Recueil des lettres missives de Henri IV/1578/6 mars ― À monsieur Forget

La bibliothèque libre.



1578. — 6 mars.

Orig. – Arch. de la famille Forget de Fresne. Communication de M. le chevalier Artaud de Montor, membre de l’Institut, allié de la famille Forget.


[À MONSR FORGET.]

Forget, J’ay bien cogneu par les depesches que monsr de Miossans m’a apportées le soing que vous avez de mes affaires et la diligence dont vous avez usé à poursuivre et obtenir les expeditions que j’ay receues. Mais d’aultant que, pour le regard de l’assignation de ma pension, le general de Gourgues[1] m’a mandé resolument qu’il ne pourroit me faire payer en vertu de l’acquit dont je lui ay envoyé la copie, ensemble des attaches[2] des tresoriers de l’Espargne, et que l’adresse en debvoit estre en la chambre des Comptes, pour le moins qu’il failloit avoir un relief d’adresse, et les presenter et faire verifier en la dicte chambre, j’ay advisé de les vous renvoyer pour y faire ce qui se doibt, afin de lever tous obstacles et empeschemens. Et cependant il seroit bon de mander au dict general qu’il n’employast les deniers de ma pension au payement d’aultres assignations. Quant à l’expedition des pastelz[3], il ne se faict aucune mention de moy ; et n’ayant rien à voir ni à la recepte ni au contrerolle de la levée des deniers de l’imposition et peage sur les dits pastelz, il semble qu’on se veuille ayder de moy pour establir et authoriser seulement le dict peage, dont je ne puis tirer aucun proffit ne utilité en vertu de l’expedition que m’avez envoyée. Et partant, il sera bon d’avoir quelque declaration ou telle autre expedition qu’on advisera, pour estre mieulx asseuré des ditz deniers qui m’ont esté accordez là dessus à la conclusion de la paix. Et semble qu’il seroit besoing que le recepveur y fust mis de ma part, et qu’il plaise au Roy y mectre seulement un contrerolleur ; autrement je ne ferois pas grand estat des ditz deniers. Je desire aussi grandement que le sr de Favas obtienne son evocation qui lui a esté cy devant accordée, et que ce soit au parlement d’Aix, suivant ce qu’il a requis, laquelle, à ceste cause vous poursuivrez avec non moins de soing que mes propres affaires ; et l’ayant obtenue vous ne fauldrez de la m’envoyer. Au reste, vous m’advertirez de l’estat de mes affaires avec toutes les occasions, vous prians de continuer à user de la diligence que j’ay cogneu en vous. Et par le retour du dict sr de Myossans, je pourvoieray sur tout ce que m’avez mandé pour l’augmentation de vos salaires, et regarderay vous faire don sur les arrerages des estats et pensions qui me sont deuz à l’Espargne. Cependant, donnez ordre à ce que l’acquit-patent que m’avez envoyé soit refermé et que je puisse estre desormais seurement payé de ma pension. Sur ce, je prieray Dieu vous tenir, Forget, en sa saincte et digne garde.

De l’Isle en Jourdain, le vje mars 1578.

Vostre bon maistre,
HENRY.


  1. Ogier de Gourgues, seigneur de Montlezun, vicomte de Juillac, baron des Vayres, fils de Dominique de Gourgues et d’Isabeau du Lau, était trésorier de France et général des finances à Bordeaux, maître d’hôtel ordinaire du Roi et conseiller en ses conseils. Il mourut le 20 octobre 1594. Il était frère du brave Dominique de Gourgues, qui se rendit célèbre par son expédition en Amérique. Un autre frère, Jean de Gourgues, était général des finances du roi de Navarre. Ce prince parle ici d’Ogier de Gourgues, auquel il s’était adressé pour sa pension, comme gouverneur de Guienne.
  2. L’attache ou lettre d’attache était l’acte que certains officiers devaient annexer à l’ordonnance de payement pour en autoriser l’exécution.
  3. Par l’un des articles du dernier édit de pacification, le Roi avait accordé au roi de Navarre le produit de l’impôt sur cette plante, appelée aussi guède, et qui était à cette époque le seul ingrédient employé pour la teinture en bleu. Mais on paraissait alors n’être disposé à rien accorder à ce prince, que Davila représente « réduit en un coin de la Guyenne, dont il n’étoit gouverneur que de nom, privé de la plupart de ses revenus, et entierement exclus des bienfaits du Roy, choses par le moyen desquelles ses ancestres avoient soustenu leur dignité depuis la perte du royaume de Navarre. » (Histoire des guerres civiles de France, l. VI.)