-à-dire, chez des personnes déjà malades, atteintes, depuis un certain temps, de catarrhe pulmonaire ; et j’ai cru devoir écarter ces faits de mon analyse, pour que tout fût comparable. Aucun autre fait n’en a été écarté : de manière que j’ai réellement fait une énumération complète, ou l’analyse de tous les faits de même espèce que j’ai recueillis.
  2. Les chiffres placés au-dessus du tableau marquent le jour où la première saignée a été faite ; ceux de chaque colonne indiquent, à gauche, le nombre de jours qu’a duré la maladie, à droite, le nombre des saignées faites ; et ceux qui sont au bas de chaque colonne, montrent, dans les points correspondans, la durée moyenne de la maladie et la moyenne des saignées.
  3. La quantité de sang tirée à chaque saignée, était de dix à quinze onces.