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Relation du voyage de sa majesté Charles X en Alsace/Haut-Rhin

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Le Roi en Alsace.
Département du Haut-Rhin.

DÉPARTEMENT DU HAUT-RHIN.[1]


La limite actuelle des deux départemens du Haut- et du Bas-Rhin est la même qui séparait la Gaule belgique de la Gaule celtique, lors de la conquête du pays par Jules César.

Elle descendait alors, comme aujourd’hui, de la crête des Vosges entre le pic du Tœnnichel et le sommet couronné de nos jours par les ruines du vieux château de Hohenkœnigsburg ; suivait le côté méridional de la vallée de Saint-Hippolyte ; longeait le ruisseau d’Eckenbach, ensuite la rivière d’Ill, et rejoignait le Rhin près de Markolsheim, vis-à-vis la pointe du Sponeck.

Sous les Romains, cette limite, près du Rhin, a été traversée par la route militaire qui conduisait de Turin à Mayence. On en aperçoit encore des traces sur la Gemeine-Mark, vaste propriété de 3 000 arpens environ, indivise entre sept communes environnantes.

Entre le ruisseau d’Eckenbach et la rivière d’Ill il existe un fossé presque entièrement comblé dans plusieurs endroits, et que l’on appelle encore Landgraben (fossé provincial). La tradition fait remonter l’établissement de ce fossé au dixième siècle ; mais des documens authentiques diminuent son ancienneté de cinq cents ans et ne la font remonter qu’à l’année 1446, à l’époque de la guerre des Armagnacs.

Le projet du Roi de visiter le Haut-Rhin, ne fut connu, au chef-lieu du département, que le 11 Août ; une lettre du ministre de l’intérieur, datée du 8 Août, en apporta la première nouvelle.

Aussitôt diverses versions circulèrent sur la route que parcourrait le Roi. Ce fut plutôt pour fixer les incertitudes à cet égard, que pour exciter l’élan déjà très-prononcé des habitans, que M. Jordan, préfet, publia, le 18 Août, la proclamation suivante :

Habitans du Haut-Rhin,

Le voyage du Roi à Strasbourg, annoncé depuis quelque temps, vous avait donné l’espoir de contempler à votre tour les traits d’un Monarque chéri ; vos vœux vont être comblés. Le Roi, accompagné de Mgr le Dauphin, arrivera dans ce département le 10 Septembre, y passera la journée du 11, et le quittera le 12 pour se rendre à Lunéville.

Placés à l’extrémité du royaume, les habitans du Haut-Rhin n’avaient pas encore salué de leurs acclamations le nouveau Bien-Aimé. Lorsqu’à tant de bienfaits répandus sur la France le Roi daigne ajouter pour nous le bienfait de sa présence ; lorsqu’il ne nous reste rien à envier désormais à d’autres contrées, pourrons-nous lui faire entendre assez d’accens de reconnaissance et d’amour ?

Les cœurs vivement pénétrés sont ingénieux à prouver leurs sentimens. Ce n’est pas, d’ailleurs, aux Alsaciens que j’ai besoin d’indiquer les moyens de se montrer reconnaissans de la faveur qu’ils reçoivent. Les maires des communes que devra traverser Sa Majesté, recevront des instructions pour les mesures d’ordre à observer lors de son passage. Les habitans des autres communes viendront partager avec leurs voisins le bonheur de voir le Roi et son auguste Fils. Dans un moment où l’ivresse est générale, les acclamations le seront aussi. Les habitans du Haut-Rhin sont dévoués, sont fidèles. Le Roi le sait ; il en trouvera de nouvelles preuves dans l’empressement avec lequel ils voleront au-devant de lui.

Noble rejeton de S. Louis, de Louis XII et d’Henri IV, Charles X a hérité de toute la piété du saint Roi, de la bonté du père du peuple, de la valeur et de la grâce du Béarnais. Que de titres à votre amour, et qu’il est heureux pour vous de pouvoir enfin faire entendre au Monarque qui vient vous visiter ce cri si simple, mais si naturel, ce cri toujours français : vive le Roi !

De toutes parts alors on se disposa à faire au monarque la réception la moins indigne de lui. On aurait vivement regretté d’avoir si peu de temps pour s’y préparer, si l’on n’avait pensé que le Roi serait plus touché de l’expression simple, mais vraie, des sentimens des citoyens que d’une réception fastueuse.

L’impatience des habitans du Haut-Rhin avait été toujours croissant, lorsque le 10 Septembre arriva enfin.

Un arc de triomphe, entièrement décoré de branches de sapin, avait été élevé à la limite des départemens des Haut- et Bas-Rhin, par les soins du préfet du Haut-Rhin, et sous la direction de l’ingénieur de l’arrondissement de Colmar, M. Charbonnières. On y lisait les inscriptions suivantes d’un côté :

À CHARLES X,
heureux par sa présence, le haut-rhin reconnaissant.

De l’autre côté :

à LOUIS, par les armes ; à CHARLES, par les bienfaits.

Le Roi, ayant à côté de lui Mgr le Dauphin, et dans sa voiture M. le prince de Croï-Solre, capitaine des gardes, et M. le duc de Polignac, premier écuyer, arriva à une heure à l’arc de triomphe, où se trouvaient réunis les habitans de Markolsheim, dernière commune du Bas-Rhin, et ceux de Saint-Hippolyte, première commune du Haut-Rhin, ayant à leur tête les maires, adjoints et conseillers municipaux de ces deux communes.

M. Weber, juge de paix du canton, et M. le curé de Saint-Hippolyte, s’y trouvaient également.

Le préfet du Haut-Rhin, et M. le vicomte de Rambourgt, maréchal-de-camp, commandant le département, accompagnés de MM. Duclaux, secrétaire général de la préfecture, et Minangoy, capitaine aide-de-camp du général, s’y étaient rendus dès onze heures. Un détachement de 30 préposés des douanes y était venu de Guémar.

À l’arrivée de Sa Majesté, l’air retentit des cris de vive le Roi ! vive Mgr le Dauphin ! Ce ne fut qu’au bout de quelques instans que M. Jordan, préfet, put faire entendre à Sa Majesté les paroles suivantes :

Sire,

À son entrée dans Paris, qu’il avait ramené à l’obéissance par sa bonté autant que par la force de ses armes, Henri IV, entouré, pressé par ses sujets, recommandait à ses gardes de ne pas les repousser. « Ne voyez-vous pas, disait-il, qu’ils sont affamés de voir un Roi. »

Sire, les habitans de l’heureuse contrée que Votre Majesté daigne visiter aujourd’hui, sont affamés aussi de voir leur Roi. Ils le sont à aussi juste titre que les contemporains d’Henri IV. Ils sont surtout jaloux de prouver à Votre Majesté qu’elle n’a pas de sujets plus dévoués, plus respectueux et plus fidèles.

La présence d’un bon prince, Sire, sa présence seule est un grand bienfait pour les provinces qu’il parcourt. D’un mot, d’un regard, il soutient l’agriculture, il encourage le commerce et l’industrie. Votre Majesté n’entendra donc ici que les accens de la reconnaissance qu’inspire son arrivée ; elle met le comble à cette reconnaissance en permettant que nous contemplions à ses côtés le Prince auguste qui partage avec Elle nos respects et notre amour.

Le Roi répondit :

Dites à vos administrés combien je suis touché de la bonne réception qu’ils me font ; dites-le leur bien. Dites-leur aussi que je me fais un grand plaisir de passer deux jours au milieu d’eux.

M. le vicomte de Rambourgt eut aussi l’honneur d’offrir au Roi l’hommage de son respect et de son dévouement, et de ceux des troupes sous ses ordres. Le Roi voulut bien lui en exprimer sa satisfaction dans les termes les plus honorables et les plus obligeans. Après s’être entretenu quelques instans avec le général et avec le préfet, et avoir, par les gestes les plus affectueux, répondu aux acclamations que ne cessaient de faire entendre plus de deux mille personnes réunies sur ce point, Sa Majesté continua sa route vers Colmar.

Cette route, l’une des plus agréables de la France, est située pour ainsi dire au pied des Vosges, dont les sommets sont couronnés de ruines si pittoresques ; elle est séparée, d’un autre côté, des montagnes de la Forêt-Noire par le beau bassin du Rhin, ce qui lui donne l’aspect le plus enchanteur.

Les habitans des villes et des villages situés à plusieurs lieues de distance, ayant à leur tête les maires, les adjoints et les conseillers municipaux, ainsi que les curés ou pasteurs, s’étaient rendus avec leur musique sur le passage du Roi, et à des points qui avaient été convenus d’avance, pour éviter l’encombrement. Le drapeau blanc flottait à la tête de chaque réunion d’habitans. Le nom de la commune était écrit sur un écusson placé à côté du drapeau, en sorte qu’on reconnaissait sur-le-champ à quelle commune appartenaient les habitans près desquels on se trouvait. Plus de cent voitures ornées de feuillage et de guirlandes, et occupées par de jeunes villageoises, étaient rangées de distance en distance dans les champs, et suivaient le cortége à mesure qu’il s’avançait, Un grand nombre de cavaliers, de différentes communes, voltigeaient en avant, en arrière, et même sur les côtés de la voiture du Roi, dont la marche était vraiment triomphale.[2]

Toutes les fois que le Roi arrivait à un point où se trouvaient réunis les habitans d’une commune, il avait la bonté de faire ralentir sa marche, et de traverser au pas cette population avide de contempler ses traits. Partout il recueillait l’expression de l’amour le plus vif ; partout aussi il témoignait, par ses gestes ou par ses paroles, le plaisir que lui faisaient éprouver les transports de ses fidèles sujets.

Les populations qui s’étaient ainsi portées presque toutes entières sur le passage du Roi, étaient celles de Saint-Hippolyte, Roderen, Rorschwihr, Berkheim, Thannkirch, Illhæuseren, Guémar, Ribeauvillé, Hunawihr, Zellenberg, Ostheim, Riquewihr, Beblenheim, Mittelwihr, Bennwihr, Housen, Horbourg, Wihr-en-plaine, Bischwihr, Holtzwihr, Andolsheim ; elles composaient un ensemble de plus de 12 000 ames.

À mesure que le Roi passait à la hauteur d’une commune, des vedettes placées sur les montagnes voisines, faisaient un signal. Toutes les cloches sonnaient alors, et des boîtes annonçaient au petit nombre d’habitans qui n’avaient pu se porter sur la route, le passage de Sa Majesté dans le voisinage.

Le Roi traversa les villages de Guémar et d’Ostheim. Des arcs de triomphe en verdure, simples, mais de bon goût, s’élevaient à l’entrée de Guémar et à l’extrémité du pont d’Ostheim. Les rues étaient plantées de jeunes sapins, les fenêtres pavoisées et garnies de spectateurs.

À une demi-lieue de Colmar, le régiment de hussards de Chartres, commandé par le baron Simonneau, était rangé en bataille à droite de la route, et vint augmenter l’escorte déjà si nombreuse de Sa Majesté.

Arrivée et séjour du Roi à Colmar.

La ville de Colmar, ancienne capitale de la haute Alsace et maintenant chef-lieu du département du Haut-Rhin, est située au milieu d’une plaine fertile, à une lieue des Vosges et à quatre lieues du Rhin.

Le beau village de Horbourg, qui existe non loin de cette ville, est bâti sur une partie des décombres de l’ancienne Argentuaria.

L’origine de Colmar paraît fort ancienne, mais aucun document authentique ne précise son établissement. Les étymologistes se sont beaucoup exercés sur son nom, sans pouvoir se mettre d’accord à ce sujet. Les uns le font dériver du mot latin Columbarium (colombier) ; d’autres veulent que son nom dérive des mots allemands Kohlenmarkt (marché aux charbons). Quoi qu’il en soit, il est certain que dans les anciennes chartes on a donné successivement à cette ville les noms de Cohlambur et de Columbaria.

La population de Colmar est de 15 000 ames ; elle se livre avec succès au commerce, à l’agriculture et aux arts industriels.

La cour royale, un barreau nombreux et célèbre depuis long-temps, un grand nombre d’employés d’administration et d’officiers en retraite, mais surtout la beauté remarquable des femmes, font de Colmar un séjour charmant, où l’on trouve la société la mieux choisie.

Des promenades délicieuses, d’où l’on découvre des sites enchanteurs, terminés par les sommités des Vosges, si rapprochées que l’on croit être à leur pied, et couronnées presque toutes sur ce point d’imposantes ruines historiques, donnent à la ville de Colmar un aspect particulier, que l’on ne retrouve peut-être nulle autre part.

Au nombre des dispositions prises pour la réception du Roi, on avait fait élever un arc de triomphe à un demi-quart de lieue de la ville ; ce monument de la reconnaissance nationale, aussi simple qu’élégant, était revêtu en verdure et portait sur la frise l’inscription suivante :

À CHARLES X,
AU PREMIER ROI BOURBON QUI HONORA LES FIDÈLES COLMARIENS DE SON AUGUSTE PRÉSENCE, LE X SEPTEMBRE MDCCCXXVIII,
LA VILLE DE COLMAR,
HEUREUSE ET À JAMAIS RECONNAISSANTE.

C’est là que M. le baron de Müller, maire de Colmar, accompagné de MM. Leib et Bechelé, ses adjoints, et de MM. les membres du conseil municipal, attendait Sa Majesté pour la complimenter.

C’est là aussi que s’était portée une grande partie de la population de Colmar, à laquelle son impatience n’avait pas permis d’attendre, pour voir le Roi, qu’il traversât la ville. Tous les enfans des écoles de Colmar, au nombre de plus de 300, vêtus uniformément, et portant chacun un drapeau blanc, étaient rangés en avant de l’arc de triomphe.

Lorsque Sa Majesté, précédée et accompagnée de son brillant et nombreux cortége, arriva à l’arc de triomphe, M. le maire eut l’honneur de lui présenter les clefs de la ville, en lui adressant le discours suivant :

Sire,

Les maire, adjoints et membres du conseil municipal de Colmar sont pénétrés du plus profond respect en présentant à Votre Majesté les clefs d’une cité que votre auguste frère de glorieuse mémoire jugea digne d’être élevée au rang des bonnes villes de son royaume.

Les témoignages d’amour et d’admiration que vos sujets s’empressent de déposer aux pieds de Votre Majesté dans la visite toute paternelle qu’elle daigne leur faire, lui ont déjà appris ce que nous oserons répéter à Votre Majesté dans cet heureux jour, dont le souvenir ne s’effacera jamais de notre mémoire.

Quoique placés à l’extrême frontière de vos vastes États, et touchant à l’Allemagne, dont nous conservons encore le langage, nous avons prouvé, à peine conquis par le grand Roi, que nous étions aussi bons Français que nos aînés les plus fidèles et les plus dévoués.

Les Colmariens surtout se sont dès-lors attachés à la dynastie des Bourbons avec cet enthousiasme qui caractérise toujours leur nouvelle patrie pour ses princes légitimes, en conservant la loyauté et l’abandon qui distinguent encore celle dont ils venaient d’être détachés.

Heureux sous le gouvernement paternel de Votre Majesté, plus heureux encore de pouvoir le lui dire, nous la supplions d’agréer avec bonté l’hommage de notre respect, de notre amour et de notre fidélité sans bornes. Vive le Roi ! vive Monseigneur le Dauphin !

Le Roi répondit :

J’accepte les clefs que vous me présentez pour vous les rendre avec une entière confiance lorsque je vous quitterai. Tout ce que j’ai vu jusqu’ici en Alsace m’a vivement touché sans m’étonner toutefois ; car j’ai toujours considéré les Alsaciens comme mes sujets les plus fidèles et les plus dévoués.

Ils se sont montrés tels sous les Rois mes prédécesseurs, et s’il est doux pour mon cœur d’être venu les connaître et les juger chez eux, il m’est plus doux encore de leur dire qu’ils doivent à jamais compter sur ma protection.

Une calèche découverte avait été préparée, et le Roi voulut bien consentir à y monter pour faire son entrée dans Colmar[3]. Le maire et le corps municipal précédaient à pied la voiture du Roi, qui entra par la porte Kléber, suivit la rue de ce nom, la rue des Clefs, la rue Saint-Nicolas, et descendit à l’église Saint-Martin, où il fut reçu par le clergé, ayant à sa tête Mgr l’évêque de Strasbourg, qui eut l’honneur de complimenter Sa Majesté en ces termes :

Sire,

J’ai bien à me féliciter aujourd’hui de l’étendue de l’évêché que vous avez daigné me confier, puisque je lui dois le rare, l’inappréciable avantage de recevoir encore Sa Majesté dans la seconde église de mon diocèse. Ici, elle retrouve la même affluence, le même enthousiasme de la population pour sa personne sacrée. Ici, sa présence enlève également les cœurs, les enivre également d’une joie dont les élans s’arrêtent avec respect à la vue du sanctuaire ; mais pour se changer en un concert unanime d’actions de grâces.

Sire, en priant le Seigneur d’exaucer les désirs de Votre Majesté, ce sera réellement prier aussi pour notre bonheur personnel et pour celui de la patrie dont vous êtes le père bien-aimé.

Le Roi répondit :

Je vous remercie, Mgr l’évêque ; prions ensemble pour la prospérité de tous mes sujets.

Le Roi fut ensuite conduit processionnellement au prie-dieu qui lui avait été préparé au milieu du Sanctuaire. On chanta aussitôt un Te Deum et quelques psaumes, avec accompagnement d’orchestre.

