Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XXVIII

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Antoine Parmentier
Article XXVIII —
Des avantages de la nourriture végétale
ſur la nourriture animale.



Article XXVIII.


Des Avantages de la nourriture végétale ſur la nourriture animale.


La nourriture végétale ayant jufqu’à préſent été l’objet de nos recherches, nous devons faire voir maintenant qu’elle mérite une préférence marquée ſur la nourriture animale, & que, ſans prétendre l’admettre uniquement & indifféremment pour les hommes de tous les pays, de tous les âges & de toutes les conditions, il paroît que la Nature, l’expérience & la raiſon, l’indiquent dans une infinité de circonſtances où il ſeroit peut-être eſſentiel de ſe renfermer dans ſon ſeul uſage. Nous allons hasarder à ce ſujet quelques réflexions qui, ſans réſoudre la queſtion, pourront peut-être l’éclaircir.

Deſtiné à peupler l’Univers, l’homme eſt parvenu à approprier à ſes organes, une infinité de ſubſtances nutritives qui en paroiſſoient éloignées dans l’état naturel : ainſi les uns s’accoutument à vivre uniquement de végétaux ; les autres n’eſtiment rien de ſi délicieux que la viande ; quelques-uns ne pouvant ſubſiſter des produits du ſol & de la chaſſe, ſont forcés de ſe borner aux poiſſons : enfin, il y en a d’aſſez avantageuſement placés pour pouvoir faire uſage des différentes eſpèces d’alimens préparés, combinés & mélangés dans des proportions relatives.

Dans cette variété de ſubſtances alimentaires que le règne végétal & le règne animal offrent en abondance à l’homme, on a ſouvent demandé s’il en exiſteroit une eſpèce qui fût plus analogue à ſa conſtitution, & en ſuppoſant qu’elle exiſtât, réſideroit-elle ſpécialement dans la claſſe des végétaux, ou bien ceux-ci auroient-ils beſoin de paſſer par le ſyſtème animal pour être plus aſſortis à nos organes ; enfin quelle ſeroit dans l’une & l’autre claſſe, le corps nutritif qui mériteroit la préférence ?

Ces différentes queſtions, déjà traitées par des hommes de mérite, ſont encore à réſoudre, aucun d’eux n’ayant jamais voulu faire attention que la diverſité de goût qui caractériſe, pour ainſi dire, chaque Nation, toute bizarre & ridicule qu’elle paroiſſe, n’a pas autant le droit de cauſer de la ſurpriſe, puiſqu’elle dépend principalement du climat, des productions, des mœurs, de l’habitude, de lieux, & du caractère particulier de ceux qui y vivent.

La nourriture qui convient à l’homme dans l’état de foibleſſe & de nullité, ſortant des mains de la Nature, c’eſt le lait ; mais cette ſavoureuſe & bienfaiſante liqueur devient inſuffiſante à mesure que ſes fibres augmentent de reſſort ; il lui ſaut alors un aliment plus ſubſtanciel & plus ſolide ; la nourriture végétale eſt celle qui doit ſuccéder, & qui ſuccède en effet au régime lacté ; ce goût pour les végétaux ſemble naturel aux enfans, & fut long-temps celui des premiers habitans du Monde, quels que fuſſent leur état & leur condition. Suivant les Hiſtoriens & les Voyageurs, il y a encore des peuplades en Afrique qui ne vivent que des fruits de la terre ; pluſieurs nations Indiennes ſe nourriſſent uniquement de végétaux, & ſi quelquefois ils ajoutent aux alimens ſimples qu’ils en retirent, le produit de leur chaſſe & de leur pêche, ce n’eſt qu’a l’occaſion de quelques réjouiſſances. Nous avons auſſi beaucoup de cantons en Europe où l’uſage de la viande eſt tellement reſtreint, qu’il faut également certaines occaſions pour ſe le permettre.

