Relation historique de la peste de Marseille en 1720/11
CHAPITRE XI.
Uand on n’enviſage la contagion
que par ſes commencemens,
il eſt difficile qu’on ne s’y laiſſe
ſurprendre. Ce n’eſt d’abord qu’un
ſeul malade qui paroît attaqué, dans
lequel on trouve toûjours quelque dérangement
de conduite, auquel on
raporte la cauſe du mal : quelques
jours après il en tombe un autre,
même prévention encore ; celui-ci eſt
ſuivi de quelques autres ; les progrès
du mal ſont inſenſibles ; ſouvent
il ſemble s’arrêter tout court, &
puis reprendre de nouvelles forces :
enfin, croiſſant tout à coup, il vient
par une progreſſion très-rapide à ce
dernier degré de violence, où répandu
dans toutes les ruës, il enleve
tout, riches & pauvres, jeunes &
vieux, & remplit en peu de jours
toute une Ville de deüil & de pleurs.
Ces comparaiſons uſées d’un torrent
rapide, dont les eaux ſuſpenduës,
rompent enfin les digues qui les arrêtoient,
& débordant avec impetuoſité,
ravagent au loin les campagnes,
& emportent tout ce qui s’oppoſe
à leurs cours. D’une étincele de
feu, qui après avoir couvé quelque
tems, éclate tout d’un coup par les
flâmes les plus vives, & fait en un
inſtant un affreux incendie, qui pouſſé
par un vent impetueux, cauſe un
embraſement general, n’expriment
que foiblement la rapidité avec laquelle
le feu de la contagion ſe repandit
vers le 25. Août, & qui fit
craindre la ruine entiere de la Ville.
Elle ravage tout de ſuite, elle ne les
prend plus un à un, c’eſt toute une
famille qui tombe à la fois, ce ſont
les ruës entieres, où d’un bout à l’autre,
il ne reſte pas une maiſon ſaine,
pas un quartier qui ſoit ſans
allarme, où l’on ne voit le mal gagner
d’une maiſon à l’autre, avec autant
de rapidité que de fureur.
Déja tous les Domeſtiques, Valets, & Servantes, & tous les Pourvoyeurs ont peri, ou ſont tombés malades ; on ne trouve plus à les remplacer ; les Pauvres, & tous ceux qui loüent leurs œuvres, ont eu le même ſort, & avec eux ont manqué tous les ſecours & tous les ſervices qu’on en retire. S’il en reſte encore quelqu’un, on ſe méfie de ſon état, & on n’oſe pas s’en ſervir. Quel embarras pour les familles, pour celles même que le mal n’a pas encore entamées ? elles attendent que l’extrêmité de la faim, oblige les plus courageux de tous à ſortir, pour aller chercher de quoi ſuſtenter les autres. Déja tous ceux qui vendent les denrées publiques, comme les Boucheres & les Boulangers ſont morts pour la plûpart, & ceux qui reſtent ont devant leur porte une foule de monde ; il faut donc y aller prendre ſes neceſſités, au peril de recevoir quelque impreſſion maligne. Le poiſſon qui pourroit ſupléer au défaut de la viande, manque entierement par la fuite ou par la mort des Pêcheurs. Déja enfin, ceux qui n’ont pas eu le moyen de faire des proviſions, ou qui les ont conſumées, ſont reduits aux dernieres extrêmités, ils vivent du jour à la journée ; Pauvres, ils ne trouvent rien à gagner ; Riches, ils ne trouvent rien à acheter, la miſere eſt auſſi generale que la maladie.
