Recherches sur les effets de la saignée/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Faits nouveaux, relatifs à l’effet des émissions sanguines dans les maladies aiguës.


Depuis la publication du mémoire qui fait le sujet du chapitre précédent, j’ai observé, à l’hôpital de la Pitié, un grand nombre de malades atteints de pneumonie, d’érysipèle de la face, ou d’angine gutturale ; et bien que, dans les phlegmasies du parenchyme pulmonaire, j’aie assez fréquemment fait faire des saignées de vingt à vingt-cinq onces et au-delà, ou jusqu’à la syncope ; je n’ai vu ces phlegmasies jugulées dans aucun cas. Je crois même que les émissions sanguines, quoique généralement plus larges que celles qui étaient d’usage à l’hôpital de la Charité, à l’époque où j’y observais, n’ont pas eu un succès beaucoup plus marqué. Mais ces propositions générales, fondées sur des faits confiés, pour la plupart, à la mémoire, ont trop peu de valeur pour y attacher quelque importance ; et au lieu de disserter, d’une manière vague, sur le traitement de quarante cas d’érysipèle de la face, et de cent cinquante cas de pneumonie, qui sont passés sous mes yeux, depuis quatre ans, je me bornerai à donner au lecteur l’analyse des faits relatifs à ces deux affections que j’ai recueillis avec soin, lors de mes conférences cliniques, de 1830 à 1833.


Article Ier.

Faits relatifs au traitement de la pneumonie.

Ces faits sont au nombre de vingt-neuf ; quatre sont relatifs à des individus qui ont succombé ; vingt-cinq à des sujets qui ont guéri et quitté l’hôpital parfaitement bien portans.

Tous ces malades jouissaient d’une excellente santé, au moment où les premiers symptômes de la pneumonie se déclarèrent.

Aucun doute ne peut s’élever sur le caractère de leur affection, tous ayant expectoré des crachats rouillés, visqueux, demi transparens ; tous ayant offert le râle crépitant dans un espace variable, la respiration bronchique, la broncophonie avec un son plus ou moins obscur de la poitrine, dans le point correspondant.

Des vingt-cinq sujets qui ont guéri, aucun ne fut saigné le premier jour de la maladie. La première émission sanguine leur fut pratiquée aux deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième jours de l’affection ; à une exception près, relative à un sujet dont la convalescence eut lieu au vingt-deuxième jour, et qui ne fut pas saigné avant le quatorzième. Et la pneumonie dura, terme moyen, dans l’ordre indiqué, quatorze, dix-huit, quatorze, quinze, dix-neuf, dix-huit et vingt-deux jours, ainsi que le tableau suivant l’indique.

2 3 4 5 6 7 14[1]
15 2 38 11 2 30 14 2 32 09 1 15 25 1 20 11 2 54 22 1 16
16 3 47 27 2 30 19 2 24 28 2 30 21 1 20 19 2 37
11 3 50 28 2 25 14 2 27 11 1 20 12 2 30 18 2 36
09 1 18 12 2 35 24 2 12
13 2 30 21 2 30
15 2 24
14 45 18 25 14½ 30 15⅓ 22 19⅓ 23 18⅗ 30 22 16

C’est-à-dire qu’au premier abord il semblerait assez indifférent que les malades atteints de pneumonie, soient saignés, pour la première fois, les deuxième, quatrième et cinquième jours de la maladie ; puisque sa durée moyenne a été à-peu-près la même, pour les trois groupes de sujets saignés à différentes époques. Néanmoins, en réunissant, d’un côté, ceux qui ont été saignés, pour la première fois, du deuxième au quatrième jour inclusivement ; de l’autre, ceux qui l’ont été ensuite ; on trouve que la durée moyenne de la maladie a été de quinze jours et demi pour les premiers, de dix-huit jours un quart pour les seconds. D’où il semblerait naturel de conclure que l’influence de la saignée faite à une époque plus ou moins rapprochée au début de la maladie, a été un peu plus marquée chez les sujets dont il s’agit, que chez ceux dont l’histoire fait l’objet du premier chapitre ; et dont la durée moyenne de la maladie fut dix-sept jours et demi et vingt jours.

Cette différence, quoique légère, est digne de remarque, en ce qu’elle existe chez les deux groupes de sujets ; chez ceux qui furent saignés pour la première fois dans les quatre premiers jours de la maladie, et chez ceux qui furent saignés plus tard ; ce qui semble indiquer qu’elle n’est pas l’effet du hasard. Elle est encore remarquable à un autre titre ; en ce qu’aucun des sujets traités à la Pitié ne fut saigné le premier jour de l’affection ; que ces sujets se trouvaient, par cette raison, dans une position un peu moins favorable que ceux de la Charité, dont trois furent saignés le premier jour de la pneumonie.

La différence qui nous occupe tiendrait-elle à ce que les premières saignées faites aux malades traités à la Pitié, furent un peu plus copieuses que celles qui furent faites, à la même époque, à l’hôpital de la Charité ? Nous reviendrons plus tard sur cette circonstance qui a dû nécessairement avoir quelque influence sur la durée de l’affection.

D’ailleurs la pneumonie ne m’a pas semblé plus grave, généralement, chez les sujets saignés avant le cinquième jour de la maladie, que chez ceux qui ne le furent qu’après cette époque ; de manière qu’on ne saurait attribuer le peu d’effet des émissions sanguines pratiquées dans les premiers jours de l’affection, à sa violence.

