Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch19

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Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 135-142).

CHAPITRE XIX

Une cache. – La forêt noire. – Un emplacement pour une cabane. – Les aigles. – Accident arrivé à Gérald. – Une, grotte. — La plante à réservoir d’eau. – Un champ de pommes de terre. – Les figuiers. – Les « petits fours » australiens. – Le convive affamé.


Les voyageurs se lassèrent enfin de leur voyage monotone, et quelque matin on eut pu les voir gravir la berge de la rivière, afin d’examiner si le paysage n’était point changé.

À la place du marécage, ils aperçurent de jolies collines couvertes d’arbres, dont le feuillage était constellé de fleurs éblouissantes. Le parfum des acacias et des eucalyptus embaumait l’atmosphère, et les voyageurs pensèrent que ce serait là un charmant endroit pour y trouver un abri.

« Halte ! s’écria tout à coup Wilkins, arrêtons-nous ici. Examinez bien cet arbre que voilà. Nous ne sommes pas les premiers visages blancs qui aient foulé cette terre. Je m’y connais, monsieur Arthur ; il y a ici, sous cet arbre même, une cache. J’ai deviné cela en jetant les yeux sur ces lettres sculptées, entaillées à l’aide d’un couteau pointu. Creusons, et vous allez voir si je me suis trompé. »

Arthur refusa d’abord de consentir à ce qu’il croyait être un vol ; mais il se dit qu’après tout il trouverait peut-être quelque information utile dans la cache découverte par le convict.

On alla donc chercher les outils nécessaires à creuser, qui se trouvaient dans le canot, et chacun se mit à travailler avec autant d’ardeur que s’il se fût agi de trouver des pépites d’or.

« Si nous allions découvrir un précieux filon dit tout à coup Gérald.

— Je préférerais infiniment trouver une bonne scie, répliqua Jack.

– Et moi une marmite de fonte, ajouta Marguerite.

— Que ne puis-je me procurer ici un télescope ! observa Hugues.

— Et vous, Jenny Wilson, que voudriez-vous rencontrer au fond de la cache ? demanda Arthur.

— Ma foi, puisque vous m’interrogez, je souhaiterais un baril de farine, fit la bonne cuisinière.

— Nous y sommes je sens quelque chose de dur, s’écria Gérald.

— Attention, répliqua Arthur. Agissons de sorte à ne rien briser. Ah ! nous y voilà ; il y a des corbeilles et des sacs.

— Qui contiennent du sucre et du thé, observa Ruth en battant des mains.

– Allons donc ! fillette, est-ce que l’on enterre ces ingrédients-là ? Je parie que nous allons trouver de la poudre et des balles, ce qui vaut bien mieux dans notre position. Regardez, monsieur Arthur, vous qui êtes instruit. Ne voyez-vous pas les cachets d’un navire de la marine anglaise ?

— En effet, répliqua celui-ci ; je trouve aussi la date de l’époque où cette cache a été pratiquée : il y a de cela trois ans. Il est probable que ceux à qui ces objets appartenaient ne reviendront jamais les chercher ici.

— Tant mieux pour nous, fit Wilkins. Les trouveurs sont les gardeurs, n’est-ce pas, monsieur Arthur ? »

Le fils aîné des Mayburn ne répondit rien, et adressa un regard à son père.

« Les proverbes du monde, observa celui-ci, ne sont pas toujours les paroles de Dieu. Mais, en ce cas, comme les munitions de guerre appartiennent certainement au gouvernement anglais, mon avis est que nous pouvons nous approprier une partie de ce que contient « cette cache ». Ne penses-tu pas ainsi, Marguerite ? Nous laisserons ici une reconnaissance de ce que nous aurons pris, ou plutôt emprunté. Si le Ciel nous conduit à bon port, nous rendrons compte à qui de droit de ce qui s’est passé aujourd’hui.

— C’est parfaitement dit, cher père, » répondit Marguerite Mayburn.

