Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XIX

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Antoine Parmentier
Article XIX -
Des Semences & Racines farineuſes,
dont il eſt néceſfaire d’extraire l’amidon.


d’y atteindre & d’en profiter ; les ſubſtituts que je propoſe ne coûteroient preſque rien : il faut quatre livres de pommes de terre pour obtenir une livre de ſalep, & ſix livres de ces racines fournirent une livre de ſagou.

Les préparations pour amener les pommes de terre à l’état de ſalep & de ſagou, ne ſauroient entraîner dans de grandes dépenſes : dans le premier cas, il faut cuire, ſécher & moudre ces racines ; dans le ſecond, au contraire, il eſt néceſfaire de les râper crues, de les paſſer à travers un tamis & de les laver. Faudra-t-il donc toujours mettre à contribution les deux Indes pour ſatiſfaire nos principaux beſoins, & n’attacher de prix qu’aux choſes qu’on nous apporte à grands frais, & qui ont le mérite de naître ſous un autre hémiſphère ?


Article XIX.


Des Semences & Racines farineuſes, dont il eſt néceſfaire d’extraire l’amidon.


Après avoir démontré par tout ce que l’expérience & l’obſervation nous apprennent, que la partie principalement nutritive des farineux eſt l’amidon ; que cet amidon ſéparé des corps où il ſe trouve contenu, réuni enſuite à des matières pulpeuſes, glutineuſes, muqueuſes, paſſe à la fermentation, & ſe change en un véritable pain ; je ne dois plus m’occuper qu’à chercher dans les végétaux qui en fourniſſent, de quoi ſuppléer à la diſette des grains & des autres ſubſtances alimentaires, dont l’uſage eſt le plus ordinaire & fera toujours préférable.

On a été long-temps dans l’opinion que les ſemences étoient le ſeul réceptacle de l’amidon, & qu’elles appartenoient à la grande ſamille des graminées ; mais il n’eſt plus permis de douter maintenant qu’il ne ſe rencontre également dans les légumineux, dans une infinité d’autres ſemences & de racines de différentes claſſes. J’oſerois preſque avancer qu’il n’y a point de parties de la fructification des Plantes où il ne ſe trouve contenu, qu’il eſt le même quel que ſoit le corps d’où on l’extrait, que l’amidon des ſemences n’en pas plus atténué que celui des racines, & que les marrons d’Inde en fournirent d’auſſi doux que le froment.

J’ai déjà dit que je croyois que les fruits à baies, à grains & à noyaux ne pouvoient pas contenir d’amidon vu que leur pulpe étoit trop mollaſſe pour contenir un corps ſolide & lui ſervir d’appui. Je n’avois pas la même conjecture à l’égard des fruits à pepins, dont la chair étant plus ferme, pouvoit bien devenir propre à cet effet ; il eſt vrai que mes recherches à ce ſujet avoient été infructueuſes. Pendant mon ſéjour à Rennes, j’en fis part à M. Duval, Apothicaire & Chimiſte fort inſtruit, qui ſoupçonnoit déjà, d’après quelques expériences plus heureuſes que les miennes, que les fruits de cette claſſe renfermoient de l’amidon ; nous vérifiames enſemble ſi ſes ſoupçons étoient fondés, & nous trouvames eſſectivement de l’amidon dans certaines pommes douçâtres à cidre, tandis que d’autres d’une ſaveur aigre, n’en donnoient pas un atome.

Cette différence dans les fruits du même genre, m’a paru aſſez intéreſſante pour mériter quelqu’attention, & depuis mon retour de Bretagne, j’ai profité de la ſaiſon pour ſuivre pluſieurs expériences relatives aux pommes & aux poires ; leurs détails ne ſeroient pas absolument étrangers ici, mais je dois éviter d’en rendre compte ; dans la crainte qu’on ne diſe que que pour multiplier encore les moyens de préparer du pain, mon projet eſt d’enlever à la Normandie ſon cidre & au deſſert ſes plus grandes reſſources : j’aurois beau rappeler tout ce que j’ai écrit pour prouver que perſonne n’a déclaré une guerre plus ouverte, que moi, à tous ceux qui atteints de la manie de vouloir tout convertir en pain, propoſent journellement de donner cette forme à beaucoup de corps qui n’y ſont pas propres, & d’altérer par leurs mélanges ceux que la Nature ſemble avoir voués plus ſpécialement à cette préparation, on ne m’en prêteroit pas moins les idées les plus folles & les plus ridicules.

Voilà donc l’amidon, non-seulement dans les racines, dans les écorces, dans les tiges & dans les ſemences, mais encore dans les fruits ; reſte maintenant les feuilles & les fleurs, dans leſquelles je n’aſſurerois pas qu’on ne parvînt à l’y découvrir un jour, d’autant mieux que pluſieurs d’entr’elles examinées, m’ont déjà fourni un mucilage qui s’en rapproche beaucoup ; alors on dira : tous les organes des Plantes ſont propres à la formation de l’amidon comme à celle du ſucre ; deux ſubſtances, dont la nature & les propriétés ſont différentes.

Ici on ne manquera point de m’arrêter par mes propres paroles, puiſque j’ai avancé que le ſucre rendoit la matière nutritive plus alimentaire ; mais c’eſt parce qu’il la rend plus ſoluble & plus aiſée à être digérée, car par lui-même le ſucre ne paroît pas jouir de cette ſaculté : il ne remplit, comme nous l’avons déjà établi, que l’office d’aſſaiſonnement dans les comeſtibles. Ainſi, il ne conſtitue pas plus l’effet nutritif du blé que la matière glutineuſe, parce qu’il s’y trouve comme cette dernière en trop petite quantité ; que d’ailleurs ils ne ſont pas revêtus l’un & l’autre des caractères principaux qui appartiennent à la matière nutritive ; & qu’enfin, il exiſte beaucoup de corps qui ſont très-ſubſtantiels ſans rien offrir de ſucré ni de glutineux.

L’opinion contraire vient de ce que le ſucre ſe rencontre dans preſque toutes les ſubſtances alimentaires ; qu’il n’y a point d’animaux pour leſquels il ne ſoit un attrait ; que les cannes qui en ſont le réſervoir le plus abondant, ſervent dans nos Isles quand elles ſont exprimées, à nourrir & à engraiſſer les beſtiaux qui en ſont très-friands : mais la Nature ne nous offre jamais cette matière ſaline que mêlée & confondue avec des ſubſtances extractives, mucilagineuſes, très-alimentaires, de manière qu’elle eſt toujours dans l’état de muqueux ſucré ; or ſi à la Cochinchine, on mange du ſucre au lieu de pain, ſi les Nègres-marrons s’en nourriſſent également, c’eſt qu’au ſortir de l’intérieur des cannes ſous une forme mielleuſe, il eſt un corps compoſé, que l’art de le rafiner détruit pour le ramener à l’état ſimple d’un vrai ſel eſſentiel.