Mais on dira, peut-être, que la saignée n’a pas été le seul moyen de traitement mis en usage, chez les sujets qui nous occupent, et que les autres agens thérapeutiques peuvent avoir nui aux bons effets de celui-ci. À quoi je répondrai qu’effectivement plusieurs des malades saignés dans les quatre premiers jours de l’affection prirent du tartre stibié à haute dose ; mais qu’il en fut de même pour ceux dont la première saignée ne fut faite qu’après cette époque ; et, tout étant égal de part et d’autre, cette circonstance peut être négligée relativement à l’objet qui nous occupe. Que si quelque médecin, trop prévenu en faveur des effets de la saignée, imaginait que la durée de la maladie aurait été moindre, généralement, si le tartre stibié n’eût pas été associé aux émissions sanguines ; je lui ferais remarquer que dans deux cas où ce médicament a été donné, l’affection n’a duré que onze jours ; qu’elle s’est prolongée au delà de ce terme chez un des malades qui n’en prit pas, et qui fut saigné dès le deuxième jour de sa pneumonie. Je l’engagerais à attendre le développement ultérieur des faits, desquels il me semble résulter, que loin d’avoir été nuisible, le tartre stibié a été très utile à nos malades.

Ce qui a pu en imposer aux praticiens, et leur faire croire qu’il était facile de juguler l’inflammation pulmonaire, à son début, au moyen de larges saignées ; c’est que dans quelques cas, peu communs, à la vérité, la saignée, pratiquée à cette époque, est suivie d’une amélioration considérable dans les symptômes généraux et dans quelques symptômes locaux, la douleur et la dyspnée. Mais les autres accidens persistent et même augmentent d’intensité et d’étendue après la première saignée, si elle a été pratiquée à une époque rapprochée du début. Et si alors on n’examine pas le malade avec soin, on croit avoir jugulé une maladie dont on n’a réellement beaucoup diminué que le mouvement fébrile et quelques autres symptômes. J’ai recueilli un exemple remarquable de ce fait, l’année dernière. Je veux parler d’un jeune homme d’une constitution assez forte, malade depuis moins de vingt-quatre heures quand il fut admis à l’hôpital de la Pitié, et ayant alors tous les symptômes de la pneumonie ; une dyspnée extrême, beaucoup de douleur au côté gauche, la respiration précipitée, le pouls très accéléré (plus de cent dix pulsations), la chaleur élevée. Il ne pouvait se tenir qu’à son séant ; ses crachats étaient rouillés, visqueux, demi transparens ; le son du thorax un peu obscur en arrière, inférieurement, où l’on entendait, à-la-fois, du râle crépitant, une respiration confuse, ou comme bronchique, dans quelques points, de la broncophonie sans égophonie. Le malade fut saigné du bras jusqu’à la syncope, peu après son arrivée, et perdit vingt-cinq onces de sang. Bientôt après il éprouva un grand soulagement, et, le lendemain, la diminution des accidens généraux était telle, que plusieurs personnes qui assistaient à ma visite, croyaient avoir sous les yeux l’exemple d’une pneumonie jugulée. La douleur était beaucoup moindre que la veille, le pouls ne battait pas cent fois par minute, l’anxiété avait disparu, l’expression de la physionomie était naturelle. Cependant les crachats conservaient leur aspect caractéristique ; l’obscurité du son et la broncophonie avaient lieu dans un espace plus considérable que la veille. Et cette obscurité du son, résultat de l’hépatisation imparfaite du tissu pulmonaire, ne pouvait être attribuée à un épanchement de liquide dans la plèvre ; car on entendait une crépitation fine, très près de l’oreille, dans une partie de sa surface : et d’ailleurs l’obscurité du son qui s’était étendue vers le sommet, n’avait pas gagné en largeur ; de manière que la pneumonie, loin d’avoir été jugulée par une première et copieuse saignée, avait pris plus de développement et d’étendue depuis : développement qui ne s’arrêta qu’au cinquième jour de la maladie, dont la convalescence[2] ne commença que du neuvième au dixième ; comme on l’observe assez fréquemment chez des sujets saignés moins largement, à une époque plus éloignée du début ; et qui éprouvent un soulagement immédiat beaucoup moins marqué, des émissions sanguines.

Jusqu’ici donc les résultats qui découlent naturellement de l’étude des faits qui nous occupent, s’accordent parfaitement avec ceux qui ont été consignés dans le chapitre précédent.

Qu’ai-je besoin de rappeler qu’un excellent moyen de juguler les maladies, c’est de les confondre, ou bien de ne pas distinguer les époques de l’affection à laquelle on oppose tel ou tel moyen thérapeutique ; comme je l’ai fait remarquer dans le chapitre précédent ?

Étudions maintenant chaque symptôme en particulier, dans sa marche et dans sa durée ; et voyons si l’accord dont il s’agit s’étendra jusque dans les détails.

La douleur ne fut jugulée par les émissions sanguines, dans aucun cas ; elle ne fut même que très peu modifiée par la saignée générale, vingt-quatre heures après laquelle on la trouvait seulement un peu moins vive que la veille, chez la majorité des malades. Elle existait encore, au sixième jour de l’affection, chez un sujet qui fut saigné dès le deuxième ; perdit, en quarante-huit heures, cinquante onces de sang par la lancette, en deux fois, et cinq à six onces, au quatrième jour, par l’application de vingt sangsues sur le point douloureux. Sa durée moyenne fut de sept jours et demi ; c’est-à-dire à-peu-près la même chez les individus dont l’histoire précède ; que chez soit dans les cas de pneumonie inférieure, soit dans ceux où la maladie affectait primitivement le lobe supérieur[3]; et dans un de ces derniers ou le malade fut saigné jusqu’à la syncope, et perdit trente onces de sang au troisième jour de l’affection, la douleur était seulement un peu diminuée le lendemain.

