Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/8 février ― Au Roy, mon souverain seigneur

La bibliothèque libre.



1584. — 8 février.

Orig. — Biblioth. impér. de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre n° 63. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.

Copie. — Biblioth. de Carpentras, Mss. de Peyresc, registre XLI, vol. II, fol. 280 verso. Envoi de M. le préfet de Vaucluse.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Mon seigneur, J’ay veu par la lettre qu’il a pleu à Vostre Majesté me rescrire le xxie du passé, qu’elle trouve l’assemblée que j’ay convoquée de ceulx de la Religion, non seulement infructueuse, mais prejudiciable et dommageable. Laquelle cependant je n’ay jamais pensé faire, sinon en intention d’affermir la paix et disposer les dicts de la Religion à l’entiere obeissance de voz commandemens et à l’observation de voz edicts, et pour retrancher desormais d’entre eulx ceux qui en certaines provinces, soubs pretexte d’estre du party de la Religion, alterent le repos d’ycelle par leurs attentats. Je jugeoy en oultre la dicte assemblée estre tres utille pour satisfaire à ce qu’aulcuns alleguent ordinairement de l’interpretation des six années de paix, au moyen des troubles et guerres qui sont, durant le dict temps, surveneues ; et parce qu’ils ont si peu jouy du benefice de l’edict, à cause des inexecutions d’icelluy, et des prinses, surprinses, attentats et injustices qu’ils ont souffertes, qu’il leur a esté rendu presque inutile, sans s’estre aulcunement ressentis du fruict qu’on asseuroit et attendoit, dedans le dict terme des dictes six années, pour la reunion et reconciliation des cueurs de vos subjects, et pour lever d’entre eulx les deffiances, lesquelles on voit au contraire estre à present plus grandes qu’elles n’ont encores esté, et telles qu’il semble que, sur la fin du dict temps, elles ayent esté expressement accrues, soit par la passion et animosité des hommes, soit par la malice du temps. Encores fraischement Vostre Majesté aura peu entendre ce qui est advenu à Tournon[1], où mon chasteau par le moyen des praticques et intelligences des voisins catholicques, qui se disent estre advouez des grands, a esté surprins, et, par la diligence et affection des habitans de la dicte ville, repris quatre heures aprés. Figeac a esté assailly par deux fois avec assemblée de la noblesse et gens de guerre des provinces de Rouergue, Auvergne, Limosin, Quercy, Albigeois, jusques au nombre de douze à quinze cens, faicte ouvertement et sans dissimulation, et au temps mesme que les lettres patentes de Vostre Majesté en forme d’edict, deffendans si expressement et soubs grandes peines toutes levées et assemblées de gens de guerre sans vostre commission, estoient publiées, de sorte que toutes personnes equitables ont ceste esperance, que la bonté de Vostre Majesté pardonnera tousjours à ses subjects et à leur crainte et soubsçon, si, sur telles occasions et entreprises si ouvertes contre leur propre vie, ils pensent à ce qui est pour leur seureté et conservation, qui est la plus inviolable de toutes les loix. Personne ne doubte, Monseigneur, de la droicte intention de Vostre Majesté, et qu’elle n’apporte, en l’execution de ses edicts et à la cognoissance et repos de ses subjects, toute la sincerité qu’il y convient ; mais on ne peult nier, d’aultre part, que vos ministres, et ceulx mesmes qui ont plus de faveur, credit et auctorité aux provinces, ne procedent pas de mesme pied, et font des effects tous contraires. J’avois naguere faict admettre la ville de Bazas en l’estat porté par l’edict, sans m’arrester à ce que plusieurs aultres choses debvoient estre auparavant effectuées. Incontinent aprés, la dicte ville a esté saisie, remplie de garnisons, et la plus grande part des habitans recerchez, poursuiviz et chassez de leurs maisons, contre l’edict et les promesses et conventions de monsr le mareschal de Matignon : qui sont toutes occasions de deffiances plus grandes, et des effects evidens par dessus tous aultres, que le bruit de la negotiation de Segur. Car, oultre ce qu’il n’a charge quelconque de dire ou defaire aulcune chose contre vostre Estat et l’obeissance que je doibs à Vostre Majesté, j’ay tousjours cru, Monseigneur, qu’estant né en mon royaume et pays souverain, et ayant le tiltre et droict par succession de mon dict royaume, qui est des plus anciens, et que j’ay perdu, ou plus des trois partz d’icelluy, pour le service de vostre couronne, je n’estois pas pourtant descheu du droict et pouvoir d’entretenir amitié et alliance comme les aultres roys et princes de la Chrestienté, pour le bien de mes affaires, et pour l’union des confessions de la religion dont je fais profession. Beaucoup de voz subjectz qui ne sont de ceste qualité n’en sont reprins, ou pour le moins ne cessent de traicter avec les estrangers ce que bon leur semble.