L’aliment qui paroît le plus analogue à notre conſtitution, doit, ſuivant l’opinion généralement adoptée, être celui qui ſe diſſout le plus aiſément, & qui fatigue le moins l’individu auquel il va ſervir de nourriture ; or les végétaux ſemblent réunir cette double propriété : auſſi conviennent-ils particulièrement aux enfans, aux vieillards & aux convaleſcens ; on a même obſervé que les paysannes, qui mangent moins de viande & plus de légumes que les femmes de nos villes, ont davantage de lait & de meilleure qualité : cette liqueur, quoiqu’élaborée dans le corps de l’animal, conſerve encore tous les caractères des végétaux dont il s’eſt nourri. Je ne puis croire, dit un très-grand Philoſophe, qu’une enſant qu’on ne ſevreroit pas trop tôt, ou qu’on ne fevreroit qu’avec des ſubſtances végétales, & dont les nourrices ne vivraient que de végétaux, fût auſſi ſujet aux vers, aux coliques, aux diarrhées qui en font périr un ſi grand nombre.

Il eſt conſtant que ſi on examine ſans préoccupation le lait des mères, dont la nourriture conſiſte principalement en végétaux, non-seulement il eſt plus abondant, mais il a une ſaveur plus douce & plus agréable que celui qui provient des femelles carnivores ; les différens principes qui réſultent du premier régime, ſont plus propres à ſe changer en un véritable ſucre, car il paroît que la végétation n’eſt pas le ſeul laboratoire où la Nature fabrique ce ſel eſſentiel : le ſyſtème animal a auſſi la faculté de le produire ; peut-être qu’un jour l’Art imitera ces deux grands moyens.

Beaucoup de Nations, accoutumées à l’uſage de la viande, y renoncent entièrement dans la plupart de leurs maladies, pour recourir aux ſeuls végétaux. Que l’on conſulte d’ailleurs Hippocrate, Sydenham & les meilleurs Médecins de nos jours ; tous s’accordent à avancer que les alimens de cette claſſe ſont les ſeuls qu’on puiſſe employer avec ſucces dans preſque toutes les indiſpoſitions, & que ſouvent on leur a vu opérer les effets des remèdes les plus efficaces ; ils nous aſſurent en outre que le muqueux végétal paſſant infiniment plus vîte que celui du règne animal, il convient mieux aux tempéramens foibles : peut-on douter maintenant que le bouillon, regardé depuis long-temps parmi nous comme la nourriture la plus ſalutaire pour le ſoutien des malades, ne ſoit quelquefois & preſque toujours préjudiciable à leur état ! Combien de fois la Nature ne réclame-t-elle point contre cette boiſſon par l’horreur qu’elle inſpire à ceux à qui on la préſente, tandis qu’ils ſemblent appéter, comme par inſtinct, une nourriture végétale, des décoctions de fruits, de ſemences & de racines ?

Mais il n’eſt pas moins eſſentiel dans l’état de ſanté, de proſcrire de la liſte de nos alimens, tout ce qui eſt capable de hâter la putréſaction des humeurs, lorſqu’elles y ont déjà une très-grande tendance. M. Poiſſonnier qui n’a ceſſé de faire valoir les avantages qu’il y auroit de changer la nourriture des Gens de mer, rapporte, dans les bons Ouvrages qu’il a publiés à ce ſujet, une foule d’exemples & d’obſervations pour prouver combien l’uſage de la viande, & ſur-tout des ſalaiſons, prête de ſaveur aux autres cauſes qui déterminent le ſcorbut, maladie ſi commune chez les Gens de mer. Le célèbre Navigateur Cook a dû au régime végétal & aux précautions ſalutaires, recommandées par M. Poiſſonnier la conſervation de la totalité de ſon Équipage, dans le cours d’un des Voyages les plus longs & les plus périlleux qu’on ait encore entrepris.

Notre premier ſoin, en prenant des alimens, n’eſt pas ſeulement de réparer les pertes que nous faiſons continuellement par les différentes ſecrétions ; c’eſt encore dans la vue de rétablir la force des ſolides affoiblis : une cauſe non moins urgente, c’eſt cette propenſion qu’ont nos humeurs à paſſer à la putréſaction ; ſi nos alimens ſont eux-mêmes putreſcibles, comment parviendront-ils à produire le double effet dont nous parlons, & à parer aux inconvéniens qui peuvent en réſulter ?

