Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XX

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Antoine Parmentier
Article XX -
Manière de rendre comeſtibles
les Semences & Racines ſarineuſes.


fomentation pour discuter & résoudre ; la racine est aussi fort charnue : rien n’est moins rare que ce petit sureau.

Les accidens arrivés à ceux qui se sont endormis à l’ombre d’un sureau en fleur, doivent apprendre à jamais à se méfier de pareilles émanations, qui produisent souvent les mêmes effets que l’usage intérieur des substances auxquelles elles appartiennent. On a vu des femmes qui, pour avoir demeuré un certain temps dans le voisinage de la belladone lors de sa floraison, avoient gagné un violent mal-de-tête & même des vertiges, comme si elles eussent mangé des fruits ou baies de cette plante, &c.


Article XX.


Manière de rendre comestibles les Semences & Racines farineuses, dont il est nécessaire d’extraire l’amidon.


Pour remplir complètement l’énoncé de cet article, il s’agit de deux opérations principales : l’extraction de l’amidon, & le mélange de cette substance avec une matière glutineuse, pour en former après cela, à l’aide de la fermentation & de la cuisson, un véritable pain ; mais comme cet objet a déjà été développé dans le plus grand détail lors de la fabrication du pain de pommes de terre, je me bornerai à en rappeler le plus essentiel.

On prend par exemple les marrons d’Inde récemment mûrs & dépouillés de leur écorce ; on les divise à la faveur du moulin-râpe, dont on trouvera la description à la fin de cet Ouvrage : l’eau ajoutée à la substance râpée, passe à travers un tamis de crin serré, & entraîne avec elle une matière qui se dépose insensiblement au fond d’un vase de terre ou de bois, destiné à la recevoir ; au bout de quelque temps, on décante la liqueur qui surnage, on décante le dépôt, on le lave à diverses reprises avec de nouvelle eau jusqu’à ce qu’il soit parfaitement insipide on l’expose ensuite a la plus douce chaleur ; à mesure qu’il se sèche, il blanchit, & présente une substance friable, sans couleur, sans saveur & sans odeur, ayant tous les caractères qui appartiennent à l’amidon.

C’est en suivant le même procédé, qu’on retire du gland, l’amidon qu’il renferme ; on peut seulement se dispenser de dépouiller le fruit de son enveloppe.

De toutes les Plantes indiquées précédemment, la racine ou son écorce est la seule partie propre à l’objet que nous traitons ; il s’agit de la cueillir de préférence en automne, de la choisir fraîche & succulente, de la monder de ses filamens chevelus & de ses tuniques colorées, de la nettoyer & de la laver au point que l’eau qui en sort, soit transparente & sans couleur : ce premier soin rempli exactement, il est nécessaire de diviser la racine par le moyen du moulin-râpe, & de ne pas épargner l’eau destinée à débarrasser l’amidon de ses entraves fibreuses, muqueuses & résineuses ; dès qu’une fois on est bien assuré par des lotions réitérées qu’il en est entièrement dépouillé ; on le décante & on le sèche à la plus douce chaleur.

Comme toute l’amertume du marron d’Inde, l’âpreté du gland, la causticité du pied-de-veau & des renoncules, l’âcreté brûlante de la bryone & du colchique, &c. restent dans l’eau qui a servi à la séparation & aux lavages de l’amidon, il convient toujours de se servir d’instrumens de bois pour agiter le mélange ; car si on y trempoit les mains, on pourroit être exposé à des fluxions érésipélateuses ou à des picotemens douloureux occasionnés par l’acrimonie des sucs de la plupart de nos végétaux.

Les amidons retirés des semences & racines mentionnées, étant bien lavés & séchés, sont absolument semblables entr’eux ; mais il ne suffit point de les avoir séparés des corps où ils se trouvent renfermés, il faut encore dire comment il est possible de s’en nourrir : on peut les introduire seuls ou mélangés avec la pulpe de pommes de terre, dans la pâte des différens grains, pour augmenter la quantité de pain : on peut en préparer du pain sans le concours d’aucune farine, d’après le procédé que nous avons décrit précédemment ; mais si la pomme de terre venoit aussi à nous manquer, on trouveroit l’excipient & le moteur fermentescible, dans les fruits pulpeux de la famille des cucurbitacées, tels que le potiron, la citrouille, que l’on fait entrer quelquefois dans la pâte de froment à différentes doses : enfin, à défaut de tous ces secours, les amidons représentant la farine, serviroient encore a la nourriture ; il suffiroit de les délayer dans un véhicule quelconque pour en obtenir une bouillie ou une gelée très-alimentaire.