Quant à Tartas, je y suis passé comme en un lieu mien, sans contredict, avec la croye[2] et les fourriers, et n’y ay faict sinon ouvrir une tour, par le dedans de la ville, qui estoit sur une des portes, où on tenoit encore quelques gens contre l’edict. Il y a trois ou quatre hommes mortes-payes à la garde de mon chasteau de Tartas, suivant ce que je suis tenu de faire par les forz du pays ; et à ceste fin je prends droict du guetz. Pour le regard de mes subjects du Mont de Marsan, qui doibvent estre considerez comme estans d’aultres qualitez que les aultres, en ce qu’ilz respondent aux estats de—Bearn, payent seulement ce qui leur y est ordonné, et sont mesmes subjects à la foraine comme estrangers de la France, je pensois, Monseigneur, qu’attendu le reïteré commandement de Vostre Majesté, de me remettre en ma dicte maison et ville, la rebellion qu’ils m’avoient faicte, et la moderation dont j’ay usé à y rentrer, Vostre Majesté non-seulement ne me mettroit pas en peine de m’en excuser, mais elle l’auroit agreable, et l’approuveroit. Je sçay, Monseigneur, que cela ne vient de vous, ains de ceulx qui se pensent advancer et mettre en grace, et accroistre leur credit, en vous desguisant toutes mes actions, ou les rendant suspectes. Mais si mon malheur est tel que les calomnies sont preferées à la verité, et qu’il plaise à Vostre Majesté estimer ceulx qui interpretent mal mes actions plus dignes d’estre creus que moy, qui ay plus de moyen et de volunté de faire service à Vostre Majesté qu’ils n’ont, Dieu et ma conscience seront tousjours tesmoings de l’affection singuliere que je porte à Vostre Majesté, et de l’entiere devotion que j’ay à tout ce qui concerne le bien de son service et de son Estat ; à quoy je postpose toutes aultres choses quelconques, n’ayant rien de plus cher ne precieux en ce monde que l’heur de vostre bonne grace, ny que je desire plus, que vostre prosperité, ainsy que les effects feront evidemment paroistre. J’attends la response qu’il plaira à Votre Majesté me faire par les srs de Clarvant et du Plessis et de recevoir par eux voz commandemens, esperant qu’ils seront tels que j’auray le moyen d’y obeyr et satisfaire aussy promptement comme j’en ay tres bonne volonté. Et ce pendant je supplieray Nostre Seigneur vouloir,

Monseigneur, conserver Vostre Majesté longuement et tres heureusement en tres parfaicte santé. De Pau, le viije jour de fevrier 1584.

Vostre tres humble et tres obeyssant

subject et serviteur,


HENRY.


  1. Il ne s’agit point ici de la ville de Tournon, en Vivarais, qui joua un rôle assez important pendant nos guerres de religion, mais de Tournon, en Agénois, aujourd’hui chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
  2. Ce qu’on écrirait aujourd’hui la craie. C’est avec la craie que les fourriers et maréchaux des logis des princes marquaient les maisons où leur suite devait prendre logement.