René Leys/32
28 octobre 1911. — Je viens de me heurter au détour de ma rue, de notre rue, — au gros rire et à la face encombrante de mon voisin Jarignoux. Impossible de lui tourner le dos : ce serait fuir devant lui, et céder le terrain ; impossible d’espérer qu’il ne m’arrête pas jovialement au passage… Et j’ai fort envie de savoir comment il va prendre ceci : cette lettre un peu sale que j’avais mise, après désinfection, en réserve dans ma poche, précisément pour la joie de ce moment-ci. Je la lui déchiffonne avec soin :
— Ah ! vous l’avez gardée ? C’est pas prudent. Je me suis permis de ne pas me compromettre. Vous auriez pu être gêné pour m’en parler. Mais vous pouvez déchirer ça. Je vous remercie de l’avoir secoué ce garçon-là : il m’a payé deux jours après.
Et, pris d’une soudaine bonhommie :
— Il a peut-être eu bien du mal. Ce garçon n’a plus un sou. Il a dépensé en filles tout ce qui lui restait des appointements de l’École, qui est fermée, et qui ne rouvrira pas de sitôt grâce aux camarades socialistes de Canton ! Tous ses élèves ont déjà foutu le camp à Wou-tch’ang comme apprentis révolutionnaires. Et puis voilà qu’on dit que le « père Yuan » remonte sur Pei-king. Je ne donnerais pas une piastre de la peau d’aristo du Régent ! Ça fait plaisir de voir un beau pays, et riche alors, s’ouvrir aux lumières du progrès ! »
Je froisse et déchire avec un mépris ostensible la lettre, cause de l’entrevue, et prends un congé que je crois définitif. Ce futur électeur chinois me semble bien peu renseigné sur le sens politique de la rentrée de Yuan. « Nous savons bien (et malgré moi j’entends le timbre habituel et assuré de la voix de Leys), nous savons bien que Nous lui avons donné l’ordre de gagner son poste au plus vite, à la tête des troupes des Provinces afin de l’écarter de la Capitale… » Que Yuan Che-K’aï remonte sur Pei-king… Encore une histoire de naturalisé pontant sur sa venue et désireux de reprendre ses bassesses autour de lui !