Wilkins sans se préoccuper de toutes ces paroles, avait pris sur lui de transporter les petits barils et les sacs dans les canots.

« Gardez seulement ce qui nous sera utile, lui dit Marguerite. Qui peut dire quels seront nos besoins de munitions ? répliqua le convict. Nous avons encore une longue route à parcourir, et nous serons bien forcés de nous défendre contre des coquins bien plus dangereux que des sauvages, les « rôdeurs des bois ».

— Mon père va écrire au crayon une note dans laquelle il reconnaîtra que nous avons emporté la moitié du dépôt, en expliquant la position dans laquelle nous nous trouvons. »

En effet, Max Mayburn ayant tracé cette déclaration, on l’enferma dans une enveloppe d’écorce solidement ficelée que l’on attacha à l’un des sacs replacés dans le trou. Cela fait, on combla la fosse, et l’on étala avec soin le gazon, de façon que les indigènes ne pussent point à leur tour découvrir la cache.

« Il faudra prendre garde de mettre le feu à notre arsenal, observa Arthur, et aussi de mouiller la poudre, car alors notre riche et inappréciable provision deviendrait chose inutile. Je suis de l’avis de Wilkins ; nous allons prendre le chemin à travers bois. Certainement ce pays est fort pittoresque mais je préférerais nous voir tout à fait cachés par les arbres de la forêt.

— Regarde là-bas, vers le sud, dit Hugues à son frère ; j’aperçois un point noir qui ressemble fort à une zone boisée. Si nous quittons la rivière, nous aurons là un point de repère très facile à retrouver. Qu’en dis-tu ? Allons-nous là-bas ? »

Arthur examina avec attention la forêt lointaine que lui désignait son frère, et comme il n’y avait pas de fumée dans les environs, tout portait à croire que les noirs ne se trouvaient pas dans ces parages.

Cette considération engagea donc les voyageurs à abandonner le moyen commode de locomotion des canots. Chargeant leurs bagages sur leurs épaules, sans oublier surtout les munitions, ils se mirent en marche du côté de la forêt sombre.

La plaine qu’ils traversaient était couverte d’une haute et épaisse herbe à fourrage, ou des milliers de bêtes à cornes, où des chevaux sans nombre eussent trouvé une abondante provende ; mais à leur place bondissaient deci, delà, des hordes de kangarous et des groupes d’émeus aux pieds rapides. Sur tous les arbres s’abattaient des oiseaux chanteurs et siffleurs dont les cris assourdissaient les voyageurs.

En approchant du bois sombre découvert le frère de Marguerite, celle-ci remarqua que Baldabella paraissait inquiète et semblait se refuser à aller plus avant. Après une demi-heure de marche, la sauvagesse se mit à trembler de tous ses membres, et dit à la sœur d’Arthur d’une voix émue :

« Bonne demoiselle, n’allez pas là. Méchants esprits tueront tout le monde, bon maître, vous, Baldabella. Méchants esprits très en colère : eux disent que personne ne doit pénétrer là dedans. »

Marguerite essaya de raisonner la malheureuse femme terrifiée. Elle se disposait à fuir en emportant son enfant, et en cherchant à l’arracher des bras de Marguerite. Mais lorsque la négresse vit que la fille de Max Mayburn continuait sa marche, tenant toujpurs Nakina sur sa poitrine, Baldabella s’écria d’une voix ferme qui dénotait un effort de courage :

« Je mourrai, soit ; mais je n’abandonnerai pas mes amis. »

Et elle reprit sa place aux côtés de Marguerite.

Arthur n’ignorait pas que les naturels croyaient superstitieusement à l’influence fatale des forêts sombres ; mais il s’imagina que Baldabella avait quelques notions particulières sur ce bois, lequel semblait un lieu redouté pour ses compatriotes. Cette découverte lui faisait désirer de plus en plus d’amener son père et ses compagnons sous ces arbres touffus, où nul ne viendrait certainement les attaquer.