Nous avons employé indistinctement tous ces amidons sous différentes formes, & il ne nous a pas été possible d’y distinguer le végétal qui leur avoit servi de berceau & d’enveloppe ; dans le cas même où ils présenteroient une légère variété dans leur saveur, dans leur odeur & dans leur couleur, il faudroit l’attribuer aux plus ou moins de lavages, plutôt qu’à une différence essentielle dans leur nature.

Son Altesse Royale le Prince Ferdinand de Prusse m’a fait l’honneur de m’adresser la recette d’un gâteau de marrons d’Inde, préparé sous ses yeux, & qu’on avoit trouvé fort délicat : cette recette consiste à mêler l’amidon de ce fruit avec des œufs, du beurre, des écorces de citron & de la levure de bière.

Les Plantes vénéneuses peuvent donc sans danger prêter leur secours aux hommes dans une circonstance de disette, mais la méthode proposée suffit-elle pour faire d’un médicament actif & souvent destructeur, un aliment doux & salubre ! Quoique l’expérience & l’observation ne laissent aucun doute à ce sujet, pour s’en convaincre de plus en plus, rappelons-nous que les Insulaires du nouveau Monde n’emploient pas d’autres pratiques pour enlever à la racine du magnoc & de l’yucca, les sucs vénéneux qu’elle renferme, & obtenir du marc exprimé & cuit, la cassave, galette dont ils se nourrissent en quelque temps que ce soit, ou bien une farine qu’ils conservent un temps infini pour s’en servir au besoin sous la forme de bouillie. Rappelons-nous que l’amidon étant indissoluble à froid dans tous les fluides, il peut, comme un corps solide & isolé, flotter au milieu de véhicules colorés, odorans & sapides, sans participer en aucune manière à leur nature & a leurs propriétés. Rappelons-nous que tous ces remèdes désignés par les Pharmacologistes sous le nom impropre de fécule, auquel on attribuoit la propriété des Plantes d’où on les retiroit, sont abandonnés maintenant, parce qu’on a remarqué qu’ils étoient absolument dénués de toute vertu médicinale. Rappelons-nous enfin que malgré les déguisemens sans nombre sous lesquels l’amidon se présente, c’est toujours lorsqu’il est parfaitement lavé, un seul & même corps, dans lequel il est impossible aux organes les plus fins & les mieux exercés, de saisir la moindre trace du végétal d’où il a été séparé.

Si, comme on l’a cru pendant long-temps, l’amidon étoit la substance elle-même du végétal, réduite en poudre, il ne pourroit certainement pas être dissous en entier dans l’eau sans laiſſer en-arrière un résidu fibreux ; s’il étoit formé des mêmes principes qui constituent les substances âcres, corrosives & amères d’où on l’extrait nécessairement, la fermentation, ainsi que la cuisson, y développeroient quelques-unes de leurs propriétés : mais après avoir fait cuire différens amidons seuls sans ajouter aucun assaisonnement afin de ne rien masquer, & après les avoir donné à goûter a plusieurs personnes, elles n’y ont reconnu qu'une parfaite insipidité, caractère de la matière alimentaire.

On ne peut donc se dispenser de considérer l’amidon comme un principe particulier à part dans les Plantes, dont la fineſſe & la division extrême annoncent qu’il a été d’abord dans l’état de fluidité, & déposé ensuite comme par précipitation, ainsi que beaucoup de nos médicamens qui ne peuvent acquérir ce degré de ténuité, qu’après avoir été dissous & étendus dans une très-grande quantité de véhicule.

Sans attendre la fatale circonstance qui nécessiteroit les ressources que je propose, ne seroit-il donc pas possible de les faire servir en tout temps aux objets de luxe pour lesquels on sacrifie si souvent les meilleurs grains ? M. Baumé, le premier qui ait parlé de l’amidon d’une manière claire & précise, dit dans ses Élémens de Pharmacie, qu’ayant donné à examiner à un Parfumeur une des fécules bien lavées, qu’il avoit retirées de la bryone, celui-ci n’avoit trouvé aucune différence d’avec l’amidon de froment ; j’ai aussi confié ces amidons pour savoir si le linge acquerroit de la roideur & de l’éclat ; on s’en servit sur des blondes & des dentelles, & je chargeai un Perruquier de les employer dans ses accommodages : j’appris que dans tous ces essais, ils pouvoient fort bien équivaloir l’amidon de blé.

