Recueil des lettres missives de Henri IV/1577/20 octobre ― À mon cousin monsieur de Dampville

La bibliothèque libre.



1577. — 20 octobre.

Orig. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8827, fol. 18 recto.


À MON COUSIN MONSR DE DAMPVILLE.

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, Par le retour de monsr de la Noue, j’ay esté bien ayse d’avoir esté au vray esclaircy et bien particulierement de tout ce qui s’est passé par delà et des raisons et occasions : ce qui m’en donne ung plus droict jugement que je n’eusse peu avoir auparavant, comme aussy de la demonstration que vous avez faict d’embrasser de cœur et d’affection et si promptement le bien de la paix, si necessaire à ce Royaulme, suivant ce que m’avés escript en toutes vos depesches, et mandé par ceulx que m’avez envoyez. Laquelle il est besoing que tous les gens de bien mettent peine d’establir et faire entretenir et observer inviolablement, afin de ne retomber plus aux miseres passées et qui pourroient à la fin causer une subversion ou dissipation d’Estat. De ma part je feray tout ce que je puis pour la bien establir par tout mon gouvernement, disposer et reduire les cœurs et volontez des subjects de mon gouvernement à une bonne reunion et reconciliation, vous priant, mon Cousin, afin de tesmoigner d’avantage de quelle affection vous la voulés establir et affermir de vostre part en vostre gouvernement, vouloir en ma faveur et en consideration de l’affectionnée priere que je vous en fais, oublier ce dont vous pouvés vous ressentir de vos subects d’Aletz[1] et Baignols ; parce que aussi en telles choses la doulceur faict de meilleurs effects que la rigueur, et par icelle on gagne et advance beaucoup plus qu’aultrement. Ce faisant, je seray d’aultant plus confirmé en l’opinion et asseurance que j’ay prinse de si long-temps de vostre bonne volonté envers moy. De laquelle de nouveau le dict sr de la Noue m’a rendu si certain temoignage, que je vous prie, mon Cousin, y vouloir tellement perseverer que, pour quelconque occasion, elle ne puisse donner entrée a aulcune alteration ou diminution, ensemble faire entier estat de la mienne, et vous asseurer du desir que j’ay de vostre bien, heur et prosperité ; ne voulant au reste obmettre à vous dire, mon Cousin, que ce m’a esté ung grand desplaisir d’avoir entendu les insolences que me mandés avoir esté faictes par ceulx de Montpelier, apres la publication de la suspension d’armes et desclaration de la paix[2]. Qui est pour tousjours reculer l’establissement d’icelle et la reconciliation des subjects du Roy mon seigneur, d’une part et d’aultre, que tous les gens de bien desirent, parce que c’est le moyen de couper chemin au renouvellement des troubles, et d’arrester le cours de ceste maladie qui a tellement attenué et affoibly le corps de ceste monarchie, qu’il nous fault craindre quelque dangereuse recheute cause à la fin un mal mortel et incurable. Je leur en escris presentement à ce qu’ils y prennent garde desormais, et qu’ils se comportent à ce commencement de paix, et en la continuation d’icelle, si paisiblement qu’on ne puisse cy après les blasmer justement de l’avoir alterée. Mais il est besoing, mon Cousin, que sur les difficultez qui se trouveront par delà pour le dict establissement, vous y usez de vostre prudence et de la bonne conduite et direction en tels affaires qu’elle sçaura bien y apporter, afin que les gens de bien et amateurs du repos puissent, non obstant les practiques et desseins des factieux et turbulens esprits, jouir d’une bonne et heureuse paix. De laquelle je recevray ce contentement et commodité d’avoir plus souvent de vos nouvelles, qui seront trez bien receues, comme aussy je vous feray part des miennes avec toutes les occasions, vous priant, pour fin de la presente, croire que je suis et desire demeurer toute ma vie

Votre affectionné cousin et parfait amy,
HENRY.

D’Agen, le xxe d’octobre 1577.


  1. Il s’agit ici, non point d’Alet dans le département de l’Aude, mais d’Alais dans le département du Gard. Cette ville et Bagnols, qui en est voisine, appartenaient au maréchal de Damville. Il avait même laissé dans la première ses enfants, qui y furent arrêtés lors de l’émotion de Béziers.
  2. Lorsque Damville s’était rendu à Montpellier, « le syndic des habitants lui en fit fermer les portes et lui en refusa l’entrée, à moins qu’il ne jurât l’observation des articles, avec les modifications qui lui avoient été proposées, ce qui irrita beaucoup le maréchal, qui fut obligé de se retirer. » (Dom Vaissète, Histoire de Languedoc, l. XL, ann. 1577.) Sa femme fut même arrêtée dans cette ville au moment où ses enfants étaient arrêtés à Alais.