Recherches sur les végétaux nourrissans/Article II

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des eſſais multipliés ont démontré être moins alimentaires que d’autres graines infiniment moins mucilagineuſes !

On objectera peut-être encore ici, que l’état & la conſiſtance de ces extraits muqueux peuvent ſervir auſſi à déterminer l’intenſité de leurs effets nutritifs ; mais nous pourrions également répondre à ces objections, s’il ne nous paroiſſoit pas plus raiſonnable de laiſſer à l’expérience & à l’obſervation le ſoin de prononcer ſur cet objet. Occupons-nous du mécanisme de l’aliment proprement dit, & tâchons, s’il eſt poſſible, de bien ſaire connoître ſes propriétés ſpécifiques, afin de le découvrir par-tout ou la Nature l’a placé : c’eſt-là du moins le but principal de nos recherches.


Article II


De la compoſition de l’Aliment.


Puiſqu’il eſt difficile, comme je viens de l’obſerver, de déterminer, d’après le réſultat de l’analyſe par la voie sèche & par la voie humide, le degré alimentaire d’une ſubſtance quelconque, combien la difficulté n’augmente-t-elle pas encore quand il s’agit de vouloir reconnoître, à la faveur de ce double moyen, la propriété particulière qu’on lui attribue indépendamment de celle qu’elle a de nourrir ?

En parlant des différentes ſortes de pain dont on ſait uſage dans le royaume, j’ai eu ſoin de ſaire remarquer que, quoiqu’on prétendît que le pain de froment convînt aux mélancoliques, celui d’épeautre aux eſtomacs foibles, celui de ſeigle aux tempéramens ſanguins, le pain d’orge aux goutteux, le pain de blé de Turquie aux perſonnes attaquées de la pierre, le pain de ſarraſin contre le dévoiement, enfin le pain de pomme de terre pour adoucir l’acrimonie des humeurs, il eſt poſſible que le premier jour où l’on ſe ſera nourri de l’un de ces pains, on ait aperçu quelqu’altération dans l’économie animale, parce que toutes les fois que l’on change d’aliment, de quelque nature qu’il ſoit, cette économie s’en reſſent les premiers jours ; mais l’habitude en eſt bientôt contractée : ainſi le pain dont on continue l’uſage un certain temps, n’importe ſon origine, pourvu que dans ſon eſpèce il ſe trouve de bonne qualité & bien ſabriqué, ne conſerve que ſa ſaculté alimentaire, comme toute eſpèce de vin produit la vertu cordiale & échaufſante.

Admettre une ſi grande diversité d’eſpèces d’alimens, accorder à chacun un effet particulier qui le caractériſe, indiquer les différens mélanges qu’il ſaut en ſaire, diſtinguer les propriétés qu’ils manifeſtent ſéparément, d’avec celles qu’ils ont, étant confondus & réunis pluſieurs enſemble, n’eſt-ce pas épuiſer les reſſources de la cuiſine, & donner de l’importance à cet art que l’attrait de la bonne-chère & le luxe des tables ont déjà rendu trop délicat, art qui ne doit cependant ſa ſupériorité qu’aux aſſaiſonnemens employés avec choix, & non aux qualités alimentaires ?

On ne peut douter que ſi la connoiſſance des alimens eût été approfondie de tous les temps, comme elle l’eſt à préſent, tant par le zèle éclairé & patriotique dont ſont animées les ſociétés ſavantes, que par la bienfaiſance des Hommes placés à la tête des grandes adminiſtrations, qui encouragent ceux qui dirigent leur temps & leurs connoiſſances vers cet objet, non-seulement il en ſeroit réſulté une foule d’avantages précieux, mais on auroit encore prévenu bien des maux : il étoit réſervé à notre ſiècle de s’occuper ſpécialement de matières relatives aux productions nutritives, & s’il eſt permis de l’avouer, c’eſt aux malheurs des années précédentes que nous ſommes redevables de la plupart des travaux entrepris à ce ſujet.

Convenons cependant que ces excellens Ouvrages, dans leſquels on trouve des théories auſſi profondes que lumineuſes, n’offrent rien de bien utile ſur cette denrée de première néceſſité la moindre dépenſe du riche, toujours la plus forte du pauvre, & ſouvent la ſeule qu’il puiſſe ſe procurer ; denrée dont l’habitude & les beſoins journaliers aſſurent une conſommation égale & indiſpenſable dans tous les temps. Ces différentes recherches n’ont donc encore rien procuré à l’homme du peuple, à cette claſſe d’autant plus intéreſſante., qu’elle eſt la plus nombreuſe & la plus expoſée à être trompée dans les alimens ſimples qui compoſent ſon repas frugal, par cela ſeul qu’elle eſt la plus miſerable, & que ſa fortune ne lui en permet pas le choix.