Les crachats ne perdirent leur caractère pathognomonique dans aucun cas, le lendemain de la première saignée ; même dans ceux qui viennent d’être cités, et dans lesquels cette première évacuation sanguine fut considérable d’ailleurs. La durée de ce caractère fut proportionnelle à celle de la maladie ; en sorte que les crachats ne cessèrent complètement d’être caractéristiques, terme moyen, qu’au septième jour de la pneumonie, chez ceux qui furent saignés, pour la première fois, avant le cinquième ; et au neuvième jour, chez ceux qui furent saignés plus tard. Et, comme cela a été remarqué pour les sujets du premier chapitre, l’influence des émissions sanguines sur les crachats, parut d’autant plus marquée, qu’elles étaient pratiquées, pour la première fois, à une plus grande distance du début : de manière que chez les malades saignés tardivement, ou après le quatrième jour, les crachats n’offraient plus rien de remarquable, vingt-quatre, quarante-huit, soixante-douze heures, après la première émission sanguine ; tandis que chez ceux qui furent saignés plus tôt, leur caractère pathognomonique ne disparut jamais complètement avant trois jours, à compter de la première perte de sang. Différences qu’on ne peut expliquer, comme je l’ai dit, que parce que la maladie touchait à son terme naturel dans les premiers cas, et qu’elle en était plus ou moins éloignée dans les autres.

D’ailleurs, si la durée de l’affection fut très variable chez les sujets saignés le même jour ; il en fut de même du caractère pathognomonique des crachats, qui persista, à divers degrés, pendant un espace de temps qui varia de quatre à onze jours, ou de sept à quatorze, chez les individus saignés avant ou après le cinquième jour, pour la première fois.

La crépitation persista plus long-temps que les deux symptômes dont il vient d’être question ; de dix à quatorze jours, chez les sujets saignés avant le cinquième ; de dix à dix-neuf, chez ceux qui furent saignés ensuite ; terme moyen, douze jours pour les premiers, et quatorze pour les seconds. Elle ne fut jugulée dans aucun cas.

Le bruit respiratoire fut plus ou moins profondément altéré pendant dix-huit jours, terme moyen. L’altération de ce bruit, désignée par l’expression respiration bronchique, ne céda, dans aucun cas, à la première saignée ; et elle fut d’autant plus influencée par l’usage de ce moyen, qu’on y eut recours plus tardivement : en sorte qu’elle était beaucoup moins sensible que la veille, le lendemain d’une première saignée faite le sixième jour, et qu’une diminution analogue n’eut lieu, chez des individus saignés, pour la première fois, le deuxième et le troisième jour de la maladie, que trois jours après l’émission sanguine.

La broncophonie, qui tient aux mêmes causes que la respiration bronchique, suivit la même marche, eut la même durée.

L’obscurité du son eut lieu chez tous les malades, et persista, terme moyen, jusqu’au dix-neuvième jour de l’affection ; en diminuant graduellement. Et si l’on en excepte deux sujets saignés au quatrième jour de la maladie, chez lesquels l’obscurité du son fut moindre, de beaucoup, le lendemain de l’ouverture de la veine que la veille ; cette amélioration ne commença que de deux à cinq jours après la première saignée, et d’autant plus tardivement que cette opération fut pratiquée à une époque plus rapprochée du début.

Dans trois cas où la saignée fut faite le deuxième jour de la maladie, le pouls tomba, le lendemain, de cent vingt et cent pulsations par minute, à cent huit, quatre-vingt et quatre-vingt-seize. Mais le lendemain, après une seconde saignée, il battait cent quatre, cent huit, quatre-vingt-dix fois par minute ; c’est-à-dire qu’il était tombé, après deux saignées, de quelques pulsations seulement.

Il en fut de même chez les sujets saignés le quatrième jour, pour la première fois, et chez lesquels l’amélioration du pouls fut nulle, ou momentanée, le lendemain. Mais dans la grande majorité des cas où la première saignée n’eut lieu qu’après le cinquième jour de l’affection, le pouls fut moins accéléré dès le lendemain ; et cette amélioration persista en augmentant, par la suite.

Dans les cas dont il s’agit, comme dans ceux qui ont été analysés dans le chapitre précédent, la saignée n’a donc exercé une influence un peu marquée sur la marche des symptômes de la pneumonie, que quand elle a été pratiquée à une époque assez éloignée du début de cette maladie : et, sans doute, comme je l’ai déjà dit, parce qu’alors celle-ci était plus ou moins rapprochée de son terme naturel ; tandis qu’elle en était plus éloignée dans les cas où les premières émissions sanguines furent pratiquées plus tôt. Et ces faits, comme ceux qui sont relatifs à la durée de la pneumonie, déposent des bornes étroites de l’utilité de la saignée, dans le traitement de cette affection.

Passons maintenant à l’étude des faits relatifs aux sujets qui ont succombé.

Des vingt-neuf sujets observés, quatre succombèrent, ainsi qu’on l’a vu plus haut ; ou un septième. Proportion beaucoup moins considérable que celle indiquée pour les malades de la Charité, qui furent soumis à un traitement un peu différent, sur lequel je reviendrai tout-à-l’heure.

De ces quatre sujets, un seul fut saigné peu après le début, les troisième et quatrième jours de l’affection ; et il mourut après cent dix heures de toute maladie. Les autres furent saignés, pour la première fois, après cette époque ; deux, au cinquième jour de la pneumonie ; le dernier, au huitième. Et chez celui-ci la terminaison funeste eut lieu au dix-neuvième jour ; tandis que ce fut aux onzième et dix-septième, chez les deux autres. C’est-à-dire que la mortalité fut beaucoup plus considérable chez les sujets saignés, pour la première fois, après le quatrième jour de la maladie, que chez ceux qui l’ont été avant cette époque ; la proportion des décès étant de 1/14 pour ceux-ci, et de 3/15 pour les autres.