En sortant de l’église, le Roi trouva près de la porte un groupe composé de douze jeunes filles de l’âge de 6 à 8 ans, portant des corbeilles de fleurs. L’une d’elles (la fille de M. Wilhelm, jeune, avoué près la cour royale) eut l’honneur de présenter un bouquet au Roi, en lui disant avec beaucoup de grâce : « Sire, agréez ces fleurs que l’innocence a cueillies pour Votre Majesté. »

Sa Majesté parut prendre plaisir à voir ces enfans, et fit plusieurs caresses bienveillantes à celle qui lui avait offert le bouquet, en lui disant : « Cela me portera bonheur. »

L’'hôtel de la préfecture avait été disposé pour servir de demeure au Roi, à Mgr le Dauphin et à leur suite, ce qui avait présenté des difficultés assez grandes que le zèle et le talent sont cependant parvenus à vaincre.[4]

Sa Majesté voulut se rendre à pied à l’hôtel de la préfecture, par la rue Saint-Nicolas. Toutes les maisons étaient tapissées plutôt que pavoisées de drapeaux blancs. Un double rang de jeunes sapins garnissait la rue. Une population nombreuse était pressée au pied des maisons.

Il est impossible d’exprimer combien était majestueux et touchant, tout à la fois, le spectacle d’un grand Roi marchant lentement et sans autre garde que le respect et l’amour de son peuple, au milieu de citoyens empressés, qui faisaient retentir l’air de leurs acclamations. On ne pouvait se lasser d’admirer les nobles traits du Monarque ; on remarquait avec bonheur qu’il jouissait de la santé la plus parfaite ; enfin, on voyait sur sa figure l’expression du plaisir que lui faisaient éprouver des transports si unanimes et si vrais. On remarquait aussi avec attendrissement Mgr le Dauphin, dont l’attitude modeste et respectueuse semblait indiquer qu’il ne se regardait là que comme un simple sujet du Roi, et qui paraissait reporter sur son auguste Père tous les hommages dont il était lui-même l’objet.

Le Roi ayant exprimé la satisfaction que lui faisait éprouver l’enthousiasme des Alsaciens, on a entendu Mgr le Dauphin lui dire : « Je vous l’avais bien dit, Sire. »

Un jeune soldat, sous les armes, ayant joint ses acclamations à celles de la multitude, et Mgr le Dauphin l’ayant remarqué, Son Altesse Royale s’approcha de lui avec bienveillance et lui dit de rester immobile et silencieux, ainsi que le prescrivent les réglemens militaires.

Au moment d’entrer à l’hôtel de la préfecture, et comme s’il se fût à regret arraché à une scène si animée et si délicieuse, le Roi se retourna, arrêta encore quelques instans ses regards sur la foule qui l’entourait, sembla la remercier par ses gestes, puis se déroba à la vue des nombreux spectateurs, qui ne cessèrent cependant pas de faire entendre les cris de vive le Roi ! vive Mgr le Dauphin !

Après que Sa Majesté se fut reposée quelque temps dans ses appartemens, les autorités furent admises.

M. Millet de Chevers, premier président de la cour royale, eut l’honneur de présenter toute sa compagnie à Sa Majesté, et de lui adresser ce discours :

Sire,

Nous jouissons aujourd’hui du bonheur autant inespéré que digne d’envie, de déposer en corps aux pieds de Votre Majesté nos plus respectueuses félicitations ; ce bonheur, nous aimons à en rendre grâce au Prince chéri qui a précédé son auguste Père dans nos contrées, et qui, dans des momens moins calmes, lorsque le souffle des discordes civiles se faisait encore entendre, a néanmoins reconnu dans les cœurs alsaciens un dévouement aussi profond que solide pour voire royale maison, à laquelle leur belle province est redevable de plus de cent cinquante ans de prospérités et de paix succédant à des siècles de dévastations et de guerre.

Votre Majesté vient recueillir les transports et la vive expression de ce dévouement dans des circonstances mille fois heureuses, en ce qu’elles sont son ouvrage, le fruit de sa haute sagesse, de celle du premier fondateur de la charte, dont elle a affermi l’œuvre, et continué le règne.

Sire, Votre Majesté ne pouvait pas se montrer à ses sujets dans un moment plus opportun. Si ses peuples ressentent encore quelques besoins, objets de sa sollicitude, jamais ils n’ont éprouvé plus de confiance dans le présent, plus d’espérance dans l’avenir ; jamais la paix intérieure n’a été mieux cimentée par l’union des citoyens, ni celle de dehors mieux assurée par les vertus du trône, la gloire acquise par votre auguste Fils et l’affection des peuples à votre dynastie.

Vos magistrats, Sire, ne cesseront jamais d’être encouragés dans leurs nobles, mais pénibles fonctions, en pensant que la justice est profondément dans votre cœur ; que nous, vos officiers, ne pouvons mieux nous montrer vos serviteurs qu’en la distribuant comme vous voulez qu’elle le soit. Qui sait mieux que Votre

Le Roi arrive à pied à l'Hôtel de la Préfecture à Colmar.
Majesté, que les bénédictions des peuples n’ont jamais manqué aux monarques amis de la justice !

Nous répétons, Sire, avec tous vos sujets, ce souhait que vous avez rendu si populaire dans votre beau royaume ; ce vœu que l’étranger redit avec nous : Vive, pour le bonheur de la France, Charles X long-temps, et sa race toujours ! Vive le Roi ! vive Monseigneur le Dauphin !

Le Roi répondit :

Je reçois avec grand plaisir l’expression des sentimens de ma cour royale de Colmar.

La manière dont vous les avez exprimés, Monsieur, rend exactement ceux qui sont gravés dans mon cœur.

Songez, Messieurs, qu’appelés à remplir des fonctions aussi importantes que celles que j’ai remises entre vos mains, c’est en continuant à y apporter le zèle que vous avez montré jusqu’ici ; c’est en les remplissant avec fidélité envers le Souverain, et avec impartialité et exactitude envers les sujets, que vous mériterez la confiance que je dois accorder à de dignes magistrats.

La cour étant sortie, M. Desclaux, procureur-général, s’avança à la tête de MM. les officiers du parquet et eut l’honneur d’adresser la parole au Roi en ces termes :

Sire,

Ce sont vos gens ; permettez-leur de déposer aux pieds de Votre Majesté le tribut de leur respect, de leur fidélité et de leur dévouement pour votre personne sacrée, celle de votre auguste Fils, et cette race de Bourbons qui a procuré tant de gloire et de bonheur à la patrie.

Sire, vos officiers de justice, dans le ressort de votre cour royale de Colmar, partageant l’enivrement d’une population religieuse, fidèle et dévouée, trouvent dans le bienfait de votre présence un puissant encouragement pour l’accomplissement de leur austère devoir. Les discours de Votre Majesté sont gravés dans nos mémoires, et resteront pour nos neveux. Vous l’avez souvent dit : « c’est en faisant respecter les lois avec fermeté, c’est en distribuant avec impartialité et indépendance la justice, pure émanation de votre trône, que l’on peut mériter votre bienveillance royale. » Ces paroles font notre appui.

Heureux les peuples, lorsque les Rois, ainsi que Votre Majesté, ne savent parler qu’à la conscience des magistrats !

Le Roi répondit :

Les sentimens que j’ai exprimés et que vous me rappelez sont gravés dans mon cœur, et ils ne s’en effaceront jamais. J’ai une ferme confiance en cette cour royale. Je ne doute pas qu’elle ne seconde mes vœux, mes désirs et ma volonté pour le bonheur de mes peuples.

M. le préfet, à la tête du conseil de préfecture, harangua le Roi en ces termes :

Sire,

J’ai été tout à l’heure auprès de Votre Majesté l‘interprète des sentimens des habitans du Haut-Rhin. Je viens maintenant déposer à ses pieds l’hommage particulier de mon dévouement et de celui de mes collaborateurs. Nous sommes tous animés, Sire, des mêmes sentimens, et nous prions Votre Majesté d’être bien convaincue que notre plus grande ambition est de consacrer tous nos instans au service du Roi, comme notre plus grand bonheur est de pouvoir en ce moment lui offrir le tribut de nos respects.

M. Chauffour prononça le discours suivant en présentant au Roi le conseil général :

Sire,

Les transports de la joie publique sont l’escorte de Votre Majesté ; son front auguste montre partout à ses peuples l’instructive et consolante image de la puissance unie à la bonté ; puissance qui assigne au mal ses limites, comme la main de la Providence aux flots de l’Océan ; bonté qui, par les sentimens qu’elle inspire, place dans nos cœurs tout autant que dans les lois les engagemens de la fidélité. Qu’il est doux d’en offrir le témoignage à un Monarque adoré, vrai père de ses sujets, constamment occupé à cimenter leur bonheur.

Nos cœurs surtout, Sire, s’épanouissent dans cette fortunée circonstance ; depuis Charlemagne et ses fils, Votre Majesté est le premier Roi de France qui soit entré dans nos murs. Il y a plus encore (nous permettra-t-elle de le dire), nous voyons avec orgueil en elle un Alsacien de plus. Oui, Sire, d’après nos historiens, quelques gouttes de sang alsacien se sont mêlées dans les veines du chef de la race capétienne, par le mariage de Robert-le-Fort avec une descendante du duc Athic d’Alsace, prince puissant qui florissait dans le 7e siècle, dont la postérité tient des rangs au ciel, et occupe de nos jours encore plusieurs trônes en Europe.

Votre Majesté trouve le conseil général du département actuellement réuni par ses ordres dans sa session annuelle ; qu’il lui soit permis d’accomplir un devoir, en recommandant à la paternelle bienveillance de Votre Majesté un peuple qui en est digne par ses mœurs, par son attachement à ses Princes, par sa vie laborieuse, par son exactitude à remplir les charges publiques, et par les malheurs qu’il a deux fois essuyés dans le dernier ébranlement européen. Une grande partie de ce peuple gémit, Sire, cruellement, sous les mesures qui entravent généralement les vignobles, et plus particulièrement le nôtre, dont les produits sont privés de leur seul écoulement ; c’est la plainte de nos montagnes, tandis que la plaine regrette, de son côté, une autre culture jadis prospère pour elle, et que le monopole lui a complétement interdite.

Que Votre Majesté daigne excuser cette confiante expansion ; ce n’est pas attrister son ame que de lui donner l’occasion de répandre avec une égale mesure ses bienfaits.

Le Roi répondit :

Depuis que l’Alsace est réunie à la France, les Rois mes prédécesseurs ont toujours trouvé ici de bons et fidèles sujets : c’est la première fois que j’y porte mes pas ; l’accueil que j’y reçois me prouve que les cœurs des Alsaciens sont fermement attachés à la monarchie et à leur Roi. C’est la plus douce satisfaction que je puisse éprouver.

Quant aux affaires du département, je recevrai toujours avec intérêt les demandes qui peuvent m’être adressées ; soyez sûrs que je les examinerai avec l’attention que réclame de moi tout ce qui tient au bonheur de mes sujets. Je me croirai heureux si je puis, en conservant le bien général, faire quelque chose pour le bien particulier de ce département.

M. Pierre Poujol, président du tribunal civil, prononça ces paroles :

Sire,

Votre tribunal civil de Colmar et celui de Belfort qui s’y est réuni, sont heureux de pouvoir déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de leur respect et de leur amour.

Sire, votre auguste Fils, qui a visité cette province il y a dix années, a pu vous dire combien était grand le dévouement de tous les habitans à Votre Majesté et à sa famille : les paroles qu’il y a fait entendre l’ont augmentée ; elles ont consolé de grandes infortunes et présagé le bonheur.

Quel enthousiasme ne feront pas naître la vue et les paroles de Votre Majesté.

Sire, vos tribunaux de Colmar et de Belfort ne sont pas en arrière dans cet élan général ; ils ont toujours eu l’idée que leur dévouement devait se manifester principalement par la manière de remplir leurs devoirs. Délégués par vous, Sire, pour rendre la justice, ils ont pensé qu’ils les remplissaient, ces devoirs, en apportant dans l’exercice de leurs fonctions difficiles toute la maturité de leur attachement au trône de Votre Majesté : aucun effort ne leur coûte pour atteindre ce résultat.

Les regards de Votre Majesté leur apprendront s’ils ont dignement rempli leurs devoirs ; ils y puiseront les forces nécessaires pour continuer utilement leurs travaux.

Le Roi répondit :

Je reçois avec plaisir l’expression de vos sentimens, vous le savez, c’est en rendant la justice avec exactitude et impartialité que vous répondrez à ma sollicitude ; je sais avec quel zèle vous me secondez, continuez de compter sur ma bienveillance.

M. Kiener, président du tribunal de commerce, a dit :

Sire,

Le tribunal de commerce de Colmar, admis à l’honneur de vous être présenté, vient déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de son amour, de son respect et de sa fidélité. Il y a dix ans, Sire, que nous eûmes déjà le bonheur de faire connaître à votre auguste Fils les sentimens dont nous sommes et serons toujours animés : amour et fidélité pour notre Roi, attachement pour les institutions que sa haute sagesse cherche à affermir de plus en plus ; voilà, Sire, ce qui distinguera toujours vos fidèles sujets du Haut-Rhin.

Il est de notre devoir de ne pas cacher à un Roi si digne de connaître la vérité, que bien des maux ont frappé l’industrie manufacturière et agricole de ce département ; mais, grâce à la sollicitude de Votre Majesté, qui vient de nous être encore attestée par la création d’un ministère spécial, chargé de veiller aux grands intérêts du commerce, nous osons espérer, aujourd’hui plus que jamais, qu’avant peu l’avenir réparera les malheurs du passé. Votre présence, Sire, est pour l’industrie de ce département un bienfait dont elle ne perdra jamais le souvenir consolateur.

Le Roi répondit :

Soyez sûrs, Messieurs, que mon attention se portera toujours sur tout ce qui pourra favoriser le commerce autant qu’il dépendra de moi. Je n’ignore pas les malheurs qui sont arrivés en ce pays. Il n’est pas en mon pouvoir de les réparer promptement ; mais j’espère y parvenir avec le temps. J’y travaillerai avec persévérance.

M. le baron de Müller, maire, prononça le discours suivant, en présentant le corps municipal :

Sire,

Organe du conseil municipal, je suis trop heureux d’avoir à exprimer au plus chéri des monarques les sentimens d’amour et de respect dont nous sommes tous pénétrés pour votre auguste personne et votre noble famille.

Nous sommes fiers d’avoir été conquis par votre illustre aïeul, et heureux par la conquête, puisque nous lui devons d’être vos fidèles sujets.

Il manquait à notre bonheur, après avoir salué, il y a quelques années, de nos acclamations dévouées et respectueuses le modèle des héros que nous revoyons à vos côtés, de pouvoir admirer dans votre personne royale le modèle des princes ; et votre présence au milieu de nous dépasse toutes nos espérances et remplit tous nos vœux. Vive le Roi !

Le Roi répondit :

Mon fils n’a point oublié la bonne réception qui lui fut faite ici. Celle que je reçois aujourd’hui, la manière dont j’ai été accueilli par toute la population, restera à jamais gravée dans mon cœur. Je trouve les Alsaciens ce qu’ils ont toujours été, bons, loyaux, fidèles, attachés à leur Roi.

Avant de présenter au Roi le corps municipal, M. le maire eut l’honneur de faire admettre devant Sa Majesté dix-huit demoiselles, des familles les plus honorables de la ville. Mlle Zæpffel, fille du conservateur des eaux et forêts, complimenta le Roi en ces termes[5] :

Sire,

Élevées dans les sentimens de respect et d’amour que les Alsaciens portent aux Bourbons, nous sommes trop heureuses, au milieu de l’alégresse publique, d’être admises aux pieds de Votre Majesté pour lui en offrir l’expression.

L’amour du Roi est de tous les âges en France, et s’il suffisait de bien sentir pour bien exprimer, nos naïves acclamations seraient peut-être les plus agréables au cœur de Votre Majesté.

Nous n’avons à offrir à notre Roi bien-aimé, que des cœurs pénétrés de ses hautes vertus, et des vœux que nous adressons chaque jour au Ciel pour qu’il prolonge le cours d’une vie si chère à tous les Français.

Puissent ces modestes fleurs, qui peignent la pureté de nos sentimens pour Votre Majesté, et que nous déposons à ses pieds, être agréées par elle avec quelque bonté ; et si elle daigne sourire à ce timide et fidèle hommage des jeunes filles de sa bonne ville de Colmar, ce jour sera à jamais le plus beau de leur vie.

Le Roi répondit avec grâce :

Il m’est bien agréable, Mademoiselle, d’entendre de votre bouche l’expression de ces sentimens. Puisse ce jour vous porter bonheur à toutes ! c’est mon désir le plus doux.

M. le maire à-la tête des commissions charitables, eut l’'honneur de dire au Roi :

Sire,

Les membres des commissions charitables, qui ont en ce moment le bonheur d’être admis devant Votre Majesté, doivent à leurs modestes, mais utiles fonctions cet insigne honneur. La plus douce récompense de leurs peines, pour des hommes honorables et dévoués, c’est l’espoir, en se présentant devant leur Roi, de voir leurs philantropiques travaux encouragés et appréciés par Votre Majesté.

Cet espoir, Sire, ne sera pas déçu pour des sujets aussi fidèles et aussi dévoués que le sont ces messieurs, et Votre Majesté daignera les accueillir, ainsi que l’hommage de leur très-profond respect, avec cette bonté particulière qu’elle accorda toujours à d’utiles services.

Le Roi répondit :

Je suis bien aise de voir ces Messieurs ; je sais tout le bien qu’ils ont fait et tout celui que je puis attendre d’eux ; les pauvres, les malades et les prisonniers méritent aussi ma sollicitude, et je ne puis mieux faire que de m’en rapporter à vous pour que les uns et les autres reçoivent tous les soins auxquels leur positon malheureuse leur donne des droits.

