Relation et Naufrages/20

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Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 157-159).

CHAPITRE XX.


Nous prenons la fuite.


Deux jours après nous être réunis, nous nous recommandâmes au Seigneur et nous prîmes la fuite, comptant que bien que la saison fût déjà avancée et que les tunas commençassent à passer, nous pourrions nous nourrir avec les autres fruits qui restaient, et faire une bonne partie du chemin par terre. Ce jour-là nous marchâmes en craignant sans cesse d’être repris par les Indiens. Nous remarquâmes de la fumée, et le soir, étant arrivés à l’endroit d’où elle s’élevait, nous vîmes un Indien qui, dès qu’il nous aperçut, prit la fuite sans nous regarder. Nous envoyâmes le nègre à sa poursuite. L’Indien voyant que cet homme était seul, s’arrêta : alors le nègre lui dit que nous cherchions les gens qui faisaient la fumée que nous avions vue. Cet Indien répondit que les maisons n’étaient pas éloignées, et qu’il nous y accompagnerait. Il courut pour donner avis de notre arrivée, et nous le suivîmes. Au coucher du soleil nous vîmes les maisons, et à deux portées d’arbalète avant d’y arriver, nous trouvâmes quatre Indiens qui nous attendaient et qui nous reçurent fort bien. Nous leur dimes dans la langue des Mareamès que nous nous rendions chez eux. Ils témoignèrent beaucoup de joie de nous voir, et nous conduisirent au village : ils logèrent Dorantès et le nègre chez un médecin, moi et Castillo chez un autre Indien. Ces naturels se nomment Avavares, ils parlent une langue particulière. Ils portaient des arcs à nos anciens maîtres, et faisaient du commerce avec eux. Quoique leur langage diffère de celui de ces derniers, et qu’ils forment une nation à part, cependant ils les comprennent. Les nôtres avaient été chez les Avavares ce jour-là même. Aussitôt toute la peuplade nous offrit des tunas, parce qu’ils avaient déjà entendu parler de nous : ils savaient que nous guérissions les malades, et connaissaient les miracles que le Seigneur opérait par notre moyen. C’en était déjà un bien grand que de nous avoir ouvert une route dans un pays si peu habité, de nous faire trouver des hommes dans des endroits où le plus souvent il n’y en a pas, de nous protéger dans tant de dangers, de ne pas permettre que l’on nous tuât, de nous nourrir pendant une si grande famine, et de disposer ces gens à bien nous traiter comme nous allons le raconter.