Relation de ce qui s’est passé dans le pays des Hurons en l’année 1636/12

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Chapitre VII.

De l’ordre que les Hurons tiennent en leurs Conſeils.



IE parleray icy principalement des Conſeils ou Aſſemblees generales, les particuliers eſtant quaſi ordonnez de meſme façon, quoy qu’auec moins d’appareil.

Ces Aſſemblées generales ſont comme les Eſtats de tout le Pays, & partant il s’en fait autant, & non plus que la neceſſité le requiert. Le lieu d’iceux eſt d’ordinaire le Village du principal Capitaine de tout le Pays : la Chambre de Conſeil eſt quelquefois la Cabane du Capitaine, parée de nattes, ou ionchées de branches de Sapin, auec diuers feux, ſuiuant la ſaiſon de l’année. Autrefois chacun y apportoit ſa buſche pour mettre au feu ; maintenant cela ne ſe pratique plus, les femmes de la Cabane ſupportent cette dépenſe, elles font les feux, & ne s’y chauffent pas, ſortant dehors pour ceder la place à Meſſieurs les Cõſeillers. Quelquefois l’aſſemblée ſe fait au milieu du Village, ſi c’eſt en Eſté, & quelquefois auſſi en l’obſcurité des foreſts à l’ecart, quand les affaires demandent le ſecret : le temps eſt pluſtoſt de nuict que de iour, ils y paſſent ſouuent les nuicts entieres.

Le Chef du Conſeil eſt le Capitaine qui l’aſſemble. Les affaires s’y decident à la pluralité des voix, où l’authorité des Chefs en attire pluſieurs à leur opinion : de fait la commune façon d’opiner eſt de dire aux Anciens. Aduiſez y vous autres, vous eſtes les Maiſtres.

Les gages ordinaires de ces Meſſieurs ſont aſſignez ſur la force de leurs bras, ſur leur diligence & bon menage : s’ils eſſartent mieux que les autres, s’ils chaſſent mieux, s’ils peſchent mieux ; bref s’ils ſont heureux à la traitte, ils ſont auſſi plus riches qu’eux ; ſinon ils ſont les plus neceſſiteux, ainſi comme l’experience le fait voir en quelques-vns.

Leurs parties caſuelles ſont premierement les meilleurs morceaux des feſtins, où on ne manque point de les inuiter. 2. Quand quelqu’vn fait quelque preſent ils y ont la meilleure part. 3. Quand quelqu’vn ſoit Citoyen, ſoit Eſtranger, veut obtenir quelque choſe du Pays, la couſtume eſt de graiſſer les mains des principaux Capitaines, au branle deſquels tout le reſte ſe remuë. Ie ſuis tres aſſeuré de ce que ie viens de dire, le regret que quelques particuliers ont de ſemblables deſordres, & l’enuie meſme des autres Capitaines, qui ne ſont pas appellez au butin, en decouurẽt plus qu’on ne deſireroit ; ils ſe decrient les vns les autres, & le ſeul ſoupçon de ces preſents ſecrets émeut quelquefois de grands debats & diuiſions, non pas tant pour le deſir du bien public, que pour le regret de n’eſtre pas de la partie ; & cette ialouſie empeſche par fois de bonnes affaires. Mais venons à l’ordre qu’ils tiennent en leurs Conſeils.

Premierement le Chef ayant deja conſulté en particulier auec les autres Capitaines & Anciens de ſon Village, & iugé que l’affaire merite vne aſſemblée publique, il enuoye conuier au Conſeil par chaque Village autant de perſonnes qu’il deſire ; les Meſſagers ſont ieunes hommes volontaires, ou aucunefois vn Ancien, afin que la ſemonce ſoit plus efficace, d’autant qu’on n’adiouſte pas touſiours foy aux ieunes gens. Ces Meſſagers addreſſent leur commiſſion au principal Capitaine du Village, ou bien en ſon abſence à celuy qui le ſuit de plus prés en authorité, deſignant le iour auquel on ſe doit aſſembler. Ces ſemonces ſont des prieres, non pas des commandemens, & partant quelques-vns s’excuſent tout à fait, d’autres dilayent à partir ; d’où vient que ces aſſemblées ſont quelquefois longues, car ils ne ſe mettent pas volontiers en chemin auec le mauuais temps, & certainement ils ont encor aſſez de peine de venir à beau pied par fois de dix & douze lieuës, & ce en Hyuer & ſur les neiges.