Le clergé catholique fut présenté au Roi par Mgr l’évêque de Strasbourg, qui eut l’honneur d’adresser à Sa Majesté les paroles suivantes :

Sire,

J’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté son pieux et fidèle clergé du Haut-Rhin, et en particulier M. Maimbourg, mon grand-vicaire, curé de cette ville, habile et utile auxiliaire de son évêque ; le modèle et le guide des ecclésiastiques, l’ami du riche, le père du pauvre, et le conseil recherché de nos bons électeurs des campagnes.

Sa Majesté répondit de la manière la plus bienveillante.

M. Hitschler, président du consistoire protestant de Colmar, à la tête de tout le consistoire, eut l’honneur de haranguer ainsi le Roi :

Sire,

Le consistoire de l’église chrétienne de la confession d’Augsbourg se félicite de l’honneur insigne d’être admis à venir déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de son profond respect et de sa fidélité.

Sire, les protestans reconnaissent en leur Souverain le chef suprême de leur église, et le premier des principes religieux qu’ils admettent d’après la Sainte-Bible, est de craindre Dieu et d’honorer le Roi.

Sire, daignez agréer notre vive reconnaissance pour tous les bienfaits dont jouissent les protestans et leurs pasteurs sous le règne de justice et de haute sagesse de Votre Majesté. Daignez agréer l’expression du dévouement le plus respectueux et d’une fidélité à toute épreuve.

Que le Roi des rois veuille prolonger jusqu’aux termes les plus reculés les précieux jours de Votre Majesté, ainsi que ceux de S. A. R. Mgr le Dauphin, le pacificateur de l’Espagne, et de toute l’illustre famille des Bourbons. Vive le Roi !

Le Roi répondit :

J’agrée avec plaisir l’expression de vos sentimens. Je connais la fidélité des protestans, ils m’en ont déjà donné des preuves. Vous pouvez compter sur ma protection.

Le Roi daigna ensuite s’informer du nombre des protestans dans la ville de Colmar et dans le département.

M. Simon Cahn, grand-rabbin, président du consistoire israélite de Colmar, prononça ce discours :

Sire,

Daignez permettre que le consistoire israélite du département du Haut-Rhin dépose à vos pieds l’assurance du respect, de l’amour et du dévouement de vos fidèles sujets israélites de sa circonscription.

Si, des bords du Rhin jusqu’aux cimes des Vosges, tout retentit de cris d’alégresse, les Israélites de ces contrées s’estiment doublement heureux de la faveur inappréciable qui leur est accordée en ce jour, un de leurs jours de fêtes les plus solennels[6], où les Israélites de toute la France adressent de ferventes prières au père de tous les hommes pour la conservation des jours précieux de Votre Majesté, père de tous les Français sans distinction, pour sa constante prospérité et pour celle de son auguste famille.

Que Dieu daigne exaucer ces vœux ! puissent les bénédictions que le roi David a données à son fils Salomon retomber sur Votre Majesté et sur son Fils bien-aimé, chéri de tous les Français ! Vive le Roi bien-aimé ! vive Monseigneur le Dauphin ! vivent les Bourbons !

Le Roi répondit :

Mes fidèles sujets israélites peuvent toujours compter sur ma protection.

Sa Majesté reçut également MM. le vicomte Castex, lieutenant-général commandant la division, accompagné du maréchal-de-camp commandant le département ; le comte de Vitré, lieutenant-général, inspecteur de cavalerie ; le vicomte Beuret, lieutenant-général en retraite ; le baron Meyer de Schauensée, maréchal-de-camp en disponibilité ; le baron Tavernier et le baron Dermoncourt, maréchaux-de-camp en retraite ; le baron Simonneau, colonel des hussards de Chartres ; le marquis de Cherisey, colonel du 38e de ligne ; le baron de Frescheville, colonel du 2e léger, et MM. les officiers de leurs régimens, et M. Deshaquets, sous-intendant militaire.

Le capitaine et les officiers de la gendarmerie du département ; le Juge de paix de Colmar ; les commissaires de police ; MM. Moroge, inspecteur général des douanes ; Prié, inspecteur de Colmar ; Zæpffel, conservateur, et Caille, inspecteur des forêts ; Bernier, receveur général du département ; Catoire, payeur ; Jousselin, inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées ; Fournet, ingénieur en chef du département ; Charbonnières et Morin, ingénieurs ordinaires ; Fix, directeur des domaines, et Godet, inspecteur ; Moll, directeur, et Henriet, inspecteur des contributions directes ; de Coudenhove, directeur des contributions indirectes dans le département, et Rebillot, directeur de l’arrondissement de Belfort ; Wilmet, directeur des postes de Colmar.

Des députations des villes d’Huningue et de Neuf-Brisach, ainsi que de l’arrondissement de Belfort, furent ensuite admises.

M. Breux, maire d’Huningue a prononcé le discours suivant :

Sire,

Au milieu des transports d’alégresse qu’excite en Alsace la présence du meilleur des Rois et celle de son auguste Fils, daignez permettre aux habitans de la ville d’Huningue de déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de leur profond respect et de leur inaltérable fidélité. Cette ville, Sire, comptée naguère au nombre des forteresses importantes du royaume, fut fondée par Louis XIV, l’un de vos plus illustres aïeux, et à l’intérêt qu’elle offre par son origine, se joint celui de ses malheurs que nous aurions voulu oublier dans ce moment solennel, pour être tout au bonheur d’un si beau jour ; mais les marques de sollicitude que Votre Majesté se plaît à laisser sur son passage nous donnent l’espoir que nous verrons bientôt nos maux effacés par votre munificence royale.

Daignez, Sire, confirmer cet espoir consolateur, en acceptant l’humble supplique que nous prenons la respectueuse liberté de présenter à Votre Majesté.

Le Roi répondit :

J’examinerai votre demande avec intérêt. Les murs d’Huningue n’existent plus en ce moment ; mais les cœurs des habitans sont toujours là : c’est la meilleure défense que la France puisse avoir.

Ensuite M. Leroy, maire de Neuf-Brisach, a adressé la parole à Sa Majesté en ces termes :

Sire,

Le maire, au nom des habitans de la ville de Neuf-Brisach, vient offrir à Votre Majesté l’hommage de leur amour, de leur fidélité et de leur dévouement.

Neuf-Brisach doit sa fondation à la puissance de Louis XIV. Cette ville datera l’époque de sa prospérité du règne illustre de Charles le bien-aimé.

Bientôt, sous la protection des ouvrages défensifs élevés à la sûreté de la France par la sagesse du grand Roi, vont se former les paisibles établissemens de commerce que réclamaient nos relations, et que la sollicitude du père des Français a daigné accorder à nos vœux.

Ce nouveau monument de la gloire de son règne attestera les titres nouveaux que Votre Majesté vient d’ajouter à la reconnaissance de ses fidèles sujets de Neuf-Brisach.

Le Roi a répondu avec sa bienveillance et sa bonté ordinaires :

Je suis sensible à la démarche des habitans de Neuf-Brisach, je vous charge de leur en témoigner ma vive reconnaissance.

Je ne perdrai pas de vue les intérêts d’une place aussi importante à la sûreté de la France que Neuf-Brisach.

M. le comte d’Agrain des Ubas, sous-préfet de l’arrondissement de Belfort, eut l’honneur d’être admis auprès de Sa Majesté à la tête d’une députation des quatre principales villes de son arrondissement, Belfort, Thann, Cernay et Massevaux, composée ainsi qu’il suit :

M. Triponé, chevalier de la légion d’honneur, maire de Belfort, ancien président du conseil général du Haut-Rhin, suivi de MM. Lacompard, adjoint, chevalier de la légion d’honneur ; chevalier Duchatelet ; Keller, avocat, et Fournier.

M. de Nonancourt, maire de Thann, colonel en retraite, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, de celui du Phénix de Hohenlohe-Bartenstein et de l’ordre impérial de Léopold d’Autriche ; et MM. Spicher, adjoint ; Wilhem et Ruppé.

MM. Zurcher, maire de Cernay, Meiner, ancien fabricant ; Baudry ; le baron d’Andlaw, juge de paix du canton de Cernay.

M. Gendre, maire de Massevaux, était accompagné de M. Érard, son adjoint ; de M. Kuen et de M. Matthieu Kœchlin.

À ces députations s’était réuni M. Gustave d’Agrain, fils de M. le comte d’Agrain des Ubas, sous-préfet ; et M. le baron de Goho, maire de Wattwiller, chambellan de Sa Majesté le roi de Bavière.

M. le comte d’Agrain a eu l’honneur d’adresser au Roi le discours suivant :

Sire,

Et nous aussi, partageant la publique alégresse, nous venons déposer aux pieds de Votre Majesté le tribut d’'amour et de profond respect qu’il est si doux d’offrir au père de la patrie.

Si vos fidèles sujets de l’arrondissement de Belfort, seuls de tous les Alsaciens, se trouvent privés de l’honneur insigne de contempler le front auguste du fils de Saint-Louis, du moins, Sire, en osant vous transmettre l’expression de leurs vifs regrets, permettez-nous d’assurer à Votre Majesté, que parmi tous les cœurs qui volent à son passage, il n’en est point de plus soumis, de plus dévoués à sa couronne.

Non, j’ose l’affirmer, nulle part la présence de notre bien-aimé Souverain n’eût excité plus d’enthousiasme, nulle part aussi, plus béni par ses enfans, Charles X n’eût entendu prononcer avec plus d’amour ce vœu si national, si cher à tous les Français. Vive le Roi long-temps et les Bourbons toujours !

Le Roi a répondu :

C’est avec une vraie satisfaction que je viens d’entendre l’expression touchante des regrets que vous venez de me témoigner pour vos administrés. Assurez-les de toute ma bienveillance.

Dites-leur bien de ma part, je vous prie, que privé, par mon prochain retour à Paris, du bonheur de les voir, ils ne m’en sont pas moins aussi chers que tous mes autres enfans du royaume, et que je les porte tous également dans mon cœur.

Vous pouvez ajouter que, si le Ciel me ramène dans ces belles contrées, les vœux que vous venez de m’exprimer me rendront doublement cher le plaisir de visiter mes fidèles sujets de l’arrondissement de Belfort.

Ensuite M. le sous-préfet eut l’honneur de présenter son fils au Roi. Sa Majesté daigna lui faire un accueil obligeant.

M. Triponé, maire de Belfort adressa au Roi le discours suivant :

Sire,

Amour, fidélité, respect, dévouement à toute épreuve : tels sont les sentimens que les habitans de Belfort mettent aux pieds de Votre Majesté.

Daignera-t-elle me permettre d’ajouter les regrets infinis de la population, privée du bonheur de les exprimer elle-même, et de contempler les traits chéris de son Monarque adoré.

Sa Majesté voulut bien renouveler à M. le maire de Belfort l’expression des regrets qu’Elle éprouvait de ne pouvoir visiter cette ville.

Enfin, des députations de Bâle et de Soleure eurent l’honneur de présenter au Roi les hommages de leurs cantons en ces termes :

Sire,

Les gouvernemens des cantons de Soleure et de Bâle, limitrophes de la France, sont toujours empressés à saisir les occasions favorables pour présenter à Votre Majesté les sentimens de la profonde vénération et du dévouement constant dont eux et tous leurs concitoyens sont pénétrés pour sa personne sacrée.

C’est en cette intention qu’ils ont choisi pour leur interprète M. Wieland, bourguemaître du canton de Bâle, qui malheureusement est tombé malade en route, et qui regrette infiniment de ne pouvoir présenter ses hommages à Votre Majesté ; ces Messieurs et moi, le doyen des magistrats de la Suisse, nous nous empressons de remplir ce devoir cher à nos cœurs.

Héritiers des maximes et des sentimens de nos ancêtres, c’est comme eux, les fidèles et anciens alliés de Votre Majesté, que nous portons les vœux sincères et ardens pour la conservation de sa précieuse santé, ainsi que pour la gloire et la prospérité de son règne, qui fait en même temps la gloire et le bonheur de son peuple.

Sire, daignez accueillir ces vœux si profondément gravés dans les cœurs des loyaux Suisses, avec cette bonté et cette bienveillance qui caractérisent Votre Majesté, et qu’on voit briller parmi tant de grandes qualités royales qui font les délices et l’admiration de la France, avec laquelle nous, Suisses, ne cesserons de dire : Vive Charles X ! vive Monseigneur le Dauphin ! vive l’auguste maison des Bourbons à jamais !

Le Roi a répondu :

C’est avec une entière satisfaction que je reçois l’expression des sentimens que vous venez de manifester, et c’est avec un extrême plaisir que je vois une députation suisse se présenter devant ma personne.

Messieurs, déjà dès ma première jeunesse, lorsque Louis XV me nomma colonel-général des Suisses, je suis entré dans des liaisons intimes avec les cantons, liaisons qui se sont renouvelées à une époque plus récente ; et toujours je n’ai eu qu’à me louer des marques d’attention et d’amitié de la part des magistrats suisses. Voilà, Messieurs, des souvenirs bien chers et qui ne s’effaceront pas de ma mémoire.

Depuis trois siècles les cantons suisses sont les alliés fidèles et constans de la France. Ces liaisons n’ont pu être altérées par les divers événemens qui se sont succédé depuis cette époque ; car la base de cette alliance est une confiance réciproque. À cette alliance et à cette confiance, tenons-y !

Lorsque le Roi eut fini cette réponse, il s’adressa personnellement à M. l’avoyer de Glutz et lui dit : « Je regrette infiniment cet accident de M. le député de Bâle ; est-il ici ? » — « Oui, Sire ! » — « Eh bien, je lui enverrai mon premier chirurgien. »

Le Roi invita M. l’avoyer de Glutz de lui présenter Messieurs de la députation nominativement, ce qu’il s’empressa de faire. Elle était composée, de la part du canton de Bâle, de S. E. M. le bourguemaître Wieland ; M. le trésorier Bourcard ; M. le colonel Wieland, préfet, directeur de police ; M. le colonel de Speyer. De la part du canton de Soleure, de S. E. M. l’avoyer de Glutz-Ruchti, chevalier de l’ordre de Charles III, avoyer en charge de la république de Soleure, ancien landaman de la Suisse ; M. le comte de Sury-de-Bussy, conseiller d’état et colonel fédéral ; M. le colonel Gibelin, conseiller d’état, chevalier de Saint-Louis, décoré de la médaille du 10 Août ; M. le colonel de Glutz-Ruchti, membre d’appel, chevalier de Saint-Louis, décoré de la médaille du 10 Août. Adjoints à la députation : M. A. Wieland, aide-major d’artillerie ; M. Geigy, capitaine d’état-major ; M. le capitaine Bischoff ; M. J. J. Mérian, membre du grand conseil.

À six heures Sa Majesté se mit à table, et admit à l’honneur de dîner avec Elle, MM. les députés suisses et MM. André et Migeon, députés du Haut-Rhin ; M. Jordan, préfet ; M. le baron de Müller, maire ; M. Millet de Chevers, premier président ; M. Desclaux, procureur-général ; M. le lieutenant-général vicomte Castex ; M. le maréchal-de-camp vicomte Rambourgt ; Mgr l’évêque de Strasbourg. MM. les colonels dont les régimens sont en garnison à Colmar, Belfort, Neuf-Brisach et Sélestat, ont été admis successivement, le premier et le second jour, au même honneur.

Le Roi daigna aussi inviter à sa table Mme Jordan, épouse du préfet.

Pendant le dîner, le public continuait à se presser en foule devant l’hôtel de la préfecture. Le Roi voulut bien permettre qu’on circulât autour de la table. Plus de mille personnes purent jouir ainsi du bonheur de contempler les traits de Sa Majesté.

Les cris de vive le Roi, vive Mgr le Dauphin, n’avaient cessé de se faire entendre sous les fenêtres des appartemens. Le Roi parut plusieurs fois au balcon, et sa vue excita toujours de nouveaux transports. Mgr le Dauphin avait la modestie de se tenir un peu en arrière du Roi, et on entendit Sa Majesté lui dire : « Venez, mon fils ; venez remercier ces braves gens du bon accueil qu’ils nous font. »

La ville fut complétement illuminée[7] dans la soirée, et à huit heures des feux allumés sur toutes les hauteurs des Vosges, par les soins des maires, formaient pour les habitans de la plaine la plus magnifique illumination. Un de ces feux, placé sur le Hoheneck, se remarquait des fenêtres de la préfecture.

Le Roi ne rentra dans ses appartemens qu’après avoir dit quelque chose d’agréable à toutes les personnes qui l’entouraient, et après avoir témoigné combien il était satisfait de cette journée. « On voit bien, disait-il, en parlant de la vivacité des acclamations qui continuaient à se faire entendre ; on voit bien que ces cris-là partent du cœur. »

C’était en effet le cœur seul qui les dictait à une population toujours fidèle, toujours dévouée, chez laquelle l’amour pour le Roi n’est pas un calcul du moment, mais un sentiment ancien et profond, et à laquelle il n’avait manqué jusqu’ici que l’occasion de faire connaître à son Souverain chéri quel a été de tout temps et quel sera toujours l’attachement des Alsaciens pour son auguste dynastie.

C’est ainsi que se termina la soirée du 10 Septembre.

Une immense population encombrait toutes les rues de Colmar, et particulièrement celle des Deux clefs, où le Roi demeurait ; mais aussitôt qu’elle sut que Sa Majesté s’était retirée dans ses appartemens, les acclamations cessèrent devant l’hôtel de la préfecture. Elles auraient pu retarder d’un instant le repos d’un père chéri, et la délicatesse imposa silence à l’amour.