Entrons pour un moment dans ces maiſons affligées : allons voir une de ces malheureuſes victimes de la fureur du mal, & de la barbarie des parens. Il eſt ſequeſtré dans un galetas, ou dans l’apartement le plus reculé de la maiſon, ſans meubles, ſans commodités, couvert de vieux haillons, & de ce qu’on a de plus uſé, ſans autre ſoulagement à ſes maux qu’une cruche d’eau, qu’on a mis en fuyant auprès de ſon lit, & dont il faut qu’il s’abreve lui-même, malgré ſa langueur & ſa foibleſſe, ſouvent obligé de venir chercher ſon boüillon à la porte de la chambre, & de ſe traîner après pour reprendre le lict. Il a beau ſe plaindre & gémir, il n’y a perſonne qui l’écoute, on lui crie du plus loin que l’on peut, qu’il aye bon courage, tandis qu’on le lui abat par ce cruel délaiſſement, heureux ſi on lui livre un Domeſtique, tout le reſte de la famille s’enferme dans l’apartement le plus éloigné de la chambre du malade, ou même abandonne tout-à-fait la maiſon. Dans ce triſte état, le malade ne voit plus que l’affreux image de la mort, que cet abandonnement ſemble lui annoncer : ſon trouble ſe montre par des yeux étincelans, par un regard égaré, & par un viſage tout contrefait : le Medecin emploit vainement ſon art pour le guérir, & ſon éloquence pour le raſſûrer : ſouvent les précautions dont il uſe lui-même, en aprochant le malade, démentent ce qu’il lui dit, & finalement ce malheureux meurt dénué de tout ſecours & de toute conſolation, & laiſſe à des parens ingrats un bien conſiderable, qui lui a été inutile dans ces derniers moments.
Paſſons de celle-là dans les maiſons voiſines, & nous y trouverons dans la même chambre, & ſouvent dans le même lict toute une famille accablée ſous le poids du même mal, qui par les cris & les differentes plaintes de tant de malades, forme un triſte & lugubre concert. L’un brûlé par les ardeurs de la fiévre, demande des rafraichiſſemens que perſonne ne peut lui donner ; l’autre agité par des inquiétudes mortelles, interrompt le repos de tous ; quelquefois un d’eux un peu moins accablé que les autres, ſe traîne hors du lict, pour leur donner les ſecours dont il a beſoin lui-même. Ici c’eſt un fils couché auprès de ſon pere, & qui tourmenté d’un cruel vomiſſement, irrite par ſes efforts redoublés toutes les douleurs du pere. Là c’eſt une mere éplorée auprès de ſa fille, que la violence du mal rend inſenſible à ſes gémiſſemens ; empreſſée à la ſecourir, elle ſe donne des ſoins inutiles, une mort ſoudaine enleve la fille, & laiſſe la mere dans la déſolation & dans le deſeſpoir. Ailleurs on voit le mari & la femme couchés dans le même lict, qui mêlent leurs larmes ſur leur commune infortune ; ils s’excitent & s’encouragent l’un l’autre, tantôt par des ſentimens d’une amitié reciproque, tantôt par de pieuſes affections envers Dieu ; & enfin preſſés par la violence du mal, ils raniment les derniers efforts de leur tendreſſe, & meurent dans la même union, dans laquelle ils ont vécu toute leur vie.
Quelle inquiétude pour celui qui eſt ainſi auprès de pluſieurs malades, dont l’un demande des ſoulagemens à ſes maux, & l’autre un Prêtre pour ſe confeſſer, & qui ne peut lui procurer aucun de ſes ſecours ? Quelle ſollicitude pour donner à celui-là quelque adouciſſement, pour exciter celui-ci à des actes de contrition & d’amour de Dieu, & faire ainſi des fonctions auſquelles on eſt ſi peu accoûtumé, ſur tout quand il faut les continuer juſqu’au dernier moment ? Le pere eſt obligé de contenir ſes larmes, pour ne pas amortir le courage de ſon fils mourant, & la mere agoniſante n’entend pour toute exhortation, que les pleurs & les lamentations d’une fille déſolée. On a vû de ces jeunes enfans, qui la mort ſur les levres, exhortoient leurs parens affligés à la patience & à la reſignation à la volonté de Dieu ; d’autres refuſer leurs ſoins & leurs empreſſemens, & les prier de s’éloigner, de peur de leur communiquer quelque impreſſion mortelle. Etrange ſituation, où il faut voir expirer ſes propres enfans entre ſes bras, en s’expoſant au même mal qui les enleve, ou prendre le cruel parti de les laiſſer mourir ſans conſolation & ſans ſecours.