Le miel paroît plus muqueux & plus nutritif dans les nectaires des fleurs qu’après que les abeilles l’ont dépoſé dans leurs ruches ; l’élaboration qu’il a ſubie dans l’eſpèce de digeſtion qu’elles en ont faites, a rendu le vrai ſucre que le miel contient, plus pur, plus nu & plus ſenſible à nos organes, de même que toutes les opérations que l’on ſait ſubir au ſucre pour le débarraſſer des entraves muqueuſes dont il n’eſt jamais exempt : le veſou ou le miel de la canne, eſt plus nourriſſant que la moſcouade, & cette dernière l’eſt davantage que la caſſonade, qui perd de cette propriété à mesure qu’elle ſe rapproche de rapproche de l’état de sucre candi ; car je ne prétends pas dire que le sucre très-pur ne la possède encore un peu : quelles sont les substances végétales, excepté celles qui agissent comme médicament, qui ne soient plus ou moins alimentaires ?

Je demande donc à ceux qui viennent d’avancer, sans en donner aucune preuve, que le sucre constitue le principal effet nutritif du blé & des autres farineux, que tout ce qui n’en contient point, est peu ou point du tout alimentaire, je leur demande pourquoi ce sel essentiel forme-t-il à peine le seizième du froment, & ne se rencontre-t-il point dans les pommes de terre ? Pourquoi peut-on enlever aux gelées végétales le sucre qui s’y trouve, sans qu’elles cessent pour cela d’être des gelées ? Pourquoi détruit-on dans certains farineux leur sucre par des préparations, telles que la fermentation, l’expression, la lotion ; & sont-ils après cela plus nourrissans ? on ne me répondra point sans doute que la fermentation a respecté le sucre dans les farineux au point qu’il y en a moins dans le grain que dans le pain qui en résulte ; que la cassave que l’on a épuisée de l’eau de végétation est plus sucrée que la racine de magnoc.

Mais ne sait-on pas bien que le sucre ne domine nullement dans les graminées & les légumineux qui servent de nourriture aux Européens, & qu’il est encore moins sensible dans les végétaux dont les autres peuples de la Terre font leur aliment principal. Le magnoc, le Salep, le Sagou, la gomme arabique le coton-fromager, le rima, sont des corps muqueux très-substanciels sans doute ; ils ne donnent cependant pas un atome de sucre : les parties constituantes de ce sel essentiel peuvent bien y exister, avoir une propriété nutritive ; mais réunies, combinées par la végétation & sous forme saline, elles produisent plus spécialement l’effet de l’assaisonnement.

Aussi ce fameux axiome des Anciens, que les Chimistes de nos jours ont tant cherché à faire valoir, omne dulce nutrit, n’est nullement le corps muqueux sucré comme ils le prétendent, mais bien un mucilage insipide, une gelée sèche, comparable à la gomme arabique ou à l’amidon qu’on peut rendre à volonté des corps muqueux sucrés par les mélanges. Mais je reviens à mon objet, dont je ne me suis écarté que pour discuter une question trop importante à la matière que je traite ici, pour ne point me permettre encore cette digression.

Comme la plupart des semences & des racines farineuses, dont je parle dans ce point de vue, ont toujours été réputées ne contenir aucun principe alimentaire faute de savoir qu’elles avoient de l’amidon, que cet amidon étoit l’essence des farineux, qu’on pouvoit le mettre à part, & après cela lui donner la forme panaire, on les a toujours réléguées parmi les substances vénéneuses, dans lesquelles la Médecine a cherché des spécifiques, & les Arts, des ressources que l’expérience & l’observation n’ont pas toujours justifiées.

Je ne me suis pas borné à donner une nomenclature sèche & stérile des végétaux sauvages que je vais indiquer comme supplément aux grains & à la pomme de terre, je parle des tentatives qu’on a faites pour tâcher de les rendre utiles, & des résultats particuliers qu’on en a obtenus ; j’ai pensé que cette extension ne déplairoit point, d’autant mieux qu’en 1771, lorsque j’ai présenté ce travail au concours, il a obtenu le suffrage d’une Compagnie savante à laquelle je me fais gloire d’appartenir : je déclare même que j’ai pu avoir le bonheur d’être utile, c’est aux encouragemens de l’Académie de Besançon que j’en suis redevable.


Des Marrons d’Inde.


L’arbre qui porte les Marrons d’Inde, est originaire de l’Asie septentrionale ; il nous a été apporté par Bachelier : le premier fut planté au Jardin de Soubise, le second au Jardin royal, & le troisième au Luxembourg.

Le marronnier d’Inde croît aisément en Europe où il s’est parfaitement naturalisé. Les Botanistes l’ont désigné sous le nom d’Hippocastanum vulgare T ; mais il n’a guère servi jusqu’à présent qu’à faire l’ornement de nos allées & de nos jardins à cause de l’épaisseur & de l’agrément de son ombrage. Nous voyons quelle est sa vitalité par une espèce d’epitaphe inscrite sur une coupe transversale du second des marronniers d’Inde cultivé dans notre pays & déposée au Cabinet du Roi ; il fut planté au Jardin du Roi en 1656, & il est mort en 1767.

Les fleurs du marronnier d’Inde sont disposées en roses ; leur tissu est extrêmement serré ainsi que celui de leurs étamines ; c’est ce qui fait qu’elles résistent davantage aux gelées, aux vents & à la pluie, trois fléaux des fleurs, & qu’elles fructifient assez constamment comme certains poiriers qui ont, comme le marronnier d’Inde, l’avantage de ne fleurir qu’après les gelées..

Il paroît qu’on s’est beaucoup exercé sur les marronniers d’Inde & sur leur fruit. Zanichelli, Apothicaire à Venise, a publié une Dissertation Italienne concernant les cures qu’il a opérées avec l’écorce de cet arbre ; il la compare, d’après ses propres observations & l’analyse chimique, au quinquina : plusieurs Médecins ont depuis confirmé l’opinion de ce Pharmacien. M.rs Coste & Villemet remarquent aussi, dans leurs Essais botaniques, que l’écorce du marronnier d’Inde en décoction ou en substance, pouvoit remplacer celle du Pérou.

De bons Patriotes se sont également exercés sur le fruit du marronnier d’Inde ; que de tentatives essayées pour le dépouiller de son insupportable amertume ! chacun a cru être parvenu au but desiré. M. le Président Ben a proposé dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences de Paris, 1720, de faire macérer ce fruit à plusieurs reprises dans des lessives alkalines, & de le faire bouillir ensuite pour en former une espèce de pâte qu’on puisse donner à manger à la volaille ; on a même cherché dans quelques cantons où il régnoit une disette de fourrage, à accoutumer les chevaux & les moutons à s’en nourrir pendant l’hiver.

Mais il paroît que les marrons-d’Inde dans cet état, ne sont pas une nourriture saine, puisque jusqu’aujourd’hui la proposition est demeurée sans exécution ; les lotions & les macérations en effet, ne sauroient enlever le suc & le parenchyme dans lesquels réside l’amertume des marrons d’Inde : le changement que peuvent produire ces opérations, c’est d’en diminuer l’intensité.

