Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/31 mai ― À ma cosine madame de Batz, à Batz

La bibliothèque libre.



[1580. — 31 mai.]

Imprimé. – Vie militaire et privée de Henri IV, etc. Paris, an XII, in-8o, p. 13.


À MA COSINE[1] MADAME DE BATZ, À BATZ,

Madame de Batz, Je ne me despouilleray pas, combien que je sois tout sang et pouldre[2], sans vous bailler bonnes nouvelles, et de vostre mary, lequel est tout sain et saulf. Le capitaine Navailles[3], que je depesche par delà, vous desduira comme avons eu bonne raison de ces paillards de Cahors. Vostre mary ne m’y a quitté de la longueur de sa hallebarde. Et nous couduisoit bien Dieu par la main sur le bel et bon estroit chemin de saulveté, car force des nostres que fort je regrete sont tombez à costé de nous. À ce coup, ceulx-là que savez et qu’avez dans vos mains seront des nostres. À ce subject je vous prie de bailler à mon dict Navailles lettres et instructions qui luy seront necessaires, dont je vous prie bien fort luy aider à me gaigner ceulx-là et leurs amys, les asseurans du bon party que leur feray. Et de telle maniere que desirerez je vous recognoistray ce service, d’aussy bon cœur que je prie Dieu, ma Cousine, qu’il vous ayt en sa saincte garde.

Le bien vostre à vous servir,


HENRY,


  1. Ainsi, pour cousine. Ce titre, que le roi de Navarre donne à madame de Batz, s’explique aisément par l’extraction illustre de cette dame et par celle de son mari. Bertrande de Montesquiou, femme du baron de Batz, descendait des anciens ducs de Gascogne ; Manaud de Batz, troisième fils de Pierre de Batz et de Marguerite de Léaumont, tirait son origine des anciens vicomtes du même pays, dignité dont furent revêtus, pendant le dixième siècle et une partie du onzième, les vicomtes de Lomagne, ancêtres directs des barons deBatz. Les preuves de cette descendance, qui ne se trouvent point dans ceux des titres de la Famille de Batz que conserve le Cabinet généalogique, furent vérifiées en 1784 par une commission composée de dom Clément et de dom Poirier, religieux bénédictins ; de MM. de Bréquigny et Désormeaux, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; Chérin, généalogiste des ordres du Roi ; Ardillier, administrateur général des domaines de la couronne, et Pavillet, premier commis de l’ordre du Saint-Esprit. Le résultat des recherches de cette commission, légalisé par lettrespatentes du 5 mars 1785, modifie utilement l’extrait des titres manuscrits du Cabinet généalogique, que nous avons donné dans la note 2 de la lettre entre le 29 juin et le 4 juillet 1576.
  2. Ces mots, où il n'y a rien d’exagéré, indiquent d’une manière précise la date de cette lettre au moment où finissait le terrible combat de quatre jours, qui venait de réduire Cahors au pouvoir du roi de Navarre. D’Aubigné et Sully ont raconté cet événement avec des détails fort circonstanciés ; et néanmoins cette lettre et la suivante ajoutent encore plusieurs notions précieuses à l’Histoire universelle et aux Œconomies royales. Le journal de Faurin nous apprend que cette lutte acharnée du roi de Navarre et des défenseurs de Cahors dura du samedi 28 mai au mardi 31. C’est donc le 31 au soir que dut être écrite cette lettre à madame de Batz. La prise de Cahors est un événement capital dans l’histoire du roi de Navarre et de son parti. « En toutes ses autres actions, dit Davila, ayant rendu des preuves de sa vivacité merveilleuse, il donna en celle-cy autant d’estonnement à ses gens que de terreur à ses ennemis, leur Faisant connoistre à quel poinct il estoit vaillant et hardy dans les combats. » Voici comment le même historien apprécie les résultats politiques de la prise de Cahors : « Il s’advisa de faire un effort pour s’emparer de la ville de Cahors, que le Roy avoit promise en douaire à la reyne Marguerite sa femme, quoy que néantmoins il n’en eût rien fait, et qu’il y eût mis dedansun gouverneur qui la tenoit en son nom. Outre que ce dessein estoit fondé sur un prétexte raisonnable et plein d’apparence, chose qui dans le cours des guerres civiles est tout à fait nécessaire pour entretenir les esprits des peuples et mettre à couvert les intérêts des partys, le Roy de Navarre en tiroit encore un grand avantage, pour ce que cette ville et son territoire se trouvoient fort à sa bien-seance, pour estre proche des lieux de son domaine. » (Histoire des guerres civiles de France, liv. VI.)
  3. François de Bonnail, seigneur de la Beaume et de Navaille.