On ne ſçait qui eſt plus digne de compaſſion, ou ces familles, qui tombés tout à la fois, meurent preſque tous en même tems ; ou celles que le mal attaque un à un, & enleve de même. Ceux-là éprouvent tout à la fois ce qu’il y a de plus triſte & de plus déſolant dans cette calamité : ceux-ci ne le ſentent que peu à peu, & par une affliction qui eſt d’autant plus cruelle qu’elle eſt plus longue. Les premiers ſouffrent en même tems l’accablement de leur propre mal, l’affliction de celui des autres, la privation de tout ſecours, l’impuiſſance d’en donner à ceux que l’on aime autant que ſoi-même, le chagrin inévitable de les voir expirer à ſes côtés, ſouvent l’aproche d’un cadavre, qui eſt encore cher, & dont on n’a pas la force de s’éloigner : tant de malheurs réünis rendent leur ſort bien pitoyable. Les ſeconds eſſuyent tous ces malheurs tour à tour ; le plus courageux de la famille s’eſt livré à ſervir le premier malade, il eſt tombé quelques jours après ſa mort, quelle frayeur pour les autres ! trois, quatre, cinq, ſix, ſont encore tombés les uns après les autres, ſans qu’aucun ait réchapé. Ceux qui reſtent accablés d’affliction de la mort des premiers, épuiſés de veille & de fatigue, troublés par la crainte d’un pareil ſort, qu’ils voient auſſi prochain qu’inévitable, tombent les uns dans le découragement, & ſe laiſſent mourir de langueur & de foibleſſe ; les autres dans la dénuence, & paſſent ainſi d’une extrême affliction dans un état d’indolence & d’inſenſibilité plus triſte encore que le premier : quelques-uns manquant de confiance en Dieu, ſe ſont abandonnez au déſeſpoir, & ont terminé leurs chagrins par une mort volontaire, triſte & cruelle reſolution, qui ne termine des malheurs prêts à finir, que pour les faire recommencer pour toûjours.
Dans ces familles ainſi déſolées, tantôt c’eſt une mere, qui reſte ſeule avec ſon petit enfant, tous deux malades. Si cette mere infortunée pouvoit faire au moins comme autrefois Agar, qui chaſſée de la maiſon d’Abraham ſon Maître, laiſſa ſon fils au pied d’un arbre, & s’éloigna dans le déſert, pour s’épargner le chagrin de le voir mourir ; mais celle-ci détenuë par les langueurs de la maladie, ne peut éviter une de ces cruelles extrêmités, ou de mourir, en laiſſant ſon fils dans l’abandon & dans la neceſſité de perir après elle faute de nourriture ; ou de le voir expirer le premier ſous ſes yeux. Tantôt c’eſt une jeune fille, qui a ſurvêcu à tous les autres : avant ces malheurs, un grand nombre de freres ne lui laiſſoient eſperer qu’une mediocre part de l’heritage de leur pere ; la voilà ſeule heritiere d’une maiſon & d’un bien, dont elle eſt embarraſſée ; peu ſenſible à tous ces avantages, elle ne l’eſt qu’à la perte de ceux qui les lui ont laiſſés ; ſeule elle ne ſçait que devenir ; elle ne ſe voit auprès ni parens, ni amis, ni voiſins ; il ne lui reſte que la triſte image des morts, dont elle eſt encore troublée : bientôt elle eſtime le ſort de ſes freres décedés plus heureux que le ſien. Tantôt c’eſt un Domeſtique que le Seigneur a bien voulu conſerver, pour ſecourir ſes Maîtres : il leur a rendu à tous les derniers devoirs : le voilà ſeul dans une grande maiſon, qui reſte à ſa diſpoſition ; il ne ſçait quel parti prendre, il ne paroît point d’heritier, il eſt abſent, ou même il n’y en a point de certain : heureux quel qu’il ſoit, ſi le Domeſtique a une fidelité à l’épreuve d’une tentation ſi préſente ; car on en a vû qui ont eû la cruauté d’avancer la mort de leurs maîtres, impatiens d’executer le malheureux projet de les voler, que quelques heures de patience leur auroient donné la liberté d’executer à loiſir, ſans ajoûter à ce crime celui d’un attentat auſſi cruel qu’inutile. Souvent toute une famille éteinte, laiſſoit la maiſon ouverte au pillage, & en proye à la canaille, ou à ceux qui y alloient enlever les cadavres.