Parvenus devant la forêt, les voyageurs comprirent facilement que cette obscurité profonde qui régnait en cet endroit fît naître la terreur dans l’esprit des sauvages. Ni les bêtes féroces, s’il y en avait, ni la lumière du ciel, ne devaient pouvoir se glisser sous ces feuillages impénétrables. Ce bois mystérieux, composé d’arbres élevés de l’essence des pins, des noyers et des cyprès, poussant les uns contre les autres était tellement compact, tellement tressé de branches en branches par des lianes inextricables qu’il formait pour les naufragés-voyageurs une forteresse capable de défier les attaques de tous les noirs réunis des pays australiens.

« Quel est parmi nous le « prince charmant » qui va se frayer un passage à travers la forêt enchantée ? dit alors O’Brien. Voilà une riche aventure, ou je ne m’y connais pas : qu’en penses-tu, Hugues ? Allons ! jouons du couteau et de la hache.

— Un peu de patience, mes amis ! observa Arthur. Nous allons d’abord faire le tour de la forêt, afin de découvrir, si faire se peut, un endroit accessible. Avançons avec prudence. Nous ouvrirons une sorte de tunnel sous bois dont nous fermerons le passage, afin de ne laisser ici aucune trace de notre présence.

— Je me plairais fort en ces lieux, ajouta le vieux Mayburn, car il me serait facile de m’adonner à l’étude de l’histoire naturelle sous ces arbres qui me sont inconnus.

— Et moi j’aimerai à vivre abritée par une cabane, continua Marguerite, quelque mal que l’on y soit ; mais du moins nous nous reposerons sans appréhension, nous pourrons rapiécer nos habits usés et nous fabriquer des chaussures, dont nous avons le plus grand besoin. Je crains toutefois que la vie ne soit fort triste sous ces abris ensevelis dans une sorte de nuit perpétuelle.

— Bah ! nous nous construirons un nid au milieu des arbres, observa Gérald, comme cela se passe dans le roman du Robinson suisse, et nous y vivrons parmi les perroquets et les kakatoès. Tenez, voici justement un figuier qui ressemble probablement à celui où demeura la famille suisse mais je ne me trompe pas l’arbre est couvert de figues ; elles sont mûres et excellentes à manger, fit-il en en croquant une qui se trouvait à sa portée.

– Patience ! mon ami, répliqua Arthur, nous retrouverons ce figuier ; mais songeons au plus pressé. Hâtons-nous de nous frayer un passage sous bois ; car, à la chaleur accablante et à un bruit lointain qui ressemble fort à celui du tonnerre, je suis porté à croire que nous sommes menacés d’un violent orage. Il nous faut donc construire un abri dans le plus bref délai possible. »

L’endroit de la forêt sombre devant lequel se trouvait la petite caravane, quoique impénétrable, était moins encombré de ronces et de lianes que ceux devant lesquels les voyageurs avaient passé ; les jeunes gens se mirent donc à l’œuvre, et ouvrirent une issue de quatre pieds de haut et de deux pieds de large, suffisante pour le passage d’une seule personne. Ils eurent soin de faire de petits fagots avec les branches abattues, afin de les transporter à l’intérieur du bois lorsque le passage serait terminé mais leur travail allait fort lentement, car les arbres étaient très serrés, et ils furent heureux de rencontrer un endroit où régnait une éclaircie. Ils réussirent ainsi à frayer un boyau pour y introduire les femmes et les bagages.

La clairière au milieu de laquelle ils se trouvaient était composée d’une prairie émaillée de fleurs peintes de ces couleurs éclatantes particulières à la flore des régions tropicales. Un peu plus loin s’élevait une colline couverte d’avoines sauvages, protégées par des buissons épineux qui grimpaient le long des flancs d’un rocher isolé dont la cime semblait être aplatie.