Il exiſte, à la vérité, une infinité de gens dont le goût eſt aſſez dépravé pour n’aimer que la viande ſaiſandée, & nous avons dans le Nord des peuples entiers bien portans, quoiqu’ils ne vivent que de chair putréfiée, & qu’ils mangent de préférence celle des animaux morts de quelques maladies, ſans que le feu & les aſſaiſonnemens en aient corrigé les mauvaiſes qualités ; mais on connoît le pouvoir de l’habitude contractée dès l’enſance, & le danger qu’il y auroit d’abandonner tout à-coup l’uſage des ſubſtances alimentaires, même les plus défectueuſes & les plus nuiſibles : néanmoins on remarquera en même temps qu’on ne manque point d’ajouter à ces alimens à demi-décompoſés, des végétaux, & de boire des liqueurs fermentées, les plus puiſſans anti-septiques connus ; car c’eſt une obſervation aſſez confiante, que ceux qui mangent beaucoup de viande, déſirent des boiſſons fortes, & éprouvent la ſenſation de la fois d’une manière différente que ceux qui conſomment davantage de végétaux.

Je connois une perſonne très-âgée qui porte continuellement un cautère à la jambe, dont le diamètre eſt prodigieux, elle ne peut faire uſage d’aucune viande faiſandée, que le lendemain en panſant ſon cautère, l’odeur qui s’en exhale, n’ait préciſément & diſtinctement celle de la viande qu’elle a mangée : elle remarque encore que quand elle mange beaucoup de pareilles viandes, la chair qui environne le cautère eſt plus enflammée que quand elle en mange moins, & qu’elle y mêle une plus grande quantité de végétaux.

Quoique les alimens ne ſoient pas évidemment la cauſe des variations qui troublent les fonctions de l’économie animale, & que vers les pôles, l’atmoſphère influe davantage ſur la vitalité ; on doit préſumer que ſi l’homme parvenant à s’habituer avec tous les genres de comeſtibles, vit néanmoins à peu-près le temps preſcrit par la Nature, il doit avoir éprouvé auparavant quelques révolutions dans le moral & dans le phyſique, puiſque, d’après la remarque générale faite à l’occaſion des différens peuples de la Terre, les mœurs & le caractère dépendent en partie de la nature & de l’eſpèce d’aliment.

Nous voyons en effet le carnivore être féroce & orgueilleux ; l’ichtyophage, chétif, petit & ſans induſtrie, tandis que ceux qui ne ſe nourriſſent que de végétaux, ſont doux, humains, & moins expoſés aux maladies qui affligent le mangeur de viande ou de poiſſon.

Il n’y a point d’Indiens, ſuivant la plupart des Voyageurs, plus compatiſſans que les Banians ; la nourriture de ce peuple conſiſte en légumes, en fruits & en lait : c’eſt ſans doute aux alimens pris alternativement dans les deux règnes, que l’habitant des contrées tempérées doit en partie cette eſpèce de caractère liant qui lui gagne la bienveillance des autres peuples de la Terre.

Les partiſans du régime animal auront beau objecter que le carnivore a plus de force & de courage que celui qui ne vit que de végétaux, que l’uſage de la viande rend robuſte, actif & belliqueux : on pourra leur répondre, que vraiſemblablement ils confondent la férocité avec le courage, l’ivreſſe avec la force, & la fureur avec l’activité, puiſque les Romains ne ſe nourriſſoient que de grains & de légumes ; les Gaulois, de fruits & de racines ; les Perses, les Ruſſes & les Tartares font un très-grand uſage des farineux ; que tous ces peuples fameux par leur ſobriété & par leur valeur, n’ont pas été des hommes moins vigoureux & moins guerriers que ces hommes dont on vante tant la force ; d’ailleurs l’orge, ce grain ſi renommé dans l’antiquité, n’étoit-il pas la ſeule nourriture des Gladiateurs ? & ſi nous voulons étendre nos exemples aux animaux, ne voyons-nous pas le taureau qui broute l’herbe, être auſſi furieux que le lion, auquel les animaux, qui tombent ſous ſa griffe, ſervent de nourriture ?

L’uſage de la viande procure ſans doute une nourriture qui anime & échauffe davantage que celle que fourniſſent les végétaux ; mais ces derniers auſſi donnent une force qui paroît plus naturelle & plus durable : il eſt aiſé de s’en convaincre par la comparaiſon qu’on peut faire des habitans de nos campagnes un peu à l’aiſe avec les citadins ; les premiers, comme l’on ſait, font entrer dans la compoſition de leur nourriture, beaucoup de végétaux, & s’il étoit poſſible de faire une énumération exacte des hommes, & même des peuples qui, ayant adopté le régime Pythagoricien, ont atteint la plus grande vieilleſſe, on verroit bientôt que les mangeurs de viande ne ſont pas auſſi nombreux qu’on le prétend.

