Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/23 novembre ― À mon cousin monsieur de Matignon

La bibliothèque libre.



1581. — 23 novembre. — Ire.

Orig. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8857, fol. 65 recto.


À MON COUSIN MONSR DE MATIGNON,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, Vous sçavez comme les miseres et calamitez des guerres passées ont licentié une infinité de personnes, qui de leur naturel estoient assez despravez et corrompuz, à commectre plusieurs crimes et delicts, et forcé mesme les plus gens de bien d’executer beaucoup d’entreprises, auxquelles ils ne vouldroient avoir pensé durant la paix. Que si ces dernieres faultes estoient plus tost mesurées par l’animosité particuliere de ceulx qui en poursuivent la punition que par la raison, il s’en trouveroit fort peu d’un party et d’aultre qui se peussent prevalloir de l’abolition que le Roy mon seigneur a faicte d’icelles par son edict de paciffication, que je puis dire avoir eu fort peu d’auctorité, pour ce regard, à l’endroict de ceulx qui ont porté les armes pour le party de la Religion : lesquelz on n’a laissé de constituer prisonniers, et faict mourir pour choses si legeres que la peine n’en devoit estre grande ; comme depuis quelques jours le lieutenant du vice-senechal de Guyenne, nommé Jullet, s’est saisy de la personne d’un soldat de la Religion, nommé Pallard, pour quelque faulte qu’il a commise pendant la guerre. Laquelle estant, à ce que j’aye pu entendre, assez legere, je vous prie bien affectueusement empescher que ceulx de la court de parlement de Bordeaulx n’en prennent cognoissance, jusques à ce que nous ayons advisé ensemble et fait dresser un reglement sur les recherches qui se pourront faire, tant de ce qui a esté executé d’une part et d’aultre pendant la guerre, que depuis la paix. Et cependant pour ce qu’un jurat de Montsegur, nommé la Maison, est retenu prisonnier en la consiergerie de Bordeaulx, à la suscitation d’aucuns particuliers, sans avoir aultre partye que le procureur general du Roy mon seigneur en la dicte court, je vous prie aussy d’estre moyen qu’il puisse estre eslargy en baillant cautions. Je vous ay cy-devant escript plus particulierement par Viçose, l’un de mes secretaires ; qui m’empeschera vous faire ceste-cy plus longue, sinon pour prier Dieu vous avoir, mon Cousin, en sa saincte garde. À Nerac, ce xxiije novembre 1581.

Vostre bien affectionné cousin et amy,


HENRY.