Refrains de jeunesse/13

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La Maison de la bonne presse (p. 66-71).


LE DERNIER JOUR DE DÉCEMBRE




Jeunes enfants, où courez-vous ?
Que cherchez-vous donc par la rue,
Dans la neige jusqu’aux genoux,
Trépignant de joie inconnue ?
Vous vous jetez sur vos traîneaux,
Sillonnant le frimas qui crie,
Bondissant comme des agneaux
Sur le gazon de la prairie.


Que respirez-vous donc dans l’air ?
On voit à travers vos fourrures,
Sourire aux frissons de l’hiver,
Vos fraîches et douces figures ;
Et vos regards n’arrêtent pas ;
Tout les charme, les intéresse ;
Que se passe-t-il ici-bas ?
D’où vient ce souffle d’allégresse ?

Serait-ce un rayon de printemps
Dont Dieu réjouirait la terre,
Tout exprès pour vous, chers enfants ?
Enfants, d’où vient donc ce mystère ?
Jetez autour de vous les yeux,
Voyez, c’est la même tristesse,
Le monde n’est pas plus heureux,
Et le même souci l’oppresse ;


L’homme reste sombre et rêveur,
Plein des affaires de la vie,
Traînant les chaînes du labeur
Où l’existence le convie.
La ville est la même qu’hier,
Et malgré ses grands airs de fête,
Souffrant, sous le froid de l’hiver,
Le pauvre courbe encor la tête.

Le vieillard n’en est pas plus gai,
Ce jour même ajoute une ride,
À son front pâle et fatigué !
Son sort n’en est pas moins rigide.
Dites, enfants, quel est ce jour
Exempt de larme, exempt d’orage,
Qui dans un horizon d’amour
Se lève en saluant votre âge ?

Réjouissez-vous, profitez-en,
Il est pour vous plein de promesses,
Chers anges, c’est le nouvel an,
C’est le jour des grandes caresses ;
Oui, préparez-vous-y, chéris,
Par des gaîtés folles et pures ;
Dominez de vos joyeux cris
Les misères et les murmures !

Et quand à son dernier soupir,
— À l’heure où la nuit solennelle,
Ouvrira, fraîche, à l’avenir,
Sa tremblottante et rêveuse aile, —
Décembre, dans les bras du temps,
Engloutira ses débris sombres,
Alors, anxieux, palpitants,
Enfants, prêtez l’oreille aux ombres ;


Ces ombres dont vous ont parlé,
En souriant, mères, marraines,
Qui viennent du Ciel étoilé,
Traînant un char chargé d’étrennes.
Puis elle rempliront vos bas
De joujous, bonbons, mille choses,
Que toute la nuit, sous vos draps,
Vous verrez en des rêves roses.

Ainsi l’imagination
Vous fait voir la nouvelle année ;
Tendre fleur de l’illusion,
Hélas ! pourquoi t’es-tu fanée !
Je voudrais rebrousser chemin,
Revivre en ce temps éphémère,
Où de la veille au lendemain,
Je poursuivais quelque chimère.


Mais je suis au temps du réveil,
La réalité se dévoile,
Et je vois au lieu d’un soleil,
Vaciller une pâle étoile.
Chaque an qui passe sur mon front
Lui donne un baiser de tristesse,
Enlève un rayon au fleuron
De ma fugitive jeunesse ;

Mais que dis-je ! non, non, je veux
Te saluer quatre vingt-onze !
Dans tes longs plis reçois mes vœux,
Que tes plis soient d’or ou de bronze !
Puis, aux êtres qui me sont chers,
Que ces vœux te fassent sourire,
Que de bonheur soient tous les airs
Dont pour eux vibrera ma lyre !


Décembre 1890.