D’autres croyant impossible à l’Art d’enlever l’amertume du marron d’Inde pour en obtenir ensuite un aliment doux, se sont efforcés d’appliquer ce fruit à divers usages économiques ; on a cru être parvenu à en faire une poudre a poudrer en le mettant sécher & le réduisant en poudre. Un Cordonnier a préparé avec cette poudre une colle qu’il a exaltée comme très-utile au Papetier, au Tabletier & au Relieur ; on en a encore fait des bougies que l’on a d’abord beaucoup vantées, mais ce n’étoit que du suif de mouton bien dépuré, & rendu solide par la substance amère du marron d’Inde : le prix qu’elles coûtoient, les a bientôt fait abandonner.

Dans un Ouvrage qui a pour titre, l’Art de s’enrichir par l’Agriculture, l’Auteur propose de râper les marrons d’Inde dans l’eau, de les y laisser macérer pendant quelque temps, & de laver ensuite avec cette eau les étoffes de laine. M. Deleuze les indique aussi d’après quelques expériences, comme très-bons pour le roui du chanvre.

Enfin il y en a qui, persuadés que les marrons d’Inde étoient moins propres à nous servir d’aliment ou dans les Arts, que de médicament, les ont envisagés sous ce dernier point de vue. On les a donc employés en fumigation & comme sternutatoire ; on prétend que pris intérieurement ; ils arrêtent le flux de sang ; les Maréchaux s’en servent pour les chevaux poussifs : j’ai vu un Soldat Invalide sujet à l’épilepsie, manger des marrons d’Inde, dont l’usage, à ce qu’il m’assura, avoit éloigné sensiblement les accès de son mal. Une Religieuse de l’Hôtel-Dieu de Paris, a été aussi témoin des bons effets du marron d’Inde dans un cas semblable ; elle convient à la vérité, que ce remède n’a pas une réussite égale sur tous ceux à qui elle l’a administré.

Malgré le défaut de succès mérité ou non, il paroît qu’on n’a encore découvert, reconnu, aperçu dans le marron d’Inde, aucune propriété capable de le faire adopter pour des usages constans & familiers ; aussi un Particulier a-t-il voulu dernièrement faire porter à l’arbre des fleurs doubles, dans le dessein de l’empêcher de produire des fruits dont la chute incommode & blesse les passans : ses expériences faites aux Tuileries & au Luxembourg, ont été sans succès.

On a encore essayé de changer le marronnier d’Inde, ou du moins son fruit par l’opération de la greffe ; on y a donc enté un pêcher qui a produit des fruits énormes pour la grosseur, mais qu’il n’étoit pas possible de manger par rapport à leur excessive amertume. M. de Francheville, de l’Académie de Berlin, prétend qu’en transplantant le maronnier d’Inde dans une terre fertile, & le greffant de lui-même & sur lui-même jusqu’à trois fois suivant les méthodes usitées, on pourroit ôter à cet arbre son amertume ordinaire, & lui faire porter, sans changer son espèce, des fruits d’un aussi bon goût que les marrons de Lyon ; je crains que la chose ne soit pas possible, & j’en ai dit les raisons dans ma lettre à M. Cabanis insérée dans mon Traité de la Châtaigne : une pareille expérience néanmoins est bien digne d’être essayée ; il vaut mieux sans doute s’occuper des moyens de multiplier nos productions, que d’en tarir la source.

Il est cependant certain qu’on peut retirer du marron d’Inde, la partie farineuse qu’il renferme, en former une nourriture saine, sans amertume, & analogue à certains pains, comme nous le ferons voir dans l’article où il s’agira de la préparation que doivent subir toutes les substances végétales que je détaille ci-après,


Du Gland.


IL existe autant d’espèces de gland, qu'il y a de différentes fortes de chênes ; quelques Botanistes en comptent plus de quarante inconnus aux Cultivateurs ordinaires.

Le chêne, Quercus cum longo pediculo, C. B. Robur L, est un arbre à chattons dont on a tiré un meilleur parti que du maronnier d’Inde, pour plusieurs usages économiques ; il en utile dans toutes ses parties : son écorce, son aubier, ses feuilles, son fruit, les noix de gale, le champignon ou agaric, les plantes parasites, les lichens, les insectes colorés qu’on y rencontre, sont autant de dons précieux que cet arbre prodigue ; il y en a peu par conséquent d’aussi utiles, de plus renommés, j’ose ajouter, d’aussi respectables. Faut-il s’étonner si nos anciens Gaulois avoient tant de vénération pour leurs Prêtres, auxquels le chêne, doué de tant d’avantages, servoit d’asyle, de temple & de symbole !

Le gland, & sur-tout sa cupule, est employé en Médecine comme astringent. Tragus dit avoir vu donner avec succès des glands pilés à des personnes qui pissoient le sang pour avoir avalé des cantharides ; on les faisoit prendre autrefois aux femmes nouvellement accouchées pour appaiser leurs coliques : les bêtes fauves & les cochons les dévorent avec avidité.

Les fruits ou semences du chêne, peuvent encore servir de nourriture aux hommes ; ils ont été celle de nos premiers parens suivant le rapport des Historiens de l’Antiquité qui en ont vanté l’usage & le goût : mais il y a grande apparence que les glands dont ils parlent, n’étoient nullement ceux qui croissent dans nos forêts, lesquels ont une saveur amère & austère ; si ceux que l’on vend dans les marchés, & que l’on sert sur la table des habitans des pays méridionaux, comme l’on sert ici les châtaignes, leur ressembloient, il seroit difficile de les manger en substance quelle qu’en fût la préparation.

On assure que l’on fait du pain de glands, dont on se nourrit dans quelques contrées de l’Afrique & de l’Amérique ; on y eut recours en 1709, & quoique d’un goût désagréable, la consommation ne laissa pas que d’en être considérable, Dans les dernières guerres d’Allemagne, on prépara aussi de ce pain, & voici comment : après avoir fait bouillir les glands pour les éplucher, on les mettoit sécher, & réduits en farine on en faisoit des galettes, ou, comme l’a fait un Citoyen de Vienne en Autriche, on la mêloit avec la farine de froment ou de seigle, dans la proportion de trois parties de celle-ci contre une de la première.

Mais, quoiqu’on assure que le pain de glands pur ou mélangé, soit savoureux & nourrissant, je doute qu’un pareil pain ne soit pas toujours lourd & de mauvais goût, Linnæus assure bien qu’on ne feroit pas mal de les rôtir avant de les moudre, mais la torréfaction & la cuisson ne sauroient leur faire perdre l’âpreté qui les caractérise.


De l’Ariſtoloche ronde.


De toutes les Plantes qui s’appellent Aristoloche, il n’y en a pas de plus vantée que celle dont il est question ici : Aristolachia rotunda flore ex purpurâ nigra C. B. Pin. Elle croît naturellement dans les pays chauds : toutes les haies du Languedoc & de la Provence en sont remplies : elle fleurit au printemps.