JOURNÉE DU 11 SEPTEMBRE.

Le matin, vers six heures, Sa Majesté entendit la messe dans ses appartemens. M. le maire ayant été prendre les ordres du Roi, Sa Majesté daigna lui adresser les paroles les plus bienveillantes et les plus flatteuses pour la population de la ville.

À sept heures, le Roi monta en voiture pour se rendre à Mulhouse, en disant à M. le baron de Muller : « À ce soir, au bal. »

Voyage à Mulhouse, par Ensisheim.

Si d’un côté les fidèles et industrieux habitans de Mulhouse désiraient avec ardeur posséder le Roi dans leurs murs, et prouver à Sa Majesté qu’Elle n’a pas de sujets plus dévoués que ceux qui confondent dans leur cœur l’amour pour le Prince avec l’amour pour les libertés publiques ; d’un autre côté, quelques hommes haineux, jaloux des sentimens réciproques qui devaient se manifester dans cet heureux voyage, travaillaient dans l’ombre pour qu’il ne se réalisât pas. Des lettres anonymes portant le timbre de l’une des villes de la haute Alsace, avaient été adressées à Paris. On osait y parler des dangers que courrait Sa Majesté en se rendant à Mulhouse… Le Roi, courir des dangers au milieu de ses Alsaciens !!!

Sa Majesté, que l’on dut nécessairement informer de cette odieuse calomnie, vengea les Mulhousiens à la manière d’Henri IV. « Puisqu’il en est ainsi, dit Charles X, j’arriverai sans escorte. »

Ses fidèles sujets l’entourèrent seuls depuis Colmar jusqu’à Mulhouse, et le Monarque, en parcourant l’une des parties les plus intéressantes de la belle Alsace, fut accueilli partout avec ce respect, avec cet amour du cœur, que la présence d’un père chéri porte toujours jusqu’à l’exaltation, lorsqu’après une longue séparation il se trouve au milieu de ses enfans.

Arrivé à Sainte-Croix-en-plaine, le Roi a été reçu et complimenté par M. Heymann, maire, à la tête du conseil Municipal, sous un bel arc de triomphe décoré en verdure, au haut duquel on lisait cette inscription concise et touchante : CAROLO AMATO. La population de toutes les communes environnantes s’était réunie à celle de Sainte-Croix, et remplissait l’air de ses acclamations.

Des arbres avaient été plantés des deux côtés de la rue principale, et étaient liés entre eux par des guirlandes qui formaient un dôme de verdure ; toutes les maisons étaient pavoisées, et en face de l’hôtel de ville on avait suspendu une couronne formée de draperies blanches et magnifiquement ornée ; les demoiselles de la ville, toutes habillées en blanc, présentèrent des fleurs au Roi, et cinquante jeunes cavaliers, armés en lanciers, formèrent le cortége de Sa Majesté.

Le Roi accueillit ces hommages avec sensibilité, et dit à plusieurs reprises avec émotion : « Je vous remercie, mes enfans. »

À la sortie de Sainte-Croix, la population des villages voisins occupait la route et formait une espèce de campement, qui présentait le coup d’œil le plus pittoresque jusque vers Mayenheim, où le Roi arriva bientôt au bruit de mille acclamations.

Un arc de triomphe avait été élevé dans cette commune, dont les rues avaient été sablées et plantées d’arbustes réunis par des guirlandes de fleurs : Sa Majesté daigna adresser la parole à M. Ribss, maire, ainsi qu’au desservant, et remit à chacun d’eux une somme de 100 francs pour être distribuée aux indigens.

Toutes les maisons avaient été élégamment décorées à l’extérieur. On distinguait particulièrement celle du maître de poste, M. Delaville, et celle de M. Hausser, percepteur. La façade de cette dernière était ornée d’une décoration en lierre du plus bel effet.

La route depuis Mayenheim jusqu’à Ensisheim était couverte par une population immense, sortie de toutes les communes environnantes, et qui avaient toutes fourni de beaux détachemens de lanciers et de nombreux chariots, ornés de guirlandes, de rubans et de drapeaux, et occupés par de jeunes et jolies villageoises, vêtues uniformément.

À Oberentzheim, un arc de triomphe en verdure avait été élevé à l’entrée de la commune, les maisons étaient ornées de drapeaux et de feuillages, et lors de l’arrivée du Roi ; l’enthousiasme fut universel. Des danses furent exécutées, et trois vieillards, les plus âgés de la commune, voulurent, dirent-ils, valser pour la dernière fois de leur vie, en l’honneur du Roi.

La commune de Niederentzheim, dont le territoire borde la route, avait aussi construit son arc de triomphe en verdure, et les habitans s’étaient placés en ordre sur les deux côtés de la route.

À Niederbergheim, M. Hechinger, maire de la commune, et M. Remy, juge de paix du canton d’Ensisheim, se trouvaient à la tête de toute la population auprès de deux obélisques, portant plusieurs inscriptions et entre autres celles-ci : Canton d’Ensisheim. Dix-sept communes qui renouvellent aujourd’hui leurs sermens de fidélité entre les mains de leur Monarque chéri.

À Réguisheim, une bonne villageoise (la femme de George Meyer) raconte avec plaisir, et à qui veut l’entendre, l’aventure qui lui est arrivée lors du passage du Roi dans cette commune. Nous ne voulons pas altérer la naïveté de sa narration.

« J’étais, dit-elle, placée sur la route en avant de notre maison. Un des chevaux de la voiture du Roi s’arrête tout à coup et refuse d’aller plus loin ; on fut obligé d’en atteler un autre. Bon, me dis-je, voici l’occasion de satisfaire mon envie de voir le Roi… Je m’approche de la portière de gauche : un Monsieur qui était à côté du Roi, et qu’on m’a dit depuis être son Fils, voyant mon embarras de savoir qui était le Roi, baissa la glace de la voiture et me dit en bon allemand : Das ist der König[8], en me montrant son Père. Je croyais que ce Monsieur s’amusait à mes dépens, lorsque tout à coup les brillans du crachat de Sa Majesté frappèrent ma vue et m’éblouirent comme l’aurait fait un soleil. Alors je reconnus le Roi, et voulus m’écrier : Es lebe unser Kœnig[9] ; mais la parole me manqua et mes pieds étaient comme cloués à la terre. Je serais encore inconsolable de ma sottise, si je n’avais pas remarqué qu’elle n’avait pas déplu au Roi, qui en a ri de bon cœur, ainsi que son Fils, jusqu’au départ de la voiture. »

Puisse l’aventure de cette bonne villageoise lui servir long-temps de texte pour ses conversations. Son hommage, quoique muet, était plus expressif sans doute que beaucoup de longues harangues où les formules oratoires laissent peu de place au sentiment.

Les acclamations universelles donnèrent quelque importance à ce petit épisode, et furent répétées par les habitans des communes environnantes qui étaient jalonnés sur la route ; partout des démonstrations sincères, vives et nombreuses ; partout l’enthousiasme de la côte de Saverne. C’est ainsi que le Roi arriva à Ensisheim.

Cette petite ville est très-ancienne : son nom figure dans une charte de l’année 768. Elle a été long-temps la capitale des possessions autrichiennes en Alsace. En 1492, il y tomba un aérolithe du poids d’environ 280 livres ; on en conserve encore des restes assez considérables,

Lorsque cette ville appartenait encore à l’Autriche, les jésuites y construisirent un vaste collége, qui sert maintenant de maison centrale de détention pour les hommes.

Un arc de triomphe revêtu de mousse, et construit avec les proportions de la plus belle architecture, avait été élevé à l’entrée de la ville pour l’arrivée du Roi ; il avait 40 pieds de hauteur sur 27 de largeur et 6 de profondeur. Au-dessus de la corniche on lisait l’inscription suivante : À CHARLES X, et sur les piliers latéraux : Vive le Roi long-temps ! Vivent les Bourbons toujours !

La grand’rue était sablée et plantée des deux côtés, sur une étendue de 500 mètres, d’arbres verts, joints par des guirlandes. À la hauteur de l’hôtel de ville une couronne royale en mousse et en lis était suspendue au milieu de la rue par des guirlandes de chêne ; les ponts étaient ornés de feuillages et de fleurs, et toutes les maisons étaient décorées et pavoisées.

Toutes les autorités, ainsi que le clergé et un grand nombre de demoiselles vêtues en blanc, eurent l’honneur de recevoir le Roi à l’arc de triomphe.

M. de Watrigant, maire de la ville, complimenta Sa Majesté. Lorsqu’il en vint à dire : « Sire, Allemands par le langage, nous sommes Français par le cœur, » le Roi l’interrompit et lui dit avec une vive satisfaction : « C’est bien. » M. de Watrigant ayant terminé son discours par une heureuse allusion à la conquête de l’Alsace par Louis XIV et à la présence de Charles X à Ensisheim, Sa Majesté lui dit : « C’est touchant, M. le maire. »

M. le curé Bürglin eut l’honneur de complimenter le Roi à son tour, et rappela avec bonheur dans son discours que la ville d’Ensisheim est la patrie de Jacques Balde, qui mérita, par ses poésies latines, le glorieux surnom d’Homère des Allemands.[10]

Le Roi répondit avec bonté à ces deux discours, et remit à M. le maire une somme de 300 francs pour les pauvres.

Après avoir accepté un bouquet qui lui fut présenté par les demoiselles d’Ensisheim[11], Sa Majesté traversa la ville au pas, environnée d’une population immense, qui ne cessa de remplir l’air des cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! vivent les Bourbons toujours !

La façade de la maison centrale de détention était ornée de guirlandes de verdure et de fleurs. On y avait construit une estrade élégamment décorée, présentant l’exposition d’ouvrages confectionnés par les détenus[12]. Sa Majesté daigna s’y arrêter et recevoir les hommages de M. Bavelaer, directeur de l’établissement, qui parla au nom de toutes les personnes attachées à l’administration de cette maison.

Mgr le Dauphin voulut bien adresser à M. Bavelaer plusieurs questions bienveillantes sur la situation des détenus.

Enfin, les illustres voyageurs s’arrêtèrent encore au-delà du pont de l’Ill, et répondirent de la manière la plus affable aux nombreux et derniers hommages qui leur furent adressés par une population ivre de bonheur.

Cette belle journée fut terminée à Ensisheim par des distributions aux indigens, par un banquet où tous les fonctionnaires furent réunis à l’hôtel-de-ville, par une brillante illumination et par des bals publics.

À Schœnensteinbach, sur la limite de l’arrondissement d’Altkirch, on avait établi deux obélisques en mousse, de la plus élégante proportion. Des guirlandes de fleurs les réunissaient, et ils étaient surmontés des armes de France, et ornés de fleurs et de caissons.

M. le sous-préfet de l’arrondissement, accompagné des maires, des conseillers municipaux et d’une immense population, eut l’honneur de complimenter le Roi, et ensuite, avec sa nombreuse et brillante escorte qui s’augmentait à chaque pas, il se réunit au cortége qui accompagna le Roi jusqu’à Mulhouse.

Un ingénieux moyen, qui fournit une nouvelle preuve de l’impatience qu’éprouvaient les Mulhousiens de saluer leur Roi, avait été employé pour les prévenir à l’avance de l’arrivée de Sa Majesté : à chacune des stations de la route depuis Colmar, on lâchait en l’air des pigeons ayant au cou de petits drapeaux blancs, indiquant les lieux de départ, qui annonçaient successivement l’approche du Roi… De si nobles vœux furent enfin comblés.

Mulhouse.[13]

La ville de Mulhouse est célèbre depuis long-temps par l’industrieuse activité de ses habitans et par leur énergique patriotisme. Son origine est incertaine ; les uns l’attribuent aux Romains, mais sans fournir de preuves à l’appui de leur système ; les autres attribuent sa création aux Allemands. Le fait est que l’on n’a trouvé jusqu’à présent le nom de Mulhouse dans aucun titre authentique antérieur au huitième siècle.

Après avoir appartenu successivement à l’évêque de Strasbourg, à l’Empire germanique et aux landgraves d’Alsace, Mulhouse s’allia à la Suisse, et échappa ainsi aux vexations de ceux qui se disputaient l’honneur de la protéger, c’est-à-dire le droit de l’opprimer.

À la fin du seizième siècle, la maison d’Autriche renouvela ses prétentions sur Mulhouse, et pour les faire valoir, elle mit en avant que cette ville n’avait pu se détacher valablement de la décapole[14] ; mais la France intervint avec succès en faveur de Mulhouse.

Au commencement de l’année 1798, la ville de Mulhouse, ainsi que les communes d’Illzach et de Modenheim, qui en dépendaient, renoncèrent à leur alliance avec le corps helvétique, et votèrent leur réunion à la France. Le traité a été ratifié par une loi du 11 Ventôse an 6 (1er Mars 1798).

Trente années se sont écoulées depuis cette époque jusqu’au moment où Sa Majesté Charles X, voulant récompenser le patriotisme et les nobles efforts des habitans de Mulhouse pour affranchir le commerce français des tributs qu’il payait à l’étranger, a qualifié cette ville du titre glorieux de capitale de l’industrie française.

Au moment de sa réunion à la France, Mulhouse était déjà une ville importante sous le rapport de la fabrication. Jusqu’à l’année 1746, la draperie faisait la principale réputation de Mulhouse ; mais à cette époque MM. Jean-Jacques Schmalzer, Samuel Kœchlin et Jean-Henri Dollfus y introduisirent la fabrication des indiennes. Les progrès de cette industrie ont été tels, depuis environ vingt-cinq ans surtout, qu’elle s’est élevée au-dessus de celle des Anglais eux-mêmes, et que dans les marchés de l’Amérique et de l’Inde ses produits sont préférés à ceux de nos rivaux.

Il en est résulté un tel accroissement dans la population de Mulhouse, que la ville, quoique spacieuse, mais resserrée entre les bras de la rivière d’Ill, ne suffisant plus aux besoins du temps et à la prévoyance pour l’avenir, un honorable citoyen de Mulhouse, M. Nicolas Kœchlin[15], conçut le vaste et beau projet de construire un nouveau quartier. Une société puissante se forma à l’instant, et en moins de deux ans une ville nouvelle s’est élevée auprès de l’ancienne.[16]

Au premier bruit d’un voyage du Roi dans le Haut-Rhin, le conseil municipal de Mulhouse se réunit spontanément et décida que Sa Majesté serait suppliée d’honorer cette ville de son auguste présence.

La délibération fut aussitôt transmise au ministre de l’intérieur, pour être mise sous les yeux du Roi, qui daigna faire annoncer qu’il accéderait aux vœux des Mulhousiens.

M. Blanchard, maire de Mulhouse, annonça cette heureuse nouvelle à ses administrés par sa proclamation du 26 Août.

Tous les citoyens s’occupèrent alors des préparatifs d’une fête si chère à leurs cœurs et si vivement désirée.

Un pavillon de 60 pieds de hauteur, sur 50 pieds de diamètre, élégamment décoré en étoffes rouges et blanches[17] (couleurs de la ville), fut élevé à un quart de lieue de Mulhouse, pour recevoir Sa Majesté. Depuis le pavillon jusqu’à la porte Jeune, on forma une avenue de trois cents mâts surmontés de flammes blanches aux armes de la ville, et auxquels étaient attachées des draperies aux mêmes couleurs que celles du pavillon ; des médaillons aux armes de France entourées de couronnes de chêne les relevaient en festons à des distances très-rapprochées.

Depuis la porte de Bâle jusqu’à l’entrée du nouveau quartier, on forma une avenue semblable à celle qui se terminait à la porte Jeune. De chaque côté on éleva pour les spectateurs des estrades élégamment décorées en étoffes de même couleur que celles du pavillon et des avenues ; les balcons de la place, destinés pour les dames, étaient ornés dans le même goût.

Le 11 Septembre tous les préparatifs étaient terminés ; les maisons étaient pavoisées de drapeaux blancs fleurdelisés ; une population immense était accourue de toutes parts pour partager la joie des habitans de Mulhouse.

Un détachement des hussards de Chartres avait été au-devant du Roi jusqu’à une lieue environ.

À cinq cents pas du pavillon triomphal, le magnifique corps des pompiers à cheval de Mulhouse, commandés par M. Édouard Kœchlin, s’était rangé en bataille et se joignit au cortége du Roi. Sa Majesté parut frappée de la beauté de cette garde d’honneur, dont l’uniforme est aussi riche qu’élégant.[18]

À neuf heures et demie, le Roi et Mgr le Dauphin sont arrivés sous le pavillon, au bruit d’innombrables acclamations.

M. Blanchard, maire de la ville, se présenta au Roi à la tête du corps municipal, et il eut l’honneur de complimenter Sa Majesté en ces termes :

Sire,

Le corps municipal de la ville de Mulhouse, qui sait apprécier la faveur éclatante que Votre Majesté et Monseigneur le Dauphin daignent lui faire, s’empresse de déposer à ses pieds l’hommage de son respect et de son dévouement.

Réception du Roi à Mulhouse.

La population toute entière est là, ivre de joie et de bonheur, impatiente de contempler les traits de son Souverain et de lui exprimer ses véritables sentimens.

Puissent l’enthousiasme qui va éclater sur le passage de Votre Majesté et les acclamations de quarante mille ames, être un triomphe digne du meilleur des Rois. Vive le Roi ! vive le Dauphin !

Le Roi a répondu avec émotion :

Rien ne peut m’être plus agréable que les démonstrations que je vois éclater sous mes yeux.