Une conséquence naturelle de cette disproportion dans la mortalité, chez les sujets saignés, pour la première fois, avant le cinquième jour de l’affection, et chez ceux qui ne l’ont été qu’après cette époque ; c’est qu’il est beaucoup plus important qu’on ne l’aurait cru, d’après l’histoire des malades qui ont guéri, de saigner peu après le début. Mais cette contradiction n’est qu’apparente, et elle disparaît par la considération de l’âge.

En effet, à l’inverse de ce qui eut lieu chez les malades dont il a été question au chapitre précédent, l’âge moyen des sujets dont il s’agit et qui furent saignés dans les quatre premiers jours de l’affection, était beaucoup moindre que celui des individus dont la première émission sanguine n’eut lieu qu’après cette époque ; de manière que les premiers avaient trente-neuf ans et trois mois, les seconds quarante-sept ans huit mois. Il est encore digne de remarque, que l’âge du sujet saigné, dans les quatre premiers jours, et qui succomba, était quarante-et-un ans ; et celui des trois autres qui furent saignés plus tard, soixante-et-un, soixante-dix, soixante-onze.

Le tableau suivant, dans lequel l’âge des malades qui ont succombé se trouve au-dessous de celui des malades qui ont guéri, ne laissera aucun doute à ce sujet dans l’esprit du lecteur. Le numéro placé au-dessus de chaque colonne indique le jour où la première saignée a été faite ; dans chaque colonne le nombre placé à gauche marque la durée de la maladie ; celui qui est à droite, l’âge du sujet : et les chiffres soulignés, les individus qui ont pris du tartre stibié.

2 3 4 5 6 7 9 14
15 36 11 60 14 45 09 18 25 61 11 24 22 58
16 30 27 19 19 23 28 41 21 58 19 22
11 29 28 66 14 50 11 25 12 67 18 18
09 20 12 24 24 62
13 42 21 60
15 61
110 heures 41 11 71 19 70
17 61

Évidemment, c’est à l’âge, bien plus qu’au retard apporté dans les premières émissions sanguines, qu’il faut attribuer la grande mortalité des sujets qui ne furent saignés que quatre jours après le début de la maladie. De manière que les conséquences qui découlent naturellement des faits que nous examinons, sous le rapport de l’effet de la saignée dans la pneumonie, s’accordent avec celles qui m’ont paru rigoureusement déduites des faits recueillis antérieurement à la Charité, pour montrer que l’influence des émissions sanguines sur la marche de la pneumonie, est beaucoup moindre qu’on ne le pense communément.

Mais à quoi attribuer la différence assez remarquable qui existe, sous le rapport de la mortalité, entre les sujets dont nous analysons l’histoire, et ceux qui sont l’objet du chapitre précédent ? On ne saurait s’en prendre à l’âge ; car la différence était légère entre les deux groupes, sous ce rapport, et à l’avantage des malades de la Charité, qui avaient, terme moyen, quarante ans, et les autres quarante-trois : j’entends ceux qui ont guéri et ceux qui ont succombé, réunis. On ne saurait imaginer, non plus, que les cas dans lesquels la saignée a été pratiquée, dans les quatre premiers jours, étaient proportionnément plus nombreux à la Pitié qu’à la Charité ; les tableaux relatifs aux malades de l’un et de l’autre hôpital ne le permettent pas. Il n’est pas moins impossible d’invoquer la différence des saisons dans lesquelles ces malades se sont présentés à mon observation ; la majeure partie de ceux qui ont été traités à la Pitié, y ayant été admis du 1er janvier au 1er avril inclusivement ; tandis que les malades dont j’ai recueilli l’histoire à l’hôpital de la Charité, y furent conduit aux différentes époques de l’année. Restent donc, pour se rendre compte du fait dont il s’agit, la différence déjà indiquée dans les évacuations sanguines, le tartre stibié à haute dose, et l’application ou la non-application des vésicatoires. Examinons.

Si les saignées furent généralement moins nombreuses chez les sujets traités à la Pitié que chez les autres, chacune d’elles fut plus copieuse, la première surtout ; et cette différence, quoique peu considérable, a dû avoir quelque influence sur la terminaison heureuse de l’affection.

Quant au tartre stibié, voici ce qui eut lieu. Il fut administré à seize des sujets qui guérirent, pendant l’espace de quatre à sept jours, à doses successivement croissantes, ce six à douze grains dans six onces d’eau distillée de tilleul, édulcorée avec une demi-once ou une once de sirop diacode ; et les malades prenaient ces doses en six ou huit fois. Leur affection dura, terme moyen, dix-huit jours ; trois jours de plus que celle des sujets qui ne furent pas soumis à cette médication : de manière qu’il semblerait, au premier abord, que le tartre stibié a dû avoir une influence fâcheuse sur la marche de la maladie ; loin d’en avoir accéléré l’heureuse terminaison.

Mais cette influence fâcheuse n’est qu’apparente. Le tartre stibié fut administré quand déjà plusieurs saignées avaient été pratiquées, parce que la maladie persistait en prenant plus d’intensité ; au huitième jour de sa durée, terme moyen ; et dans des cas où la première émission sanguine n’avait pas été faite avant le cinquième jour, aussi terme moyen : tandis qu’elle avait été pratiquée le troisième, chez les individus qui ne prirent pas d’émétique. C’est-à-dire que ce médicament ne fut donné que dans les circonstances les plus défavorables, et dans des cas graves ; ce qui explique, de reste, la longue durée de la maladie de ceux qui en prirent. Ajoutons, et il n’est pas nécessaire d’insister sur l’importance de ce fait, que les sujets auxquels le tartre stibié fut prescrit, étaient généralement plus âgés que ceux qui n’en prirent pas ; de manière que ces derniers n’avaient, terme moyen, que trente-et-un ans, et les autres quarante-cinq. Différence énorme, qui n’indique pas seulement que le tartre stibié n’a pas eu la funeste influence qu’on aurait été tenté, au premier abord, de lui attribuer, sur la durée de la pneumonie ; mais qu’il a dû en accélérer la marche, et empêcher sa terminaison funeste, dans quelques cas.

