Recueil des lettres missives de Henri IV/1578/14 mars ― À mon cousin monsieur de Dampville

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1578. — 14 mars

Orig. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8844, fol. 53 recto.


À MON COUSIN MONSR DE DAMPVILLE,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, Tout ainsy que je n’ay point encore veu une si entiere obeissance es catholiques à l’observation de l’edict de pacification, aussy n’ay-je point cogneu une si grand obstination en ceulx de la Religion contre l’establissement de la paix, ne entendu qu’ils se soient efforcez de faire tant d’entrepinses et surprinses comme vous m’escrivés par la lettre que j’ay receue par ce porteur[1] ; si ce n’est qu’à present ung capitaine Pierreur, ayant practiqué soixante soldats, a surpris ceste ville ainsy que j’estois arrivé à Mazeres ; mais je n’ay failly d’y envoyer le sr Dodou[2], qui a trouvé moyen d’entrer dedans, où incontinent je me suis aussy acheminé, et ay envoyé vers messrs du parlement de Thoulouze et monsr le seneschal de Cornusson[3], pour depputer commissaires pour venir faire justice exemplaire de ceulx qui sont prins, et entre aultres du sergent de Montignac qui avoit surprins la dicte ville. Laquelle j’ay remis maintenant en son premier estat. Je vouldrois bien que de toutes parts on fist de mesme, et qu’un chascun se conduisist avec la sincerité et droicture qui y est requise. Car si on ne tient la balance esgale, si on ne quicte les connivences et les dissimulations accoustumées, et si on ne se despouille de toutes aigreurs et animositez, sans tendre à aultre but qu’à un bon establissement de paix, il ne fault pas esperer qu’on en puisse jouir si promptement et heureusement comme tous les gens de bien desirent, et comme l’estat des affaires du Roy mon seigneur et le bien de son service requiert. De ma part j’ay assez clairement faict cognoistre de quel pied j’ay cheminé à la conclusion de la paix ; et depuis, toutes mes actions, si on les a bien voulu considerer, l’ont assez tesmoigné[4] ; et encores à present, ce faict en rend preuve oculaire ; de sorte que puisque personne ne peut doubter de la sincerité de mes actions, il est besoing que on s’y desporte de mesme façon. De tous costez j’ay veu plusieurs plainctes de meurdres et entreprinses faictes contre ceulx de la Religion, sans qu’on leur face administrer la justice qui est deue aux subjects du Roy mon seigneur, et au contraire on crie contre eux desespereement et les charge l’on des plus grands crimes du monde, de ce qu’ayant juste occasion de doubte et deffiance, ils pensent seulement et reguardent à leur conservation, aprés avoir esté tant de fois trompez et massacrez. S’ils remettent une ville qu’ils tenoient, en son premier estat, elle est incontinent saisie, et en sont par aprés chassez. On en fortifie plusieurs contre ce qui est porté par l’edict. On a surprins St-Anastaze[5], on a tué le baron de Fougeres[6], puis on couvre ce faict d’une querelle particuliere. Sur ceste nouvelle de la surprinse de ceste ville on a emprisonné partout ceulx de Religion, on en a tué une centaine, chascun se licenciant de ce faire sans attendre le commandement et auctorité de leurs superieurs. Je ne voy qu’on s’eschauffe pour cela d’en faire justice, ne qu’on soit prompt à en faire donner advertissement au Roy mon dict seigneur, comme on a accoustumé de faire pour la moindre faulte de ceulx la Religion. On a voulu rendre Briteste[7] ; on sçait les aucteurs et executeurs, et neantmoins on ne parle poinct d’en faire justice. Cela a donné occasion à ceulx de la Religion de prendre St-Germain ; de quoy je voy qu’on parle sans faire mention de ce qui a esté faict au dict Briteste. Je laisse trois entreprinses faictes sur Perigueux, sur la Reole et Mas de Verdun, villes de seureté[8], et comme desposts de la foy du Roy mon dict seigneur. On a taillé en pieces partie de la garnison du Mas qui s’alloit mectre dedans par le commandement de Sa Majesté : de sorte qu’il nous fault bien par patience vaincre tous les obstacles et empeschemens que aulcuns desirans le renouvellement des troubles donnent à l’establissement de la paix, et demonstrer que nous la desirons plus que ceulx qui nous blasment. Voilà les plainctes que j’entends ordinairement de ceulx de la Religion, et que j’ay bien voulu vous representer, mon Cousin, afin que vous les entendez et que, suivant la bonne affection que vous avés au bien et repos de cest estat vous y apportés les remedes convenables et que gens de bien desirent de vous. J’ay un si notable interest à la conservation de ceste couronne, que je ne me laisseray jamais surmonter en cela à aultre quelconque, de zele et droicte intention ; vous priant que avec une bonne correspondance de volonté et moyens, nous puissions establir une bonne et durable paix par deçà. Pour à quoy parvenir et essayer de donner quelque bon advertissement, j’ay prié mon cousin, monsr de Turenne, de partir pour vous aller trouver pour cest effect, lequel m’a promis de partir dans huict jours. Et par lequel, parce que je vous feray plus amplement entendre de mes nouvelles, je ne vous en diray davantage, si ce n’est pour vous prier de croire et vous asseurer que je suis et desire demeurer toute ma vie

Vostre affectionné cousin et parfaict amy,
HENRY.


