Recueil des lettres missives de Henri IV/1583/31 décembre ― Au Roy, mon souverain seigneur (2)

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1588. — 31 décembre. — IIme.

Orig. — Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre n° 60. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, J’ay à remonstrer à Vostre Majesté ung faict qui requiert que sa bonté et droicte intention à l’observation de ses edicts y pourvoye. C’est qu’au commencement du siege de La Rochelle, le capitaine Deslax, qui en est habitant, obtint commission fort ample du maire et capitaine de la dicte ville, de faire levée d’hommes, tant par mer que par terre, pour la deffense d’icelle, et pour courrir sus à tous ceulx qui leur estoient contraires, et les vouloient forçer ou endommager. Dont advint que lorsque l’armée du comte de Montgomery se presente devant La Rochelle[1], le dict Deslax auroit prins deux barques chargées de toute sorte de munitions qu’on portoit en l’armée de Vostre Majesté estant devant la dicte ville, et se seroit trouvé à la mort d’un marchand de Bourdeaulx qui revenoit de vendre des bleds en la dicte armée, ainsi qu’il appert clairement par les informations qui en ont esté faictes par les parens du dict deffunct, qui sont cas couvertz par les edictz et conferences. Et neanmoings le dict Deslax est tellement poursuivy qu’il a esté arresté prisonnier en la dicte ville de La Rochelle. Et pour ce que telles recherches et poursuittes qui se font soubz pretexte de justice sont à present fort communes et ordinaires, combien qu’elles soient directement contre vos edictz et conferences, et l’abolition qu’il a pleu à Vostre Majesté accorder, et que plusieurs juges estiment faire le debvoir de leur charge quant ilz travaillent voz subjectz de la religion reformée, il vous plaira, Monseigneur, commander que le dit Deslax ne soit vexé ne travaillé au préjudice de vos edictz, conferences et abolition, attendu que ce sont [cas] aboliz et esteintz par vos edictz, et dont par iceulx il est entierement deschargé et par l’adveu qu’il en a obtenu, et qu’il n’est aulcunement de ceux qui sont turbulens ne chargez de crimes et malefices ; mais au contraire il est en bonne reputation des gens de bien et paisibles, ayant porté les armes pour le party duquel il estoit ; joinct qu’il est mon serviteur domestique, et officier. Et je m’en ressentiray de plus en plus obligé à la bonté de Vostre Majesté, laquelle je supplye Nostre Seigneur vouloir,

Monseigneur, conserver longuement et heureusement en tres parfaicte santé. Du Mont de Marsan, le xxxje jour de decembre 1583.

Vostre tres humble et tres obeissant subject

et serviteur,


HENRY.


  1. En mars 1573. C’était le secours amené d’Angleterre aux Rochelois, alors assiégés par l’armée royale du duc d’Anjou, depuis Henri III. Cette petite flotte avait été rassemblée et était conduite par Gabriel de Lorge, comte de Mongomeri, fils de Jacques de Lorge-Mongomeri, capitaine de la garde écossaise. Le comte de Mongomeri succéda à son père dans cette charge, qu’il remplit avec distinction sous Henri II. Ayant eu le malheur de tuer ce prince en joutant contre lui dans un tournoi, il se retira en Angleterre ; puis, revenu en France, il de vint un des chefs du parti protestant et se distingua en de nombreuses occasions par son esprit de résolution et son éclatante bravoure. Il rendit de grands services à Jeanne d’Albret, qu’il accompagne à Paris en 1572, échappa à la Saint-Barthélemy, et reprit les armes, Mais deux ans après, étant tombé entre les mains des catholiques, il fut victime de la haine implacable de Catherine de Médicis, et, condamné à mort, il eut la tête tranchée en place de Grève, le 26 juin 1574.