Refrains de jeunesse/22

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La Maison de la bonne presse (p. 114-119).


À MON COLLÈGE.


(Collège Bourget-Rigaud.)


Au Révd. M. Charlebois, directeur


Liberté ! liberté ! dans mon âme, jamais,
Ce mot n’a résonné plus puissant, plus magique,
Qu’au jour où j’ai franchi ton auguste portique,
Ô mon Alma Mater, pieux séjour de paix !


Comme un oiseau captif dont on ouvre la cage,
Je m’élançai joyeux, loin de tes nobles murs,
Et de la mer du monde abordant le rivage,
Je contemplai ses flots aux séduisante murmurs.

Des parfums enivrants couraient sur les eaux calmes
Que fendaient, par milliers, allant à tous les vents,
Des barques festoyant qui glissaient sur des palmes,
Et qui jetaient dans l’air de mélodieux chants.

Le regard ébloui, l’âme affolée, éprise,
Je les suivis longtemps dans le brillant lointain,
Et déployant sa voile au souffle de la brise,
Mon esquif prit le large aux refrains du matin.


Le ciel était si pur et l’onde si sereine,
Qu’il me tardait de voir disparaître les bords ;
Là-bas, comme attiré par un chant de sirène,
Je voulais faire aussi vibrer mes gais accords.

Six ans se sont enfuis, depuis qu’en ma folie,
J’ai quitté ton enceinte, ô mon Alma Mater !
Ma voile en frémissant, attristée, affaiblie,
Au souffle du midi, s’avance sur la mer.

J’ai vu plus d’un naufrage et plus d’une misère ;
La tempête a souvent surexcité les flots ;
Les bruits qui m’enivraient dans ma gaité première,
Se sont plus d’une fois perdus dans les sanglots.


J’ai vu flotter, déjà, plus d’une chère épave,
Portant des noms connus, des noms de joyeux gars,
Quand l’océan se calme, une vague les lave,
Mais l’écume aussitôt les cache à mes regards.

Ainsi que moi, hélas ! sur cette mer perfide,
Ils ont cherché des ports sans cesse fugitifs :
Leur voile était trop large et leur barque rapide,
S’est brisée en laissant ses débris aux récifs.

Où vais-je, et quel destin me conduit à cette heure ?
Sous l’œil de l’Infini je vogue au gré du vent :
Peut-être est-il, là-bas, des lieux où nul ne pleure,
Des rivages fleuris où le bonheur m’attend.


Quels que soient les endroits où j’aille jeter l’ancre,
Ô mon collège aimé ! je tournerai vers toi,
Mon cœur que le souci dévore comme un chancre,
Mon amour qui voudrait revivre sous ton toit.

Rien ne pourra me rendre un rayon de ta joie,
Ta paix sereine et pure empreinte sur mes jours ;
Ton grand dôme argenté qui sous le ciel flamboie,
Ta montagne embaumée et tes chers alentours !

Les banquets somptueux que le monde nous donne
N’égalent point ta table et tes humbles repas :
Les fêtes aux grands bruits que la foule ivre, entonne
N’ont point de tes congés les séduisants appats.


Quand je vais, en tremblant — tu m’en donnas l’exemple —
M’agenouiller aux pieds de ses riches autels,
Je trouve que le Christ, dans ton modeste temple
Détachais plus mon cœur de ses liens mortels.

Quand je vais attristé, fuyant la solitude,
Pour consoler mon âme et calmer ses douleurs,
Je cherche des amis… mais dans la multitude,
Je ne vous trouve point, bien aimés professeurs.

Que Dieu veille sur toi, ô paisible retraite !
Que la jeunesse afflue en ton foyer sacré,
Et profitant longtemps des jours que je regrette,
Elle croisse et s’épanche en ton sein vénéré !


Juillet 1893.