Les jeunes gens déclarèrent que ce séjour était enchanteur et enchanté ; car, pour y parvenir, il fallait gravir facilement des sortes de gradins terrassés et couverts d’arbres, de gazons et de fleurs. Si essoufflés qu’ils fussent pour arriver au sommet du rocher, ils y parvinrent, et, à leur grand étonnement, aperçurent devant eux l’entonnoir d’un cratère éteint couvert de verdure.

« C’est ici, déclara Hugues, qu’il nous faut élever une cabane pour nous abriter tous. Marguerite ne se plaindra pas de la tristesse du lieu ; car, du haut de cette plate-forme, on peut voir tout le pays, et l’on se trouve à l’abri des surprises. Et puis il y a des fleurs et des oiseaux à revendre. Tenez regardez, mon père, ces deux énormes aigles qui tournoient au-dessus de nos têtes. Sans doute leur aire n’est pas éloignée d’ici. »

Tandis que les regards de tous les voyageurs se tournaient, du côté des oiseaux de proie, O’Brien, qui se tenait à l’écart avait bandé son arc, et, avant que personne eût pu s’opposer à son projet, il décochait une flèche bien dirigée sur l’aigle le plus rapproché. Il atteignit l’oiseau de proie, et celui-ci venait de tomber au milieu du buisson.

« Victoire ! victoire ! s’écria-t-il en se retournant du côté de Max Mayburn. J’ai tué l’aigle !

— C’est une mauvaise action que vous avez faite la, mon ami, répondit celui-ci. Je regrette infiniment que vous ayez atteint le but. Ce n’est donc pas une victoire que vous avez remportée, mais un acte de pure cruauté que vous avez commis… Il était inutile de mettre à mort ce noble oiseau, et je suis très peiné en entendant les cris poussés par sa compagne, cruellement séparée de son camarade de solitude. Voyez comme elle tourne autour de l’endroit où votre victime se débat.

— Je suis très marri de vous avoir déplu, mon excellent tuteur, observa O’Brien. Je pensais, au contraire, vous être très agréable en mettant sous vos yeux un individu de l’espèce australienne.

— L’oiseau est tombé derrière ce buisson couvert de fleurs jaunes, qui ressemble si bien au genêt de notre pays. »

Gérald se dirigea vers l’endroit désigné, tandis que Marguerite et son père, exploraient des yeux le plateau sur lequel ils se trouvaient, écoutant Jack, qui déclarait pouvoir construire en deux jours une hutte basse de plafond, et façonnée avec des écorces d’arbres reliées ensemble par des lianes tressées.

Tandis que les trois personnes discutaient au sujet de cette construction, ils entendirent les cris d’alarme poussés par Gérald.

« Au secours ! à l’aide ! criait-il. L’enchanteur de la montagne s’est emparé de ma personne. Arthur ! jette-moi une corde. »

Tous les voyageurs éprouvèrent un sentiment d’angoisse, et ni les uns ni les autres ne savaient où jeter la corde, car on n’apercevait point O’Brien.

Arthur, accompagné de Jack, emportant l’un et l’autre une perche et des cordes, retrouvèrent enfin Gérald, qui se cramponnait à un buisson et paraissait enfoncé dans un trou.

« Prenez garde ! leur cria celui-ci il y a peut-être d’autres ouvertures dans les environs. Tendez-moi la perche, et je m’en tirerai. J’ai peur que ce diable d’aigle, que j’ai si malencontreusement abattu, ne se jette sur moi, car il se débat au-dessus de ma tête et paraît furieux. »

À l’aide de la bille de bois et des cordes qu’on lui tendit, grâce aux efforts de ses amis, Gérald parvint à sortir de son trou. Cela fait, il indiqua à ses sauveurs la grotte ou l’excavation au milieu de laquelle il se débattait quelques instants auparavant. Cette découverte intéressait trop nos jeunes gens pour qu’ils ne voulussent pas savoir sur-le-champ à quoi s’en tenir. Jack tenta le premier l’épreuve, et, attachant solidement une corde à un arbre, il prit un long bâton d’une main afin de sonder les parois, et s’aida de l’autre pour descendre dans ce trou obscur.