Les racines d’aristoloche ronde sont grosses, tubéreuses, charnues, arrondies, couvertes d’une écorce brune ; l’intérieur est jaunâtre, ayant une saveur âcre & amère : la tige est sarmenteuse & s’élève à la hauteur de deux pieds ; les feuilles sont alternes, en forme de cœur, obtuses : les fleurs sont d’une seule pièce d’un jaune pâle.

On se sert de la racine d'aristoloche ronde en décoction & en substance, comme vulnéraire, apéritive & anti-putride ; son suc est employé par les Chirurgiens contre les chairs fongueuses & les caries. Mais il paroît que la Médecine vétérinaire en fait un usage plus fréquent ; elle est indiquée dans tous les ouvrages consacrés à cette partie de l’art de guérir, & particulièrement dans celui de M. L’Abbé Rozier. Ce Physicien patriote dit en parlant des aristoloches, qu’on les emploie pour les chevaux dans les cas analogues à ceux de la Médecine, à des doses différentes,


De l’Astragale.


Les Botanistes ont donné ce nom à quarante-deux espèces de Plantes, la plupart exotiques, & c’est dans cette classe que se trouve rangé l’arbrisseau d’où découle la gomme adraganth si connue en Pharmacie ; la réglisse appartient aussi à une espèce d’astragale.

L’astragale, Astragalus scandens fraxini folio, est une plante grimpante, qui s’élève à une très-grande hauteur ; des aisselles de ses feuilles, sortent des grappes de fleurs papillonnacées, tantôt purpurines & tantôt blanches, d’une odeur très-douce de violette ; ses racines sont des tubérosités charnues, attachées ensemble par un ligament, & se multiplient beaucoup.

Cette plante croît aisément sur les chemins dans les pays chauds ; on attribue à sa semence & à ses racines beaucoup de propriétés médicinales que l’expérience n’a pas confirmées : elle sert plutôt à l’ornement des jardins, & pour nous servir des expressions de Tournefort, lorsqu’il rencontra cette plante dans le Levant, il n’est guère possible de rien voir de plus beau en fait de plante, qu’une astragale de deux pieds de haut, chargée de fleurs depuis le haut jusqu’au bas de la tige.


De la Belladone.


C’est ainsi que les Italiens nomment le Solanum lethale des Botanistes, parce que leurs femmes préparent avec le suc ou l’eau distillée de cette plante, une espèce de fard dont elles se frottent le visage pour en blanchir la peau. Il paroît que les Anciens ont voulu parler de la belladone, lorsqu’ils disent qu’elle enivre, rend furieux, occasionne la mort en raison de la quantité qu’on en a pris.

La belladone croît assez abondamment dans les forêts, auprès des murs & le long des haies ombragées ; ses racines sont longues & charnues, jaunes en-dehors & blanches intérieurement ; ses feuilles sont plus larges que celles de la morelle des jardins : ses fleurs sont disposées en cloche, & il leur succède des fruits presque sphériques, remplis d’une liqueur un peu sucrée.

On ne connoît guère d’Ouvrages de Médecine-pratique, dans lesquels il ne soit question des effets pernicieux de la belladone. Le fait le plus récent qu’on puisse citer à ce sujet, est celui arrivé en 1773 à des Enfans-de-chœur de l’Hôpital général de Paris qui avoient mangé de ce fruit, & que M. Brun, Chirurgien-major de cette Maison, parvint à guérir par le moyen de l’émétique, des lavemens, des boissons acidules, édulcorées par du sucre ou du miel.

Le vinaigre, & en général tous les acides végétaux, peuvent être regardés dans ce cas, aussi efficaces que l’alkali volatil pour la morsure de la vipère ; ils affoiblissent constamment les propriétés des plantes purgatives & vénéneuses. On sait que les accidens causés par le stramonium, sont combattus par le vinaigre ; que le suc de citron est le moyen le plus assuré pour modérer l’activité de l’opium & remédier aux effets dangereux de l’abus qu’on en a fait ; que l’oximel scillitique & colchique opère différemment que ces racines bulbeuses prises séparément en substance. On ne sauroit trop souvent rappeler ce qui peut servir à conserver la santé & la vie des citoyens.

On se sert à l’extérieur des feuilles de la belladone pour calmer les douleurs, & elles entrent dans plusieurs compositions du Dispensaire de Paris ; quelques Médecins ont tenté de les faire prendre en infusion dans des cas désespérés, & ils l’ont annoncé comme un spécifique dans les cancers : mais, comme on l’observe très-judicieusement dans la Pharmacopée de Londres, on ne sauroît trop se défier des remèdes qui portent ce nom.


De la Biſtorte.


S'il existe une racine qui n’ait pas l’apparence farineuse, c’est sans contredit celle qui appartient à la Bistorte, Bistorta major radice magis & minùs intortâ. C. B. Pin. Cette racine est brune-foncée à l’extérieur, d’un rouge couleur-de-chair intérieurement, garnie de plusieurs filets chevelus ; elle pousse des feuilles oblongues & pointues, d’un vert-foncé en-dessus, d’un vert-pâle de mer en-dessous : ses tiges sont élevées d’un pied, & soutiennent à leurs extrémités des fleurs à étamines de couleur purpurine, rangées en épi ; à ces fleurs succèdent des semences à trois coins.

La racine de bistorte qui est la seule partie de la plante d’usage, a une saveur extrêmement acerbe ; aussi l’a-t-on placée au nombre des plus puissans stiptiques végétaux ; comme telle on s’en sert en décoction & en substance : elle entre dans plusieurs compositions officinales de réputation ; mais ce n’est qu’avec beaucoup de circonspection qu’on doit l’employer, ainsi que tous les astringens dont on a furieusement abusé autrefois.

Quoique l’amidon ne soit pas très-sensible dans la racine de bistorte, il y a tout lieu de croire qu’il l’est davantage dans d’autres espèces de la même classe. Gmelin rapporte que les Samojedes mangent au lieu de pain la racine de la plante nommée Bistorta Alpina, media & minor que l’on dit être très-nourrissante ; elle est fort commune dans le Nord. M. de Haller parle dans ses Opuscules d’une plus petite bistorte qui pourroit servir aux mêmes usages ; celle dont il est question ici, n’est pas plus rare dans les pays chauds & sur le sommet de nos plus hautes montagnes.


De la Bryone.


La Bryone couleuvrée ou vigne blanche, Bryonia aspera sive alba, baccis rubris C. B. Pin. est un genre de plante dont les fleurs sont disposées en bassin ; elle pousse des tiges menues qui serpentent & se replient : ses feuilles ressemblent un peu à celles de la vigne quant à la forme seulement, car elles sont beaucoup plus petites, plus blanches & plus velues ; il leur succède des baies pleines d’un suc qui excite des nausées : sa racine est grosse & charnue, jaune en-dehors & blanche en-dedans, ayant une odeur très-fétide, contenant un suc très-âcre qui purge violemment, & avec lequel Arnaud de Villeneuve & Mathiole assurent avoir guéri des épileptiques. Ray observe que la pulpe de cette racine, appliquée en cataplasme sur les parties affligées de la goutte, leur procure du soulagement ; on dit encore que ce cataplasme fond les loupes & les tumeurs scrophuleuses. Toutes les Pharmacopées font aussi mention d’une fécule que l’on retire de la racine de bryone, & dont les vertus en Médecine sont regardées maintenant comme très-équivoques.