Il est donc démontré que l’amidon étant de la même nature dans les différentes parties de la fructification des Plantes, il pourroit être employé dans tous les cas où celui du blé est nécessaire ; les racines des Plantes vénéneuses incultes, dont nous donnerons bientôt une liste, sont assez abondantes dans le Royaume pour fournir à la consommation de l’amidon, sans qu’il soit nécessaire d’en faire des semis & des plans, comme on l’a proposé ; l’opération pour l’en extraire, n’est ni plus dispendieuse, ni plus pénible que celle adoptée pour les semences : dans le premier cas, l’amidon est lié en partie avec un mucilage qu’il faut détruire par la fermentation ; dans le second cas, au contraire, il suffit de déchirer les réseaux fibreux qui le renferment : le reste du travail n’est pas différent de la pratique usitée dans les ateliers des Amidonniers.

On a déjà indiqué, il est vrai, le marron d’Inde, la féve blanche & le blé de Turquie, pour l’objet en question, mais autant valoit-il dire leur farine, puisqu’il s’agissoit seulement de faire sécher ces différentes semences, & de les réduire en poudre ; or pour en retirer l’amidon, il faut râper les marrons d’Inde, & abandonner la fève blanche à la fermentation : à l’égard du blé de Turquie, il en contient trop peu pour le destiner à cet usage ; il vaut infiniment mieux s’en nourrir ou en en traiter la volaille.

Ce ne sont, je le répète, que les Plantes sauvages, dans lesquelles la Médecine & les Arts n’ont trouvé aucune ressource, qu’on devrait consacrer à la fabrique de l’amidon ; ce seroit sans doute une économie réelle pour l’État qu’on ne permît pas d’autre amidon que celui-là, parce que l’on épargneroit une grande quantité de grains qui pourraient servir avec plus d’avantage & d’utilité à notre subsistance journalière, car on sait que les Amidonniers, faute de pouvoir se procurer des blés gâtés, n’emploient que trop souvent les meilleurs grains.

Si je ne me suis pas attaché à la description bien exacte des végétaux que je propose, & à l’exposition de leurs espèces plus ou moins nombreuses, c’est par la raison que les uns sont connus de tout le monde, & que les autres,s’emploient en Médecine de temps immémorial. J’ai tâché seulement d’indiquer par les signes les plus propres à les caractériser, ceux avec lesquels on n’est point encore aussi familiers. Au reste, je me suis spécialement occupé à rassembler les Plantes indigènes qui viennent assez abondamment sur tous les lieux incultes, & dans lesquelles la matière farineuse qu’elles renferment, est absolument perdue pour la société. Dans le nombre, il en est deux, la pivoine & l’astragale, qu’on cultive dans nos jardins, & qui sont par conséquent une exception ; mais c’est pour montrer que ce qui n’est qu’agréable dans les temps d’abondance, pourroit devenir utile lors des disettes.

Il s’en faut bien que j’aie intention de publier un livre de Botanique, ni d’offrir le tableau de toutes les Plantes dont il faudroit nécessairement retirer l’amidon ; il y en a même beaucoup de cette classe que j’ai examinées, & dont je ne fais aucune mention, parce qu’elles ne sont pas assez communes, qu’elles contiennent trop peu d’amidon, ou bien qu’elles passent trop rapidement à l’état ligneux pour devenir une ressource dans les disettes ; telles sont la cynoglosse, la petite chélidoine, le chardon-roland, la bardane, l’enula-campana, le fenouil, &c.

On pourra donc ajouter à ma liste une foule d’autres Plantes reconnoissables à ce caractère ; toutes les fois qu’en divisant une substance végétale, charnue & fraîche par le moyen d’une râpe, & qu’en délayant la pâte dans l’eau, cette pâte passée à travers un linge serré, déposera plus ou moins vîte un sédiment blanc qui, mis dans une cuiller sur le feu, prendra la consistance & la forme d’une gelée, on pourra en conclure avec certitude qu’elle contient de l’amidon.

Je ne parlerai pas non plus ici des moyens de multiplier par leurs racines & par leurs graines, les végétaux dont il s’agit, ni je ne conseillerai de couvrir les bonnes terres avec des Plantes vénéneuses ; c’est bien assez que nous sachions ce qu’on peut en faire dans les temps de disette, sans qu’on veuille encore en étendre l’emploi au-delà des bornes qui leur sont prescrites : c’est comme si quelqu’un conseilloit de faire de l’eau-de-vie ou du vinaigre avec du sucre pour économiser le vin : il suffit que l’on soit instruit que dans un besoin urgent on pourrait retirer de ce sel essentiel, ces deux produits de la fermentation.

