Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/A un rosier mourant

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À UN ROSIER MOURANT.

Élégie.

Toi que, dès la naissante aurore,
Arrosait ma soigneuse main.
Toi que plus assidue elle arrosait encore,
Lorsque le jour, à son déclin,
Fuyait devant la nuit qui s’empressait d’éclore ;
Arbuste cher, toi dont la fleur
Devait parer ma solitude
Et la remplir de ton odeur ;
Objet de ma sollicitude,
Doux rosier, tu péris, hélas !
Et je ne puis sauver ta tige
Des injustes coups du trépas !
Que n’ai-je, pour charmer le regret qui m’afflige,
L’espérance de voir, par un nouveau prodige,
Sur ton pied desséché refleurir tes appas ?

Mais non : tu meurs pour ne renaître pas !
Tu meurs ! Ni le printemps ranimant la nature,
Ni du zéphir le souffle bienfaiteur,
Ni d’un soleil nouveau la féconde chaleur,
Ni la fraîcheur d’une onde pure,
Rien n’a pu de ta sève animer la langueur ;
Rien n’a pu de ton front conserver la verdure ;
Tu meurs !… Naguère encore je voyais tes rameaux,
Chaque matin à leur parure
Ajouter des attraits nouveaux ;
Toujours à mon réveil je les trouvais plus beaux ;
Fidèle à mon espoir, chaque nuit faisait naître
Quelques feuilles, doux prix de mes soins assidus !
Chaque aurore, un bouton s’efforçait de paraître ;
Mais enfin des plaisirs si long-temps attendus,
Le moment me sourit, j’aperçois une rose,

Qui parmi la verdure, étalant sa rougeur,
Avec le jour naissant disputait de fraîcheur.
Sur elle avec plaisir mon regard se repose ;
J’admire tour-à-tour son éclat, sa candeur,
Et plein d’émotion j’en savoure l’odeur.

O courte joie ! ô plaisir éphémère !
J’ignore quel souffle impur,
Pénétrant l’écorce légère,
Dissipa mon ivresse et d’un bonheur futur
Emporta l’espérance, hélas ! trop mensongère.
Je me refuse encore à de justes soupçons…

Cependant sur l’arbre que j’aime,
La feuille sans ressort fléchit sous elle-même ;
Et mon dernier espoir, les fragiles boutons,
Sur leurs rameaux flétris laissent tomber leurs fronts.

Comment d’un mal si prompt combattre le ravage ?…
Redoutant du soleil un rayon trop ardent,
A l’arbuste ma main prépare un doux ombrage ;
Son pied d’une eau limpide est baigné plus souvent ;
De la fraîcheur des nuits la cloche le défend…
Tout est vain ! la pâleur a terni son feuillage ;
Son tronc se dépouille et noircit ;
Tandis que la fleur en poussière,
S’envole, tombe et retourne à la terre,
Qui la fit naître et la nourrit.

Ainsi mes yeux t’ont vue, aimable Leonore,
Pâlir, sécher, languir et descendre au tombeau,
Quand de ta vie à peine avait brillé l’aurore,
Quand l’espoir t’entourait d’un avenirs si beau !
Innocente, sensible, hélas ! par quelle offense,
Pouvais-tu mériter un sort si rigoureux ?
Mais je connais du ciel la jalouse puissance,
Nous étions criminels, nous étions trop heureux !
Un tel forfait criait vengeance !

Le ciel punit toujours de pareils attentats.
Et malgré tes vertus, ta jeunesse, tes charmes,
Sourd à nos vœux, sourd à nos larmes,
Sur toi dans sa colère, il lança le trépas.

D’un père chancelant au bout de sa carrière,
Ta tendresse pieuse étayait les vieux ans :
Le malheureux a fermé ta paupière !…
Ô douleur ! et tes yeux mourans
Sur ta couche funèbre ont vu pleurer ta mère,
Tandis qu’auprès de toi mes sanglots impuissans,
S’opposaient, mais en vain, à ton heure dernière.

Leonore ! Ombre chère ! ah ! si ma faible voix
Avec succès un jour ose se faire entendre,
Je le jure aujourd’hui, pour la seconde fois,
J’obtiendrai des pleurs à ta cendre.
Tous les cœurs attendris sur ton malheureux sort,
Rediront les accens de l’ami le plus tendre,
Et partageant son deuil, gémiront sur ta mort !

Naturæ imperio gemimus, cum funus adultæ
virginis occurrit. JUV. Sat. 15.
L. LEDIEU.