Tous eſtans arriuez, ils prennent ſeance chacun en ſon quartier de la Cabane ; ceux d’vn meſme Village ou meſme Nation proche l’vn de l’autre, afin de conſulter par enſemble : ſi d’auenture quelqu’vn mãque, on met en queſtion, ſi nonobſtant ſon abſence cette aſſemblée ſeroit legitime, & quelquefois faute d’vne ou de deux perſonnes toute l’aſſemblée ſe diſſout, & ſe remet à vne autre fois. Que ſi tous ſont aſſemblez, ou que nonobſtant ils iugent deuoir paſſer outre, alors on donne ouuerture au Conſeil. Ce ne ſont pas touiours les Chefs du Conſeil qui la font, la difficulté de parler, leur indiſpoſition, ou meſme leur grauité les en diſpenſe.

Apres les ſalutations, les remerciemens de la peine qu’ils ont priſe à venir, les actions de graces rendues ie ne ſçay à qui, de ce que tout le monde eſt arriué ſans fortune, que perſonne n’a eſté ſurpris des ennemis, n’eſt point tombé en quelque ruiſſeau ou Riuiere, ou ne s’eſt point bleſſé ; bref de ce que tous ſont arriuez heureuſement ; on exhorte tout le monde à deliberer meurement : en apres on propoſe l’affaire dont il eſt queſtion, & dit on à Meſſieurs les Conſeillers qu’ils y aduiſent.

C’eſt alors que les Deputez de chaque Village, ou ceux d’vne meſme Nation conſultent tout bas ce qu’ils doiuent reſpondre. Lors qu’ils ont bien conſulté par enſemble ils opinent par ordre, & s’arreſtent à la pluralité des opinions, ou pluſieurs choſes ſont dignes de remarque. La premiere eſt en la maniere de parler, laquelle à cauſe de ſa diuerſité a vn nom different, & s’appelle acȣentonch ; elle eſt commune à tous les Sauuages ; ils hauſſent & flechiſſent la voix comme d’vn ton de Predicateur à l’antique, mais lentement, poſément, diſtinctement, meſmes repetant vne meſme raiſon pluſieurs fois. La ſeconde choſe remarquable eſt, que les opinans reprennent ſommairement la propoſition, & toutes les raiſons qu’on a alleguées auant que dire leur aduis.

I’ay autrefois ouy dire à quelque Truchement, que ces Nations icy auoient vn langage particulier en leurs Conseils ; mais i’ay experimenté le contraire : ie ſçay bien qu’ils ont quelques termes particuliers, ainſi qu’on a en toutes ſortes d’arts, & de ſciences, comme au Palais, aux Eſcoles, & ailleurs. Il eſt vray que leurs diſçours ſont d’abord difficiles à entendre, à cauſe d’vne infinité de Metaphores, de pluſieurs circonlocutions, & autres façons figurées : par exemple parlant de la Nation des Ours, ils diront, l’Ours a dit, a fait cela ; l’Ours eſt fin, eſt meſchant ; les mains de l’Ours ſont dangereuſes : quand ils parlent de celuy qui fait le feſtin des Morts, ils diſent, celuy qui mange les ames : quand ils parlent d’vne Nation, ils n’en nomment ſouuent que le principal Capitaine : comme parlant des Montagnets, ils diront, Atſirond dit : c’eſt le nom d’vn des Capitaines. Bref, c’eſt en ces lieux ou ils releuẽt leur ſtile, & taſchẽt de bien dire. Quaſi tous ces eſprits ſont naturellemẽt d’vne aſſez bonne trempe, ratiocinent fort bien, & ne bronchent point en leurs diſcours ; auſſi font-ils eſtat de ſe mocquer de ceux qui bronchent : quelques vns ſemblent eſtre nés à l’eloquence.

