Recueil des lettres missives de Henri IV/1583/31 décembre ― Au Roy, mon souverain seigneur (1)

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1583 — 31 décembre. — Ire.

Orig. — Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre n° 61. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, J’ay receu par le sr de Clervant la response qu’il a pleu à Vostre Majesté faire aux cahiers qu’il luy avoit presentez de ma part, et ay par luy entendu combien Elle desire que sa ferme intention à l’entretenement de ses edictz de paix soyt cogneue d’un chascun, comme aussy la continuation de sa bonne affection envers ses subjects de la Religion, pour les faire joyr du benefice d’iceulx et d’establir et executer ce qui reste pour l’entiere observation de la paix publique. En quoy, Monseigneur, j’apporteray tout le moyen que je puis avoir, pour vous y donner toute la satisfaction et contentement que doys à vostre service, n’ayant aultre desir qu’avoyr cest honneur, avec la bonne grace de Vostre Majesté, de participer à tel bien et repoz commun, en surmontant, en ce qui peult dependre de moy, tous les obstacles et difficultez qui s’y pourroient presenter. Et pour y parvenir, et pouvoir mieulx faciliter de ma part ceste saincte resolution de Vostre Majesté, sur ce que le dit sr de Clervant m’a faict entendre que Vostre Majesté avoit deliberé d’envoyer personnaiges qualifiez et paisibles par les provinces, avec pouvoir et commission de parachever l’execution de vostre edict de paix, et nommement pour remettre mon cousin, monsr le Prince, et moy en la pleine et reelle jouissance de nos gouvernemens ; et par mesmes moyens recevoir les villes et places qu’il a plu à Vostre Majesté bailler en garde à ses dicts subjectz de la dicte religion, j’ay pensé, Monseigneur, estre necessaire de convoquer les deputez des Eglises de la Religion de toutes les provinces de ce Royaulme, et singulierement des plus interessez en ce faict, pour leur faire entendre la droicte intention de Vostre Majesté, et prendre adviz et resolution avec eulx, des moyens de l’effectuer promptement avec toute sincerité et une bonne et generalle reunion, affin que les dits commissaires trouvant les chemins aplaniz et les cueurs de vos subjectz bien disposez, par mon entremise à leur endroict, je puisse clairement faire veoir à Vostre Majesté la ferme affection que j’ay au bien de la paix, et l’entiere devotion à tout ce qui concerne son service ; et que ce que j’ay desiré retenir quelque auctorité et creance entre les dictes Eglises, n’a esté que pour le bien et avantaige de cest Estat et pour rendre l’auctorité souveraine de Vostre Majesté tant plus facilement obeye, comme les effectz rendront tousjours certain et evident tesmoignage, nonobstant tous les faux adviz et presuppositions que taschent de donner à Vostre Majesté ceulx qui sont coustumiers de luy deguiser et mal interpreter mes actions. C’est aussy, Monseigneur, le plus prompt et facile moyen que je voy pour composer tous ces remuemens qui se font en Languedoc, en divers lieux ; lesquelz proviennent principallement de la circonstance du temps où nous sommes, auquel on pense à la remise des villes, dont plusieurs espritz entrent en defiance, comme les humeurs s’esmeuvent ordinairement sur la crise d’une maladie. Mais une assemblée generale des dictes Eglises qui se resouldroit à l’intention de Vostre Majesté, comme jespere qu’elle fera, les rendra par conséquent resolus en tous leurs doubtes ; joinct que, s’il y en a qui ayent à se plaindre de quelque chose, ils en attendront par là le remede ; au lieu qu’ilz le repourchassent eulx mesmes par voyes moings licites. De faict, en pareils accidens cy-devant adveneus en divers lieux de ces provinces, je n’ay peu trouver aultre quelconque remede plus present ne plus facile, ayant icelluy, sur les inconveniens qui se sont presentez par cy-devant, servy de lien pour estreindre la paix, de quoy il y a assez d’exemples à alleguer. De sorte que je crains que l’obmission et trop longue intermission d’icelluy ne soyt cause des maux qui y regnent, comme ez corps pleins d’humeurs il est besoin de reiteration de remedes, si on veult eviter la maladie. Ce qui me faict supplyer tres humblement Vostre Majesté, Monseigneur, de voulloir, pour ces considérations, trouver bon qu’au plustost la dicte assemblée soyt convoquée, laquelle, comme les aultres precedentes, servira beaucoup à arrester le cours du peril imminent, et ce pendant, et attendant l’execution de la commission des dicts commissaires, voulloyr faire payer les garnisons estans ez villes de seureté qui seront, aultrement, contrainctes de vivre à la foulle du peuple, sur lequel les deniers de leur entretenement pour toute ceste année ont esté imposez et levés, et neantmoings demeurent entre les mains des tresoriers.