Entre les avantages que les végétaux ont ſur les animaux conſidérés comme aliment, n’oublions point de faire encore remarquer que les premiers étant détériorés, leur altération ſe manifeſte à la première inſpection, ils ont un goût & une odeur particulière que rien ne ſauroit maſquer : très-souvent même ils ſont déformés, & les accidens ſurvenus dans les différentes époques de leur fructification, n’échappent à aucuns de nos ſens exercés.

Les animaux, au contraire, dont nous nous nouriſſons, ſont expoſés à devenir mal-faiſans par une foule de circonſtances preſqu’étrangères aux végétaux ; ils peuvent être morts de maladies peſtlilentielles ou pour avoir brouté des Plantes vénéneuſes ſans montrer à leur extérieur des marques ſenſibles d’altération, & en ſuppoſant qu’il fût poſſible de s’en apercevoir, l’art du Cuiſinier, qui n’eſt que l’art de déguiſer les ſaveurs principales, les rendroit inſenſibles par le moyen des aſſaiſonnemens.

Ceux qui prétendent que la chair eſt ſaite pour nourrir la chair, & que plus les ſubſtances alimentaires ont d’analogie avec elle, plus auſſi elles doivent avoir le privilège de nous nourrir, ceux-là, dis-je, ne font pas attention qu’en ſuppoſant qu’il y ait des Sauvages qui par goût ſe nourriſſent de chair humaine, elle ne leur eſt pas plus analogue que celle qu’ils mangent dans les bois, parce qu’avant que les alimens arrivent à l’eſtomac, & qu’ils acquièrent cette analogie prétendue avec les humeurs animales, il faut qu’ils ſoient en état de ſubir quelque préparation, d’abord un premier broiement dans la bouche, & qu’enſuite pendant la maſtication ils ſe pénètrent des ſucs ſalivaires qui les ramolliſſent, les atténuent & les diſſolvent au point d’en former un mélange capable de nous nourrir.

M. Bonnet, dans ſes Conſidérations ſur les Corps organiſés, prétend que la nutrition eſt cette opération par laquelle le corps organiſé change en ſa propre ſubſtance les matières alimentaires ; ſi ces matières alimentaires ont déjà le caractère de l’animal qu’elles vont nourrir, comment s’opéreront les changemens ſucceſſifs & gradués qu’elles doivent éprouver pour être converties en ſuc nourricier ! l’addition de ces ſucs ſalivaires n’altérera-t-elle point au contraire la nourriture, plutôt que de l’aſſimiler à la nature animale ? La vertu que les alimens poſſèdent de nourrir nos corps, & de ſe changer en notre propre ſubſtance, ne dépend pas uniquement de leur forme extérieure ni de leurs qualités ſenſibles ; on doit l’attribuer principalement aux élaborations multipliées qu’ils ſubiſſent dans les différens viſcères où ils ſéjournent : briſés d’abord par les dents, broyés & humectés dans la bouche par la ſalive, ils ſe rendent enſuite dans l’eſtomac où ils éprouvent une nouvelle altération ; là ils changent entièrement de nature, & leurs parties diſſoutes, liquéfiées & combinées, ne forment plus enſemble qu’une pâte uniforme, un tout homogène ; cette pâte, à demi-digérée, ſe perfectionne dans les inteſtins, & fournit, par ce moyen la liqueur douce & laiteuſe que nous nommons le chyle. C’eſt ainſi que s’exprime M. Aſtruc, dans ſon ſavant Mémoire ſur la Digeſtion, dont j’emprunte les idées avec d’autant plus de confiance, qu’elles ont été adoptées par pluſieurs Auteurs de réputation.

En comparant les organes de l’homme deſtinés à préparer l’aliment pour la nutrition avec ceux des animaux voués manifeſtement au carnage, on s’aperçoit ſacilement qu’il s’en faut bien que la viande ſoit l’aliment naturel de l’homme, & que ſi le Créateur l’eût deſtiné à ſe nourrir de chair, lui auroit donné des dents pointue & iſolées pour la déchirer, un goût invincible pour le ſang, & des armes offenſives comme aux carnivores ; mais il ſemble qu’il lui ait refuſé tous ces moyens en lui accordant des dents molaires pour broyer, des inciſives pour couper, des canines pour caſſer les fruits & noyaux, enfin un penchant décidé pour les ſemences, les fruits & les racines.