Il ne tarda pas à toucher le fond après avoir descendu environ quatre à cinq mètres, et se trouva au milieu d’une vaste grotte, sur un tapis de sable fin. Les parois de cette excavation naturelle étaient ornées de guirlandes et de plantes grimpantes, et le jour pénétrait à l’intérieur par de nombreuses crevasses, pareilles à celle où était tombé O’Brien.

Il y avait en outre quelques couloirs, à l’entrée desquels Jack jeta les yeux, et quand ses amis l’eurent rejoint, ils purent s’assurer avec lui que l’endroit était inhabité. Arthur déclara que cette grotte était d’origine volcanique, et qu’à ses yeux c’était là une portion du cratère éteint.

« Voilà qui va faire un excellent entrepôt pour y déposer nos munitions de guerre et de chasse, observa Jack. La partie éclairée servira de cuisine pour Jenny, tandis que nous, nous nous occuperons à construire la cabane. Je vais fabriquer une échelle ; car les femmes ne pourraient jamais se hisser de bas en haut et de haut en bas au moyen d’une corde, comme le font des garçons de notre âge. »

Arthur remonta le premier, et voulut, une fois en haut, secourir l’aigle et retirer la flèche de sa blessure ; mais l’oiseau de proie chercha à se précipiter sur lui ; aussi l’aîné des Mayburn crut-il devoir remettre cette opération à plus tard.

Les trois amis, remontés à la surface de la montagne, se hâtèrent d’aller annoncer à Max Mayburn et aux autres la découverte qu’ils venaient de faire.

Wilkins était allé cueillir de l’avoine, tandis que Marguerite et son père avaient découvert une mare pleine d’eau potable, qui devait être bien plus remplie encore quand la pluie aurait rendu ce que le soleil avait pompé.

Autour de ce réservoir à eau, Max Mayburn avait cueilli des plantes curieuses l’une, entre autres, nommée le cephalotus follicularis autrement dit la plante cuvette, qui offrait à la vue des membranes reliées ensemble, dans lesquelles l’eau s’accumulait et entretenait naturellement la fraîcheur de la tige.

« Cela ressemble fort à nos chardons d’Europe, n’est-ce pas ? observa Marguerite. Mais, mon père, le sol me paraît très fertile en cet endroit ; pourquoi ne planterions-nous pas ici une partie des pommes de terre qui nous restent afin d’augmenter notre provision ?

— Bien pensé, répliqua Hugues. Le terrain me parait excellent à cet usage. Allons ! Gérald, à l’œuvre. Plantons notre jardin potager avant que la pluie survienne. Cela vaudra mieux que de tuer des aigles. »

La découverte de la grotte fit un plaisir inexprimable à tout le monde ; mais, quelle que fût la curiosité éprouvée par tous d’en aller parcourir l’intérieur, il fallut qu’on attendit que l’échelle fût construite. Gérald se mit au travail, tandis que les autres voyageurs retournaient à l’entrée de la forêt sombre pour fermer l’entrée de l’ouverture qu’ils avaient pratiquée au milieu du fourré. À l’aide de cordelettes imperceptibles, ils ramenèrent les branches et réussirent à cacher à l’œil le plus exercé les abatis pratiqués dans l’intérieur du bois. Les petits fagots formés avec les branches coupées furent emportés vers le campement afin d’allumer du feu.

Hugues et O’Brien n’oublièrent pas le figuier, sur les branches duquel, après avoir chassé les oiseaux qui les broutaient, ils firent une ample cueillette de fruits murs et succulents.

Jenny confectionna avec le jus de ces figues mêlé à la farine d’avoine des galettes qui parurent excellentes aux voyageurs, depuis longtemps privés de sucre ou de matière saccharine. Les jeunes gens nommèrent ces gâteaux des « petits fours » australiens.