Et parce que la verification de l’abolition generale qu’il a pleu à Vostre Majesté accorder à vos subjectz faict de plus en plus congnoistre vostre ferme intention à ce qui touche le repos et soulaigement, et à l’execution de vos dicts edictz, il plaira à Vostre Majesté commander derechef la dicte verification en vostre court de parlement, et ordonner que la seance et nomination des presidens et conseillers de la chambre de l’edict de Paris se fera suivant ce qu’il vous a pleu me conceder pour ce regard.

D’aultant aussy qu’il y a infinies plainctes tant de la part des Catholiques que nommement de ceulx de la Religion, contre la court du parlement de Thoulouze et chambre de Lisle, lesquelles procedent, tant à faulte du reglement promis par la conference du Fleix qu’aussy par ce qu’on a choisy des plus factieux du dict parlement pour la remplir, et contre l’edict ceulx du grand conseil en ont esté rejectez, il plaira à Vostre Majesté, en executant ses edictz, y voulloir mettre la main à bon escient et commander que le dict reglement soit au plus tost dressé pour couper les difficultez et traverses qui se rencontrent ordinairement en l’administration de la justice, et qui tiennent le plus souvent de l’injustice, et que la dicte chambre soyt composée suivant la dicte conference de Fleix, et que desormais, au lieu mesme où est la justice et chambre de l’edict establye, pour l’execution d’icelluy, on n’y puisse plus veoir une si evidente contravention à icelluy comme est l’empeschement du retablissement de l’exercice de la Religion avec si grande passion et obstination de juges mesmes, entre lesquels, par ce que sur ce est intervenu partaige, comme aussy en un aultre cas directement contraire au XIIIIe article de vostre edict et qui rend du tout la dicte chambre inutille : assavoir que, des proces où l’une des parties est catholique, la dicte chambre n’en doibt congnoistre ; il plaira à Vostre Majesté commander que le dict partaige soyt promptement vuydé sans y user de remise ne longueur, comme il y a eu depuis ung an qu’il demeure indecis, au grand prejudice des parties, retardement du cours de la justice et entretenement de l’injustice. Je sçay, Monseigneur, que les courses et voleries qui se font d’une part et d’aultre en Languedoc empeschent que le cours de la justice soyt aussy libre comme il devroit, et Dieu sçait le regret et le deplaisir que j’en ay, et le desir de ma part de pouvoir y remedier et à beaucoup d’aultres inconveniens que je congnoys, comme aussy de faciliter l’execution des bonnes intentions de Vostre Majesté. Mais l’aigreur et animosité y est si grande et si eschauffée pour se ruyner les uns les aultres, que toutes les depesches et desseings de Thoulouze tendent tousjours à la guerre, jusqu’à faire offres qui leur sont du tout impossibles pour, à quelque prix que ce soit, fust aux despens de tout l’Estat, exercer leurs passions et vengeances, ainsy qu’il se pourra cognoistre par les depesches et memoires que Combelles, conseiller au parlement du dict Thoulouze, porte à present à la Court. De sorte, Monseigneur, que je suis de plus en plus confirmé en ceste opinion, comme j’ay desja dict cy dessus, [n’y avoir] aultre plus prompt ny plus aysé moyen que la dicte assemblée, laquelle se rendra ennemye des volleurs et infracteurs de vos edictz, s’ils n’obeissent, ainsy que j’ay donné charge au sr de Chassincourt vous faire plus particulierement entendre. Par mesme moyen on pourra donner à Vostre Majesté contentement pour le regard de Lunel. Et aprés cela je m’employeray à bon escient à La y faire obeir, encores que le dict lieu ne soit en mon gouvernement. Mais sur ce je ne puis obmectre à dire à Vostre Majesté qu’il me semble que la reddition du Mont de Marsan n’a rien de commun avec celle de Lunel, d’aultant qu’avant toutes choses ma dicte ville et maison me devoit estre rendue, suivant l’edict et plusieurs commandemens de Vostre Majesté, comme je n’y ay faict aultre chose qu’executer l’edict et conserver mes anciens privileges, et droitz de mes predecesseurs ; ayant mis les clefs des portes entre les mains des officiers, suivant les forz et coustumes du lieu, comme elles ont esté de tout temps, sans avoir tousché aux murailles, ains seullement faict ouvrir, par dedans la ville, une tour d’une des portes d’icelle, que les factieux avoient transformée en une citadelle dont on se servoit encores contre la teneur des editz, et y avoit dedans garnison lorsque j’y arrivay ; le tout à la requisition des magistrats, officiers et consulz de la dicte ville, et sans rien innover, ains remectre toutes choses comme elles estoient auparavant les troubles, ainsi qu’il appert par actes authentiques. Mais toutes mes meilleures actions sont mal interprétées et denoncées à gens qui taschent de les déguiser à Vostre Majesté, et me condampner promptement sans m’ouïr et sans s’en estre bien informez, comme il est advenu à la fortification de la maison du Casse, laquelle ayant faict applanir, de sorte que les charrettes y eussent couru, on a faict entendre que je ne l’avois faict qu’esgratigner. Le mesme a esté faict pour le voyage du sr de Segur, qui n’est aulcunement contre vostre service, ainsy que j’ay donné charge au sr de Chassincourt vous en satisfaire, en m’asseurant que Vostre Majesté, estant informée de la verité, ne le prendra en mauvaise part, et que les artifices de personne quelconque n’auront ceste puissance de faire croire à Vostre Majesté que je soys aultre que desireux d’estre perpetué en sa bonne grace, en luy rendant toute ma vye le tres humble et tres fidelle service que je luy doibs.

