Reflets d’antan/L’Ange du Canada

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Reflets d’antanGrander Frères, Limitée (p. 9-16).

La découverte du Canada
(Poème couronné par l’Université Laval)


I

l’ange du canada


 
Monte, vague d’amour, monte, ardente courrière,
De la terre lointaine au séjour de lumière
Où règne, glorieux, de toute éternité,
Le Créateur du ciel et de l’humanité !

Plus joyeux que le chant de l’aube matinale,
Un cantique nouveau des harpes d’or s’exhale.
Oh ! quels besoins d’aimer, toujours inassouvis,
Vous enivrent toujours, mondes et cieux ravis !


Le Dieu que nous chantons, disent les chœurs des anges,
De l’aurore au ponant est digne de louanges.
Il conseille, il ordonne, et des cieux entr’ouverts,
Les flots de son amour pleuvent sur l’univers.

Il pardonne au pécheur, donne la paix au juste,
Et fait de la vertu le bien le plus auguste.
Le vagabond nuage obéit à sa voix ;
Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.
L’amour et la douceur rayonnent sur sa face,
Et devant sa beauté toute beauté s’efface.
Que tout genou fléchisse à son nom glorieux !
Que la terre le prie, et qu’on le chante aux cieux !

Pendant que les échos des célestes Portiques
Redisent des élus les sublimes cantiques,
Comme l’écho sylvestre, à l’approche du jour,
Répète des oiseaux les cantates d’amour,
Vers le Père éternel dont toute vie émane,
Un ange vient. Il pleure, et sa beauté se fane.
Son pied glisse, léger, sur les brillants rubis
Qui parsèment au ciel les merveilleux tapis.
Il replie, en marchant, ses ailes fatiguées.
De ses longs cheveux d’or les boucles prodiguées,


Dégageant un parfum qui vient l’on ne sait d’où,
Retombent mollement et flottent sur son cou.
Il garde, jeune et triste, un aspect vénérable,
Et son front noble est ceint d’un vert rameau d’érable.

Alors sont suspendus les chants mélodieux ;
Les luths divins, alors, restent silencieux.
Un aimable sourire accueille, à son passage,
Cet ange voyageur dont l’auguste visage,
À travers les rayons de l’immortalité,
Laisse voir les soucis dont il est agité.

Or, quittant aussitôt la droite de son Père,
Vers l’Esprit éploré qui monte de la terre,
Se hâte de venir le Fils du Tout-Puissant.
Il aime notre monde arrosé de son sang,
C’est lui qui vint briser ses entraves funèbres,
Et porter la lumière à travers ses ténèbres.

Mais le père du mal, la haine dans le cœur,
S’est levé de nouveau contre le Christ vainqueur,
Et ses ministres vont, joyeux, par tous les mondes,
Semer les noirs conseils, les appétits immondes.


Pour garder ses élus contre les ennemis
Que l’enfer, irrité, sur la terre a vomis ;
Pour montrer le poison dont les coupes sont pleines,
Et les mortelles fleurs qui parfument les plaines,
Le Seigneur a choisi, dans ses divines cours,
Des Esprits combatifs qui veilleront toujours.

C’est un de ces Esprits, dont le saint ministère
Est de conduire au bien les hommes de la terre,
Qui vient d’entrer aux cieux. Quelle est sa mission ?
Pourquoi sur son front pur se peint l’affliction ?
Pourquoi son œil limpide est-il devenu terne ?
Devant le Tout-Puissant trois fois il se prosterne,
Et le ciel avec lui trois fois tombe à genoux.

― « Dieu tout-puissant, dit-il, Dieu dont le nom si doux
Devrait, pour tout mortel, être un objet d’hommage,
Je n’ai pas encor vu, sur la lointaine plage
Où j’erre solitaire, hélas ! depuis longtemps,
Les cœurs monter vers vous purs, honnêtes, contents !
L’immense Canada, sur ses féconds rivages,
Ne voit se promener que d’ignares sauvages,
Malheureuses tribus que le roi des enfers
Se vante de tenir, à jamais, dans ses fers.


