Recherches sur les végétaux nourrissans/Article III

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parties de la fructification des Plantes ; c’eſt à l’art à connoître les moyens de les en extraire, & de les réunir enſuite dans des proportions relatives entre elles, puiſque de ces proportions combinées, il doit en réſulter une nourriture plus ou moins efficace & appropriée.

Il ſaut donc compter dans l’aliment proprement dit, trois ſubſtances diſtinctes, quelquefois réunies enſemble, que ſouvent il eſt poſſible d’obtenir à part, & que l’on peut combiner de manière à ne plus former qu’un corps homogène, ſuſceptible d’un ſeul effet, celui de nourrir ; il eſt vrai que l’on diſtingue aſſez communément cet effet par des épithètes ; on dit nourriture légère, nourriture ſolide & nourriture groſſière ; mais nous reviendrons ſur cet objet après avoir développé la nature & les propriétés des trois ſubſtances particulières qui, ſuivant notre opinion, compoſent eſſentiellement ce corps désigné ſous le nom générique d’aliment.


Article III
De la Matière nutritive.


Si la matière nutritive ne paroît pas avoir la même origine dans la plupart des corps où elle exiſte, & qu’elle ſoit ſuſceptible d’une foule de variétés, il ſaut avouer cependant que retirée par le moyen de l’eau, & réduite en conſiſtance d’extrait à la ſaveur de l’évaporation, elle réunit toujours aſſez de propriétés générales pour ſaire croire à ſon identité ; ainſi il n’eſt pas permis de douter que le mucilage diversement modifié, ne ſoit réellement la matière nutritive, puiſque dès la naiſſance d’une plante ou d’un animal, ce mucilage s’aperçoit, & qu’il ne les abandonne plus que long-temps après leur deſtruction, quelque changement qu’il leur ſoit arrivé pendant les différentes époques de la végétation & de la vie.

Les ſignes les plus marqués, auxquels on puiſſe reconnoître la matière nutritive, ſont de n’avoir ni ſaveur, ni odeur, ni couleur, de ne ſe laiſſer diſſoudre que par l’eau, dont elle partage la tranſparence & la limpidité, de permettre à ce fluide de ſe combiner avec elle en très-grande abondance, de paſſer aiſement à la fermentation, & de perdre en cet état une partie de ſa ſaculté alimentaire, d’avoir le toucher collant & viſqueux, de ſe charger de l’humidité de l’atmoſphère, de ſe bourſoufler ſur les charbons ardens, & d’exhaler une odeur de caramel ou de pain grillé ; enfin, de fournir par l’analyſe à feu nu, plus de produits flegmatiques & ſalins, que de produits terreux & huileux. Telles ſont les marques les plus ſenſibles qui peuvent ſervir à caractériſer la matière intéreſſante dont il eſt queſtion.

Toutes les fois que la ſubtance nutritive possède d’autres propriétés, elle les doit aux corps étrangers avec leſquels elle ſe trouve en combinaiſon ; ainſi la ſubſtance muqueuſe extractive, ſéparée des feuilles & des racines toujours humides par le moyen de l’eau, les gommes qui decoulent ſpontanément ou par inciſion du tronc & des branches de certains arbres, le ſuc gélatineux qu’on retire des fruits en briſant le tiſſu celluleux qui les renferme, la matière ſirupeuſe ſucrée, qu’on enlève aux tiges & aux fleurs à la faveur de l’expreſſion ou par le ſecours des abeilles ; enfin l’amidon, qu’on extrait des ſemences farineuſes en les ſoumettant à la fermentation, ne ſont absolument que ce mucilage plus ou moins pur, plus ou moins parſait, que l’on retrouve encore avec quelques modifications dans les animaux qui s’en ſont nourris.

Les différens états où ſe trouve la matière nutritive placée au milieu d’une infinité de ſubſtances de propriétés oppoſées & répandues en même temps dans toutes les parties de la fructification des Plantes, ces différens états, dis-je, de la matière nutritive, ont déterminé à en ſaire pluſieurs claſſes que l’on a déſignées ſous le nom de corps muqueux avec des épithètes qui annoncent ſon impreſſion ſur l’organe du goût.

Cependant, quelles que ſoient les raiſons qui aient pu porter à adopter la diſtinction établie à cet égard, je crois qu’il eſt poſſible de diviſer la ſubſtance qui nourrit, en corps muqueux ſapide & en corps muqueux inſipide ; ſous ces deux dénominations on peut ranger tous les alimens.

