Recherches sur les végétaux nourrissans/Article VI

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ſpécifier les caractères les plus généraux ; il convient maintenant d’examiner ſi la nourriture qui en réſulte, n’opère point ſon effet en raiſon de la matière qui y domine.


Article VI


De la Nourriture légère.


Il ſemble que la Nature ait aſſigné à l’homme, l’uſage qu’il doit faire des dons qu’elle lui prodigue en accordant aux végétaux, qu’elle a le plus évidemment deſtinés à remplir nos beſoins, des propriétés capables de les ſatiſfaire tous ; ainſi les fruits, par exemple, qui renferment beaucoup d’humidité, & la plupart un principe piquant ou aigrelet, paroiſſent avoir été formés particulièrement pour étancher la ſoif ; les ſemences farineuſes, plus conſiſtantes & moins ſavoureuſes, pour appaiſer la ſaim ; les écorces, plus ſapides, pour aſſaiſonner les mets ; enfin, les feuilles, les tiges, & preſque toutes les racines, extrêmement abondantes en matière fibreuſe, pour ſervir de leſt. Ces quatre ordres de parties des végétaux, malgré la diſtinction que nous établiſſons entre elles par rapport à leurs principes dominans, ne ſont dépouillés aucuns de la ſaculté alimentaire, & le mucilage qu’ils renferment tous, ſous différens états, ſe rencontre encore dans les animaux qui s’en ſont nourris, mais tellement changé & élaboré, qu’il ne lui reſte plus qu’un ſeul & même caractère, celui de gelée.

Si l’eſpèce & la quantité de nourriture, ſi la manière de la préparer, devoient toujours être réglées ſur l’âge, le tempérament, le climat, l’habitude & le genre de travail auquel on eſt livré, il ſeroit également néceſfaire que les ſubſtances végétales & animales, deſtinées toutes entières à ſervir d’aliment, continſſent aſſez d’humidité, afin que la matière nutritive fût toujours dans un certain degré de molleſſe & de flexibilité, pour ſe prêter aux différentes opérations qui doivent les convertir en chyle.

Toutes les parties qui appartiennent au règne végétal & animal, je ne ſaurois trop le répéter, possèdent une matière ſuſceptible de nourrir ; mais il y en a dans leſquelles le temps & les élaborations ont tellement racorni, deſſéché & combiné cette matière, que ſans une macération ou une décoction préalable, il ſeroit impoſſible aux agens digeſtifs d’en obtenir aucune nourriture.

Je ſais bien que quand les hommes ſont forts, & qu’ils ſatiguent par l’exercice, il n’y a point d’aliment que leur eſtomac ne puiſſe digérer ; mais, lorſque d’une part la conſtitution eſt foible, que de l’autre, l’aliment a une ſorte de ſolidité, il faut bien pour en obtenir une nourriture légère, ſéparer la matière nutritive, & la débarraſſer de toute ſubſtance fibreuſe, telles ſont les extraits, les gelées & les robs qu’on retire des bois, des écorces, des os, des cornes, &c. toutes matières ſolides qui, diviſées & avalées dans cet état, opéreroient plutôt l’effet du leſt, que celui d’une nourriture légère : car enfin, pour qu’une ſubſtance nourriſſe, il ſaut qu’au moins l’eſtomac en diſſolve une partie.

Le mucilage étendu & combiné avec l’aſſaiſonnement, accompagné de moins de leſt poſſible, produira conſtamment l’effet d’une nourriture légère ; la chair tendre des jeunes animaux, le pain le plus blanc & le mieux levé, quelques fruits ſucculens, les plantes les plus aqueuſes, les œufs frais, le lait ; enfin, toutes les ſubſtances plus abondantes en parties fluides qu’en parties ſolides, méritent d’être placées au rang des corps ſuſceptibles de produire l’effet d’une nourriture légère.