Le maire a offert à Sa Majesté une calèche découverte, attelée de huit chevaux élégamment harnachés et conduits à la main par huit domestiques. Malgré la pluie qui tombait, le Roi a bien voulu monter dans la calèche ; Mgr le Dauphin s’est placé à la gauche de Sa Majesté.[19]

Le cortége royal, précédé de la musique des pompiers de Mulhouse et de celle des pompiers de Thann, d’une compagnie du 1er régiment de hussards et des gardes d’honneur, et suivi des pompiers à pied et d’un grand nombre de voitures, a défilé au pas dans le plus grand ordre aux acclamations mille fois répétées de vive le Roi ! vive le Dauphin ! Sur tous les points que le cortége a traversés, cette manifestation a été la même ; c’était partout l’ivresse du bonheur.

La ville avait choisi le bel hôtel de M. Matthieu Dollfus, situé dans le nouveau quartier, pour recevoir le Roi et Mgr le Dauphin. Descendue dans ses appartemens, Sa Majesté a immédiatement reçu les autorités.

M. Ruell, sous-préfet, a adressé au Roi le discours suivant :

Sire,

Vos fidèles sujets de l’arrondissement d’Altkirch viennent, par mon organe, déposer aux pieds de Votre Majesté, l’hommage de leur profond respect et de leur entier dévouement. Non loin des champs que Votre Majesté va parcourir, a été livré ce combat célèbre dont les suites glorieuses ont affermi pour toujours l’union de nos destinées à celles de la France. Depuis cette époque nous n’avons cessé de nous glorifier de porter un titre aussi conforme à nos intérêts qu’à nos affections ; mais nous n’avons jamais mieux senti le prix d’être comptés au nombre des enfans des descendans de Saint-Louis et d’Henri IV, qu’en ce jour où, par une bonté particulière, Votre Majesté daigne nous honorer, pour un moment, de son auguste présence. Cette faveur insigne que nous avons vivement désirée, mais que nous osions à peine espérer, électrise tous les cœurs. Les souffrances de l’industrie et, par une suite nécessaire, celles de l’agriculture, sont oubliées ; les nuances d’opinions ont disparu ; la joie et l’espérance d’un meilleur avenir brillent dans tous les regards : un seul sentiment anime les habitans du Sundgau, c’est l’amour sincère et profondément senti pour un Souverain dont tous les instans sont consacrés au bien-être de ses sujets, et qu’aucune fatigue n’arrête quand il s’agit de pourvoir aux besoins et à la prospérité d’une portion quelconque de son empire. Vive le Roi !

Sa Majesté a répondu :

Je reçois avec grand plaisir l’expression de vos sentimens, j’éprouve une véritable satisfaction de me trouver au milieu d’une population dont le dévouement et la fidélité me sont connus.

Sa Majesté daigna ensuite adresser à M. le sous-préfet plusieurs questions relatives au pays, et finit en lui disant : « Parlez souvent de moi aux bons habitans de cet arrondissement. »

M. Bornèque, président du tribunal d’Altkirch, à dit au Roi :

Sire,

Le tribunal civil et les juges de paix de l’arrondissement d’Altkirch viennent déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage profondément respectueux de leur dévouement et de leur fidélité. Sujets heureux, nous contemplons avec délices l’auguste dispensateur des bienfaits qui naissent chaque jour de l’alliance de la puissance souveraine avec les libertés publiques[20], et nous jouissons du bonheur de revoir dans cette cité le Prince couvert de gloire, qui assure à l’avenir de la France le cours de sa félicité. Magistrats, chargés d’appliquer les lois, nous ne perdons point de vue, Sire, que toute justice émane du Roi : c’est dans la méditation de cette haute vérité que nous trouvons la règle de tous nos devoirs, le principe des sentimens de reconnaissance et d’amour qui nous fait répéter avec joie, vive le Roi long-temps ! vivent les Bourbons toujours !

Sa Majesté a répondu :

Les sentimens que le tribunal m’exprime, sont profondément gravés dans mon cœur. Messieurs, rendez toujours justice impartiale et vous pouvez compter sur ma bienveillance et mon affection.

M. Schlumberger-Schouch, président du tribunal de commerce, a harangué le Roi en ces termes :

Sire,

Le tribunal de commerce de votre ville de Mulhouse vient déposer aux pieds de Votre Majesté, l’hommage de son respect, de son amour et de sa fidélité.

Dépositaires de votre confiance, tous nos efforts tendent à la mériter : votre volonté nous commande, votre exemple nous éclaire. De tout temps la justice a orné de son éclat les vertus de vos ancêtres : dans nos souvenirs comme dans nos espérances, le chêne de Vincennes existera toujours.

Sire, dans ce jour si fortuné pour nous, où retentissent autour de Votre Majesté et du noble Fils de France les cris de joie et les acclamations, qu’il nous soit permis d’exprimer à Votre Majesté notre respectueuse reconnaissance pour la protection dont elle honore le commerce et l’industrie. Les bénédictions des peuples accompagnent les bienfaits des Rois. Puissent celles qui sont répandues sur votre auguste personne, prolonger, pour notre bonheur, une vie qui nous est chère !

Le Roi a répondu :

C’est avec un véritable plaisir que je reçois les vœux du tribunal de commerce de Mulhouse. Je sais combien l’industrie de cette ville est digne de bienveillance et d’intérêt. Je connais aussi les malheurs qu’elle a éprouvés. Ces malheurs m’ont profondément affligé ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les réparer. Continuez, Messieurs, de rendre bonne et impartiale justice à vos concitoyens, et comptez toujours sur mon affection et ma confiance.

M. le maire a présenté au Roi un groupe charmant de trente jeunes demoiselles ; et Mlle Hortense Blanchard, fille aînée du maire, a complimenté Sa Majesté en ces termes :

Sire,

Dans ce jour mémorable, où Mulhouse a le bonheur de saluer son Roi et l’Héritier du trône, qu’il nous soit permis de prendre part à l’alégresse, et de déposer des fleurs aux pieds de Votre Majesté. Ces fleurs, symbole de la candeur, expriment la pureté des vœux que nous adressons au Ciel pour votre conservation et celle de votre auguste Fils.

Ce jour ardemment désiré sera le plus beau de notre vie : il charmera nos souvenirs et embellira nos pensées. Nous serons heureuses et fières de pouvoir dire que, dans notre jeunesse, nous avons contemplé les traits de Charles X, du Roi bien-aimé, qui fait le bonheur et l’admiration de ses peuples.

Le Roi a répondu de la manière la plus affable et avec le plus gracieux sourire.

M. le maire à la tête du conseil municipal, a dit au Roi :

Sire,

Le corps municipal prie Votre Majesté d’agréer l’hommage du respect, de l’amour et de fidélité des habitans de la ville de Mulhouse pour sa personne sacrée et celle de son auguste Fils.

Sire, jadis Henri IV, dont la petite république de Mulhouse était l’alliée fidèle, appelait nos ancêtres ses bons amis, et ils étaient glorieux de ce titre. Nous avons perdu, il y a trente ans, notre existence politique dans la commotion qui a ébranlé l‘Europe ; mais nous sommes fiers d’être Français, sujets fidèles de Votre Majesté, et jamais nous n’aurons à regretter notre indépendance, si le Roi veut bien continuer de nous honorer de sa protection.

Mulhouse, après avoir acquis quelque célébrité par son industrie, n’a pas été ménagée dans la crise sans exemple qui affecte le commerce ; mais tout peut encore être réparé si le Roi encourage notre activité, et s’il fixe la sollicitude de son gouvernement paternel sur les moyens de ramener la prospérité.

Permettez, Sire, que nous demandions à Votre Majesté un gage de sa royale bienveillance. C’est de nous autoriser à donner le nom de Charles X au nouveau quartier, dont la proximité du canal Monsieur a fait naître la pensée. Ce canal, quand il sera navigable, contribuera essentiellement à relever notre ville et à en faire un point commercial important.

Le Roi a répondu :

C’est avec grand plaisir que je me trouve dans cette ville, qu’on pourrait presque appeler la capitale de l’industrie française. Je suis touché, plus que je ne puis le dire, de l’accueil que je reçois parmi vous ; il laissera dans mon cœur des souvenirs qui ne s’effaceront jamais. J’ai déploré les pertes funestes qu’a éprouvées votre commerce. Je sais que votre ville a souffert, et j’éprouve un vif désir d’atténuer au moins les pertes, en attendant que je puisse les réparer. Je dois ma sollicitude et mes soins à tous mes sujets, et leurs intérêts généraux commandent la prudence et la réserve ; mais soyez sûrs que je ferai tous mes efforts pour favoriser votre industrie : c’est mon désir, c’est ma volonté. J’accepte avec plaisir la proposition que vous me faites, de donner mon nom à votre quartier neuf, je vous remercie d’en avoir eu la pensée.

M. Nicolas Kœchlin, vice-président de la chambre consultative des arts et manufactures, s’est adressé au Roi en ces termes :

Sire,

La chambre consultative des manufactures a l’honneur de présenter à Votre Majesté l’hommage de son respect et de son amour.

L’industrie de notre cité a éprouvé de récens malheurs, auxquels la haute protection de Votre Majesté peut porter remède ; cette protection ne lui fut jamais plus nécessaire, mais jamais aussi nous ne l’avons invoquée avec plus de confiance. Nourrissant l’espoir d’un meilleur avenir, nous nous associons avec joie à l’alégresse générale que la présence de Votre Majesté excite parmi nous.

Nous déposons entre vos mains, Sire, l’exposé de nos besoins et de nos vœux.[21]

Le Roi a répondu avec beaucoup de bonté, et a promis son auguste protection au commerce de Mulhouse.

M. Mæder, au nom du consistoire de l’église réformée, a dit :

Sire,

La belle Alsace, que Votre Majesté honore de sa présence, est habitée par un peuple loyal, incapable de feindre.

Si, par des acclamations générales, la population salue le bon Roi que la divine Providence lui a accordé, ce ne sont que les expressions de sentimens profondément gravés dans tous les cœurs. Et l’intéressante ville de Mulhouse et les églises et le consistoire, au nom desquels j’ai l’honneur d’adresser la parole au Père commun de notre chère patrie, sont tous animés du même esprit, et leurs vœux les plus ardens s’adressent au Ciel pour la conservation et la prospérité de Votre Majesté et de toute la maison royale.

Le Roi a répondu :

J’agrée les sentimens que vous me témoignez. Je suis flatté du bon accueil qu’on m’a fait dans votre ville. Je suis persuadé qu’un bon Alsacien ne saurait feindre. Vous pouvez compter sur ma protection pour votre culte.

Une députation de la ville d’Altkirch, composée de MM. Devallant, maire ; Paquet, Amberger et le comte de Reinach-Foussemagne, membres du conseil municipal, a été admise auprès de Sa Majesté. M. Devallant a eu l’honneur de complimenter le Roi en ces termes :

Sire,

Organe des sentimens des habitans de votre ville d’Altkirch, nous venons déposer aux pieds de Votre Majesté l’'hommage de leur respect, de leur amour, de leur fidélité.

Successeur d’un Roi que la France a salué du titre de désiré, la postérité vous décernera celui de sage.

Grâce à Votre Majesté, les institutions que nous tenons de l’auguste auteur de la Charte, sont consolidées ; et déjà la France, libre, calme, heureuse dans son intérieur et respectée au dehors, reprend son rang et son influence parmi les nations.

Père de la patrie, jouissez long-temps du bonheur que vous avez assuré à vos peuples, et que vos descendans règnent à jamais sur nous ! Nous le disons avec un sentiment profond de conviction : Votre sagesse, secondée par l’auguste Prince qui vous accompagne, affermira de plus en plus ce bonheur, et nous garantit l’avenir le plus prospère.

Le Roi a répondu :

Je suis satisfait des sentimens des habitans d’Altkirch, je vous charge d’être mon interprète auprès d’eux.

Le Roi a reçu ensuite la commission administrative de l’hospice et le bureau de bienfaisance ; le juge de paix ; le clergé catholique ; les ingénieurs du corps des ponts et chaussées ; le corps des officiers de pompiers de Mulhouse et de Thann ; M. Isaac Schlumberger, président de la Société industrielle ; le receveur particulier des finances ; le directeur des contributions indirectes ; l’inspecteur de l’enregistrement ; l’inspecteur des douanes ; l’inspecteur des forêts.

Après les présentations, Sa Majesté a bien voulu accepter le déjeûner que lui a offert M. le maire au nom de la ville, et a daigné admettre à sa table MM. le vicomte Castex, lieutenant-général ; Jordan, préfet ; le vicomte Rambourgt, maréchal-de-camp ; le baron de Reinach, membre de la chambre des députés ; le baron de Tauriac, gentilhomme de la chambre, venu de Lyon ; Ruell, sous-préfet ; Blanchard, maire ; Bornèque, président du tribunal civil d’Altkirch ; Schlumberger-Schouch, président du tribunal de commerce ; Nicolas Kœchlin, vice-président de la chambre consultative ; Dincher, procureur du Roi à Altkirch ; Matthieu Mieg, père, et Joseph Blech, membres du bureau de bienfaisance ; Isaac Schlumberger ; le président du consistoire de l’église réformée ; le curé catholique ; Liard, directeur du canal Monsieur ; Édouard Kœchlin, commandant des sapeurs-pompiers et de la garde d’honneur ; Matthieu Dollfus, membre de la chambre consultative.

Pendant le déjeûner le public a circulé librement autour de la table. La plus grande confiance que Sa Majesté ait pu témoigner aux Mulhousiens, c’est de n’avoir voulu être entourée d’aucune autre garde que la leur.

Avant et après le déjeûner, le Roi et Mgr le Dauphin ont paru à plusieurs reprises au balcon qui règne sur la grande place, où étaient réunis des milliers de spectateurs qui faisaient retentir l’air de leurs acclamations. Sa Majesté a pu se convaincre par Elle-même de l’amour que lui portent les habitans de Mulhouse.

Le Roi a bien voulu permettre à M. Matthieu Mieg[22], seul membre survivant du petit conseil de Mulhouse, de lui présenter les lettres bienveillantes écrites par plusieurs rois et reines de France à l’ancienne république de Mulhouse. Sa Majesté a prêté une attention particulière aux lettres d’Henri IV et de la reine Marie-Antoinette ; et après avoir lu quelques passages, Elle a dit : « Henri IV vous appelait ses bons amis, alors vous étiez Suisses ; aujourd’hui vous êtes Français, et vous êtes aussi mes bons amis.[23] »

Les principaux fabricans de cette ville avaient désiré mettre sous les yeux du Roi les produits de leur industrie. On avait choisi à cet effet le local destiné à la bourse, dans le beau bâtiment du fond de la place du nouveau quartier. L’intérieur de ce bâtiment n’était pas terminé ; il était sans planchers, sans plafond et sans fenêtres. En huit jours, on en fit un riche bazard, décoré de tout ce que l’art et la science produisent de plus beau.

La salle d’exposition se trouvait dans un bâtiment attenant à l’hôtel où était descendue Sa Majesté, et on perça un gros mur pour établir une porte de communication aboutissant aux appartemens du Roi. À son entrée dans la salle d’exposition, Sa Majesté a été surprise de l’éclat du coup d’œil. Elle a examiné dans le plus grand détail tous les objets exposés à sa vue, et Elle a admiré le bon goût et la richesse des dessins, la vivacité des couleurs et tout ce qui peut rendre précieux les tissus imprimés que les fabricans destinent à des exportations lointaines. Chacun des articles d’exportation portait une inscription indiquant les pays où ils sont recherchés. On lisait parmi ces inscriptions : Pour la Chine ; pour la Perse ; pour le Mexique ; pour Londres.

On a fait mouvoir plusieurs machines sous les yeux du Roi, entre autres un métier à faire des cardes, dont le mécanisme est des plus ingénieux ; de petites machines à vapeur ; un métier à filer ; deux métiers à tisser ; un cylindre qui a imprimé à l’instant même une infinité de mouchoirs représentant un dessin allégorique : le génie de la France, versant une corne d’abondance sur l’industrie de Mulhouse.

Les beaux papiers peints de M. Zuber ont fixé l’attention du Roi, entre autres une vue de la Grèce, représentant l’incendie du vaisseau amiral turc par le brûlot de Canaris.

M. Engelmann, lithographe, dont le nom est si avantageusement connu, a imprimé, sous les yeux de Sa Majesté, une épreuve de l’estampe représentant l’entrée du Roi à Mulhouse[24]. Cette surprise parut faire grand plaisir à Sa Majesté ; de nombreuses épreuves furent immédiatement tirées et distribuées aux personnes qui étaient présentes.

Le Roi et Mgr le Dauphin sont ensuite montés sur la plate-forme au-dessus de la salle d’exposition. Sa Majesté a été émerveillée de la magnificence du spectacle qui s’offrit à ses yeux. Du haut de cette plate-forme l’œil embrasse à perte de vue les fertiles plaines de l’Alsace, bornées au levant par le Rhin et par les hautes montagnes du Brisgau, et au couchant par la chaîne des Vosges. Les riches moissons qui couvrent cette plaine immense, si célèbre dans les annales des temps anciens et modernes ; les innombrables villages dont elle est parsemée ; les rivières et les torrens qui la serpentent dans tous les sens ; l’aspect des montagnes, en partie boisées et en partie couvertes de vignes ; les chalets et les vieux châteaux, monumens d’un autre âge,

Le Roi visitant l’exposition des produits de l’industrie de Mulhouse.


Le Roi examinant le Canal Monsieur du haut de la terrasse de l’édifice principal du quartier Charles X.
qui se font voir de distance en distance ; tout cet ensemble forme un tableau aussi riche pour la peinture que pour l’imagination du poète.