Si le foin de ſe nourrir & de remplir les pertes que nous faiſons continuellement, doit être le premier & le plus indiſpenſable de tous les ſoins, il eſt bien intéreſſant auſſi de connoître les propriétés eſſentielles qui caractériſent les ſubſtances deſtinées à cette fin, dans la vue d’indiquer ſoit les parties inutiles ou nuiſibles qu’il faut rejeter, ſoit celles qu’il eſt bon d’y ajouter, afin d’augmenter encore, s’il eſt poſſible, leur activité ; car il n’arrive que trop ſouvent que l’aliment ne produit pas tout ſon effet dès qu’il eſt mêlé & confondu avec une matière hétérogène, qui laiſſe preſque toujours après elle des traces fâcheuſes de ſon association.

Qu’il me ſoit permis d’avertir ici en paſſant, qu’on ne ſauroit être trop circonſpect lorſqu’il s’agit de propoſer des alimens autres que ceux qui ſervent à la nourriture ordinaire : Linnæus a donné une nomenclature de plantes propres à remplacer les grains en temps de diſette, ſans en indiquer la véritable préparation. Les Auteurs qui, à l’exemple de ce grand Naturaliſte, ont voulu rendre la Botanique utile au genre humain, ne ſe ſont pas aſſez attachés non plus aux moyens de ſaciliter l’uſage de leurs reſſources : on les voit tous les jours annoncer comme des découvertes nouvelles qu’on peut ſaire du pain avec le pied-de-veau, les ſemences de pavot blanc, l’aſphodèle, &c. par la raiſon que des malheureux preſſés par la ſaim, s’en ſont nourris dans des temps de détreſſe ; comme ſi l’hiſtoire ne nous apprenoit qu’alors la néceſſité ſemble nous diriger, pour ainſi dire, vers les ſubſtances les plus pernicieuſes : mais j’abrège cette digreſſion pour m’occuper de la compoſition de l’aliment.

Dans la multitude innombrable des végétaux que la Nature ſait croître pour fournir à nos beſoins & ſoulager nos maux, il n’y en a point qui ne contienne en plus ou moins grande quantité, la matière nutritive, & qui ne puiſſe par conſéquent ſervir d’aliment à quelqu’eſpèce d’animal que ce ſoit ; mais cette matière nutritive ſe préſente ſous des formes ſi variées, que pendant long-temps on a ſoupçonné qu’il exiſtoit pluſieurs corps auxquels il étoit poſſible d’attribuer la ſaculté alimentaire : cette opinion s’eſt même perpétuée juſqu’à ce qu’on ait mieux connu le mécaniſme de l’aliment, ſa manière d’être dans les individus qui le renfermaient, enfin quels étoient ſes véritables effets dans l’économie animale.

Les phénomènes de la digeſtion font voir qu’il y a dans l’aliment appartenant, ſoit au règne végétal, ſoit au règne animal, différentes ſubſtances ayant chacune des propriétés particulières néceſſaires à ſon eſſet : l’une eſt un mucilage plus ou moins parfait, que l’eau diſſout ; l’autre eſt une matière ſapide, ſouvent odorante, que nos organes aperçoivent aiſément, & que l’on doit conſidérer comme l’aſſaiſonnement ; enfin la troiſième eſt un corps ſolide, indiſſoluble, moins varié dans ſa forme & dans ſes effets que les deux premiers : ſa fonction principale eſt de leſter l’eſtomac.

On conçoit aiſément que ces trois ſubſtances qui conſtituent l’aliment en général, ſe rencontrent rarement enſemble dans le même individu, & que plus ſouvent elles ſe trouvent diſtribuées ſéparément dans les différentes parties de la fructification des Plantes ; c’eſt à l’art à connoître les moyens de les en extraire, & de les réunir enſuite dans des proportions relatives entre elles, puiſque de ces proportions combinées, il doit en réſulter une nourriture plus ou moins efficace & appropriée.

Il ſaut donc compter dans l’aliment proprement dit, trois ſubſtances diſtinctes, quelquefois réunies enſemble, que ſouvent il eſt poſſible d’obtenir à part, & que l’on peut combiner de manière à ne plus former qu’un corps homogène, ſuſceptible d’un ſeul effet, celui de nourrir ; il eſt vrai que l’on diſtingue aſſez communément cet effet par des épithètes ; on dit nourriture légère, nourriture ſolide & nourriture groſſière ; mais nous reviendrons ſur cet objet après avoir développé la nature & les propriétés des trois ſubſtances particulières qui, ſuivant notre opinion, compoſent eſſentiellement ce corps désigné ſous le nom générique d’aliment.


Article III
De la Matière nutritive.


Si la matière nutritive ne paroît pas avoir