L’aſſaiſonnement doit, comme il a déjà été obſervé faire partie de l’aliment ; mais il ſaut être en même-temps bien en garde contre ſon uſage trop grand, parce que tout ce qui irrite & augmente la circulation, ſatigue les organes, & abrège la durée de la vie. M. Tiſſot, dans ſon Traité ſur la ſanté des Gens de Lettres, remarque que, quoique l’apprêt le plus ſimple ſoit le plus ſalutaire, il ne ſaut cependant pas proſcrire tous les aſſaiſonnemens de la claſſe des mêts deſtinés à former la nourriture légère, parce que les fibres lâches de leur eſtomac, dont l’action n’eſt pas toujours animée par le mouvement, ont beſoin de quelques légers stimulans qui les tirent de leur état d’engourdiſſement.

Souvent on déſigne la nourriture légère ſous le nom d’alimens médicamenteux, parce que c’eſt dans l’état de convaleſcence ou durant une maladie chronique, que l’uſage en eſt indiqué par le Médecin ; mais il eſt néceſſaire de conſidérer que toutes les fois que l’aliment eſt associé avec le médicament, il n’agit plus comme tel : la caſſe & la manne, ſont très-muqueuſes ; la bryone, le pied-de-veau, le colchique ſont très-farineux, cependant toutes ces ſubſtances purgent & ne nourriſſent point : l’aliment a une action douce & tranquille, il répare les pertes de l’économie animale : le médicament, au contraire, a un but entièrement oppoſé, & opère un effet infiniment plus marqué ; il n’y a donc point d’aliment médicamenteux proprement dit. Celui, auquel on eſt convenu de donner ce nom, n’eſt autre choſe que la ſubſtance nutritive elle-même, la plus pure, la plus atténuée, & dégagée autant qu’il eſt poſſible, de la matière fibreuſe, d’où réſulte la nourriture légère.

Les purées des ſemences légumineuſes, les décoctions muqueuſes, les gelées de corne de-cerf, &c. portent ſouvent le nom d’alimens médicamenteux ; on prétend même que la plupart poſſèdent des propriétés aſtringentes, parce que ſouvent leur uſage a arrêté des dévoiemens & guéri des maux d’eſtomac. Le lait, le ſucre, le miel, les farineux légers, le pain bien levé, ſont encore ſuivant ce principe, des alimens médicamenteux ; c’eſt-à-dire, qu’en nourriſſant beaucoup & promptement, ils réparent les pertes & les déſordres en agiſſant comme des mucilages doux, peu aſſaiſonnés & qui ne ſatiguent point.

Un bon choix dans les alimens, & beaucoup de prudence pour en uſer, voilà ſouvent ce qui devient des remèdes ſalutaires dans une infinité de cas. L’expérience fait voir que les hommes qui ne ſont pas ſuffiſamment nourris, ou que leur pauvreté condamne à ne ſe nourrir que d’alimens trop groſſiers ou détériorés, ſont radicalement guéris du ſcorbut & de beaucoup d’autres dépravations des humeurs, par l’uſage d’une nourriture plus abondante, plus ſubſtantielle & plus appropriée aux organes.

J’obſerverai en terminant cet article, qu’il y a une infinité de circonſtances où ayant intention de réparer par une nourriture légère les forces épuiſées, on ſatigue l’eſtomac en donnant à ce viſcère, au lieu d’un mucilage délayé, peu aſſaiſonné, & enfin dépouillé de leſt, une matière au contraire abondante en leſt qui offre trop de réſiſtance aux organes digeſtifs ; tels ſont entr’autres le poiſſon & la viande bouillie, les épinards, l’oſeille les chicoracées, toutes ſubſtances enfin, que l’on rend en partie comme on les a priſes, parce que la cuiſſon qu’elles ont ſubie dans l’eau, les a réduites à l’état de ſquelettes fibreux, incapables de fortifier & de nourrir.


Article VII


De la Nourriture ſolide.


Si l’état des ſolides & des fluides qui conſtituent la machine animale, dépend de l’eſpèce & de la quantité de nourriture dont nous ſaiſons uſage ; ſi les bonnes ou mauvaiſes digeſtions influent d’une manière très-directe ſur notre exiſtence phyſique & morale, combien n’eſt-il pas important de connaître, autant qu’il eſt poſſible, le mécaniſme de l’aliment, & de faire en ſorte que la matière qui en réſulte, ſoit abondante & appropriée aux organes deſtinés à en opérer la digeſtion.