Refrains de jeunesse/01

La bibliothèque libre.
La Maison de la bonne presse (p. Dédic-12).


REFRAINS DE JEUNESSE




JE DÉDIE


CET HUMBLE RECUEIL DE POÉSIES


À


MA MÈRE

RÊVES DU SOIR




Minuit sonne, Ô mon ange ! et mon âme fidèle,
Lève au ciel le regard et lance un chant d’espoir ;
Ma fenêtre est ouverte, et la brise du soir
M’apporte des parfums et comme des bruits d’aile…
C’est l’amour qui voltige et qui vient jusqu’à moi,
Pour joindre ses soupirs aux soupirs de mon âme ;
Ah ! combien je voudrais sur ses ailes de flamme
M’envoler jusqu’à toi !


Je te dirais alors ce que je pense, chère,
En contemplant l’espace et les voutes d’azur,
Où l’étoile scintille, ainsi que ton œil pur,
Et dans l’ombre répand le rêve et le mystère.
La ville a suspendu ses grands bruits, ses émois,
Et tandis que tout dort, que le sommeil soupire,
Dans le fond de mon cœur, comme un doux son de lyre,
J’entends vibrer ta voix.

Elle me dit des mots que ta lèvre craintive
A déjà prononcés, quand nous étions tous deux,
Assis l’un près de l’autre, écoutant les flots bleus
Que le vieux saint-Laurent repoussait sur la rive ;
Ces mots que le bonheur semble ravir aux cieux,
Pour dire aux jeunes cœurs quelque chose de l’ange,
Qui les bercent ravis dans une joie étrange,
Un chant mélodieux !


Ah ! pourquoi loin de toi, quand ma voix te réclame,
Dois-je boire à la coupe où ta lèvre plongea !
Elle est encore pleine, et tu la fuis déjà ?
Ton âme, désormais, n’est-elle point mon âme ?
Reviens, car les instants qui nous ont réunis,
Ont noué de nos cœurs la chaîne inséparable ;
Chaque anneau s’est fermé sous ta main adorable,
Et Dieu nous a bénis.

N’entends-tu pas jaser les échos sur les grèves,
Où nous allions souvent nous tenant par la main ?
Ces jours nous ont-ils fuis sans même un lendemain ?
Ne nous dirons-nous plus nos espoirs et nos rêves ?
Leur fis-tu tes adieux après m’avoir charmé ?
Ne te souvient-il plus, oublieuse compagne,
Des fleurs que nous cueillions aux pieds de la montagne
Un soir du mois de mai ?


Mais non, tu ne veux plus, Ô mignonne chérie,
Revoir ces lieux charmants, exempts de pleurs, d’ennui !
Ah ! puissé-je, du moins, entendre chaque nuit,
Ta voix, ta pure voix, bercer ma rêverie !
Et je m’entretiendrai de son accent pieux,
Me rappelant l’aveu de ta vive tendresse,
Et puis je laisserai s’envoler ma tristesse
Dans le vague des cieux !


Juin 1892.