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Refrains de jeunesse/12

La bibliothèque libre.
La Maison de la bonne presse (p. 62-65).


AUX MARINS FRANÇAIS




Canadiens, descendants d’une race héroïque,
Vous qui n’avez jamais oublié les aïeux,
Vous qui tout en servant le drapeau britannique,
Toujours, vers notre France, avez tourné les yeux,
Précipitons nos pas au port de notre fleuve,
Que viennent de toucher des marins accourus,
Dont les vaisseaux gaîment, dans leur parure neuve,
Tressaillent de bonheur sur ses flots bleus émus.


Il n’est plus, sur nos bords, le farouche sauvage
Qui du sang de la France inonda notre sol.
L’Anglais nous tend la main, et l’écho du rivage,
Aux accents de vos voix, Français, reprend son vol ;
Il va dans chaque tombe, où sommeillent nos pères
Qui tombèrent jadis sur le champ de l’honneur,
Et cherche à ranimer leurs mânes tutélaires,
Pour crier avec nous : « France, à toi notre cœur ! »

Le temps a respecté leur auguste mémoire ;
Ils ne sont plus, mais nous qui nous en rappelons,
En lisant leurs exploits aux pages de l’histoire,
L’orgueil national illumine nos fronts.
Frères, ainsi que vous, fils d’une même mère,
Nous parlons votre langue, aimons le même Dieu ;
Si le règne français, hélas ! fut éphémère,
Si trop tôt, au drapeau, nous dûmes dire adieu,


Nous nous en consolons, quand la voix du Vieux Monde
Vient saluer en nous des cœurs toujours français
Et sur ses bords lointains où notre espoir se fonde,
Nous vieillirons ainsi sans devenir anglais.
Un jour, quand sur nos fronts, planait la tyrannie,
Et qu’une main de fer étouffait nos efforts,
Un faux prophète crut, si proche l’agonie,
Que ces mots de triomphe ébranlèrent nos forts :

« Les derniers rejetons de la race bretonne,
« Demain, verront leur sang s’éteindre en sa fierté,
« Et nous, fils d’Albion, gloire de sa couronne,
« Nous foulerons aux pieds leur immortalité !…
Mais le ciel où nos cœurs cherchaient leur espérance,
Qui toujours sûrement nous guida par la main,
Répondit : « tu vivras fils ainé de la France,
« Marche à pas de géant, j’éclaire ton chemin ! »…


Et depuis, nous avons propagé notre race ;
Albion qui n’a pu lui creuser un tombeau,
Aujourd’hui la salue, et lui donne sa place
Sous les plis protecteurs de son puissant drapeau.
Libres comme aucun peuple, en notre foi profonde,
Nous adorons l’autel qu’adoraient nos aïeux,
Et frères, c’est ainsi que la race féconde
Grandira, sans faillir, sous le regard des cieux.

La paix règne au foyer, et l’on sent dans nos veines,
Couler, comme autrefois, le noble sang français ;
Les ennemis d’hier ont enterré leurs haines,
Et, la main dans la main, nous marchons au progrès.
Ô vous qui nous venez de la France chérie,
Que vos cœurs à nos cœurs s’unissent en ce jour !
Si nous avons perdu notre ancienne patrie,
Pour elle, nous avons encor le même amour !


27 Août, 1892.