Refrains de jeunesse/00

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La Maison de la bonne presse (p. 5-7).


PRÉFACE




Les Refrains de Jeunesse n’avaient besoin de personne pour les présenter au public. Ce titre seul en dit plus que la plus éloquente des préfaces.

Pour les jeunes, c’est la caressante vision de toutes les envolées aurorales et printanières ; pour les vieillards, c’est le doux fantôme des émotions naïves, des longs espoirs apaisés, l’évocation des mille souvenirs attendris, dont l’essaim bat toujours un peu de l’aile au fond des cœurs les plus profondément endormis.

Oh ! les refrains de la jeunesse, fussent-ils modestes de ton et d’expression, eussent-ils même toutes les inexpériences de la vingtième année et quelques-unes des adorables gaucheries de l’enfance, ils seront toujours la plus délicieuse des musiques terrestres.

Les radieuses images qu’ils suggèrent à l’esprit !

Je les vois passer devant mes yeux comme une longue suite de perspectives enchantées.

Rêveries inquiètes et troublantes, fougueuses révoltes des sens et du cœur, aspirations fébriles vers tous les inconnus, premiers soupirs d’amour, premiers chatouillements de l’ambition, premiers aiguillons de la gloire entrevue, je vous reconnais tous, tous — un peu moqueurs peut-être, bien décevants sans doute, mais si beaux, si beaux !…

Et puis les silencieuses promenades à deux, par les sentiers agrestes, dans les mystérieuses tombées des soirs, au bercement des rumeurs lointaines, sous la feuillée moins palpitante que les poitrines !

Et puis les étourdissantes et grisantes soirées d’étudiants, où, parmi les francs éclats de rire et dans le brouhaha des propos tapageurs, l’éclair des cerveaux — qu’on me permette cette figure assez fantasque pour être en situation — irise de ses reflets les ondoyantes spirales qui montent des pipes et des cigares !

Et puis la chevauchée du rêve, la chevauchée emportée de l’imagination les rênes sur le cou, les cheveux au vent, le front dans les étoiles, qui dévore l’espace, qui éperonne le temps, farouche, éperdue, inassouvie, lançant à toutes les brises et à tous les échos l’éternelle chanson d’ivresse, éternellement tendre, éternellement folle, éternellement regrettée !

Je n’ai pas besoin de dire que le chanteur de ces refrains est un vrai poète : tous ceux de son âge qui ont une âme, un cœur et une intelligence le sont.

Seulement cette poésie est, suivant les individus, plus ou moins extérieure, plus ou moins communicative, résonne plus ou moins sonore, rayonne plus ou moins loin, avec plus ou moins d’intensité.

Seule, cette échelle aux milliers d’échelons nous sépare des grands poètes, de ceux dont le charbon ardent a touché la lèvre, de ceux dont le front est marqué du sceau divin, des immortels prédestinés de la souffrance et de la gloire. Je dis nous, car mon jeune confrère m’en voudrait beaucoup si j’allais le ranger parmi les grands maîtres de la pensée et de la poésie.

Il se contente d’être — et c’est beaucoup — un poète sincère, un causeur charmant, un chanteur aimé, un peu timide peut-être, mais connaissant d’instinct le chemin des cœurs, sachant faire vibrer la note discrète de l’émotion intime, et au besoin entonner à pleine voix la claironnée des fiertés et des revendications nationales.

Je salue les Refrains de Jeunesse, et tends une main largement ouverte à leur très sympathique auteur.


LOUIS FRÉCHETTE.