Une de nos Académies ayant demandé pour le sujet d’un de ses Prix, des Mémoires sur les Plantes qui pouvoient le plus efficacement suppléer à une disette de grains, un Citoyen agricole proposa de cultiver les anémones, & un autre, les iris ou flambes : c’étoit réunir l’agréable à l’utile, & il ne manquoit à cette idée que d’y joindre le ridicule projet de métamorphoser toutes les plaines de la Beauce en un vaste parterre. Si j’avois à proposer la culture de quelques Plantes nouvelles, je me garderois bien de donner la préférence à celles où le poison est si voisin de l’aliment ; je choisirois celles reconnues pour être les plus substantielles, les plus saines & les moins assujetties aux caprices des saisons, dont les fruits de récolte & de culture seroient peu dispendieux, qui croîtraient abondamment dans tous les terreins, même ceux les plus médiocres, & deviendraient en un moment une nourriture bienfaisante : on sent bien qu’alors les pommes de terre triompheroient. Quelle est en effet la plante connue qui pourroit lui disputer ces avantages ?

Dans le nombre des végétaux que je propose, il en est deux espèces que l’on aura toujours sous la main, le marron d’Inde & le gland ; les arbres qui portent ces deux fruits, sont l’un trop utile, & l’autre trop agréable pour jamais manquer dans nos forêts & dans nos jardins ; quant aux autres, leur abondance ne pourroit-elle pas être comparée à celle de deux Plantes que l’on mange au printemps en salade, la raiponce & le pissenlit ? Rien n’est plus commun, rien n’est moins cultivé.

Le riz, comme l’on sait, tient le premier rang dans les autres régions de la Terre, comme le froment parmi nous ; mais les différentes tentatives essayées pour en faire du pain, n’ont été suivies d’aucun succès ; ce seroit même une folie en temps de disette de s’obstiner à vouloir lui donner cette forme, ou de le mêler avec les substances qui y sont propres ; sa farine, quelque blanche qu’elle soit, étant confondue avec celle du meilleur blé, rend le pain qui en résulte, compact, indigeste & très-susceptible de se durcir. Le riz est si sain, crevé simplement à l’eau, & relevé par quelqu’assaisonnement, qu’il est absolument inutile d’invoquer d’autre préparation pour en faire un bon aliment ; ainsi, quand il surviendroit disette de blé ou de seigle dans des contrées où il y auroit en même-temps abondance de riz, il ne faudroit apprêter & manger ce grain qu’à là manière des Orientaux.

On ne peut se dissimuler que ces mêmes peuples ne soient comme nous exposés à des disettes qui les forcent aussi à avoir recours à des supplémens ; car enfin, le riz manque quelquefois ; l’humidité sangeuse, au milieu de laquelle il germe, croît & murît, ne le respecte pas davantage que les autres productions, & dans le temps précisément où l’esprît de système affirmoit que chez les peuples qui vivent de riz, on n’éprouve jamais de disette, & l’on n’a point à craindre de monopole, M. l’Abbé Beaudeau observa que tout le Bengale où l’on n’a pas d’autre aliment, perdoit un tiers de ses habitans par la famine. Le défaut de récolte & le monopole le plus atroce des Anglais qui règnent sur ce malheureux pays, en étoient les causes.

On connoit aussi des supplémens plus ou moins salutaires dans ces contrées : ils sont indiqués dans les Ouvrages de Linnæus, de Rumphius & de Gesner. D. Xavier Marotti les a rassemblés sous un point de vue plus rapproché ; il en a composé plusieurs Dissertations, que M. Berteaud a traduites de l’Italien, & qu’il a insérées à la fin de l’Art du Boulanger, Édition de Neuchâtel. Nous aurons occasion de rappeler dans la suite ce Recueil estimable.