Cette dernière proposition semble d’ailleurs confirmée par les changemens qui suivirent, presque immédiatement, l’administration du tartre stibié. Dès le lendemain, en effet, quinze des dix-sept sujets qui en prirent, se trouvèrent un peu mieux, ou beaucoup mieux ; ayant alors sensiblement plus de force, la physionomie beaucoup meilleure, la respiration moins gênée. En outre, treize d’entre eux, dont la poitrine rendait un son plus ou moins complètement mat, dans une certaine étendue, au moment où le tartre stibié fut administré, offraient, dès le lendemain, une amélioration notable, sous ce rapport ; la percussion du thorax étant déjà plus sonore. Et ces améliorations diverses persistèrent, en faisant tous les jours de nouveaux progrès.

L’augmentation des forces, dès le lendemain de l’administration du tartre stibié, est d’autant plus remarquable, que l’action de ce médicament était accompagnée de selles et de vomissemens nombreux. Seize fois sur dix-sept, les selles furent très multipliées, au nombre de huit à quinze le premier jour, moitié moins fréquentes le lendemain ; et le troisième ou le quatrième jour, elles ne l’étaient pas plus que dans l’état ordinaire. Les vomissemens furent moins nombreux et de moins longue durée que les selles, ne persistèrent pas au-delà du premier jour, et manquèrent chez cinq sujets, ou dans un peu plus de la troisième partie des cas.

Trois des malades qui moururent prirent du tartre stibié, et n’éprouvèrent aucune amélioration le lendemain de son administration. Un seul d’entre eux n’eut pas les évacuations indiquées.

Ainsi, de vingt sujets auxquels l’émétique fut donné dans des circonstances graves, trois seulement succombèrent : ce qui ne peut laisser de doute, ce me semble, sur l’utilité de l’émétique, à haute dose, dans le traitement de la pneumonie ; d’autant plus que ces trois sujets étaient tous âgés, sexagénaires ou septuagénaires.

Le traitement des malades de la Charité différait encore de celui des malades de la Pitié, en ce que des vésicatoires furent appliqués aux premiers, et non aux seconds. Cette nouvelle différence a-t-elle eu sa part dans l’inégale mortalité des deux groupes de sujets ? Peut-on croire que les vésicatoires appliqués aux malades de la Charité, aient eu une influence heureuse sur la marche de leur affection, et qu’ajoutés au tartre stibié qui fut pris par les sujets de la Pitié, ceux-ci auraient encore guéri plus promptement et en plus grand nombre ? Voyons les faits.

Les vésicatoires appliqués à l’hôpital de la Charité, ne le furent pas dans tous les cas où la maladie eut une terminaison heureuse, mais seulement dans ceux où sa marche, peu influencée par la saignée, laissait des craintes sur son issue. Cette application eut lieu dans la moitié des cas, ou chez vingt-cinq sujets saignés, pour la première fois, dans les quatre premiers jours de la maladie, ou au-delà : et chez eux, la durée moyenne de l’affection fut de vingt-deux jours et deux heures ; tandis qu’elle fut de quinze jours et huit heures seulement, chez les autres. Différence énorme, qui semblerait indiquer que les circonstances défavorables dans lesquelles les vésicatoires ont été appliqués, n’ont pas été sensiblement influencées par leur action : qu’ainsi les vésicatoires ont été sans utilité.

Il n’en a pas été de même, comme nous l’avons vu, pour les sujets de la Pitié qui prirent du tartre stibié, et dont l’affection ne dura que trois jours de plus que chez ceux qui n’en prirent pas ; malgré les circonstances si défavorables dans lesquelles ils se trouvaient. Car, outre la gravité de l’affection, qui était à-peu-près la même chez les sujets auxquels on appliqua des vésicatoires et chez ceux qui prirent du tartre stibié, les premiers avaient, terme moyen, trente-cinq ans et demi, et les seconds quarante-cinq ans, moins une fraction. Et il serait difficile d’attribuer ces différences de durée au hasard, ou de les croire accidentelles ; vu que la longueur de la maladie et l’âge des sujets étaient à-peu-près les mêmes, à la Charité et la Pitié, chez ceux auxquels on ne prescrivit que des saignées ; de manière que l’âge moyen des premiers était trente-cinq ans ; celui des seconds, trente-et-un ; la durée moyenne de l’affection, quinze jours un tiers chez les uns, quatorze jours et un huitième chez les autres.

Le tableau suivant rendra plus sensibles les différences qui viennent d’être indiquées.

Âge moyen des sujets qui furent saignés seulement.
À la Charité, 35 ans.
À la Pitié, 35 ans.
Durée moyenne de la maladie chez les mêmes sujets. À la Charité, 15 jours 1/4.
À la Pitié, 14 jours 1/8.
Âge moyen des sujets chez lesquels la saignée ne fut pas le seul moyen actif employé.
À la Charité, les sujets auxquels on appliqua des vésicatoires avaient 34 ans 4/5.
À la Pitié, les sujets qui prirent de l’émétique avaient 45 ans.
Durée moyenne de la maladie chez les mêmes sujets. À la Charité, 22 jours.
À la Pitié, 18 jours.

Et le tableau ci-après permettra au lecteur de vérifier ces chiffres.