Si la vue, fatiguée par cette immense étendue, vient se reposer sur un horizon plus rapproché, nous voyons entre le sud-est et le sud-ouest l’entrée pittoresque de la vallée d’Altkirch et les riantes collines où la population laborieuse de Mulhouse vient chercher tous les automnes un délassement dans les plaisirs de la vendange. À vos pieds coule le canal Monsieur, qui doit réunir le Rhône au Rhin : monument, non moins utile que gigantesque, commencé par un grand génie et continué par deux Princes qui ont su comprendre que la véritable gloire des rois consiste à assurer le bonheur et la prospérité des peuples par des institutions libérales et par des entreprises dignes d’une grande nation.

À l’ouest et au nord-ouest l’œil domine d’abord sur le nouveau quartier, et un peu plus loin, sur la ville même. En voyant du haut de la plate-forme le grand nombre d’établissemens qui se prolongent au loin ; les hautes cheminées qui vomissent des torrens de fumée, on se croit transporté aux environs de Manchester ; et le mot du Roi, Mulhouse est la capitale de l’industrie française, n’est plus seulement un de ces mots heureux inspirés par la courtoisie de Charles X, il est l’expression de la vérité.

Cet admirable spectacle était encore embelli par une foule immense répandue sur la place du quartier neuf et sur les bords du canal Monsieur. Une barque élégante, ornée de guirlandes de feuillage, et pavoisée de drapeaux aux armes de France, passait et repassait sans cesse sur le grand bassin du canal qui touche presque au pied du bâtiment. Elle contenait une société d’amateurs distingués, qui joignit aux nombreuses acclamations de la multitude les accords d’une harmonieuse musique, et qui fit entendre des chants en l’honneur du Roi, sur l’air anglais, God save the King. Les magnifiques balcons qui règnent en galeries tout le long des premiers étages des hôtels du nouveau quartier, étaient ornés de fleurs et de riches draperies, et ils étaient occupés par une immense quantité de dames dans la plus brillante toilette. Enfin, tout ce que la nature et les arts peuvent produire de plus beau, se trouvait réuni pour célébrer l’heureuse présence du Roi. Sa Majesté en fut vivement émue, et Elle dit à M. Nicolas Kœchlin : « C’est un beau pays ; vous êtes là dans un joli coin. » — « Aussi nous n’en envions pas d’autre, Sire, répondit M. Kœchlin, nous sommes satisfaits et heureux d’être Français. »

Cet entretien familier entre le Monarque et un honorable citoyen donna lieu aux manifestations les plus vives d’enthousiasme de la part de la foule rassemblée sur la place ; Sa Majesté l’ayant remarqué, dit à M. Kœchlin : « Je suis heureux de voir que, pour le dévouement à ma personne, il n’y a pas de différence entre Mulhouse et les villes de France les plus renommées pour leur royalisme : il faut se connaître pour s’aimer. » Ces dernières paroles : Il faut se connaître pour s’aimer, ont été répétées par plusieurs grands personnages de la suite du Roi, qui semblaient indiquer par là que ce qu’ils voyaient était bien éloigné du tableau que naguère encore on faisait à la Cour de l’esprit public de Mulhouse.

Nous ne pouvons passer sous silence les belles paroles que Sa Majesté a daigné adresser à M. Matthieu Dollfus, dans le cours d’une conversation qui avait pour base les grands intérêts du commerce et du royaume en général : « La France est puissante, bien puissante, dit le Roi ; mais nous ne voulons pas de puissance à la Bonaparte, de cette puissance de despotisme. »

Sa Majesté est restée plus d’un quart d’heure sur la plate-forme. Le temps s’était éclairci, et M. Liard, ingénieur divisionnaire du canal Monsieur, a pu donner au Roi, en vue du canal même, toutes les indications que Sa Majesté a désiré avoir sur cette utile entreprise et sur l’époque présumée où elle sera terminée.

À deux heures le Roi et Mgr le Dauphin sont remontés en voiture ; le cortége est parti dans le même ordre qu’il était arrivé. L’air retentissait d’acclamations, qui n’ont pas cessé un seul instant jusqu’au moment où M. le maire et les autorités ont pris congé de Sa Majesté, sous le pavillon. L’air de satisfaction qui se peignait sur les traits du Monarque, complétait le bonheur de cette journée.

Le Roi a dit avec bonté à M. Blanchard : « Monsieur le maire, le 11 Septembre est un beau jour, j’en conserverai toujours le souvenir. » Sa Majesté a laissé à ce magistrat un témoignage de sa satisfaction, en lui faisant remettre une magnifique médaille en or à son effigie. Elle avait également fait remettre une médaille en or à M. Matthieu Dollfus[25], propriétaire de l’hôtel où Elle a été reçue. Le Roi a laissé d’autres preuves de sa munificence, en faisant donner une somme de 6 000 francs pour les pauvres ouvriers, et une autre somme de 700 francs pour ceux qui avaient travaillé sous ses yeux à l’exposition : c’est toujours par des bienfaits que les Bourbons signalent leur présence.

M. le maire de Mulhouse ayant exprimé au Roi le désir d’obtenir pour l’hôtel-de-ville le portrait de Sa Majesté, M. le ministre de l’intérieur s’empressa de lui apprendre que ce vœu avait été prévenu, et lui remit la lettre d’avis, annonçant que cette faveur avait été accordée[26]. Son Excellence a donné en même temps à la ville un superbe exemplaire de la gravure représentant l’entrée d’Henri IV à Paris, d’après le tableau de Gérard.

Cette journée mémorable, dont le souvenir est à jamais gravé dans le cœur des habitans de Mulhouse, a été terminée par une illumination spontanée, dans laquelle chaque habitant a voulu rivaliser. Le soir il y a eu un bal brillant et nombreux, où a régné la gaieté la plus franche, et où l’on n’a cessé d’entendre des accens d’amour et des vœux de prospérité pour les augustes voyageurs qui avaient honoré de leur présence une cité qui en sera éternellement reconnaissante.

Dans les villes d’industrie il existe un esprit d’ordre qui fait que l’on tire parti de tout en faveur de la classe malheureuse. À Mulhouse, le voyage du Roi a été exploité dans ce noble but. Les balcons et les fenêtres des hôtels du nouveau quartier ont été loués et ont produit une somme de 515 francs. Après le départ de Sa Majesté, l’exposition des produits de l’industrie a été rendue publique, moyennant rétribution ; et l’on en a retiré 2 745 francs. Enfin le bal a produit lui-même une somme de 445 francs, déduction faite des frais. Ainsi on a recueilli dans cette heureuse journée, et à cause d’elle, une somme de 3 705 francs pour les infortunés.

C’est ainsi que l’active bienfaisance a su profiter d’un grand événement, et qu’elle est parvenue à réunir les bénédictions de l’être souffrant aux acclamations d’une population laborieuse, et à la somptuosité de la fête civique et industrielle que Mulhouse a offerte à son Roi.

Retour à Colmar, par Rouffach.

Le cœur rempli des douces émotions qu’il venait d’éprouver à Mulhouse, le Roi semblait s’éloigner à regret de cette ville intéressante et si long-temps calomniée. Sa Majesté n’avait trouvé qu’amour et respect là où l’on osait dire qu’Elle ne trouverait que haine et dangers.

Des hommes laborieux, qui par leur admirable industrie ajoutent à la gloire de la France, et l’affranchissent du tribut onéreux qu’elle payait jadis à l’étranger ; des hommes habitués, par la forme de leur ancien gouvernement, à l’indépendance et à l’usage d’une sage liberté, veulent sans doute jouir de toute la garantie des lois ; mais ils ne savent la réclamer que par les moyens légaux. La république de Mulhouse a abdiqué au moment où elle a voté sa réunion à la France, et ses nobles citoyens sont devenus des sujets dévoués dès l’instant qu’ils ne devaient plus être d’austères républicains. Pendant la longue tourmente qui a suivi leur réunion à la France, ils ont gémi des malheurs que les révolutions et l’ambition d’un conquérant traînent à leur suite, et ils ont senti, plus vivement peut-être que tous autres, le bienfait d’une restauration qui a rendu la France au sceptre tutélaire des Bourbons, à ce sceptre devenu plus illustre encore par la noble résignation que cette auguste famille a déployée dans le malheur, et surtout par l’immortelle concession qu’elle a faite à ses peuples, et qui fonde à jamais l’alliance du trône avec les libertés publiques.

Cette grande pensée occupait sans doute l’esprit de Sa Majesté au moment où Elle quittait ses fidèles Mulhousiens, le contentement qui se manifestait sur les nobles traits du Monarque, indiquait qu’il jouissait d’un bonheur parfait. Il avait l’air radieux et son regard attendri exprimait la vive émotion de son cœur.

Le Roi était venu à Mulhouse par la route de la plaine. Il retourna à Colmar par la route de la montagne, et traversa ainsi une partie des plus riches vignobles de la haute Alsace.

À son arrivée à Bollwiller, Sa Majesté fut reçue sous un bel arc de triomphe en verdure, auprès duquel les autorités et toute la population s’étaient réunies. De vastes gradins élégamment ornés avaient été dressés près de l’arc de triomphe, et ils étaient chargés d’une immense collection de plantes exotiques les plus rares des différentes parties du monde, ‘provenant du bel établissement de culture des frères Baumann.[27]

Le Roi fut harangué par M. Zipfel, maire, et ensuite les demoiselles Julie et Joséphine Baumann eurent l’honneur de présenter à Sa Majesté des fleurs et une pomme d’une grosseur extraordinaire et de la plus rare beauté, dite pomme royale.

Le Roi daigna accueillir ces hommages avec la plus touchante bonté, et des acclamations innombrables se firent entendre au moment du départ de Sa Majesté, comme elles avaient eu lieu au moment de son arrivée.

La ville de Soultz, qui n’eut pas le bonheur de posséder le Roi dans ses murs, avait fait ériger sur la route et dans sa banlieue quatre pyramides colossales en feuillages, surmontées de drapeaux et de fleurs de lis et ornées d’inscriptions. Ces pyramides occupaient le centre d’une allée formée par 600 jeunes sapins de 20 pieds de hauteur, réunis par des guirlandes de feuillage et de fleurs. Une enceinte circulaire avait été formée autour des pyramides : elle était pavoisée de trente drapeaux fleurdelisés et ornée d’une élégante draperie blanche, enrichie de fleurs de lis d’or. Un des côtés de cette enceinte était destiné aux autorités et l’autre était réservé pour les dames.

Au moment de l’arrivée du Roi, 400 jeunes filles vêtues de blanc, couronnées de fleurs et ayant chacune un bouquet à la main, se placèrent sur un des côtés de la route, et un pareil nombre de jeunes garçons, décorés de rubans blancs et portant des rameaux de chêne, se placèrent de l’autre côté. Les autorités étaient à leur poste et toute la population de Soultz, à laquelle s’était réunie celle de la commune de Wuenheim, qui en dépend, garnissait la route, au nombre de plusieurs milliers.

M. le maire de Soultz eut l’honneur de complimenter Sa Majesté, qui répondit avec une extrême bonté :

Je suis très-sensible, Monsieur le maire, aux vœux que vous m’exprimez au nom de vos administrés. Dites-leur que le bonheur des Bourbons est inséparable de celui des Français, et que je compte au nombre de mes jours les plus heureux ceux que j’ai passés avec les braves et fidèles Alsaciens. Ils peuvent compter sur mon souvenir.

Ces nobles paroles, prononcées avec une émotion visible, furent entendues par un grand nombre de personnes, et furent aussitôt répétées de bouche en bouche : elles produisirent un enthousiasme qu’il serait impossible de décrire. Le départ du Roi ne put le faire cesser, et la population, étant retournée dans la ville, se livra pendant toute la soirée et une partie de la nuit à la joie la plus vive. Des distributions aux indigens, des danses et des illuminations terminèrent cette belle journée.

La commune d’Issenheim offrit noblement aussi son tribut d’amour au Monarque. Deux colonnes, chacune de trente pieds de hauteur, avaient été élevées et ornées de verdure, de drapeaux et de fleurs de lis d’or. Les autorités, le clergé et toute la population, se trouvaient réunis au moment du passage du Roi, et les acclamations les plus vives se firent entendre. M. Wilhelm, maire de la commune, eut l’honneur d’offrir à Sa Majesté l’hommage du respect et de l’amour de ses administrés, et il reçut d’Elle la réponse la plus bienveillante. Le Roi lui remit ensuite une somme de 200 francs pour les pauvres, et il partit emportant les bénédictions de toute la population.

À une petite distance d’Issenheim et à l’embranchement de la chaussée qui conduit à Guebwiller, cette ville avait fait ériger un arc de triomphe de 60 pieds de hauteur sur 40 de largeur. Ce monument, d’une architecture remarquable par son élégance et par la pureté de ses formes[28], était surmonté d’un écusson aux armes de France. Sur le frontispice se trouvait l’inscription suivante : À CHARLES X, les hommages de la ville de guebwiller.

Divers emblèmes et ornemens formés de guirlandes de fleurs et de fruits du vignoble, auxquels étaient entrelacées des draperies de diverses couleurs, représentaient les produits de l’agriculture unis à ceux de l’industrie manufacturière. Une avenue avait été formée près de l’arc de triomphe, et la route était bordée de jeunes sapins, auxquels étaient suspendues des guirlandes et des draperies pareilles à celles de l’arc de triomphe.

Tous les habitans de Guebwiller, précédés de la musique et du corps des sapeurs-pompiers, se sont portés au lieu du passage du Roi, ont formé une double haie sur la route ; les autorités, le clergé et un grand nombre de demoiselles vêtues de blanc, ainsi que les élèves des différentes écoles, ayant tous en main des bouquets de fleurs et de fruits, s’étaient rangés sur le même point.

Au sortir d’Issenheim, le Roi ayant remarqué l’affluence considérable de personnes qui étaient réunies auprès de l’arc de triomphe de Guebwiller, fit ralentir la marche de sa voiture et arriva au pas.

M. Stoll, maire, eut l’honneur d’adresser un compliment au Roi, qui répondit ainsi :

J’ai voulu passer sur cette route pour connaître mes sujets et voir ce beau pays. Je suis très-satisfait de l’attachement de l’Alsace à ma personne : vous pouvez compter sur ma sollicitude pour tout ce qui intéresse votre bonheur… Mes enfans, je penserai toujours à vous.

Mlle Lecœur eut ensuite l’honneur de présenter au Roi l’hommage des demoiselles de Guebwiller, et d’offrir des fleurs à Sa Majesté, qui les accueillit avec une grâce particulière.

Des acclamations unanimes se sont alors fait entendre, et retentissaient encore lorsque la voiture de Sa Majesté était déjà loin.

Bientôt après, le Roi arriva à Rouffach. Cette ville est très-ancienne : on lui attribue une origine romaine, mais aucune preuve n’est fournie à l’appui de cette opinion. Au douzième siècle, les habitans de Rouffach, fatigués des mauvais traitemens des officiers d’Henri V, chassèrent cet empereur de leurs murs, après lui avoir enlevé les attributs de sa dignité.

Au-dessus de la ville de Rouffach on voit les ruines du château d’Isembourg, qui servit de résidence à plusieurs rois de la race mérovingienne, et qui fut donné avec le Haut-Mundat[29] à l’évêché de Strasbourg par Dagobert II.

Pour recevoir dignement le Roi, la ville avait fait élever, à 100 mètres environ de la porte, sur la route vers Cernay, un arc de triomphe en feuillage, orné de guirlandes de fleurs et de lauriers. On lisait sur l’attique cette inscription : AUX BOURBONS, la ville de rouffach.

Tous les habitans, ayant en tête les autorités, le clergé, les chevaliers des ordres du Roi, les dames et les demoiselles de la ville, s’étaient réunis sur la route et auprès de l’arc de triomphe, où se trouvait placé un corps de musique composé de nombreux amateurs.

Sa Majesté, s’étant arrêtée auprès de l’arc de triomphe, voulut bien dire à M. Durand, maire de la ville : « Monsieur le maire, je viens voir les bons habitans de Rouffach. »

M. Durand eut alors l’honneur de complimenter Sa Majesté ; ensuite Mlle Eugénie Schneider, fille du premier adjoint, fut admise à présenter un bouquet au Roi. Au moment d’adresser la parole à Sa Majesté, Mlle Schneider, ayant manifesté une timidité naturelle à son âge et à son sexe, le Roi daigna lui dire : « Rassurez-vous, Mademoiselle, j’accepte votre bouquet et je vous écouterai avec plaisir. »

Enfin, M. Fritsch, curé cantonal, adressa au Roi le discours suivant :

Sire,

Le plus bel hommage que je puisse déposer à vos pieds, c’est d’assurer Votre Majesté que le clergé du canton de Rouffach vit avec une population qui aime son Dieu et son Roi. L’accord entre les autorités civiles et ecclésiastiques consiste dans une égale soumission aux lois, et plus encore dans un concours unanime de prières pour la conservation des jours de Votre Majesté. Tous nous n’'avons qu’un cœur, et c’est pour aimer l’auguste dynastie qui nous gouverne. Vive le Roi ! vivent les Bourbons !

« Bien… très-bien », répondit le Roi, après avoir attentivement écouté ce noble discours.

Sa Majesté traversa ensuite la ville au petit pas, en adressant à M. Durand plusieurs questions remplies de bienveillance, et en rappelant au maire plusieurs traits de l’histoire de Rouffach.

Toutes les maisons étaient décorées de feuillages et pavoisées de drapeaux blancs ; les cloches sonnaient et la musique se faisait entendre. L’enthousiasme des habitans était à son comble et se manifesta long-temps encore après le départ de Sa Majesté.