« Naguère cependant, un des fils de la France,
L’humble et pieux Cartier, apporta l’espérance
À mon cœur abattu par les chagrins amers.
Sur de frêles vaisseaux il traversa les mers.
Il vint, bravant la mort, sans orgueil et sans crainte,
Aux confins du pays arborer la croix sainte.
Alors un vieux guerrier, inquiet et songeur,
Accoste, l’arc en main, l’illustre voyageur :
― « Tu veux nos bois, dit-il, notre antique héritage ?…
On pourrait perdre tout, jamais on ne partage.
Si tu me fais du mal, toujours je me souviens…
Va donc, Visage-Pâle, au pays d’où tu viens. »

« Vous savez, ô Seigneur ! l’excès de ma souffrance.
Du retour de Cartier je n’ai nulle assurance,
Et le suave espoir qu’on m’avait apporté,
Comme une ombre qu’efface une vive clarté,
S’est hélas ! tout à coup envolé de mon âme.
Ne laissez pas, Dieu bon, triompher cette trame.
Que les anges maudits, de votre nom jaloux,
Au fond de leur abîme ourdirent contre vous.

« Du flambeau de la foi, sur ces rives si belles,
Éclaire, ô Jéhova ! les pauvres infidèles…


« Je volerai moi-même au pays de Cartier.
J’éveillerai la foi de ce roi-chevalier
Qui gouverne aujourd’hui la France catholique.
Il saura se tailler sa part de l’Amérique ;
Et vous serez béni sous ces immenses bois
Qui, pour vous célébrer, n’ont pas encor de voix. »

Ainsi parle, à genoux aux pieds de Dieu le Père,
L’Ange du Canada. Sa voix douce qu’altère
Un mélange d’amour et de timidité,
A le plaintif accent du filet argenté
Qui cherche son chemin dans les rides des pierres.
Comme des diamants, sous ses blondes paupières,
On voit luire des pleurs qu’il essuie en secret.
Redouterait-il donc d’un Dieu bon le décret ?

Le silence est profond sous les célestes dômes.
En effluve enivrant se mêlent les arômes.
Et tout le ciel attend avec anxiété
Que le Dieu, trois fois saint, dicte sa volonté
À l’ange protecteur d’une terre nouvelle.
Les accords ravissants de la harpe éternelle
Et les alléluias des esprits glorieux
Ne font pas tressaillir les profondeurs des cieux,
Comme le fait toujours la parole du Père.

« Ministre bien-aimé, dit le Très-Haut, espère :
Ton zèle infatigable a su toucher mon cœur.
Je changerai bientôt tes peines en bonheur.
Tu n’auras pas en vain travaillé pour ma gloire,
Et Lucifer sur nous n’aura pas la victoire.
Cette rive sauvage où tu t’es exilé,
Ce pays inconnu, de barbares peuplé,
Que l’orgueilleux Satan tient dans son esclavage,
Échangera son joug contre un divin servage.
Et c’est de ce pays, aujourd’hui tant obscur,
Qu’un jour je recevrai l’hommage le plus pur.

« Va, messager fidèle, au royaume de France,
Va déjouer l’enfer. Fais briller l’espérance
D’une éclatante gloire et d’un bienfait divin,
Aux yeux du grand monarque et du pieux marin. »

Et, cessant de parler, le Dieu de la sagesse
Mit sur le front de l’ange un baiser de tendresse.
Alors la douce lyre et le clairon d’airain,
Et la harpe et le luth résonnèrent soudain.

« De l’aurore au couchant, disaient les chants des anges,
Le saint nom du Seigneur est digne de louanges !

Dieu parle, et l’univers sur son axe brûlant
Frémit d’un saint transport et l’adore en tremblant.
Lui seul est éternel. Son bras soutient la terre.
Il pourrait la briser comme un jouet de verre.
Le vagabond nuage obéit à sa voix ;
Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.
L’amour et la douceur rayonnent sur sa face,
Et devant sa beauté toute beauté s’efface.
Que tout genou fléchisse à son nom glorieux !
Que la terre le prie, et qu’on le chante aux cieux ! »