Repreſentons-nous quel étoit le chagrin, pour ne pas dire le déſeſpoir de ceux que le mal ſurprenoit ſans domeſtique, ſans parens, & ſans aucun voiſin, qui veüille, qui puiſſe même les ſecourir. Ils ne manquent ni d’argent, ni des commodités neceſſaires, mais tout cela leur devient inutile, parce qu’ils n’ont perſonne pour les ſervir. Que deviendront-ils ? Iront-ils dans un Hôpital ? Ils ne pourront pas en ſuporter l’infection & l’horreur. Quelques-uns pourtant ont pris cette étrange reſolution ; d’autres ont mieux aimé mourir chez eux dans un entier abandonnement. Voudra-t’on le croire ? que ceux-même qui ſe ſont ſacrifiés au ſervice du Public, & qui ont prêté leur miniſtere aux peſtiferés, ſe ſont trouvés reduits à ces cruelles extrêmités. Un Curé, qui depuis les premiers commencemens de la contagion, a adminiſtré les Sacremens aux malades avec autant de zele que de pieté, eſt ſaiſi du mal à la fin du mois d’Août, il eſt ſeul dans ſa maiſon, ſans domeſtique, ſans voiſin, & ſans eſpoir de trouver quelqu’un qui veüille lui rendre des ſervices moins importans, que ceux qu’il a rendu lui-même aux autres : dans cet état il s’efforce de ſortir, il va fraper à diverſes portes de ſes Parroiſſiens, il leur demande une retraite & leurs ſecours charitables : refuſé de par tout, il revient dans ſa maiſon y attendre la recompenſe dûë à ſes travaux, & où abandonné des hommes il expira ſeul entre les bras du Seigneur. Eſt-ce la dureté du tems ou celle des hommes, qui nous fait voir des exemples d’une ſi cruelle ingratitude ? Un Chanoine de la Cathedrale, d’ailleurs riche & à ſon aiſe, ſe trouvant en ſa maiſon dans le même délaiſſement, va ſe refugier dans le Clocher de ſon Egliſe, où il ſe flatte de trouver quelqu’un pour le ſervir ; helas ! il y meurt ſans aucun ſecours. Un Medecin eſt obligé de ſe refugier chez les Recolets, pour ne pas ſe voir mourir dans une entiere privation de tout ſoulagement. Un autre, qui veritablement a la conſolation d’être au milieu de ſa famille, qu’il ne conſervera pas long-tems, manque ſouvent de ſes neceſſités dans le cours d’une longue maladie, il ne les trouve pas à prix d’argent, ſes ſervices pour le Public ne lui attirent aucune attention de la part de ceux qui devroient les lui procurer, il eſt obligé d’avoir recours à des Communautés Religieuſes, & à des amis charitables, tantôt pour du boüillon, tantôt pour de la viande. Tel étoit le trouble & la déſolation où ſe trouvoient reduites les perſonnes les plus riches & les plus commodes, ceux même que leur miniſtere ſembloit affranchir de la crainte de ces fâcheuſes extrêmités.