La soirée se passa en divertissemens, et les pauvres ne furent pas oubliés : leurs bénédictions se joignirent aux acclamations de toute la population.

À Gueberswihr on avait élevé deux obélisques en verdure, de 36 pieds de hauteur sur 14 pieds de largeur, ornés de drapeaux et d’inscriptions. Toute la population, ayant à sa tête les autorités, le clergé et les jeunes demoiselles vêtues de blanc, s’était réunie depuis les obélisques jusqu’à plus d’un quart de lieue sur la route ; Sa Majesté n’a pu s’arrêter en cet endroit, mais en passant Elle a répondu par les gestes les plus affectueux aux vives et nombreuses acclamations dont Elle était l’objet.

À Hattstatt, deux arcs de triomphe avaient été érigés et toute la commune était plantée de jeunes sapins ornés de fleurs. M. Willig, maire, ainsi que le curé, eurent l’honneur de complimenter le Roi, et la population de la commune, à laquelle s’était réunie celle de plusieurs communes environnantes, fit retentir l’air des cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive le Dauphin ! vivent les Bourbons !

La commune d’Herrlisheim avait aussi élevé son arc de triomphe sur la route, et toute sa population s’y était réunie, ayant en tête les autorités, le curé et les jeunes filles, vêtues uniformément, et ayant des bouquets à la main. Au moment du passage du Roi, le plus vif enthousiasme éclata de toutes parts et fut récompensé par les saluts les plus gracieux. Une belle compagnie de lanciers, formée dans la commune, se joignit au cortége de Sa Majesté, et eut l’honneur de l’escorter à Colmar.

Le Roi rentra dans cette ville entre quatre et cinq heures.

Il serait superflu de dire que toute la population se trouvait sur le passage de Sa Majesté, et que les acclamations les plus vives se firent entendre lorsqu’Elle parut.

Le Roi s’est mis à table à six heures.

Les principales autorités qui avaient eu l’honneur de dîner avec le Roi le jour de son arrivée, ont encore obtenu cette faveur le 11. Ce jour-là, Sa Majesté a également accordé cet honneur à MM. le baron de Reinach, le baron d’Anthès et Haas, de Belfort, membres de la chambre des députés ; le baron de Tauriac, gentilhomme honoraire ; le comte d’Andlau, président de la régence de Fribourg (Bade) ; le baron Meyer de Schauensée, maréchal-de-camp en disponibilité ; Dermoncourt, maréchal-de-camp en retraite.

À huit heures le Roi s’est rendu au bal qu’il avait permis au corps municipal de lui offrir.

La population entière, qui attendait Sa Majesté dans la grand’rue qui conduit à l’hôtel-de-ville, l’a saluée de continuelles acclamations sur son passage.

À l’hôtel-de-ville, le Roi a été reçu, à la descente de la voiture, par M. le ministre de l’intérieur et par M. le baron de Müller, maire, MM. les adjoints et MM. les commissaires du bal, tous membres du conseil municipal. M. le maire dit au Roi : « Rien ne manque plus au bonheur du corps municipal de votre bonne ville de Colmar, puisqu’il obtient aujourd’hui la plus insigne faveur, celle qui rendit toujours heureux un sujet fidèle, la présence de notre Roi bien-aimé chez nous et au milieu de nous. »

Le Roi a répondu qu’il était enchanté de se trouver au milieu de ses fidèles Colmariens ; et ayant remarqué plusieurs sentinelles, il daigna dire que cela n’était pas nécessaire, qu’il était parfaitement tranquille et en sûreté au milieu des bons habitans de Colmar ; mais Sa Majesté se montra satisfaite, lorsqu’on lui eut dit que c’étaient des sapeurs-pompiers de la ville.

Sa Majesté a d’abord traversé plusieurs salons, dans lesquels la plupart des hommes s’étaient réunis, afin de laisser libre l’enceinte de la grande salle dite du trône, qui était garnie de trois rangs de dames dans la plus brillante parure. Cette salle, ornée avec beaucoup de goût et d’élégance, et où des glaces en grand nombre répétaient les objets à l’infini, présentait un coup d’œil vraiment enchanteur, dont le Roi a paru fort satisfait.[30]

Dans l’une des salles traversées par Sa Majesté avant d’entrer dans celle du trône, M. le maire avait fait exposer une collection des tableaux de fleurs de M. Hirn, associé de la maison Hausmann, frères, de Logelbach, qui avaient tous été exposés au salon de Paris. Le Roi et Mgr le Dauphin les ont vus avec autant d’intérêt que de plaisir.

M. le maire en montrant au Roi le beau buste de Mgr le Dauphin par Bosio, rappela fort heureusement les paroles de Sa Majesté, qui, en le recevant des mains de l’artiste, s’était écrié avec émotion : Ah ! c’est le prince au Trocadéro. Le Roi, se tournant vers son auguste Fils, lui dit : Mon Fils, cela vous regarde.

Il en fut de même, lorsque M. le maire fit remarquer à Sa Majesté un portrait très-beau et très-ressemblant, peint par Kinson, que Mgr le Duc d’Angoulême donna à la ville de Colmar en 1820.

Enfin, lorsque Sa Majesté traversa la salle où se trouvait son portrait donné par Elle à une époque antérieure à son avénement au trône, M. le maire osa insister pour que Sa Majesté le remarquât, et il prit la liberté d’ajouter : « Sire, nous avons mérité que Monsieur nous fit cette insigne faveur. Votre Majesté nous jugera-t-Elle dignes de posséder le portrait du Roi, et nous permettra-t-Elle de donner à la rue où Elle se trouve en ce moment, le nom de Charles X ? »

Le Roi a répondu qu’il permettait avec grand plaisir que le nom de Charles X fût donné à la rue, et qu’il verrait à accorder son portrait.

Le Roi a fait ensuite le tour de la salle du trône et a adressé les paroles les plus flatteuses à Mme la baronne de Müller et à toutes les dames.

Pendant le bal, M. le maire s’est approché de Sa Majesté et lui a demandé la permission de lui faire hommage, au nom de la ville, de trois exemplaires, l’un en or, l’autre en argent et le troisième en bronze, d’une médaille, portant d’un côté le buste du Roi et de l’autre l’inscription suivante : Charles X et le Dauphin visitent la ville de Colmar le 10 Septembre 1828 et y séjournent jusqu’au 12.

Le Roi accueillit avec une bienveillance particulière cette offrande de sa bonne ville de Colmar. Mgr le Dauphin agréa le même hommage avec sa bonté accoutumée, et dit au maire, qui lui demandait la permission de l’offrir à Mme la Dauphine, que Son Altesse Royale l’agréerait avec le même plaisir. Le Roi, après avoir lu l’inscription, dit à M. le baron de Müller : « Ce sont des médailles avant la lettre que vous venez de me donner. » Mot heureux et très-vrai, puisque ces médailles, qui rappellent la date du 12 Septembre, étaient offertes à Sa Majesté dans la soirée du 14.

Après avoir vu danser trois contredanses et trois valses, qui ont paru fort amuser le Roi, Sa Majesté s’est retirée. Elle a été reconduite jusqu’à sa voiture avec le cérémonial observé à son arrivée ; et Elle a daigné répéter à M. le maire, qui avait l’honneur de marcher à côté d’Elle, combien Elle était satisfaite et touchée de tout ce qu’Elle avait vu. Le bal s’est prolongé jusqu’à trois heures du matin.

Avant de quitter l’hôtel-de-ville, le Roi fit remettre par Mgr le duc de Damas à M. le préfet et à M. le maire deux tabatières d’or, enrichies du chiffre de Sa Majesté en diamans.

Le Roi au bal de la ville de Colmar.


Médailles des villes de Colmar et Mulhouse.

JOURNÉE DU 12 SEPTEMBRE.

Le 12, le Roi a entendu la messe dans ses appartemens ; à sept heures et demie Sa Majesté est montée dans une calèche découverte, escortée par le 1er régiment de hussards et par les sapeurs-pompiers à cheval.

Les habitans se pressaient sur le passage du Roi comme à son entrée, et de même qu’alors, ils ont fait retentir l’air des cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! M. le maire ainsi que MM. les adjoints et MM. les membres du conseil municipal, se trouvaient, avec la compagnie des sapeurs-pompiers, à l’embranchement des routes d’Ingersheim et de la filature de MM. Hausmann, pour rendre leurs derniers hommages à Sa Majesté. Le maire a dit au Roi :

Sire,

Après des momens de bonheur trop tôt écoulés, viennent pour nous les regrets de voir Votre Majesté s’éloigner de nous. Notre douleur de voir Votre Majesté nous quitter si tôt, ne peut être un peu atténuée que par la pensée qu’Elle est satisfaite de nous ; et si Votre Majesté daignait nous dire qu’Elle l’a été, nous oserions lui dire à notre tour, avec la franchise de nos pères, que nous avons été enchantés et émerveillés d’Elle.

Le Roi, qui paraissait sensiblement ému, prit des mains de M. le duc de Maillé les clefs de la ville, et les remit au maire en lui disant :

Je vous rends les clefs de ma bonne ville de Colmar avec confiance ; elles ne peuvent être en de meilleures mains. J’ai été vivement touché de l’accueil que j’ai reçu à Colmar ; je désire que les habitans s’en rappellent comme je m’en rappellerai toujours. Répétez bien à vos bons Colmariens que je ne les oublierai jamais, et qu’ils peuvent en toutes circonstances compter sur ma protection.

Le Roi, toujours et partout bienfaisant, a fait remettre à M. le préfet huit mille francs, à M. le maire deux mille francs et à Mgr l’évêque mille francs, pour être distribués aux pauvres. La présence de Sa Majesté devait procurer le bonheur à toutes les classes de ses sujets, et dans le cours de son voyage Elle n’a cessé de prouver que les infortunés avaient des droits particuliers à sa sollicitude paternelle.

Un ancien grenadier des gardes françaises, le nommé Florent, de Wasserbourg, un des sept restés fidèles à Versailles, eut le bonheur d’être admis auprès de Sa Majesté, qui daigna l’accueillir avec bonté, lui faire remettre une somme de deux cents francs, et lui donner l’espoir qu’il obtiendrait le traitement de la légion d’honneur, conformément aux intentions que S. A. R. le duc de Berri avait manifestées en lui accordant la décoration de cet ordre royal.

Le Roi ne permit pas à MM. les généraux Castex et de Rambourgt de l’accompagner plus loin qu’une demi-lieue au-delà de Colmar ; et lorsqu’ils présentèrent leurs derniers hommages à Sa Majesté, Elle daigna leur témoigner de la manière la plus bienveillante combien Elle était satisfaite de son voyage en Alsace.

Le fait suivant est bien digne de remarque, en ce qu’il prouve avec quelle attention Mgr le Dauphin s’occupe du personnel de l’armée.

M. le maréchal-de-camp vicomte de Rambourgt étant dans les appartemens du Roi à Colmar, Son Altesse Royale lui dit : « Général, si Je ne me trompe, vous avez été nommé officier de cavalerie en 1792 par Louis XVI ; vous êtes passé, en 1807, au service d’Italie, comme chef d’escadron ; vous avez été nommé lieutenant-colonel en 1808, colonel en 1809, général après la retraite de Russie, en 1813 ; enfin, vous avez été admis au service de France avec votre grade en 1814. Vous voyez que je connais bien vos services. » — « Parfaitement, Monseigneur. J’aurais désiré seulement que Votre Altesse Royale ajoutât que j’ai obtenu la plupart de mes grades à la pointe de mon sabre au champ d’honneur. » — « Cela est vrai, répliqua le Prince, et je le savais. »

Heureux le pays où l’héritier présomptif de la couronne connaît aussi bien le personnel de l’armée ; on doit croire que l’avancement et les récompenses y seront donnés aux services réels et non à la faveur.

Immédiatement après le départ du Roi, M. le préfet du Haut-Rhin a publié la proclamation suivante, dans laquelle il exprime avec noblesse les sentimens et les regrets de ses administrés, ainsi que les témoignages de satisfaction donnés par Sa Majesté :

Habitans du Haut-Rhin,

Vous viviez heureux sous le règne protecteur du meilleur des Rois, du meilleur des Pères ; mais la plupart d’entre vous ignoraient encore l’empire irrésistible qu’exerce sur les cœurs la grâce la plus parfaite, unie à la plus touchante bonté.

Vous avez vu le Roi, et vous avez éprouvé des sensations nouvelles. Elles sont douces et profondes, comme toutes celles que sa présence fait naître. Comment, en effet, n’être pas ému de cette noble affabilité, de cette bienveillance constante, de cette foule de mots heureux, de réponses pleines de grâce, de sagesse et d’à-propos que les Bourbons savent si bien dire, et dont le Roi surtout possède si bien le secret ? comment n’être pas touché du soin religieux avec lequel il écoute l’expression de tous les vœux, de toutes les doléances ? comment n’être pas reconnaissant de la volonté qu’il manifeste de les accueillir autant qu’il dépendra de lui ?

L’annonce de son arrivée vous avait comblés de joie ; sa présence a réalisé tout le bonheur que vous vous en étiez promis ; vous regrettez aujourd’hui qu’il ait dû s’éloigner de vous. Mais le Roi a été sensible à l’élan spontané de vos cœurs, à l’empressement que vous avez mis à l’accueillir. Il a daigné compter comme des jours agréables ceux qu’il a passés au milieu de vous. Il a voulu que vous le connaissiez, et je m’acquitte d’une mission bien flatteuse et bien douce, en vous transmettant, de sa part, les témoignages de sa satisfaction.

Voyage jusqu’à la limite du département.

Le Roi avait traversé les Vosges, pour entrer en Alsace, par Saverne, et Sa Majesté traversa de nouveau ces belles montagnes, pour sortir de l’Alsace, au-dessus du Bonhomme, l’un des points les plus élevés du département du Haut-Rhin.

La route depuis Colmar jusqu’à la limite du département est des plus pittoresques. À partir de Kiensheim, elle côtoie les Vosges et serpente à travers un pays enchanteur, coupé de vignobles, de forêts et de charmans villages, que l’on voit à mi-côte ou à l’entrée des délicieuses vallées qui débouchent sur une plaine fertile et remarquable par la grande variété de sa culture.

Après avoir reçu les derniers hommages des habitans de Colmar, le Roi quitta sa calèche découverte et monta dans sa voiture de voyage. Sa Majesté passa devant la belle fabrique de filature et de toiles peintes de MM. Hausmann, frères, à Logelbach, dont les métiers sont mis en mouvement par des machines hydrauliques et à vapeur ; mais n’ayant pu s’y arrêter, à cause de la longue route qu’il avait à faire, le Roi y avait envoyé à l’avance M. le ministre de l’intérieur, pour visiter ces beaux établissemens et lui rendre compte de ses observations.

Les fabriques de MM. Hausmann occupent près de trois mille ouvriers, et ceux-ci s’étaient placés sur la route, afin de saluer le Roi de leurs acclamations au moment de son passage. Bientôt après, Sa Majesté arriva à Kiensheim, au pied des Vosges.

Deux arcs de triomphe en verdure avaient été élevés dans cette commune, l’un à l’entrée et l’autre à la sortie. De jeunes sapins avaient été plantés dans les rues et soutenaient des guirlandes de feuillage et de fleurs.

Le Roi s’étant arrêté auprès du premier arc de triomphe placé devant le château, qui appartient à M. le conseiller de Golbéry[31], et dont les cours antiques étaient pavoisées de drapeaux blancs ; Mlle de Golbéry, âgée de douze ans, présenta à Sa Majesté une corbeille de raisins et lui dit :

Sire,

Avec cette bonté qui vous gagne tous les cœurs, daignez accepter les produits de nos campagnes. Mon père, qui s’occupe du passé, m’a dit que Charles le téméraire a couché dans ce château il y a quatre cents ans. Moi, qui ne songe qu’à l’avenir, je lui ai répondu qu’il s’écoulerait plus de quatre mille ans, avant qu’on oubliât le passage de Charles le bien-aimé.

Le Roi, en prenant les raisins que lui offrait cette aimable enfant, a paru fort ému de cette allocution. Il a plusieurs fois répété en lui serrant les mains : « C’est bien, ma chère enfant, c’est bien. »

Les cris de vive le Roi, vive le Dauphin, éclatèrent de toute part, et Sa Majesté daigna traverser la commune au pas et recevoir les hommages des autorités et du clergé. La population accompagna le Roi bien au-delà du second arc de triomphe, au son des cloches et de la musique, et en saluant Sa Majesté des acclamations les plus vives.

La ville de Turckheim n’eut pas le bonheur de posséder le Roi ; mais toute la population s’était portée sur la route, en avant du pont d’Ingersheim, ayant en tête les autorités et le clergé. M. Karnez, maire, eut l’honneur de complimenter Sa Majesté, en lui rappelant que le territoire de la ville de Turckheim avait été le théâtre d’un des plus beaux faits d’armes de Turenne.

À Katzenthal, comme partout, la population entière se porta au-devant de Sa Majesté. Un enfant de six ans, élégamment vêtu, présenta au Roi de magnifiques raisins, que Sa Majesté prit Elle-même avec une bienveillance extrême, en disant : « Que cela est beau ; merci ! merci ! » Une dame, profondément émue de la satisfaction que manifestait le Roi, s’écria spontanément : À l’immortalité des Bourbons ! Sa Majesté y répondit en envoyant les baisers les plus aimables, et Mgr le Dauphin porta son mouchoir à ses yeux humectés par l’attendrissement. L’enthousiasme de la population fut alors à son comble et se manifesta par les acclamations les plus vives.