Quant à ce qui touche mon particulier, pour n’en ennuyer Vostre Majesté, je remectray au dict sr de Chassincourt à luy en parler s’il luy plaist à l’ouyr. Seulement je La supplieray tres humblement, Monseigneur, voulloir commander que je sois aultrement traité, et mesme à ce commencement d’an, que les années passées pour le regard de ma pension, qui est aultrement considerable que les aultres (comme Vostre Majesté sçait), parce qu’elle est fondée sur la perte d’un royaulme, faicte pour le service de ceste couronne[1]. Pareillement le sr de Chassincourt a charge de poursuivre le redressement et payement de ma compaignie ; auquel il plaira à Vostre Majesté donner audience, en ce qu’il a à luy remonstrer de ma part.

Monseigneur, je supplieray sur ce le Createur conserver Vostre Majesté longuement et heureusement, en tres parfaicte santé. Escript au Mont de Marsan, ce dernier decembre 1583.

Vostre tres humble et tres obeissant subject

et serviteur,


HENRY.


  1. En 1511, Catherine, reine de Navarre, et Jean d’Albret, son mari, refusèrent à Ferdinand, roi d’Aragon, le passage sur leurs terres pour porter la guerre en Guienne. Ce refus tourna les armes de Ferdinand contre la Navarre, qui fut conquise entièrement au delà des Pyrénées en 1512, et réunie à la Castille en 1515.