Quand nous ferions conformés d’une manière marquée par la Nature, à dévorer la chair & à brouter les Plantes ; quand la diſpoſition de nos dents, la structure de l’eſtomac & des inteſtins pourroient devenir un jour une preuve en faveur de ceux qui prétendent que l’homme eſt né carnivore, granivore ou frugivore ; je penſe qu’il fera toujours bien difficile & même impoſſible de déterminer avec quelque préciſion les juſtes limites marquées à cet égard, ſi l’on ſe rappelle ſur-tout la remarque générale du changement de goût que la domeſticité opère dans les animaux.

Que le goût carnivore ſoit ou ne ſoit pas contre nature, quelqu’éloigné que l’homme ſoit de ſon état primitif, malgré la dépravation de ſon attachement pour le régime animal, on ſera toujours forcé de convenir qu’il n’y a rien de ſi délicieux que les ſemences & les racines ; que l’homme ne peut guère ſe diſpenſer, autant que ſa poſition lui permet, de les aſſocier toujours avec la viande, & que s’il jouit de la faculté de pouvoir vivre dans tous les climats, ſelon les beſoins qu’ils font naître, les végétaux n’aient beaucoup d’àvantage ſur les ſubſtances animales, puiſque leur uſage n’occaſionne pas auſſi aiſément la corruption à laquelle la viande eſt ſi ſujette ; qu’ils portent dans le ſang beaucoup de fluide & une acceſſence d’autant plus néceſſaire, que la plupart du temps nos humeurs ont une diſpoſition contraire, je veux dire, une tendance naturelle a la putréfaction.

Tout doit donc nous porter à croire que ſi la Nature eût indiqué à l’homme un aliment particulier, ce ſeroit dans la claſſe des végétaux qu’elle l’auroit placé, parce que ceux-ci renferment une multitude de racines, de fruits & de ſemences qui, au moyen de préparations ſimples, ſans autres aſſaiſonnemens que ceux qu’ils ont eux-mêmes, peuvent offrir une nourriture bienfaiſante & relative à chaque tempérament ; mais ce ſeroit auſſi s'abuſer, que de croire qu’il ſallût ſe borner à cette ſeule nourriture, à moins qu’il ne fſſe exceſſivement chaud, qu’il règne quelques maladies épidémiques, ou que les circonſtances que nous avons expoſées, ne preſcrivent absolument ce régime.

Dans les pays où l’agriculture n'eſt pas regardée comme un eſclavage, & ou le ſol eſt ſuſceptible de produire des récoltes abondantes, les végétaux devroient toujours former la baſe de la nourriture, & les ſubſtances animales en faire partie ; l’un eſt corrigé par l’autre ; ils ſe prêtent mutuellement leurs ſecours : enfin la viande paroît plus néceſfaire aux habitans des contrées glacées, à cauſe de la chaleur qu’elle porte dans les humeurs, & par une raiſon contraire, il faut une abondance de végétaux dans les pays brûlans, pour diminuer l’eſſerveſcence du ſang ; au lieu que ſous les climats tempérés, il convient de des uns & des autres que dans des proportions relatives.


Article XXIX.


Les farineux, ſous la forme de Pain, paroiſſent être la nourriture la plus analogue à l’eſpèce humaine.


L'expérience conſtante de tous les âges, a démontré qu’il n’eſt pas de nourriture plus propre à prolonger la durée de la vie, que celle à laquelle on eſt accoutumé dès l’enſance ; or ce ſont les végétaux qui ſuccèdent ordinairement au régime lacté, & l’on ſait que dans leur nombre, les farineux particulièrement, ont toujours été préférés par les hommes & par les animaux de toutes les contrées de la Terre.

On compare aſſez ordinairement la compoſition phyſique du chyle à celle du lait ; cette dernière liqueur quoique provenant de femelles carnivores ou frugivores, contient des principes dont la nature a beaucoup d’analogie avec ceux de la farine, une ſubſtance muqueuſe, du ſucre & une matière extractive.