Refrains de jeunesse/21

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La Maison de la bonne presse (p. 106-113).


ODE À LÉON XIII


À L’OCCASION DE SON JUBILÉ SACERDOTAL


(Poésie lue à la séance de bienvenue, offerte par le Cercle Ville-Marie, à Sa Grandeur Monseigneur Soulé)


Salut ! noble captif, immortel Léon treize,
Vénérable pasteur qui par de là les mers,
Contemple ton bercail en ce jour d’allégresse ;
Salut ! pour consoler tes déboires amers,
De tous les points du globe, ô successeur de Pierre !
Les peuples à tes pieds, se sont précipités,
En embrassant les plis de ta sainte bannière ;
Tes ennemis cruels en sont épouvantés !


Près de dix-neuf-cents ans ont cimenté ton trône
Que le Christ a posé, comme un immense roc,
Qu’en vain, dans leur fureur, de l’océan qui tonne,
Les flots en écumant battent de leur grand choc ;
Immuable, il a vu tomber dans la poussière,
Ces empires puissants qui défiaient le ciel ;
Et c’est de là, Léon, qu’en sanctifiant la terre,
Tu poursuis les décrets du Père, l’Éternel.

Les accords de ta voix vibrent purs et célestes ;
L’infidèle, étonné, les écoute en tremblant,
Et bientôt, dépouillé de ses erreurs funestes,
Il embrasse la Croix et devient ton enfant.
Dans ton divin bercail, un tigre sanguinaire
Ose-t-il pénétrer… les larmes dans les yeux,
Tu l’invites, et s’il est sourd à ta prière,
L’anathème le frappe, il s’enfuit furieux…


Telle hésitant encor dans la nue enflammée,
La foudre gronde au loin, et rappelle aux mortels,
Que la puissante main du Seigneur est armée ;
Et soudain, ébranlant les confins éternels,
Tombe et s’abat terrible aux pieds de l’incrédule ;
Celui-ci lève au ciel un regard scrutateur,
Et pâle, et tout tremblant, de désespoir recule,
En s’écriant, vaincu : « Toi seul est grand Seigneur ! »

Mais dans les fers, hélas ! ô sublime pontife !
Tu demandes en vain ta juste liberté,
Tu pleures sur les fils de l’infâme Caïphe,
Qui bravant le Seigneur, l’abreuvent d’impiété.
L’Europe s’en alarme, et pourtant, ses grands maîtres,
Ne sentant plus couler dans leur cœur refroidi,
Le sang pur, généreux, de leurs nobles ancêtres,
Désertent l’Étendard que l’enfer a maudit.


Cependant, à travers cette affreuse tempête
Que l’esprit infernal suscite contre toi,
Tu marches, le front haut, de conquête en conquête,
Et fais étinceler le flambeau de la foi.
Parcourant l’univers, aux quatre coins du monde,
Ta voix tient en éveil la catholicité,
Et le torrent béni de ta science profonde,
L’innonde, en lui portant la Sainte Vérité.

Ô France ! souviens-toi de ton antique gloire !
Fais tomber de tes yeux ce lugubre bandeau
Qui t’aveugle, t’accable, et flétrit ton histoire…
Écoute saint Louis du fond de son tombeau ;
À son sublime exemple, arme-toi de ton glaive,
Et va dire à celui dont il servait la loi :
« Pape, illustre captif, la France se relève,
Ton patrimoine est libre et tu redeviens roi ! »


Et l’on te chantera sur les lointaines plages,
Dieu te rendra la paix que tu cherches en vain ;
Tu reverras ces jours, ces beaux jours d’autres âges,
Quand ton nom captivait le cœur du genre humain.
Mais, pourquoi demander l’appui de ces puissances,
Puisque Dieu te soutient, magnanime Léon ?
Dans ses mains, nous plaçons nos saintes espérances,
Bientôt, tes ennemis auront courbé le front.

Oui tremblez, ô grands rois dans vos faibles retraites !
Le Christ, comme un roseau brisera votre orgueil !
Vous voulez renverser sa croix et ses prophètes ?
Eh ! bien, il vous attend, sondez votre cercueil !
Vos efforts sont vaincus, la barque de saint Pierre
Poursuit sa mission ; dans ses célestes flancs,
Le monde catholique entonne une prière
Dont les anges émus répètent les accents.


Debout, au gouvernail, ô dévoûment sublime !
Léon brave les flots et la conduit au port ;
L’élément infernal en vain roule et s’abîme,
Le Pilote divin n’en paraît que plus fort
Son front rayonne pur sous sa large tiare,
Il sourit avec grâce en regardant les cieux,
Car, là-haut, Jésus-Christ se dresse comme un phare
Qui répand dans la nuit ses rayons merveilleux.

Ô Léon, qui pourra jamais chanter ta gloire !
Le ciel même s’incline aux accents de ta voix ;
La catholicité résume ton histoire,
Tu planes sur le monde et fais taire les rois.
Tu parles, et ta voix ébranlant ta poitrine,
Vole de bouche en bouche au sein des nations,
Chaque élan de ton cœur féconde ta doctrine,
Et l’immortalité grave tes actions.


En vain l’impie a dit : « Le Pape dans les chaînes,
Verra bientôt ses jours sombrer dans le tombeau ;
Je briserai son sceptre, et partageant mes haines,
Les peuples serviront un étendard nouveau ! »
Oh ! non, car en ces jours, au milieu de l’orage
Qui semble confirmer cet espoir insensé,
Le Pontife reçoit l’universel hommage,
Et du haut des grandeurs les rois l’ont encensé.

Cent fois, l’écho de Rome, a sous les cris du monde,
Tressailli d’allégresse et proclamé Léon ;
Cent fois, l’orgueil vaincu dans son ardeur immonde,
A lancé vers le ciel, son terrible juron.
La papauté triomphe, et l’Église enivrée,
Entonne un chant d’amour à son divin époux…
Peuples tendez l’oreille à son hymne sacrée,
Prêtez lui vos concerts, peuples réjouissez-vous !…


Ô Léon ! digne objet de ce spectacle immense,
Toi dont le siècle admire et chante les grandeurs,
Reçois les tendres vœux de la Nouvelle-France,
Dont les enfants naguère arboraient tes couleurs.
Sur ce sol d’Amérique où, ta sollicitude
Vient si souvent verser les flots de ton amour,
Une race, à genoux, t’offre sa gratitude,
Et te demande, émue, un sourire en retour.

Oui, souris, ô Pontife ! à cette race fière !
Bénis son noble sang ! bénis son avenir !
Représentant du Christ, réponds à sa prière,
Et qu’à ta voix, le ciel la fasse resplendir !
Et soumise en sa foi, brillante d’espérances,
À l’ombre de la Croix qui veille à son berceau,
Digne de son passé, fidèle à ses croyances,
Tu la verras grandir au sein de ton troupeau !


Montréal, 1888