La racine de bryone a été examinée chimiquement par Geoffroy le Médecin, il nous apprend par l’analyse qu’il en a faite, que cette racine contient un sel essentiel tartareux, ammoniacal, uni avec une huile âcre & fétide. Tels sont à peu-près les résultats que l’on obtient toujours des végétaux actifs ou non, d’après lesquels on ne peut deviner s’ils contiennent une matière résino-extractive, une substance fibreuse & de l’amidon.

En réfléchissant sur quelques propriétés médicinales & économiques de la racine de bryone, M. Morand, Médecin, la compare avec celle de magnoc, dont les Sauvages des Antilles & tous les Habitans des Indes occidentales, font leur nourriture ordinaire. La Plante croît par-tout sans culture ; elle se plaît dans les haies, dans les vignes & sur-tout dans les bois.


Du Concombre sauvage.


Je crois devoir placer le Concombre sauvage immédiatement après la bryone, parce que cette dernière est comprise dans la classe des cucurbitacées, & qu’elle a aussi beaucoup de propriétés physiques analogues à la première.

La plante que je décris, Cucumis sylveſtris asininus dictus C. B. Pin. a une longue racine épaisse, charnue & blanche ; ses tiges sont sont rampantes rampantes & rudes, ses feuilles arrondies & verdâtres, ses fleurs en cloche & d’une seule pièce, ses fruits longs d’un pouce & demi environ, ayant la figure d’une olive : pour peu que l’on y touche, ce fruit s’écarte avec violence, & jaillit un suc assez caustique pour occasionner une très-grande irritation aux yeux qui en seroient frappés.

La seule partie du concombre sauvage, usitée en Médecine, c’est le fruit auquel on donne la forme d’extrait ; il paroît même que c’est le premier extrait dont les Anciens se soient servi ; ils l’appelèrent elaterium, dénomination qu’employoient ordinairement les Grecs pour exprimer tout purgatif violent : ce remède fameux dans l’Antiquité, étoit préparé avec une sorte de mystère ; il semble un peu délaissé, c’est néanmoins un excellent hydragogue que M. Bourgeois préconise beaucoup.

Le concombre sauvage est très-commun dans les lieux incultes des pays méridionaux de la France, le long des chemins & dans les décombres ; on le cultive dans les jardins des environs de Paris, & il n’en est pas moins très-actif dans ses effets.


Du Colchique.


La racine du Colchique ou Tue-chien, Colchicum commune, C. B. Pin. est composée de deux tubercules blancs, dont l’un est charnu & l’autre barbu, enveloppés de quelques tuniques ; les feuilles ne paroissent qu’après les fleurs qui ressemblent à celles du lys blanc.

Cette Plante a un avantage particulier, c’est que les oignons ou tubercules, enlevés au moment où ils vont se développer, & exposés ensuite à sec sur une cheminée, fleurissent sans aucun autre secours ; on connoît le colchique du printemps & le colchique d’automme : les bulbes doivent être recueillies avant la floraison.

On portoit autrefois le colchique au cou en amulette, pour se préserver de la peste & des maladies contagieuses ; sa réputation est maintenant plus brillante. M. Storck qui paroît s’être occupé uniquement de recherches sur les différentes plantes vénéneuses, n’a pas oublié le colchique sous la forme d’oximel ; j’ignore si cette plante mérite réellement tous les éloges qu’il lui prodigue ; mais M. Villemet, Apothicaire à Nanci, a guéri par ce moyen plusieurs hydropisies confirmées.

Le colchique vient dans les prés & sur les montagnes ; sa racine, mêlée aux alimens, tue les chiens, d’où lui vient son nom françois. Il régna en 1774, le long des petites rivières des environs de Paris, une maladie sur les bêtes à cornes qu’on attribua au colchique : les symptômes principaux étoient une toux sèche, accompagnée d’une fièvre inflammatoire & putride ; on ne la fit cesser qu’en arrachant la plante.

Les hermodactes, dont on se sert en Médecine, & que l’on tient dans les Pharmacies toutes desséchées, sont les racines d’une plante qui, suivant le témoignage de Tournefort est un véritable colchique qu’il a rencontré dans l’Asie mineure. Cette classe de plantes est très-circonscrite ; on distingue à peine trois espèces de colchique.


De la Filipendule.


La Filipendule, Filipendula major an Molon Plinii, C. B. Pin. est fort commune dans toutes les provinces de France ; ses feuilles sont très-découpées, & portent au sommet de la tige, un bouquet de fleurs blanches disposées en rose : ses racines sont des tubercules attachés à des fibres assez déliées, & ressemblant à des olives alongées, de couleur rougeâtre à l’extérieur, & blanche intérieurement, d’une saveur douce, astringente, mêlée d’amertume, ayant une odeur très-aromatique.

On se sert quelquefois de la racine de filipendule dans les diffenteries & les dévoiemens ; dessechée & réduite en poudre, elle est employée pour les hémorroïdes & les scrophules, parce qu’il fut un temps où l’on croyoit trouver une ressemblance entre les glandes scrophuleuses & hémorroïdales, & les tubercules de la filipendule, préjugé qui toit fort étendu, & dont on connoît maintenant le ridicule.

Plusieurs Auteurs, & entr’autres Rudbeck, prétendent que la filipendule a servi d’aliment avant qu’on sût se nourrir de grain, & qu’on y a eu recours dans les temps de famine : aussi D. Xavier Manetti n’a-t-il pas oublié de l’insérer dans une de les Dissertations sur les Plantes qui peuvent tenir lieu de pain.


De la Fumeterre bulbeuse.


La Fumeterre bulbeuse, Fumaria bulbosa radice non cavâ C. B. Pin. est un genre de Plantes, dont les fleurs ont quelqu’apparence des fleurs légumineuses ; mais elles ne sont composées que de deux feuilles qui forment une espèce de gueule à deux mâchoires : ses feuilles sont extrêmement découpées, d’un vert-clair ; ses racines ressemblent à de petits oignons blancs & charnus, d’une saveur un peu piquante.

Le nom de fumeterre & ses uſages en Médecine, sont connus. On met cette Plante au nombre des amers ; on n’emploie que ses feuilles qui sont singulièrement recommandées dans les maladies de la peau ; mais c’est toujours la grande fumeterre à racine creuse, dont on use comme médicament ; car il ne paroît pas que celle qui a la racine charnue, jouisse de cet avantage : elle est cependant fort commune dans les environs de Paris.


De la Flambe ou Iris.