C’étoit encore un objet bien touchant que les femmes enceintes : preſque toutes ont eu le malheur de perir, ou par la maladie, ou après un accouchement naturel, ou par ceux que le trouble & la frayeur prématuroient. On ſçait de quelle neceſſité ſont les ſecours étrangers à une femme qui eſt en travail d’enfant, elle s’épuiſe en efforts inutiles, quand ils ne ſont pas ſoûtenus par la reſiſtance de ceux qui l’aſſiſtent. On doit bien penſer que ces ſecours manquoient dans un tems où tout le monde étoit reſſerré, & où l’on étoit dans une méfiance réciproque. Un accouchement eſt bien plus difficile & plus laborieux, quand la femme en fait ſeule tout l’effort : nous laiſſons juger de tous les autres ſoins & embarras d’une femme qui eſt obligée de ſe ſoigner elle & ſon enfant, ou qui n’a auprès d’elle que des hommes & des perſonnes tout-à-fait neuves à cet exercice. L’embarras étoit bien plus grand pour celles qui accouchoient avant le terme. Mais c’étoit une eſpece de déſeſpoir pour celles qui accouchoient dans le mal. Nulle amitié, nulle compaſſion, nulle charité aſſez forte pour mettre quelqu’un au-deſſus des frayeurs qu’inſpire le peril de recevoir des vapeurs infectées, & de toucher à ce qui ſort d’un corps peſtiferé : elles meurent dans l’incertitude de leur propre ſalut, comme le reſte des hommes, & aſſûrées de la perte de celui de leur enfant. Une de ces femmes qui ſe trouvoit dans ce penible cas, ſe ſentant aſſez de force pour demander du ſecours pour ſon enfant, mais non pas pour aller elle-même prendre l’eau pour le baptiſer, ſe faiſoit entendre des voiſins & de ceux qui paſſoient dans la ruë, les uns & les autres s’attrouperent devant ſa maiſon, & touchés d’une compaſſion inutile, ils n’avoient ni aſſez de courage, ni aſſez de charité, pour aller la ſecourir. Un jeune homme plus hardi que les autres, monte, & va donner le Baptême à cet enfant. La maladie ſuivie d’une prompte mort, fût bientôt le prix de ſa charité & de ſon courage. Adorons ici les jugemens du Seigneur, ſans examiner ſi par cette mort prématurée, il a voulu conſerver à ce jeune homme le merite d’une action ſi ſainte, qu’il auroit peut-être perdu par une plus longue vie.
Nous pourrions raporter encore un trait plus hardi dans un cas ſemblable, d’un autre jeune homme. C’étoit le fils d’un Chirurgien, qui dans ſon enfance avoit un peu manié les raſoirs dans la Boutique de ſon pere. Il étoit Penſionnaire chez les Peres de l’Oratoire, où il occupoit une des douze places, que Mr. l’Abbé de St. Victor Amien, Evêque de Condon y a fondées depuis peu. Ce jeune homme entendant dire, que dans le voiſinage une femme d’une groſſeſſe fort avancée étoit prête à expirer, & qu’on ne trouvoit point de Chirurgien, pour delivrer l’enfant, & le mettre en état de recevoir le Baptême, animé d’un ſaint zele, peut-être mal entendu, prend un mauvais raſoir, va chez cette femme qu’il trouve morte, il lui fait l’operation Ceſarienne, & comme ſi le Seigneur eût conduit cette main aveugle, une operation qui eſt preſque toûjours inutile & infructueuſe eût ici un ſuccès entier, car il en tira l’enfant en vie, & le baptiſa. Il ſemble que le Seigneur ait voulu donner à cette action, qui imprudente en aparence avoit été pourtant entrepriſe par un eſprit de charité, tout l’éclat & toute la certitude qu’elle meritoit ; car l’enfant ſurvêcut quelques jours à ſa mere, & ce pieux jeune homme alla bientôt joüir du même bonheur qu’il avoit procuré à cet enfant.
Je n’oſerois pouſſer plus loin le détail des differentes calamités que l’on voyoit dans l’interieur des maiſons ; elles ne trouveroient pas de créance dans l’eſprit des Lecteurs, je ne ſçai même s’ils ne regarderont pas ce que j’en ai dit comme des exagerations d’une perſonne affligée, qui veut attendrir les autres ſur ſes malheurs. Quelque vive que ſoit la deſcription que j’en ai faite, j’oſe aſſûrer qu’elle eſt infiniment au deſſous de la realité ; & ce qu’il y a de plus pitoyable, c’eſt que ces déſolations particulieres ſe préſentoient vingt fois le jour dans les differentes maiſons où l’on entroit. La vûë de tant de miſeres devenoit encore plus touchante par les cris, les pleurs, les plaintes, & les hurlemens dont ces maiſons retentiſſoient jour & nuit. Sortons de ces lieux affligés, pour aller parcourir la Ville, où nous trouverons des objets encore plus touchants & plus affreux.