Le corps muqueux ſapide ſemble devoir ſon état à la préſence d’une matière ſaline, que la végétation ou le temps ont combinée au point de n’être preſque plus ſenſible à nos ſens. Les racines ſucrées, telles que la régliſſe nouvelle, le ſont infiniment plus que quand elles ſont deſſechées ; les tuyaux des graminées dans leur verdeur, les ſemences farineuſes en lait, ſont plus ſavoureux qu’après leur parſaite maturité ; ils le deviennent encore moins à mesure qu’ils s’éloignent de cette époque : mais indépendamment de la propriété alimentaire qu’a le muqueux ſapide, il possède encore excluſivement celle de paſſer à la fermentation ſpiritueuſe, & de produire par la diſtillation toutes les liqueurs fortes que nous connoiſſons.

La ſeconde claſſe du corps muqueux ſemble avoir été deſtinée plus ſpécialement à la nourriture de l’eſpèce humaine, & la Nature en lui refuſant la propriété de ſe réſoudre à l’air, & de prendre le mouvement de la fermentation ſpiritueuſe comme le muqueux ſapide, elle lui a accordé en revanche la ſaculté de ſe conſerver plus long-temps : on ſait, en effet, que les mucilages de l’eſpèce des gommes & l’amidon, font, pour ainſi dire, inaltérables dans leur état de pureté & de ſéchereſſe, & que diſſous dans l’eau, ils paſſent à l’acide ſans donner aucun ligne d’eſprit ardent ; il ne paroît pas du moins qu’on en ſoit venu à bout juſqu’à préſent, & ſi on en a obtenu, comme le prétendent quelques Auteurs, ce n’eſt qu’en raiſon des ſubſtances ſucrées qu’ils y ont mélangées.

La ſapidité du corps muqueux de la première claſſe, eſt toujours ou acide ou acerbe ou ſucrée ; il eſt rare qu’elle réſide dans les parties des végétaux qui conſtituent leur odeur forte & leur ſaveur piquante : on peut même avancer que le corps muqueux inſipide en eſt le correctif dès qu’on a pu parvenir à combiner l’un avec l’autre. La bryone, le méchoacan, le colchique, dont les racines, comme l’on ſait, purgent aſſez violemment, priſes en ſubſtance, n’ont preſque plus d’eſſet draſtique après qu’ils ont ſubi la cuiſſon. L’amidon, que ces racines renferment, adoucit leur âcreté à peu-près de la même manière que les gommes & les mucilages qu’on associe mécaniquement aux réſines dans l’intention d’en diminuer l’action trop corroſive.

On s’eſt donc trompé en croyant que la vertu principale des végétaux dépendoit de tous les principes qui les conſtituent, puiſque l’expérience démontre journellement qu’on peut à volonté les réunir, les ſéparer, & changer en entier par ce moyen, leur énergie & leur but. Les fécules des racines dénommées, étant bien lavées, n’ont plus que la propriété nutritive ; une ſimple opération, par exemple, ſuffit pour ôter à l’ellébore, ſa vertu purgative, & ne plus lui laiſſer que ſa vertu tonique qu’on développe par le feu : il y a, comme on voit, dans le même végétal, des parties iſolées plus eſſentiellement actives les unes que les autres.

Une longue infuſion, une décoction bruſquée, peuvent diminuer, déranger, anéantir ou développer les ſubſtances qui agiſſent en qualité de médicamens ; pluſieurs d’entr’elles doivent même quelque choſe de leur effet à la nature des différens menſtrues qu’on emploie néceſſairement pour les avoir à part, ſur-tout lorſqu’on a encore éguifé ces menſtrues par des matières ſalines qui ne laiſſent pas que d’ajouter encore au médicament lui-même.

Il n’en eſt pas ainſi de la matière nutritive ; l’eau ſans aucun agent, ſuffit pour l’extraire & la diſſoudre : c’eſt un produit de la végétation, ſur lequel le feu agit comme ſur tous les corps les plus ſolides, c’eſt-à-dire, qu’il en décompoſe une portion, & qu’il laiſſe à l’autre la ſaculté alimentaire ; mais, comme nous l’avons déjà obſervé, la matière nutritive ne conſtitue pas ſeulement l’aliment : elle a beſoin encore d’être associée à une ſubſtance qui puiſſe en relever la fadeur ; & cette ſubſtance eſt nommée aſſez ordinairement l'aſſaiſonnement. Voyons maintenant quelle en eſt la nature ?


Article IV


De l’Aſſaiſonnement.


Quoiqu’on ſoit fondé à regarder la ſobriété & l’exercice comme un des meilleurs aſſaiſonnemens des mêts, il ne ſaut pas croire pour cela que toutes les ſubſtances, ajoutées aux alimens dans des proportions convenables pour en relever la fadeur naturelle, ſoient toujours inutiles ou capables de préjudicier à l’économie animale ; il exiſte même une infinité de matières, dont il ſeroit impoſſible de tirer un parti avantageux, ſi on ne les