D’Avignonnet[9], ce xive mars 1578.


  1. Plusieurs chefs des réformés et plusieurs villes de la même communion s’étaient livrés à des actes d’hostilité, au mépris du dernier traité. « Damville, dit Vaissète, se plaignit au roi de Navarre de ces infractions de l’édit de pacification, dont le Roi lui commit de nouveau l’exécution dans toute la province. » (Histoire générale de Languedoc, l. XL.)
  2. Le texte porte Dodou. Ce qui peut autoriser à lire d’Audon, c’est que cette confusion paraît avoir déjà été faite. On trouve dans la généalogie de la maison de Lévis, un Claude de Lévis, baron d’Audon et de Belesta, mentionné seulement comme ayant épousé Louise de Lévis, veuve du sr de Chalabre, et qui fut veuve de ce second mari en 1598. D’un autre côté le marquis d’Aubais, dans ses notes sur le journal de Faurin, nomme Jean-Claude de Lévis, baron d’Audou, de Belesta, de Fougan et de Lagulhon, second fils de Gaston de Lévis, seigneur de Leran, et de Marie d’Astarac-Fontrailles. Il lui assigne de même pour femme Louise de Lévis, qu’il fait également veuve en 1598. Il est donc évident qu’il appelle baron d’Audou le même personnage qui est nommé baron d’Audon dans la généalogie de la maison de Lévis. Nous ajouterons encore qu’en 1572 M. de Sérignac, qui commandait les religionnaires de Montauban, avait nommé le sieur Dodon, ou Daudon, gouverneur de Saint-Paul. (Voyez l’Histoire générale de Languedoc de dom Vaissète, l. XXXIX.)
  3. François de Valette, dit de la Valette, seigneur de Cornusson et de Parisot en Guienne, fils de Guyot de Valette et d’Antoinette de Nogaret, neveu de Jean de Valette, grand maître de Malte, était chevalier de l’ordre, conseiller d’état, gouverneur et sénéchal de Toulouse, capitaine de cinquante hommes d’armes. Il mourut à Toulouse, à la mi-décembre 1586. Sur la distinction entre les maisons de la Valette-Cornusson et la Valette-Nogaret, voyez l’Histoire abrégée de Guienne, par Louvet, p. 180.
  4. « Les diminutions de l’edict precedent furent dures à digerer ; mais le roy de Navarre avoit fait son propre du traitté, et nommé cette paix sienne, se passionnant à l’observation et contre ceux qui demandoient quelque chose de plus estendu. » (D’Aubigné, Histoire universelle, t. II, l. III, chap. XXIII.)
  5. « Jean de Montluc, évêque de Valence, se transporta le 14 de février à Uzez, où il trouva les protestans fort animés. Le sujet de cette émotion venoit de ce que les catholiques avoient surpris depuis peu Saint-Anastase, petite place voisine de cette ville ; et les réformés étoient sur le point de se mutiner. » (De Thou, l. LXVI.)
  6. « Le baron de Fougères, qui en l’an 1573 avoit pris Lodève, fut meurtri à Fougères dans son château par les catholiques, et sa tête apportée à Lodève, où l’on s’en joua par les rues, comme en la prise il avoit fait de celle de Saint-Fulcrand. » (Histoire de la guerre civile en Languedoc, p. 29, dans les Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France, t. II.) Claude de Narbonne-Caylus, baron de Fougères, de Lunas, etc. était fils de Jean de Narbonne, et avait commandé en 1575 dans les diocèses de Béziers, Lodève et Narbonne.
  7. Briatexte ou Briateste, dans l’ancien diocèse de Castres, aujourd’hui dans le département du Tarn.
  8. Le Roi avait accordé huit villes de sûreté, « parmi lesquelles, dit dom Vaissète, étoient Aigues-Mortes et Beaucaire en Languedoc, et le Mas de Verdun sur la Garonne en Guyenne. » Cette petite ville, dont les fortifications furent abattues par Louis XIII, en 1621, faisait partie du pays de Rivière-Verdun, et est aujourd’hui dans le département de Tarn-et-Garonne, arrondissement de Castel-Sarrazin. On l’appelle aussi le Mas Grenier.
  9. Petite ville de l’ancien Lauraguais, aujourd’hui à l’extrémité est du département de la Haute-Garonne. Le roi de Navarre venait de la reprendre sur des troupes indépendantes de réformés, qui « s’emparèrent, dit dom Vaissète, de Baillargues au diocèse d’Agde, de Sallèles au diocèse de Lodève, de Saint-Martin-le-Vieux et de Cailhavel au diocèse de Carcassonne, qui furent repris depuis par les catholiques, d’Avignonet en Lauraguais, de Carla près d’Alby, de Saint-Remezé et Paillarès au diocèse de Viviers, du château de Vialart, au diocèse de Mende, etc. et ils recommencèrent leurs brigandages sur les grands chemins. Le parlement de Toulouse en ayant porté des plaintes au roi de Navarre, qui étoit alors à Mazères, dans le pays de Foix, ce prince se mit en armes, attaqua et reprit Avignonet. » (Histoire générale de Languedoc, l. XL.)