Vers huit heures, le Roi arriva à Kaisersberg. Un arc de triomphe très-élégant avait été préparé, et les autorités, ainsi que la population, se portèrent en avant pour recevoir Sa Majesté.

M. Schwindenhammer, maire, dit au Roi : « Sire, nous vous apportons nos cœurs, c’est tout ce que nous avons de meilleur à vous offrir ; daignez les accepter. » Le Roi répondit : « Je les accepte avec un grand plaisir et je vous remercie. » Le maire remit ensuite un mémoire au Roi, en disant à Sa Majesté : « Sire, il renferme tous nos vœux[32] ! » Le Roi promit de l’examiner, et la voiture de Sa Majesté marcha vers l’arc de triomphe pour continuer sa route ; mais une surprise avait été ménagée : des tribunes avaient été pratiquées sous l’arc de triomphe même, et elles contenaient quatre-vingts jeunes personnes, élégamment vêtues de blanc, portant chacune une branche de lis à la main et une corbeille de fleurs au côté. Au moment du passage du Roi, les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! se firent entendre, et la voiture fut remplie de fleurs. Des larmes vinrent aux yeux de Sa Majesté, Elle s’écria : « Oh ! les beaux enfans, les beaux enfans ! » et Elle s’arrêta pendant quelque temps pour jouir de ce délicieux spectacle.

Arrivé devant l’église, le Roi s’arrêta et reçut les hommages du clergé ; ensuite le cortége se remit en marche et arriva à la porte supérieure, où un second arc de triomphe avait été élevé et où un concours immense d’habitans présenta pour la dernière fois les hommages de la ville à Sa Majesté.

En partant, le Roi dit à M. Schwindenhammer : « Dites bien à vos bons habitans, combien je suis enchanté de la réception qu’ils m’ont faite. » D’unanimes acclamations accompagnèrent le Roi.[33]

À une petite distance de la ville, Sa Majesté a remarqué la belle manufacture, appartenant à M. Barthélemy, membre du conseil municipal de Kaisersberg, et dont la façade était décorée de superbes toiles peintes, dont les vives couleurs ressortaient admirablement sur un fond de verdure. Une pluie très-abondante, qui tombait en ce moment, ne permit pas à M. Barthélemy de présenter ses hommages à Sa Majesté. Mais sa famille et lui en furent en partie dédommagés par d’affables et nombreux saluts de la part du Roi et de Mgr le Dauphin.

La population d’Orbey, forte de plus de 5000 ames, s’était transportée en entier sur la route, en-deçà du hameau d’Hachimet, et s’étendait jusqu’à La Poutroie, distante de trois quarts de lieue. Des jeunes filles, uniformément et élégamment vêtues, occupaient plusieurs voitures ornées de guirlandes et de rubans, et agitaient en l’air des drapeaux fleurdelisés ; les autorités et le clergé étaient à la tête des habitans, et malgré qu’un orage affreux éclatât au moment même, et que la pluie tombât abondamment, personne ne quitta son rang et les acclamations n’en furent pas moins vives. Le Roi en fut touché et l’exprima par les gestes les plus affectueux.

À La Poutroie, Sa Majesté fut reçue sous un arc de triomphe en verdure. Douze jeunes demoiselles, nées en 1814, eurent l’honneur de présenter un bouquet au Roi. L’une d’elles lui adressa le discours suivant :

Sire,

En apprenant que nous aurions la faveur signalée de contempler les traits de Votre Majesté, nos cœurs ont trésailli de joie. Nous nous sommes dit dans les transports de notre alégresse : nous verrons donc notre bon Roi !

Nées avec la restauration, Sire, nous avons sucé avec le lait l’amour pour les Bourbons. Nos parens, nos institutrices, et particulièrement nos zélés pasteurs, n’ont cessé dans leurs instructions, de nous parler de soumission, de fidélité et d’amour pour les Bourbons…

Qu’il soit permis, Sire, à des enfans qui sentent si bien ce qu’ils doivent à leur Roi, de supplier Votre Majesté d’accueillir avec bonté les vœux qu’elles forment pour votre bonheur, et de confondre leurs acclamations avec celles de tous les Alsaciens.

Ce touchant hommage fut agréé comme il méritait de l’être, c’est-à-dire avec une bienveillance toute paternelle.

Depuis l’arc de triomphe jusqu’à la poste aux chevaux, qui se trouve à l’autre bout du village, la voiture de Sa Majesté s’avança au pas, au milieu d’une foule nombreuse qui faisait retentir l’air de ses acclamations ; tous les habitans, qui formaient une double haie très-serrée, contemplèrent avec avidité les traits de Sa Majesté, et les saluts du Roi étaient si affectueux, si nombreux, que chacun disait en se retirant chez lui : « Le Roi m’a salué ! »

La commune du Bonhomme est la dernière de l’Alsace que Sa Majesté dût traverser pour sortir de cette province. La population de cette commune, forte de 1 200 ames, s’était considérablement accrue par la présence d’une partie des habitans de Sainte-Marie-aux-mines et de plusieurs communes environnantes, qui avaient voulu réunir leurs hommages à celui des citoyens qui, par leur position topographique, avaient reçu l’honorable et douloureuse mission d’offrir au Roi les dernières salutations de l’Alsace.

La rue principale de la commune était plantée de jeunes sapins, garnis de guirlandes de fleurs, et toutes les maisons étaient pavoisées de drapeaux blancs. Un arc de triomphe champêtre avait été élevé à l’entrée du village. Ce n’était plus sans doute cette magnificence de l’art réunie à celle de la nature, que le Roi avait trouvée à Saverne, à Strasbourg, à Colmar et à Mulhouse ; mais c’était encore l’Alsace, et la teinte sombre des forêts qui couronnent la montagne du Bonhomme, l’aridité du sol, l’intempérie même de la journée, formaient un tel contraste avec ce que le Roi avait vu depuis six jours en Alsace, qu’il en résultait quelque chose de grave, de solennel, dans le dernier adieu que cette noble province adressait à son Roi.

Sa Majesté traversa la commune au pas, répondant par des gestes remplis d’affabilité aux acclamations des habitans. Arrivée devant l’église, Elle y trouva le clergé, qui entonna le Domine salvum fac regem… Bientôt après Elle arriva au haut de la montagne, et franchit la limite du département du Haut-Rhin.

Alors le Roi mit pied à terre, se retourna vers l’Alsace, qu’il salua d’un dernier regard, et, l’esprit occupé de souvenirs qui ne s’effaceront jamais de son noble cœur, il descendit la montagne à pied, lentement et soutenu par son auguste Fils, qui partageait visiblement son émotion et certainement aussi ses regrets.

Les dernières acclamations alsaciennes, que Sa Majesté put entendre pendant long-temps en descendant la montagne du Bonhomme, lui rappelèrent sans doute l’enthousiasme de la côte de Saverne, qu’il avait retrouvé sur tous les points de l’Alsace, et sans doute aussi Elle se sera dit encore à Elle-même en cette circonstance, comme Elle l’avait fait à Strasbourg : Le bon peuple ! l’excellent peuple ! combien je l’aime !

Et nous aussi, nous tous Alsaciens, nous disions alors, et nous répéterons sans cesse : Le bon Roi ! l’excellent Roi ! combien nous l’aimons !

Douce et touchante réciprocité ! elle assure à jamais le bonheur et la gloire de la France.

  1. Nous devons des remercimens particuliers à M. le général Rambourgt, à M. Jordan, préfet du Haut-Rhin ; à M. le baron de Müller, maire de Colmar, et à M. Griois, architecte du département et de la ville de Colmar, pour les renseignemens qu’ils ont bien voulu nous donner.
  2. Dans le Haut-Rhin, le costume des cultivateurs diffère entièrement de celui des cultivateurs du Bas-Rhin. Ce ne sont plus pour les hommes ces habits noirs à collet debout, ces gilets rouges, ni cet ensemble si remarquable. Le costume des hommes se compose d’un habit sans collet, sans revers et ayant une seule rangée de boutons, avec des poches apparentes. L’habit est ordinairement de drap brun, gris foncé ou bleu clair ; la culotte, courte, de même couleur que l’habit, les bas blancs et les souliers à boucles. Le gilet a de larges revers et deux rangées de boutons : il est presque toujours de couleur tranchante avec des rayures ; la cravate étroite, ordinairement noire, avec le col de chemise rabattu et le chapeau à corne par devant.

    Quant au costume des femmes, il se compose d’une jupe longue en indienne, avec corsage attenant ; d’un tablier rouge, noir ou blanc ; d’un fichu de couleur et d’un petit bonnet assez élégant, en étoffe d’or ou en indienne, ayant sur le devant une garniture en mousseline ou en tulle de coton.

    Quelquefois, mais asses rarement, les jeunes filles portent de longues manches de chemise, comme dans la basse Alsace ; alors elles n’ont point de jupe à corsage, mais bien un corset séparé, d’une couleur verte on rouge, et un fichu blanc.

  3. En descendant de la voiture de voyage pour monter dans la calèche découverte, le Roi daigna dire à M. le baron de Müller, dont un oncle, qui est le doyen des chanoines du chapitre de Strasbourg, avait eu l’honneur de porter le dais sous lequel Sa Majesté fut reçue et conduite au sanctuaire de la cathédrale de Strasbourg : « J’ai promis à votre oncle de vous porter de ses nouvelles ; je l’ai laissé en bonne santé : j’ai eu grand plaisir à faire sa connaissance, et j’en ai un très-grand à vous parler de lui. »
  4. L’hôtel de la préfecture est établi dans un bâtiment qui appartenait avant la révolution à l’abbaye de Pairis (village d’Orbey, près du lac Noir). Il n’était pas destiné primitivement à servir d’habitation, mais seulement de maison dîmière.
  5. M. le duc de Damas a adressé depuis le retour du Roi à Paris, et au nom de Sa Majesté, une bague enrichie de son chiffre en diamans, à M. le maire de Colmar, pour qu’elle soit remise à Mlle Zæpffel.
  6. C’était le jour du nouvel an.
  7. On a remarqué plusieurs transparens ingénieux, et entre autres ceux de la caserne d’infanterie et de l’hôpital militaire, mais particulièrement celui placé sur le frontispice du temple protestant. On avait établi devant la façade du temple un vaste portique, dont l’architecture était recouverte en mousse. Deux belles colonnes étaient liées entre elles par une arcade de verdure surmontée de l’œil de la Providence et ornée de quatre drapeaux blancs fleurdelisés. Le milieu de l’arcade contenait les inscriptions suivantes : Béni soit Charles X, l’oint du Seigneur. Craignez Dieu, honorez le Roi, aimez vos frères. La bonté et la vérité conservent le Roi, et il soutient son trône par la clémence. Heureux le pays dont le Roi est animé de sentimens généreux !
  8. Voici le Roi.
  9. Vive notre Roi.
  10. Jacques Balde était jésuite ; il naquit en 1603 et mourut en 1668.
  11. Mlle Louise Bavelaer eut l’honneur de remettre le bouquet au Roi.
  12. C’est à MM. Titot et Chastellux, entrepreneurs de la maison de détention d’Ensisheim, ainsi que de celle établie à Haguenau pour les femmes, que l’on doit l’établissement des ateliers de tous genres, qui contribuent puissamment à l’amélioration du sort des détenus.
  13. Parmi les personnes qui ont bien voulu nous fournir des renseignemens sur cette intéressante partie du voyage de Sa Majesté en Alsace, nous devons citer particulièrement M. Blanchard, maire de Mulhouse ; M. Mossère, ingénieur en chef du canal Monsieur pour les départemens du Haut- et du Bas-Rhin ; M. F. Zickel, directeur de la compagnie d’assurance mutuelle de Haut-Rhin ; M. Stotz, fils, architecte du nouveau quartier de Mulhouse ; M. Robert, employé des ponts et chaussées ; M. Engelmann, lithographe ; M. Schwartz, jurisconsulte.
  14. Voir, relativement à la décapole, le Coup d’œil historique, page 18.
  15. Depuis le voyage du Roi à Mulhouse, M. Nicolas Kœchlin a été nommé chevalier de l’ordre royal de la légion d’honneur.
  16. Le nouveau quartier a été commencé en 1826 ; il sera composé de deux cents maisons ; soixante-dix sont déjà terminées, et entre autres les magnifiques bâtimens qui forment une vaste place en forme de triangle alongé. Cette place, dont le milieu est occupé par un jardin, dont les côtés sont formés par de belles maisons d’habitation d’un style uniforme, avec des portiques spacieux, formés par des arcades sur des colonnes doriques, et dont le centre du fond est composé d’édifices d’une architecture plus riche encore, peut être mise en parallèle avec les plus belles places publiques de l’Europe. Ces constructions ont été faites d’après les plans et sous la direction de M. Jean-Geoffroi Stotz, fils, architecte, assisté de M. Félix Fries, aussi architecte, et de M. Robert, employé des ponts et chaussées, chargé de la direction de tous les services, sous l’autorité de MM. Nicolas Kœchlin, Christophe Mérian et Jean Dollfus, actionnaires gérans.
  17. Cinq cents pièces d’étoffes avaient été mises à la disposition de la ville par les différens fabricans de Mulhouse pour servir aux décorations à faire au sujet de l’arrivée du Roi. On doit faire connaître ici un trait de prudence qui constitue le véritable esprit du commerce : les fabricans qui ont prêté les cinq cents pièces d’étoffes, ainsi que ceux qui avaient fourni les objets qui ont figuré à l’exposition, ont fait assurer ces marchandises contre l’incendie.
  18. Depuis son retour à Paris, le Roi a fait présent au corps des sapeurs-pompiers de Mulhouse d’un magnifique drapeau brodé en or. Sur une des faces on lit cette inscription : Le Roi aux sapeurs-pompiers de Mulhouse, le 11 Septembre 1828. Sur l’autre face sont les armes de France, et au-dessous, dans un ruban bleu qui est attaché aux branches de laurier et de chêne qui entourent l’écusson, on lit ces mots en lettres d’or : C’est un beau jour ; je m’en souviendrai. Ce drapeau a été remis solennellement au corps des sapeurs-pompiers par les autorités de la ville, le jour de la Saint-Charles.
  19. La pluie étant devenue très-forte, le Roi s’opposa à ce que l’on montât le soufflet de la calèche. Cet acte de bonté du Roi, qui voulait voir les Mulhousiens et se laisser voir par eux, porta l’enthousiasme à son comble. On a vu beaucoup de personnes, des dames même, fermer leurs parapluies, ne voulant pas, disaient-elles, se garantir de la pluie lorsque le Roi voulait bien s’y exposer pour elles.
  20. Cette noble idée a obtenu de Sa Majesté un signe d’approbation.
  21. M. Nicolas Kœchlin remit alors à Sa Majesté un mémoire sur la situation et les besoins de Mulhouse.
  22. Depuis le retour du Roi à Paris, Sa Majesté a nommé M. Matthieu Mieg chevalier de la légion d’honneur.
  23. Ces belles paroles du Roi ont été prises pour inscription d’une superbe médaille du module de 18 lignes, que la ville de Mulhouse a fait frapper depuis à l’occasion du voyage de Sa Majesté.
  24. Nous donnons la copie réduite de cette planche, page 148 ; l’original a été imprimé sur une nouvelle presse en fer, de l’invention de M. Fogelmann. Pour avoir sur l’exposition des détails circonstanciés, on peut consulter le rapport que la Société industrielle en a publié dans le no 7 de son Bulletin. Le défaut d’espace nous empêche de nous étendre davantage sur cet épisode intéressant du voyage de Sa Majesté.
  25. À son arrivée à Lunéville, le Roi a fait adresser à M. Blanchard et à M. Mathieu Dollfus de belles tabatières en or, ornées du chiffre de Sa Majesté: en diamans.
  26. Ce tableau est une belle copie du magnifique portrait peint par Gérard.
  27. La pépinière de MM. Baumann, frères, est l’une des plus belles qui existent en Europe, et la plus considérable de la France : elle est de cent cinquante arpens. La Société pour l’encouragement des arts, formée à Genève, vient de décerner une médaille d’or à MM. Baumann, frères.
  28. Pour répondre au vœu de ses administrés et pour perpétuer le souvenir d’une si heureuse journée, M. le maire de Guebwiller a fait dessiner cet arc de triomphe, pour le faire lithographier au nombre de 500 exemplaires, qui seront vendus au profit des pauvres de la ville.
  29. Voyez le Coup d’œil historique, page 9.
  30. Elle a été construite et entièrement terminée en vingt et un jours par les soins et sur les dessins de M. Félix Griois, architecte de la ville et du département. Cet habile artiste a fait preuve en cette circonstance de beaucoup de talent et d’une grande activité.
  31. La veille de Noël 1473, le duc de Bourgogne, qui n’avait pu entrer dans Colmar, alla coucher chez le comte de Lupfen, dans le château de Kiensheim, qui appartient aujourd’hui à M. de Golbéry, conseiller à la cour royale de Colmar, si avantageusement connu par les nombreux ouvrages qu’il a publiés.
  32. Ce mémoire contenait entre autres le passage suivant « Sire, les peuples de ces contrées, en voyant au milieu d’eux leur Monarque chéri, ont un instant oublié les maux dont leur agriculture est frappée. Dans ce pays de vignobles, nous demandons au commerce des débouchés et à l’État un système de douanes qui facilite les communications… »
  33. Depuis le passage du Roi à Kaisersberg, M. le maire a reçu de Sa Majesté, par l’intermédiaire de M. le préfet du département du Haut-Rhin, une somme de 200 francs, pour être distribuée aux indigens.