Recueil des lettres missives de Henri IV/1571/9 mars ― Au roy, mon souverain seigneur

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1571. — 9 mars.

Cop. – Arch. du Royaume, section historique, Arch. de Simancas. B. 31, pièce 63.

[AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.]

Monseigneur, Comme je ne veux pas juger si Don François[1], ambassadeur du Roy Catholique pres de Vostre Majesté, a esté adverty ou non qu’il se faict à présent quelque assemblée de gens de guerre à la Rochelle et en Brouage pour dresser une armée de mer pour entreprendre quelque chose ou sur le roy son maistre, es Indes, ou bien en ses Pays Bas[2], si veulx-je bien au vray asseurer Vostre Majesté que je ne voy et n’ay veu jusques à present argument, quel qu’il soit, sur lequel luy ou ceulx qui pour le mettre en deffiance luy donnent cest advis, se soient peu justement fonder. Et où il seroit aultrement, je ne serois pas excusable, d’aultant que telles choses ne se pourroient, estant où je suis à present, poursuivre et manier sans que j’en eusse cognoissance. Laquelle ayant, je sçay tres bien, graces à Dieu, ce que je doibz en ung tel faict commander pour vostre service, et ce que les aultres me doibvent satisfaire au departement de ma charge et à voz edictz et ordonnances. Entre lesquelles à bon droict celles sont plus à observer qui conservent la paix publicque, l’entretenement d’icelle avec les amis et voisins de vostre estat et de vostre couronne ; et lesquelles il n’est permis à aulcun subject, quel qu’il soit, de violer de son auctorité privée. Mais je n’ay veu, depuis la publication du dernier edict de la paix, aulcun qui ait par quelque entreprinse de mer rompu le lien de la paix, que les vaisseaux armez en guerre du comte de Bossu[3], auquel j’ai cy-devant, comme d’un attemptat insigne contre vostre estat et subjectz, donné advis à Vostre Majesté. Et quant à aultres vaisseaux armez qui soyent depuis la guerre sortiz et partiz de ce havre, ou qui ayent voulu mouiller leur ancre en ceste rade, je n’en ay reconnu aulcun, que le vaisseau de Petro Paulo, qui a commission de vous. Toutesfois pour n’obmettre rien de mon debvoir et de ma charge en ung faict de telle importance, j’ay promptement, ayant receu voz lettres, mandé vers moy les juge et officiers de l’admiraulté de ce havre. Ausquelz, afin d’y donner meilleur ordre par la voye ordinaire, j’ay bien faict peser et entendre vostre commandement, leur enjoignant expressément de faire derechef publier en ce port et havre les ordonnances sur ce faictes, ainsi que vous voirrez par la commission et l’acte de la publication que je vous envoye[4] ; et s’enquerir aussi et s’informer diligemment et sans aulcune congnivence, s’il y a point quelques vaisseaux armez en guerre ou que on se prepare d’armer, pour les faire faire tous desarmer, fors seulement les vaisseaux des marchans, equipez et armez ainsy qu’ilz ont, en temps de paix, accoustumé de faire pour s’asseurer et garantir des voleurs et pirates ; ayant, devant que faire voile, au desir de voz ordonnances, obtenu leur congé et donné caution telle qu’elle est requise. Quant à ce qui concerne monsr le comte Ludovic[5], il en a satisfaict de bouche, monsr le mareschal de Cossé[6] estant en ceste ville, qui s’est chargé de vous en advertir. Ce que je croy qu’il aura faict. Et afin de pourveoir à tout, j’ay depesché par tous les aultres havres et portz de mon gouvernement pour faire executer, par le juge et officiers, vostre commandement, et m’envoyer aprés les actes et les proces-verbaux de ce qu’ilz auront faict. Lesquelz je feray promptement tenir à Vostre Majesté. Cependant je prie le Createur, Monseigneur, vous donner, en tres parfaite santé, tres longue et tres heureuse vie. De la Rochelle, ce ixe jour de mars 1571.

Vostre tres humble et tres obeissant subject et serviteur,
HENRY.


  1. Don Francois de Alava, ambassadeur d’Espagne en France, au mois de février 1564, était encore à Paris avec ce titre le 22 octobre 1571. Il fut rappelé à la fin de cette année, suppléé d’abord par le secrétaire d’état Anguilem, qui fit l’intérim, et remplacé en 1572 par don Diégo de Cuniga.
  2. Cette lettre-ci paraît avoir le caractère d’un désaveu officiel destiné à être adressé au gouvernement espagnol, par suite d’un accord secret entre Catherine de Médicis et Jeanne d’Albret. C’est du moins ce qui semble ressortir de l’histoire de cette princesse, par mademoiselle Vauvilliers. Catherine de Médicis, après la mort de la reine d’Espagne sa fille, avait fait offrir à Jeanne de se réunir pour attaquer Philippe II. « La reine Jeanne alors crut ou parut croire à une entreprise que tout pouvait justifier, et, sans perdre un instant, ou comme si elle eût voulu éprouver Médicis, elle équipa, avec Coligny, une flotte destinée à agir contre le cabinet espagnol ; c’était, suivant elle, le frapper à mort que de l’attaquer dans ses possessions d’Amérique. » (Histoire de Jeanne d’Albret, tome II, p. 319, 320.) La cour de France devait agir dans les Pays-Bas.
  3. Maximilien Hennin, comte de Bossu, mort en 1578, connu par plusieurs exploits maritimes, joua un rôle important, à cette époque, dans toute la guerre des Espagnols en Flandre.
  4. L’acte annexé à cette lettre est postérieur de six jours. C’est la copie d’une ordonnance en date du 15 mars 1571, pour la surveillance des côtes de Guienne, afin qu’on n’y équipe aucun navire armé en guerre, et qu’on n’y accueille aucun pirate.
  5. Ludovic de Nassau-Dillembourg, comte de Nassau, second frère de Guillaume, prince d’Orange, était venu avec ses frères, en 1569, au secours des huguenots, et jouissait de beaucoup de crédit parmi eux. Il fut tué à la bataille de Moukerkeide, le 14 avril 1574.
  6. Artus de Cossé, comte de Secondigny, etc. second fils de René de Cossé, seigneur de Brissac, et de Charlotte Gouffier, était maréchal de France, premier panetier du roi, gouverneur de Touraine, d’Anjou, de l’Orléanais, etc. Il mourut en 1582, et fut oncle du maréchal de Brissac, qui ouvrit à Henri IV les portes de Paris.