1 2 3 4 5 6 7 8 9
10 28 07 27 19 27 19 66 28 43 13 62 24 40 19 30 35 64
12 26 10 26 29 23 12 20 17 34 16 60 12 26 12 33 11 20
14 45 12 13 20 24 15 22 40 48 23 19 19 53 18 54 17 19
20 50 22 23 13 50 35 16 18 25 20 19 30 23
16 20 12 39 21 59 17 36 15 27 13 40
17 29 21 50 13 29 27 26 21 44
25 53
28 54
40 48
16 22
12 19

L’explication de ce tableau est la même que celle qui a été donnée pour celui de la page 49, avec cette différence que les chiffres soulignés indiquent la durée de la maladie chez les sujets auxquels on a appliqué des vésicatoires.

Il est d’ailleurs à remarquer que le tartre stibié et les vésicatoires furent prescrits à la même époque, au huitième jour de la maladie, terme moyen ; et que les vésicatoires ne furent suivis, dans aucun cas, de cette prompte et grande amélioration qui eut lieu chez les malades qui prirent le tartre stibié, quelques heures après son administration.

Puisque les vésicatoires n’ont pas eu d’influence appréciable sur la durée de la pneumonie des sujets de la Charité, on ne peut admettre qu’ils eussent abrégé le cours de la même affection, chez ceux qui en furent traités à l’hôpital de la Pitié.

Au reste, je n’ai pas seulement écarté les vésicatoires du traitement de la pneumonie ; je les ai encore supprimés de celui de la pleurésie et de la péricardite. J’ai traité depuis cinq ans, à l’hôpital de la Pitié, cent quarante sujets atteints de pleurésie environ (je ne parle que de ceux qui étaient, au début de cette affection, dans un état de santé parfait), sans recourir, dans aucun cas, aux vésicatoires ; et tous ont guéri. Il en a encore été de même de plus de trente cas de péricardite développée dans les mêmes circonstances. Et ces faits, on en conviendra, rendent l’utilité des vésicatoires, dans les phlegmasies aiguës de la poitrine, de plus en plus problématique.

Ce qui m’a conduit à supprimer, du traitement des phlegmasies thoraciques, les vésicatoires ; c’est, comme je l’ai dit ailleurs, parce que l’étude attentive des faits, et leur analyse rigoureuse, m’ont forcé de reconnaître que les affections inflammatoires aiguës, loin de préserver de l’inflammation les organes qui n’en sont pas affectés primitivement, en sont une cause excitante ; de manière que plus l’affection inflammatoire primitive est grave, et le mouvement fébrile qui l’accompagne, considérable, plus les inflammations secondaires sont à craindre. Et alors, comment croire que le vésicatoire puisse avoir pour effet d’enrayer une inflammation, puisque ce vésicatoire est lui-même une inflammation ajoutée à une autre ? Cette manière de raisonner n’était pas rigoureuse, j’en conviens ; ce n’était qu’un raisonnement par analogie : mais ce n’était pas une analogie tirée des animaux à l’homme, de l’homme sain à l’homme malade ; c’était une analogie tirée de l’homme malade à l’homme malade lui-même, une presque certitude : je pouvais, sans m’exposer à des reproches légitimes, essayer la suppression des vésicatoires dans les phlegmasies aiguës de la poitrine ; et il n’est personne, sans doute, qui ne convienne, après les faits qui viennent d’être exposés, qu’on a au moins beaucoup accordé aux vésicatoires dans les circonstances dont il s’agit ; et que, dans tous les cas, leur action doit être étudiée d’une manière rigoureuse.

Est-ce à dire, pour cela, qu’il faille supprimer le vésicatoire du traitement de toute espèce d’affection ? Assurément non. Je ne dirai pas même qu’il soit rigoureusement démontré qu’il n’est utile dans aucune phlegmasie ; je ne parle que de celles de la poitrine, dans lesquelles ses avantages ne sont ni démontrés rigoureusement, ni même probables. Mais ce qui est bien assurément hors de doute, ce qu’on ne saurait se lasser de dire, c’est qu’on ne connaît pas la valeur thérapeutique des vésicatoires ; qu’il faut l’étudier à l’aide de faits nombreux et bien observés, absolument comme si l’on ne savait rien à leur égard.

Un autre agent thérapeutique doit encore fixer l’attention du lecteur : je veux parler du sirop diacode, qui fut donné aux malades qui prirent du tartre stibié ; ce qui n’empêcha pas l’amélioration, qui suivit l’administration de ce dernier moyen, d’être prompte. Si dans cette circonstance le sirop diacode n’a pas été nuisible, doit-on l’attribuer à son association au tartre stibié ? J’en doute ; car nous n’avons guère, relativement à l’action des opiacés, dans le traitement des phlegmasies, que des raisonnemens ; et j’ai recueilli quelques faits qui montrent combien sont grandes nos préventions sur les effets de l’opium. L’opium, a-t-on dit, doit être écarté du traitement des affections dans lesquelles on observe des symptômes cérébraux, parce que son action sur l’encéphale n’a lieu qu’au moyen d’un engorgement des vaisseaux cérébraux, et que, par lui, on augmenterait le mal, au lieu de le diminuer. Mais qui a prouvé ce mécanisme ? Personne : comme personne n’a prouvé que les symptômes cérébraux dépendissent toujours d’un engorgement du système vasculaire de l’encéphale. Fondé sur ce double fait ; d’une part, sur ce qu’il n’est pas prouvé que les symptômes cérébraux, ceux qui sont accompagnés d’agitation des membres, par exemple, tiennent à un engorgement des vaisseaux cérébraux ; et de l’autre, sur ce que le mode d’action de l’opium est inconnu ; j’ai donné ce médicament à deux jeunes filles atteintes de danse de Saint-Guy, dans l’année qui vient de s’écouler ; et un soulagement immédiat a succédé à l’emploi de ce moyen, qui a conduit la maladie à une heureuse terminaison, dans l’espace de deux semaines. Quatre fois aussi, depuis quatre ans, j’ai donné le sirop diacode à des malades atteints d’affection typhoïde, qui avaient, depuis vingt-quatre ou quarante-huit heures, des soubresauts dans les tendons, en commençant par trois gros, portés rapidement à une once, dans la journée ; et dès le lendemain les soubresauts avaient diminué, pour ne plus revenir au point ou ils étaient avant l’administration de l’opium.