Ce genre de Plante est de la grande famille des liliacées, & il paroît que c’est dans la racine que résident les propriétés pour lesquelles on l’emploie en Médecine, du moins est-ce la seule partie qui soit d’usage.

La Flambe, Iris vulgaris germanica sive sylvestris C. B. Pin. a les feuilles larges d’un pouce, longues de plus de deux pieds ; ses fleurs sont de pluſieurs couleurs, & ressemblent à l’arc-en-ciel, ce qui leur a sait donner le nom d’Iris.

La racine de la flambe, dit M. Adanſon est un tubercule rond, charnu, qui, quoiqu’enveloppé de feuilles, formant autour d’elles autant de gaines disposées par étages, doit être regardée comme une racine traçante, mais fort raccourcie, puisqu’elle se reproduit, ainsi que toutes les racines traçantes, par sa partie supérieure, au moyen d’un tubercule qui se forme au-dessus dès qu’il a commencé à se produire, ce qui la distingue des bulbes qui ne se reproduisent que par le côté, lesquelles d’ailleurs ne sont pas de vraies racines, mais des tiges en raccourci, ou, si l’on veut des yeux ou des bourgeons.

Cette racine peut être substituée sans inconvénient à celle de l’Iris de Florence, elle n’est pas, il est vrai, aussi aromatique, elle étoit autrefois en Médecine d’un usage plus fréquent qu’elle ne l’est aujourd’hui : elle entre encore dans quelques compositions officinales ; c’est un bon sternutatoire ; on en prépare aussi une fécule dont on ne fait pas plus de cas maintenant que de celle de la bryone.

La flambe croît abondamment dans les champs, dans les blés ; on la cultive même à cause de sa fleur qui contribue à l’ornement des parterres : on distingue plusieurs espèces d’iris ou flambe, dont les racines sont également farineuses, & peuvent servir par conséquens aux mêmes usages : ce sont des feuilles d’une espèce de flambe qui fournissent le plus beau vert-d’iris.


Du Glayeul.


Le caractère de cette Plante ne diffère pas beaucoup du genre des flambes ou iris ; ses feuilles sont seulement plus étroites & terminées en pointe, ce qui lui a ſait donner le nom de gladiolus ou petite épée.

La racine du Glayeul, Gladiolus major bysantinus C. B. Pin. est tubéreuse & charnue ; la tige s’élève à deux pieds environ ; sa fleur est composée d’une seule feuille découpée : à chacune de ses fleurs, il succède un fruit gros comme une aveline.

Toutes les espèces de glayeul viennent assez aisément par-tout ; le glayeul fétide ou spatatule, qui sent le gigot rôti, le glayeul jaune, se rencontrent dans les prés, dans les champs, dans les marais : mais la vertu principale réside dans leur racine qui chasse & expulse les eaux, fond les tumeurs visqueuſes & tenaces de l’estomac.


De l’Hellébore.


Personne n’ignore combien les Anciens étoient prévenus en saveur de l’Hellébore ; c’étoit le meilleur & l’unique purgatif qu’ils connurent : il est vrai que les plus sages d’entr’eux ne l’employoient qu’avec les plus grandes précautions, soit pour dispoſer le malade ou pour préparer le remède. La partie partie âcre que l’hellébore contient, rendoit son usage quelquefois très-suspect ; c’est de cette partie âcre que plusieurs Médecins & Chimistes ont cherché à priver cette racine : les uns ont employé les semences aromatiques, les autres les liqueurs acides ; il y en a enfin qui l’ont fait bouillir dans l’eau, parce qu’ils avoient remarqué que l’usage d’une forte décoction d’hellébore, n’étoit jamais suivi des accidens funestes qui accompagnent cette racine. Mais il faut convenir que la préparation qu’a publiée M. Bacher est supérieure à toutes celles qu’on a sait connoître jusqu’à présent, pour obtenir l’extrait qui fait la base de ses pillules toniques & anti-hydropiques.

Nous ne parlons ici que de l’hellébore noir à feuilles de renoncule ou d’aconit : Helleborus niger ranunculi folio, flore globoſo C. B. Pin. Cette plante croît assez abondamment aux environs de Paris ; ses racines sont noires à l’extérieur & très-blanches dans l’intérieur, d’une saveur âcre & mordicante.


De l’Impératoire.


Il est peu de racine aussi pénétrante & aussi aromatique que celle de l’Impératoire ; elle est longue & assez épaisse, brune à l’extérieur, jaunâtre intérieurement : sa saveur est très-acre & amère, elle pique fortement la langue, & échauffe toute la bouche.

Les feuilles de l’impératoire, Imperotoria major, sont longues comme la main, divisées en trois sections, découpées sur les bords, d’un vert très-agréable ; sa tige s’élève à la hauteur de deux pieds environ : elle est creuse, canelée ; ses fleurs sont disposées en parasol.

La racine d’impératoire a été fameuse en Médecine. Hoffman l’a vantée pour guérir la stérilité & la froideur des maris, mais son principal effet, c’est d’être sudorifique ; elle a été mise au nombre des remèdes nommés alexipharmaques ; elle est plus active que la racine d’angélique, avec laquelle elle convient à certains égards : rarement on la donne seule ; elle entre dans quelques remèdes de réputation, tels que l’eau thériacale & l’orviétan. Cette plante se rencontre communément sur les Alpes, sur les Pyrénées & sur les montagnes du Mont-d’or, d’où on nous apporte la racine toute séchée.


De la Jusquiame.


De toutes les plantes que le règne végétal fournit, il n’en est point dont l’action s’exerce plus manifestement sur les fonctions du cerveau, que la Jusquiame, soit qu’on la prenne intérieurement, ou bien qu’elle soit appliquée à l’extérieur ; on ne sauroit donc employer trop de prudence & de circonspection dans son usage, sur tout d’après les Observations de Dioscoride, de Boërhaave, de Vogel & de Haller, qui rapportent, chacun en particulier, des effets extraordinaires occasionnés par les feuilles, les semences & les racines de la jusquiame.

La racine de Jusquiame, Hyosciamus major vulgaris C. B. Pin. est longue, épaisse, brune en-dehors, & blanche intérieurement ; ses tiges sont lanugineuses, cylindriques, épaisses & rameuses ; ses feuilles sont nombreuses, amples & d’une odeur forte : ses fleurs naissent en épi, & sont d’une seule pièce, en entonnoir, jaunâtres sur les bords & veinées de pourpre ; il leur succède un fruit à deux loges qui contient plusieurs petites semences arrondies, plates, & de couleur cendrée.

L’odeur de la jusquiame est fort assoupissante & porte à la tête. M. Ingen-hous, dans ses Expériences sur les Végétaux, assure qu’il n’a point trouvé de plantes vénéneuses qui eussent une influence plus nuisible sur l’air, au milieu de l’été principalement, que la jusquiame ; car vers l’automne, lorsque les nuits sont froides, elle a perdu la moitié environ de sa qualité malfaisante.