Mais s’il me falloit faire l’énumération de toutes les parties des végétaux, essayées ou proposées pour remplacer les alimens de premier besoin, je m’engagerois dans une immense nomenclature. Indépendamment des travaux que nous venons de citer, il seroit essentiel de compulser tout ce qui est épars à ce sujet dans les différens Ouvrages périodiques ; cependant je ne dois pas oublier de parler de la Phythographie de la Lorraine, publiée par M. Villemet, & couronnée par l’Académie de Nanci. Il seroit à souhaiter que les capitales de chacune de nos provinces possédassent un Botaniste aussi zélé & aussi bon patriote que l’est ce célèbre Pharmacien, & qu’après avoir parcouru les champs, les prairies, les bois & les montagnes des environs, ce Patriote voulût bien, comme lui, en décrire toutes les richesses ; ce seroit sans doute l’unique moyen d’enrichir le domaine de la science des Plantes, de faire connoître celles qui sont salutaires ou nuisibles aux hommes & aux animaux, & les ressources qu’en retireroient les Arts. M. Bonamy a déjà fait pour Nantes, & le Frère Louis pour Rennes ce que, vient de faire M. Villemet pour sa patrie. Les Botanistes n’ont certainement pas de moyens plus efficaces pour rendre leurs travaux & leurs veilles utiles au genre humain.

Disposé par goût à rendre hommage aux recherches utiles, je suis bien éloigné de vouloir affoiblir les obligations que l’on doit aux Auteurs estimables qui ont fait leurs efforts pour étendre la liste des substances alimentaires ; on ne sauroit même donner trop d’éloges à leurs intentions, puisqu’elles avoient pour but d’opposer à la famine de quoi remplacer nos alimens ordinaires : mais tout en offrant des ressources contre ce fléau destructeur, ils ont oublié d’indiquer un procédé pour approprier à nos organes celles qui ont besoin absolument d’une préparation particulière. Suffit-il toujours en effet, d’annoncer que telle substance est un aliment dont on peut se nourrir, par la raison qu’elle a été essayée dans un temps de disette ? Ne sait-on pas qu’alors tout est bon ; que l’homme affamé ne sent que le prix du pain, & qu’il se jette avec une égale avidité sur ce que lui est ou ne lui est pas convenable ? Aussi les disettes entraînent-elles toujours après elles les épidémies.

Pour peu que l’on réfléchisse sur les fautes capitales que la gourmandise & la nécessité font commettre, on est révolté contre ces compilations indigestes, publiées sous le nom imposant de Manuel alimentaire dans lequel on voit le plagiaire rassembler sans aucun discernement ni méthode tout ce qui a été indiqué jusqu’alors pour tenir lieu de pain, & réclamer en sa faveur ce qu’il a pillé mot pour mot, non-seulement dans les Ouvrages que je viens de citer, mais encore dans tous les Traités d’office & de cuisine, devenus malheureusement trop nombreux : en vain on lui crie, quand les Plantes ou leurs parties renferment des sucs & parenchymes vénéneux, il ne faut jamais espérer que la dessiccation ou la cuisson en fasse un comestible ; il n’écoute & n’entend rien ; il n’en continue pas moins d’appeler du nom de pain, des galettes plates & visqueuses qui n’ont pas fermenté ; il confond les végétaux farineux avec ceux qui ne sont que mucilagineux, propose à ses compatriotes dans les temps de disette, des Plantes exotiques, cultivées, ou bien il indique les Plantes indigènes qui viennent par-tout, & auxquelles la négligence du Cultivateur & les intempéries des saisons ne sauroient nuire ; enfin il ne paroît occupé qu’à accumuler les volumes & les erreurs.

La cuisson & la torréfaction, recommandées par quelques Auteurs de réputation, comme des moyens suffisans pour détruire l’acrimonie de certaines substances végétales, sont très-équivoques ; elles ne peuvent tout au plus que diminuer l’intensité de l’effet, soit en volatilisant leur principe délétère, soit en enlevant par la décoction une partie de la matière extractive, ou bien en combinant l’amidon qui, dans cette circonstance, agit à la manière des gommes & des mucilages employés souvent en Pharmacie à dessein d’atténuer la vertu trop active des médicamens : ainsi le pied-de-veau, les renoncules, les iris, ne peuvent servir d’aliment quoiqu’ils aient subi des lotions alkalines, une torréfaction ou une cuisson préalable ; il faut indispensablement les râper, & n’employer que leur amidon. Les hommes ne se trompent-ils pas déjà assez souvent sur le choix des alimens, sans leur offrir encore des ressources prétendues contre la famine, qui leur occasionneroient mille maux plus cruels que la disette !

Ce seroit sans doute ici le lieu de déterminer la nature des différens sucs qui constituent les semences & racines qui nous ont occupé jusqu’à présent, d’indiquer la proportion d’amidon qu’elles fournissent, par comparaison avec celle de leurs parties fibreuses ; a combien enfin reviendroit l’aliment qu’on en prépareroit. Nous ne tarderons pas à faire voir s’il est réellement possible d’établir quelque chose de clair & de précis à ce sujet.