Quoi qu’il en soit, il résulte de l’analyse des faits contenus dans ce chapitre et dans le précédent :

1o Que la saignée a une heureuse influence sur la marche de la pneumonie ; qu’elle en abrège la durée ; que cependant cette influence est beaucoup moindre qu’on ne se l’imagine communément : de manière que les malades qui sont saignés dans les quatre premiers jours de l’affection, guérissent, toutes choses égales d’ailleurs, quatre ou cinq jours plus tôt que ceux qui sont saignés plus tard ;

2o Qu’on ne jugule pas la pneumonie au moyen de la saignée, du moins dans les premiers jours de la maladie. Et si on a cru le contraire, c’est sans doute parce qu’on aura confondu cette affection avec une autre ; ou parce que, dans quelques cas rares, les symptômes généraux diminuent rapidement après une première émission sanguine. Mais alors, les symptômes locaux n’en continuent pas moins à se développer, pour la plupart ;

3o Que l’âge a une grande influence sur la marche plus ou moins rapide de la pneumonie, et sur sa terminaison heureuse ou malheureuse ;

4o Que le tartre stibié donné à haute dose, quand la saignée paraît sans influence, dans les cas graves par conséquent, a une action favorable, et paraît diminuer la mortalité ;

5o Que les vésicatoires n’ont pas d’action évidente sur la marche de la pneumonie ; et qu’on peut les écarter, sans inconvénient appréciable, du traitement de la pleurésie et de la péricardite, qui se développent chez des sujets sains.

Cependant, malgré l’influence du tartre stibié, à haute dose, sur la marche et sur la terminaison heureuse de la pneumonie des sujets traités à la Pitié ; on dira, peut-être, que la mortalité de cet hôpital a été beaucoup plus considérable que celle annoncée par plusieurs médecins recommandables, dans les mêmes circonstances ; et en particulier par l’illustre Laennec.

On lit, en effet, dans son traité des maladies de poitrine, ce qui suit[4] : « J’ai traité en 1824, à la clinique de la Faculté, par le tartre stibié, vingt-huit pneumonies simples ou compliquées d’un léger épanchement pleurétique. Tous les malades ont guéri, à part un septuagénaire cachectique, déjà tombé dans la démence sénile, qui prit peu de tartre stibié, parce qu’il le supportait mal. Et cependant la plupart de ces cas étaient fort graves. Dans le cours de la présente année, etc., etc. : c’est un peu moins d’un sur vingt-huit. »

Un peu plus loin, page 504 : « Les résultats que je viens d’exposer sont plus heureux que ceux qui ont été publiés dernièrement de la pratique de M. Rasori ; je crois que cela peut tenir à deux causes : d’abord à ce que l’auscultation nous permet de reconnaître la péripneumonie beaucoup plus vite qu’on ne peut le faire par l’observation des symptômes ; et, en second lieu, à ce que, suivant toutes les apparences, beaucoup de cas de pleurésies simples, ou de pleuropneumonies avec prédominance de la pleurésie, se trouvent nécessairement compris sous le nom de péripneumonie dans le relevé de M. Rasori ; car il est impossible de distinguer l’un de l’autre ces divers cas, sans le secours de l’auscultation ; et nous avons déjà dit qu’on ne doit pas attendre du tartre stibié, dans le traitement de la pleurésie, des résultats aussi avantageux que dans le traitement de la pneumonie. »

Une première remarque, qui n’aura sans doute pas échappé au lecteur, au sujet de ces diverses assertions de Laennec, c’est qu’elles sont dépourvues de détails sur l’âge des sujets, sur le nombre des saignées qui leur furent faites, sur l’époque à laquelle on les fit, sur celle à laquelle le tartre stibié fut administré, sur la durée moyenne de la maladie, dans ces cas ; de manière qu’elles laissent beaucoup à désirer, et qu’on ne saurait comparer, avec d’autres, les faits indiqués par l’auteur.

Une seconde remarque beaucoup plus importante, c’est que, dans un certain nombre de cas, Laennec s’en remettait à l’auscultation, exclusivement, du soin de lui indiquer l’existence des pneumonies ; que la crépitation, indépendamment de tout autre symptôme local, lui paraissait suffire, pour arriver, d’une manière sûre, au diagnostic de cette affection : en sorte qu’il a dû admettre des cas de pneumonie, chez des individus qui n’offraient que de la crépitation, sans crachats rouillés, demi transparens ; sans une altération plus ou moins profonde du bruit respiratoire ; sans un degré quelconque d’obscurité du son de thorax, dans un point de son étendue.

Nous savons tous combien les sens de Laennec étaient exercés ; combien son oreille était fine. Cependant, comme la différence n’est pas très grande, entre le râle crépitant un peu gros (car il n’est pas toujours de la même finesse) et le râle sous-crépitant un peu fin ; Laennec a pu se tromper et prendre, dans un assez grand nombre de cas, l’un de ces râles pour l’autre. Alors il aura confondu le catarrhe pulmonaire aigu, qui atteint les dernières ramifications des bronches, et est accompagné de râle sous-crépitant, avec la pneumonie : et de là sans doute, l’immense et apparente différence qui existe entre ses résultats thérapeutiques et ceux que j’ai obtenus. Car le catarrhe pulmonaire aigu dont il s’agit, ne tue pas les hommes qui en sont atteints dans un état de santé parfait, quel que soit le traitement dirigé contre lui ; si ce n’est, peut-être, quand il est universel.