Wilkins avait aidé Jack à abattre une sorte de pin pour fabriquer une échelle, et Marguerite occupa ses loisirs à planter des pommes de terre au fur et à mesure que le convict défrichait le terrain.

À la fin cependant il fallut se reposer ; car le travail et la marche avaient épuisé les forces de tous les voyageurs, et, de plus, la chaleur orageuse du temps était intolérable.

Vers le soir, quelques gouttes d’eau ranimèrent le courage abattu des hardis voyageurs.

« Nous n’aurons pas le temps de construire aujourd’hui, observa Wilkins. La pluie va tomber, et je suis d’avis que nous devrions creuser le réservoir de là-bas un peu plus qu’il ne l’est : s’il venait à déborder, nous serions noyés. »

Arthur imagina de pratiquer une autre mare au-dessous de la première dans laquelle, à l’aide d’une rigole, le trop-plein irait se déverser. De cette façon on aurait deux réservoirs d’eau au lieu d’un, et l’on préserverait de l’inondation la plantation des pommes de terre.

« Maintenant que voilà l’échelle terminée, fit Marguerite, je serais d’avis que mon père et moi nous descendissions dans la grotte, où nous disposerions toutes choses pour le moment, c’est-à-dire jusqu’à ce que Jack ait pu construire la cabane qu’il a le projet d’élever ici. La pluie va indubitablement bientôt tomber.

— Suivez-moi, lui dit Gérald ; je vais vous guider dans le domaine que j’ai découvert. C’est là que Ruth ne pourra plus faire de balourdises, car elle se trouvera en prison, sous terre. Allons descendez au milieu de la montagne en feu, et prenez bien garde de ne pas être déchiquetés par mon aigle.

— Est-il vrai, Monsieur, que la montagne est en feu ? demanda Ruth qui tremblait déjà.

— Il y avait là un volcan ; mais, depuis cent ans au moins, ce cratère est éteint, répliqua Max Mayburn. À cette heure, ce n’est plus qu’un admirable souterrain.

— Mais si le volcan allait se rallumer dans le temps que nous serons en bas ? » ajouta Ruth toujours craintive.

Marguerite et Jenny Wilson grondèrent la pauvre fille de sa pusillanimité, tandis que les jeunes gens se moquaient d’elle, et, Jack aidant, la servante descendit dans la grotte, où Marguerite et la cuisinière avaient déjà désigné chaque coin pour servir l’un à la cuisine, l’autre au « placard » à provisions ; celui-ci au dortoir des hommes, celui-là à la chambre des dames.

Baldabella et Nakina, qui s’étaient résignées à la volonté des « visages blancs », semblaient avoir oublié tout sujet d’appréhension, et se tenaient accroupies dans un angle que la fille de Max Mayburn appela « la chapelle » car ce lieu offrait l’ensemble d’un autel surmonté de flambeaux de pierre. Une sorte de berceau de lianes qui poussaient sous une des crevasses fut dénommé le « salon de réception » à la condition que la pluie ne vînt pas en chasser les visiteurs et les habitants.

On établit des sièges au moyen de grandes pierres, et l’on éleva sur deux roches une « tranche » de brèche plate qui devait servir de table. C’est là que Jenny servit le repas, qui se composait seulement de thé et de galettes.

Max Mayburn voulait examiner de près l’aigle, qu’il avait reconnu être de l’espèce nommée aquila fucosa ; mais il fallut que Wilkins et Jack s’emparassent de l’oiseau, ils le prirent par les ailes et le cou, tandis qu’Arthur arrachait la flèche qui lui avait cassé le fouet extrême de l’envergure. En examinant la blessure, il parut certain que l’oiseau pouvait guérir en fort peu de temps.

Mais il s’agissait de nourrir cet invalide, qui semblait mourir de faim et dédaignait les morceaux de galette qu’on lui offrait. Hugues et Gérald promirent d’aller tuer quelques oiseaux ou un opossum pour cet hôte affamé dès qu’ils auraient achevé le réservoir à eau qu’ils étaient occupés à creuser.