Cette Plante qui est visqueuse & fétide, n’est pas rare aux environs de Paris ; on la rencontre dans les campagnes, auprès des villes, dans les fossés, dans les fumiers, dans les décombres.


De la Mandragore femelle.


La Mandragore, Mandragora flore subcæruleo purpurascente C. B. Pin. est une Plante sans tiges, à fleurs en cloche ; ses feuilles sortant de terre, elles sont plus étroites, plus noires, plus fétides que celles de la mandragore mâle : sa racine est longue & charnue, divisée en deux branches, brune en-dehors & très-blanche intérieurement.

Il est étonnant combien on a débité de fables sur les effets particuliers de la racine de mandragore ; l’une & l’autre viennent naturellement dans les pays chauds & sur les bords des rivières : la racine a une odeur très-fétide, & purge violemment ; on ne s’en sert point ordinairement à l’intérieur, extérieurement elle est calmante & résolutive.


De l’Œnanthe.


L’œnanthe ou la Filipendule aquatique, Œnanthe apii folio C. B. Pin. est fort commune dans les endroits humides aux environs de Rennes ; elle s’élève jusqu’à huit pieds de haut ; ses feuilles ressemblent beaucoup au persil : ses fleurs sont en ombelle & rosacées ; son fruit est divisé en deux semences striées, oblongues, canelées sur le dos : ses racines sont des tubercules en forme de navets suspendus par des fibres longues qui s’étendent horizontalement dans la terre. On appelle cette plante en Bretagne l’Herbe aux hémorroïdes ; le peuple croyant se guérir de cette maladie par son moyen, il en porte dans la poche.

La racine d’œnanthe est apéritive. M. Bonnamy, Professeur de Botanique, regarde cette plante aussi terrible pour les taupes que la noix vomique l’est aux autres animaux, avec cette différence que ce n’est pas en substance qu’il faut la donner, mais en décoction, dans laquelle on fait bouillir des noix cassées, que l’on jette ensuite dans les taupinières.

II y a une autre œnanthe à feuilles de cerfeuil, très-commune en Angleterre où elle est appelée langue morte ; c’est en effet un poison très-violent : dix-sept de nos prisonniers, dans la guerre de 1744, ayant pris cette Plante pour du céleri sauvage, ils en mangèrent la racine avec du pain & du beurre ; deux en moururent, & les autres furent à l’extrémité. Ce est encore la même Plante qui a été funeste, il y a quelques années, à plusieurs de nos Soldats françois en Corse.


De la Patience.


L’oseille, le bon-henri & les épinards qui se rencontrent si abondamment dans nos champs, & qu’on a perfectionnées par la culture, sont des Plantes regardées par les Botaniſtes comme de véritables patiences, de même aussi que la parelle des jardins & des marais, le sang de dragon ou la bête sauvage de Galien, le lapathon-violon, la rhubarbe des Moines, & enfin la patience sauvage, dont on distingue encore plusieurs espèces.

Rien n’est plus commun que la Patience sauvage, Lapathum folio acuto, plano ; ses feuilles varient quelquefois : elles sont plissées, frisées, & souvent pointues, mais on n’emploie que sa racine ; elle en épaisse, assez longue, de couleur brune en-dehors & jaune intérieurement, ayant un goût fort amer.

On place la racine de patience sauvage au nombre des amers apéritifs ; c’est un très-bon remède dans les cas d’inertie de la bile & des sucs destinés à concourir à la digestion des alimens : on la donne en décoction, on en prépare un extrait, on en applique la pulpe à l’extérieur dans les maladies de la peau, & dans cet état, elle fait la base d’une pommade contre la galle.

On a été long-temps sans connoître les caracteres de la vraie rhubarbe, parce que tous ceux qui ont voyagé en Chine où elle croît, & d’où elle nous est apportée en Europe, n’ont pas été assez curieux pour la voir sur pied, ni daigné prendre la peine de la décrire ; c’est ce qui a déterminé M.rs de Jussieu à faire croître cette Plante au Jardin du Roi où elle vient fort bien. Ces savans en ont fait connoître les caractères de manière à ne plus s’y méprendre, & ne pas la confondre avec le rapontic qui appartient, comme la rhubarbe, à la famille des patiences. Gmelin qui entre dans quelques détails au sujet de la rhubarbe, nous apprend que l’achat de celle dite des Moscovites, se fait avec les plus grands soins, & sous la direction de ceux que l’Impératrice a chargés de tout ce qui concerne la matière médicale. Cette Princesse envoie donc un Pharmacien sur les confins même de l’Empire de la Chine, accompagné d’un Commissaire, pour acheter toute la rhubarbe tant bonne que mauvaise, & après que cette racine a été transportée à Moscou & à Pétersbourg, elle est remise entre les mains d’un autre Pharmacien pour l’examiner, & jeter au feu celle qui ne vaut rien, dans la crainte qu’elle ne tombe entre les mains de marchands avides & intéressés ; il seroit bien à souhaiter que cette précaution fut suivie & adoptée par tous les Gouvernemens & pour toutes les drogues.


Du Persil de Montagne.


Il ne s’agit ici que du petit Persil sauvage ou de montagne, Oreoselinum minus C. B. Pin. Cette Plante est assez commune sur les lieux montagneux & sablonneux ; la racine est fort grosse, mollasse, charnue & remplie d’un suc tres-âcre ; sa tige est rameuse & a environ deux pieds de hauteur : ses feuilles ressemblent beaucoup à celles du persil des jardins, mais plus noirâtres & plus fermes ; ses fleurs sont disposées en parasol, & ses semences arrondies & très-âcres.

Cette Plante est d’usage en Médecine dans la haute Saxe, & on en tient dans les Pharmacies ; son infusion est agréable à boire, mais la liqueur laiteuse que l’on retire de sa racine, est d’une plus grande efficacité que les feuilles & la semence ; elle est diurétique, comme toutes les racines des Plantes qui portent le nom de persil ; mais on ne sauroit être trop réservé sur leur usage, à raison de leur qualité plus ou moins délétère, & de la ressemblance qu’elles ont avec la ciguë.


Du Pied-de-Veau ou Arum.


Le pied-de-veau, ainsi nommé en françois, à cause de la figure de ses feuilles qui ont quelque ressemblance avec le pied de cet animal, a une tige cylindrique, canelée, qui soutient une fleur membraneuse d’une seule pièce ; il lui succède des baies remplies d’un suc âcre & piquant : la racine est grosse comme le pouce, blanche & charnue.

Le Chou Caraïbe tant vanté, est une espèce d’Arum esculentum de Linnée, qui donne au bouillon une consistance gélatineuse. Cette Plante étoit cultivée autrefois en Égypte, & on en fait encore beaucoup d’usage aux Moluques ; les Naturels du pays l’apprêtent en la lavant, la ratissant & la cuisant ; mais cette espèce est sans doute bien différente de celle dont il est question ici, que toutes les préparations ne sauroient adoucir au point d’en former une nourriture salubre, & il y a grande apparence que si on s’en est servi, comme l’assurent Lémery & quelques autres Auteurs, dans les temps de disette, il doit en être résulté des suites fâcheuses.