3. Apres que quelqu’vn a opiné, le Chef du Conſeil repete, ou fait repeter ce qu’il a dit : de ſorte que les choſes ne peuuent qu’elles ne ſoient bien entendues eſtans tant de fois rebatuës. Ce qui m’arriua fort heureuſement au Conſeil dont ie vous ay parlé, où ie leur fis vn preſent pour les encourager à prendre le chemin & la route du Ciel ; car vn des Capitaines repeta fort heureuſement tout ce que i’auois dit, & le dilata, & amplifia mieux que ie n’auois fait, & en meilleurs termes ; car en effet dans le peu de cognoiſſance que nous auons de cette Langue, nous ne diſons pas ce que nous voulons, mais ce que nous pouuons.

4· Chacũ cõclud ſon aduis en ces termes, Condayauendi Ierhayde cha nonhȣiuȣahachen ; c’eſt à dire, Voila ma pẽſee touchãt le ſuiet de noſtre Conſeil : puis toute l’Aſſemblée répond par vne forte reſpiratiõ tirée du creux de l’eſtomach, Haan. I’ay remarqué que quand quelqu’vn a parlé au gré, ce Haan ſe tire auec beaucoup plus d’effort.

La cinquiéme choſe remarquable eſt leur grande prudence & moderation de paroles : ie n’oſerois pas dire qu’ils vſent touſiours de cette retenue, car ie ſçay que quelquefois il ſe picquent ; mais cependant vous remarquez touſiours vne ſinguliere douceur & diſcretion. Ie n’ay gueres aſſiſté en leurs Conſeils, mais toutes les fois qu’ils m’y ont inuité i’en ſuis ſorty auec eſtonnement ſur ce poinct.

Vn iour ie vis vn debat pour la preſeance entre deux Capitaines de guerre : vn Vieillard qui eſpouſoit le party de l’vn, dit qu’il eſtoit ſur le bord de ſa foſſe, & que parauenture le lendemain ſon corps ſeroit placé dans le Cimetiere ; mais cependant qu’il diroit ingenuëment ce qu’il croyoit eſtre de iuſtice, non pour aucun intereſt qu’il y euſt, mais pour l’amour de la verité : ce qu’il fit auec ardeur, quoy qu’aſſaiſonnée de diſcretion. Et lors vn autre Ancien reprenant la parole le reprit, & luy dit fort à propos : Ne parle point maintenant de ces choſes, ce n’en eſt pas la ſaiſon ; voila l’ennemy qui nous va aſſieger, il eſt queſtion de nous armer, & de fortifier vnanimement nos palliſſades, & non pas de diſputer des rangs. Sur tout ie fus eſtonné de la ſage conduite d’vn autre Conſeil, où i’aſſiſtay, qui ſembloit eſtre confit en humeur condeſcendante & belles paroles, nonobſtant l’importance des affaires dont il s’agiſſoit.

Ce Conſeil eſtoit l’vn des plus importans que les Hurons ayent : ſçauoir de leur feſte des Morts : ils n’ont rien de plus ſacré : la choſe eſtoit fort chatoüilleuſe ; car il s’agiſſoit de faire que tout le Païs mit ſes morts en vne meſme foſſe, ſuiuant leur couſtume : & cependant il y auoit quelques Villages mutinez qui vouloient faire bande à part, non ſans vn regret de tout le Pays. Cependant la choſe ſe paſſa auec toute la douceur & paix imaginable : à tous coups les Maiſtres de la Feſte qui auoient aſſemblé le Conſeil exhortoient à la douceur, diſant que c’eſtoit vn Conſeil de paix. Ils nomment ces Conſeils, Endionraondaoné, comme ſi on diſoit, Conſeil egal & facile comme les plaines & raſes campagnes. Quoy que diſſent les opinãs, les Chefs du Conſeil ne faiſoient que dire, Voila qui va bien. Les mutins excuſoient leur diuiſion, diſant qu’il n’en pouuoit arriuer du mal au Païs : que par le paſſé il y auoit eu de ſemblables diuiſions, qui ne l’auoient pas ruiné. Les autres addouciſſoient les affaires, diſans que ſi quelqu’vn des leurs s’egaroit du vray chemin, il ne falloit pas incontinent l’abandonner ; que les freres auoient par fois des riotes par enſemble. Bref, c’eſtoit choſe digne d’eſtonnement de voir dans des cœurs aigris vne telle moderation de paroles. Voila pour leurs Conſeils.