Recherches sur les végétaux nourrissans/Article VII

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donnant à ce viſcère, au lieu d’un mucilage délayé, peu aſſaiſonné, & enfin dépouillé de leſt, une matière au contraire abondante en leſt qui offre trop de réſiſtance aux organes digeſtifs ; tels ſont entr’autres le poiſſon & la viande bouillie, les épinards, l’oſeille les chicoracées, toutes ſubſtances enfin, que l’on rend en partie comme on les a priſes, parce que la cuiſſon qu’elles ont ſubie dans l’eau, les a réduites à l’état de ſquelettes fibreux, incapables de fortifier & de nourrir.


Article VII


De la Nourriture ſolide.


Si l’état des ſolides & des fluides qui conſtituent la machine animale, dépend de l’eſpèce & de la quantité de nourriture dont nous ſaiſons uſage ; ſi les bonnes ou mauvaiſes digeſtions influent d’une manière très-directe ſur notre exiſtence phyſique & morale, combien n’eſt-il pas important de connaître, autant qu’il eſt poſſible, le mécaniſme de l’aliment, & de faire en ſorte que la matière qui en réſulte, ſoit abondante & appropriée aux organes deſtinés à en opérer la digeſtion.

On doit obſerver quelques précautions dans le choix des alimens qui ne ſauroient être indiqués par des règles générales, puiſque chez les uns la viande ſe digère plus aiſément que les légumes, & que cette dernière nourriture eſt préférée par les autres. Perſonne, dit l’immortel Boërhaave, n’eſt en état de preſcrire avec connoiſſance, une nourriture convenable à des gens qui jouiſſent d’une bonne ſanté, à moins qu’on ne ſache l’eſpèce d’altération qu’elle éprouve par les tempéramens particuliers du corps qui doit les recevoir, par le degré d’exercice auquel on eſt accoutumé ; il ne ſuffit donc point de proportionner toujours la nourriture au travail, à la foibleſſe des vaiſſeaux & à la délicateſſe des organes de la digeſtion, il ſaut encore étudier la nature & la propriété des alimens, conſulter ſon eſtomac, &c.

Si les hommes, dont la conſtitution eſt frêle ou délicate, & qui languiſſent dans une ſorte d’oiſiveté, n’ont beſoin que d’une nourriture plus abondante en matière nutritive, qu’en ſubſtance deſtinée à leſter ; c’eſt le contraire pour ceux plus robuſtes, & dont la vie eſt très-active : l’uſage d’alimens aqueux paſſeroit trop vîte dans les entrailles ; il leur ſaut une nourriture plus ſolide, qui exige plus de travail de la part de l’eſtomac, & y ſéjourne un certain temps, afin que la grande capacité de ce viſcère ſoit remplie ſans être ſurchargée.

Quelle que ſoit la nourriture qui réſulte de l’aliment compoſé, tel que nous l’avons déjà dit, elle doit avoir deux qualités eſſentielles ; 1.° offrir ſuffiſamment de réſiſtance aux organes digeſtifs ; 2.° contenir des ſucs propres à réparer les pertes de l’économie animale. Les hommes livrés à l’étude, qui ne font point aſſez d’exercice, ne doivent ſe nourrir que d’alimens légers approchant le plus des humeurs animales : mais ceux qui ſe ſatiguent par un travail dur & pénible, ſe trouveront infiniment mieux d’alimens ſolides, à cauſe du grand frottement que ceux-ci éprouvent.

Il ſeroit poſſible de rendre l’aliment léger ou ſolide à volonté, en l’étendant dans l’eau ou le concentrant par l’évaporation ; l’eſtomac eſt ſouvent trop foible pour agir ſur une maſſe épaiſſe & abondante, les ſucs ne peuvent la pénétrer, la diſſoudre & la changer en notre propre ſubſtance, qu’arrive-t-il ? elle ſéjourne peu dans l’eſtomac, & eſt précipitée par ſon poids dans les entrailles, ce qui ſait que l’appétit reparoît bientôt avec plus de fureur qu’auparavant ; il n’eſt perſonne qui n’ait éprouvé cet effet en mangeant du riz ou des panades trop épaiſſes, des pâtiſſeries tenaces ou viſqueuſes.

On doit entendre par nourriture ſolide, celle qui contient à peu-près un tiers de ſon poids de matière inſoluble que nous avons nommée le leſt ; ainſi toutes fortes de pain bien ſabriqué, dans la compoſition duquel il n’entre point de ſon, les ſemences légumineuſes, les pommes de terre, la châtaigne, la chair des animaux adultes, toutes ces ſubſtances en un mot, formeront une nourriture ſolide, ſur-tout lorſque l’une eſt aſſociée à l’autre : c’eſt à l’uſage, à l’expérience & à la raiſon à en déterminer la quantité, le choix, les mélanges & la préparation.

S’il eſt néceſfaire que l’aliment contienne autre choſe que la matière nutritive & l’aſſaiſonnement, pour agir en qualité de nourriture ſubſtantielle & ſolide, on doit ſentir de reſte combien toutes ces poudres ou tablettes nutritives, achetées des ſommes immenſes par le Gouvernement, & vantées avec excès par leurs Auteurs, comme des reſſources aſſurées dans les circonſtances de diſette, ne ſont nullement propres à juſtifier l’idée avantageuſe qu’on s’en eſt formée. On peut ſans doute concentrer la matière nutritive ſans anéantir ſes eſſets ; mais elle ne convient que dans le cas où la nourriture légère eſt indiquée : nous en dirons davantage lorſqu’il s’agira d’apprécier à leur juſte valeur, l’utilité de ces reſſources.

Nous le répétons : la ſeule ſubſtance propre à nous nourrir, eſt le mucilage que la cuiſſon rend eſſentiellement le même dans tous les alimens ; mais ſi ce mucilage eſt abondant, qu’il ſoit déjà étendu dans une grande quantité de fluide qui le faſſe agir promptement & ſans ſatiguer, alors il devient une nourriture légère ; quand au contraire la matière nutritive fera moins délayée, qu’en outre elle ſe trouvera mêlée avec une ſubſtance ſolide & indiſſoluble, elle agira alors d’une manière plus lente, & occaſionnera aſſez de travail à l’eſtomac pour le tenir occupé ; enfin l’aliment produira l’effet d’une nourriture groſſière dès que le leſt y dominera. Arrêtons-nous ſur cette troiſième diſtinction de la nourriture conſidérée par rapport à les effets dans l’économie animale.


Article VIII.


De la Nourriture groſſière.


L'expérience & l’obſervation prouvent journellement, ainſi que nous avons déjà eu l’occaſion de le faire remarquer, que la quantité de ſubſtance que nous prenons en qualité d’alimens, n’eſt point néceſfaire absolument à la nourriture, & que le produit des digeſtions ne paſſe pas en totalité dans la maſſe du ſang par les vaiſſeaux lactés ; il eſt bon néanmoins que les alimens ſoient dans des proportions ſuffiſantes, & atténués de manière à ce qu’ils n’offrent point à l’eſtomac trop de travail, & ne ſatiguent ce viſcère par leur état groſſier & indiſſoluble.

Un des moyens d’aſſurer à la Patrie une riche population, & à l’Agriculture des bras vigoureux, c’eſt que l’homme du peuple ſoit bien ſubſtanté, que les alimens dont il fait