La racine de pied-de-veau, Arum vulgare maculatum & non maculatum, se donne rarement seule, mais elle entre dans plusieurs compositions ; on l’associe avec d’autres substances capables d’en diminuer l’activité, & on en prépare aussi une fécule tombée en discrédit comme ce genre de remède : toute la Plante depuis la racine jusqu’à la semence, brûle la langue, & y occasionne des petites vessies ; elle est tellement acrimonieuse, qu’il faut la laisser tremper dans l’eau un certain temps, sans quoi les mains qui toucheroient à la racine rapée, éprouveroient des picotemens douloureux.

Le pied-de-veau, dont les feuilles sont marquées de taches, est aussi abondant que celui sans taches ; ils sont l’un & l’autre on ne peut pas plus communs : on les rencontre en quantité dans les lieux humides, dans les bois & dans les prairies.


De la Pivoine.


Dans le très-grand nombre des Plantes connues sous le nom de Pivoine, on ne se sert ordinairement que de la mâle & de la femelle ; l’une & l’autre sont employées en Médecine de toute Antiquité, & on les cultive dans les jardins pour l’ornement des plates-bandes : les feuilles forment une très-belle verdure, & leurs fleurs disposées en roses, de couleur purpurine & souvent panachées, font un bel effet.

La racine de ces deux pivoines sont des tubercules formés en navets, de la grosseur du pouce, rougeâtres en-dehors, blancs en-dedans, attachés à des fibres ; comme dans l’asphodèle, elles ont, ainsi que les autres parties de la Plante, une odeur désagréable & même virulente.

La pivoine a été beaucoup célébrée en Médecine ; le respect qu’on lui portoit, donnoit lieu à des cérémonies religieuses qu’on employoit lorsqu’on l’arrachait de la terre : ses semences & ses racines sont vantées, particulièrement dans toutes les maladies qui dépendent de l’irritation du genre nerveux ; on la porte en amulette pendue au cou ; enfin c’est le plus puissant antispasmodique que l’Antiquité nous ait transmis. Cartheuſer semble avoir remarqué que la racine de pivoine renfermoit de l’amidon, puisqu’il l’indique comme très-propre à absorber les acides qui se rencontrent dans les premières voies, & qui occasionnent principalement chez les enfans des accidens épileptiques.


De la Renoncule.


Les Plantes désignées sous ce nom, sont très-multipliées, & se rencontrent par-tout ; elles donnent assez ordinairement en Mai, leurs fleurs, lesquelles deviennent doubles par la culture.

La Renoncule bulbeuse, Ranunculus bulbosus seu tuberosus C. B. Pin. a une ou plusieurs tiges droites, dont le sommet porte des fleurs simples disposées en roses ; à ces fleurs succèdent des fruits arrondis : sa racine est ronde & bulbeuse.

La plupart des renoncules ont une causticité si grande, qu’en les appliquant à l’extérieur elles excorient la peau. Quelques Auteurs ont recommandé la racine de celle-ci pour faire des vésicatoires & des cautères ; on a remarqué dans quelques endroits que les Mendians s’en frottoient les jambes & les cuisses pour se faire des petits ulcères, & les montrer aux passans afin d’exciter leur pitié : on peut s’en servir pour tuer les rats.


De la Saxifrage des Prés.


On appelle ainsi le Seseli des prés de Montpellier, Saxifraga umbellifera Anglorum Lagd. Hiſt. Sa racine est vivace & grosse comme le doigt, brune en-dehors, blanche intérieurement, chevelue vers le haut, d’une odeur aromatique un peu âcre ; elle pousse des tiges d’un pied & demi : les feuilles sont d’un vert foncé & lisse ; aux sommités, naissent des petites ombelles de fleurs à cinq pétales, dispoſées en roses, d’un blanc-jaunâtre.

La saxifrage est fort commune dans les prés & dans tous les terreins humides ; la racine possède une vertu très-diurétique ; aussi les Anglois l’emploient-ils ordinairement contre la gravelle : on en exprime le suc, que l’on administre à la dose de deux ou trois onces.


De la Scrophulaire.


On trouve cette Plante dans les bois humides des environs de Paris ; elle croît fréquemment aux lieux ombragés, dans les haies & dans les bois taillis.

La Scrophulaire, Scrophulana nodoſa, fetida C. B. Pin. a les feuilles oblongues, larges & d’un vert-noirâtre ; elles ont une odeur & un goût assez désagréable : ses fleurs paroissent en été aux sommités, de couleur purpurine obscure, formées en petits godets ; ses racines sont noueuses, assez grosses, inégales & blanches.

On emploie les feuilles de la scrophulaire en cataplasme, & elles sont émollientes & résolutives : sa semence est vermifuge & ses racines prises en substance & à petite dose, passent pour convenir supérieurement aux personnes attaquées d’hémorroïdes internes.

Malgré la fétidité de toute la Plante, M. Marchand en a employé les feuilles avec succes pour corriger l’odeur nauséabonde du séné que tous les malades redoutent. Ce n’est pas là le seul exemple ou les Chimistes aient montré, que deux odeurs détestables réunies en produisent souvent une très-flatteuse, & vice versâ.


Du Sureau.


Cet arbrisseau est trop connu pour m’arrêter à en faire aucune description ; autrefois il servoit à la décoration de nos bosquets : son usage aujourd’hui est moins brillant, mais peut-être plus utile, il est employé à clore la demeure champêtre de nos bons villageois.

On a composé un livre entier sur les propriétés médicinales du sureau ; on fait avec ses feuilles des décoctions qu’on applique à l’extérieur, une tisane apéritive avec l’écorce moyenne de ses branches, une boisson théiforme avec ses fleurs, un rob ou extrait avec ses fruits, enfin on exprime le suc de l’écorce charnue qui recouvre le corps ligneux de la racine.

On attribue à l’yèble ou petit sureau, les mêmes propriétés qu’au sureau ordinaire ; on se sert également de ses feuilles en fomentation pour discuter & résoudre ; la racine est aussi fort charnue : rien n’est moins rare que ce petit sureau.

Les accidens arrivés à ceux qui se sont endormis à l’ombre d’un sureau en fleur, doivent apprendre à jamais à se méfier de pareilles émanations, qui produisent souvent les mêmes effets que l’usage intérieur des substances auxquelles elles appartiennent. On a vu des femmes qui, pour avoir demeuré un certain temps dans le voisinage de la belladone lors de sa floraison, avoient gagné un violent mal-de-tête & même des vertiges, comme si elles eussent mangé des fruits ou baies de cette plante, &c.


Article XX.


Manière de rendre comestibles les Semences & Racines farineuses, dont il est nécessaire d’extraire l’amidon.


Pour remplir complètement l’énoncé de cet article, il s’agit de deux opérations principales : l’extraction de l’amidon, & le mélange de cette substance avec une matière