L’erreur de Laennec a sans doute été celle de quelques autres médecins après lui ; car on ne saurait s’expliquer d’une autre manière, comment des hommes habiles et honorables, dont on ne saurait soupçonner la probité scientifique, auraient obtenu des succès encore supérieurs à ceux de Laennec, dans le traitement de la pneumonie, au moyen des préparations antimoniales.

On s’explique encore, de la même manière, comment la pneumonie double est si fréquente pour les uns, et si rare pour les autres, chez les sujets qui guérissent ; de telle sorte que parmi les individus dont j’ai analysé l’histoire, dans ce chapitre, un seul de ceux dont la maladie eut une terminaison heureuse, fut atteint d’une pneumonie double. Encore, le poumon, affecté, secondairement, ne parut-il enflammé que dans une étendue fort peu considérable ; moindre que la largeur de la paume de la main. Il est bien rare, en effet, que dans le catarrhe pulmonaire aigu qui atteint les dernières ramifications des bronches, le râle sous-crépitant qui a lieu, n’existe pas des deux côtés de la poitrine ; en arrière et en bas.

On ne saurait donc trop le répéter ; l’auscultation, comme les autres moyens d’exploration les plus exacts, ne peut conduire à des conséquences vraies, qu’autant que ses résultats sont comparés à ceux obtenus par des moyens différens. Laennec lui-même en a fait un précepte qu’il n’a pas toujours mis en pratique, cependant.


Article II.

Effet des émissions sanguines dans l’érysipèle de la face.

J’ai recueilli, dans l’espace de temps indiqué plus haut, l’histoire de onze individus atteints d’érysipèle de la face, au moment ou ils jouissaient d’une santé parfaite ; et tous ont guéri, comme je l’ai vu constamment, dans les mêmes circonstances. Six d’entre eux ne furent pas saignés, et chez eux la durée de l’affection, à laquelle je n’opposai aucun purgatif, fut de huit jours un quart, terme moyen. Elle fut de dix jours et demi chez ceux qui furent saignés ; ce qu’en s’explique, sans peine, par le degré de la maladie qui était plus grave chez ceux-ci que chez les autres[5].

Une seule émission sanguine eut lieu chez quatre des sujets qui furent saignés, au troisième ou au quatrième jour de la maladie, laquelle dura six jours et demi dans un cas, dix et douze dans deux autres, seize dans le dernier, qui est relatif à un malade qui perdit vingt onces de sang au troisième jour de l’affection. Comment croire, après cela, qu’il soit si facile de juger l’érysipèle de la face ? Le cinquième et dernier malade perdit seize onces de sang en deux fois, aux troisième et sixième jour de l’érysipèle, qui avait disparu au huitième.

Ces faits conduisent aux mêmes conclusions que ceux de même espèce qui sont analysés dans le premier chapitre ; et ils déposent, comme eux, des bornes étroites de l’utilité de la saignée, dans le traitement de l’érysipèle de la face.

Je n’ai recueilli, dans le cours de mes conférences cliniques, que quatre cas d’angine gutturale ; trop peu, par conséquent, pour en faire l’analyse, et je passe à l’exposition des faits relatifs au troisième chapitre.

  1. Les chiffres placés au-dessus du tableau indiquent le jour où la première saignée a été faite : ceux de chaque colonne, de gauche à droite, le nombre de jours qu’a duré la maladie, le nombre de saignées faites, la quantité de sang tiré. Enfin, les chiffres soulignés indiquent que les malades auxquels ils appartiennent, ont pris du tartre stibié à haute dose.
  2. La convalescence de ce sujet, et celle des malades dont il s’agit dans ce chapitre, ont été fixées d’après les bases indiquées dans le chapitre premier.
  3. M. Andral est le premier, je crois, qui ait fait la remarque que la pneumonie du lobe supérieur était plus grave que celle du lobe inférieur. Il est vrai que parmi les individus qui meurent de pneumonie, l’inflammation du lobe supérieur est la plus fréquente ; mais il n’y a ici qu’une simple coïncidence, et la pneumonie du lobe supérieur n’est la plus grave, en apparence, que parce qu’elle attaque principalement les vieillards. En effet, la troisième partie, environ, des sujets dont nous analysons l’histoire, dans ce chapitre, était atteinte d’une pneumonie supérieure et avait, terme moyen, cinquante-quatre ans ; tandis que l’âge moyen de ceux dont le lobe inférieur était enflammé, était de trente-cinq ans seulement. D’un autre côté, un seul des sujets qui ont succombé, avait une pneumonie du lobe inférieur ; et ces faits, qui sont conformes à tous ceux que j’ai observés depuis trois ans, ne peuvent guère laisser de doute sur l’exactitude de ma proposition.

    D’ailleurs, la pneumonie du lobe supérieur étant, en quelque sorte, la pneumonie des vieillards, sa marche doit être un peu différente de celle du lobe inférieur, qui affecte de préférence les jeunes gens. Et en effet, la durée de la pneumonie du lobe supérieur, chez les sujets qui guérissent, surpasse celle du lobe inférieur, terme moyen, de trois jours ; différence qui est encore à-peu-près la même pour chaque symptôme en particulier. Ce fait confirme ce que j’ai dit, dans le chapitre précédent, de l’influence présumée de l’âge sur la marche de l’affection.

  4. 2e édit., 1er vol., p. 500.
  5. À peine s’il est nécessaire d’avertir le lecteur que j’ai fixé la durée de la maladie, dans ces douze cas, d’après les mêmes bases que pour les sujets du chapitre précédent.