Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch31

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Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 215-222).

CHAPITRE XXXI

Les sentinelles au haut des arbres. – La mort du convict Bill. – Les « coureurs des bois » trompés. — Un animal bizarre. — Un conflit désespéré. – Une passe dans les montagnes. – Le fruit de l’acacia. — Les voyageurs gardés à vue. – La cour de justice.


Chaque instant qui s’écoulait augmentait l’anxiété des jeunes sentinelles, qui n’osaient point prononcer la moindre parole.

« Il est heureux, dit enfin Hugues à Arthur, que le troupeau soit poussé en avant par les « coureurs des bois ». De cette façon, les pas des animaux effaceront nos traces. »

Cette circonstance était certainement favorable aux fugitifs, car ils remarquaient que le troupeau suivait précisément la direction qu’ils avaient prise.

Ils aperçurent enfin la hideuse figure de Black Peter, qui était accompagné par les trois convicts inconnus que Jack avait rencontrés lors de son excursion, et par environ cinquante sauvages faisant partie de ceux de la compagnie de Bill. Tous ces noirs étaient badigeonnés de blanc comme lorsqu’ils se rendent à la guerre, et leurs armes consistaient en boomerangs, en zagaies et en arcs et flèches. Bill ne se trouvait pas avec eux, ce qui causa une grande satisfaction à Arthur, à cause de Davy.

Tout ce petit corps d’armée passa sous les figuiers mêmes dans les branches desquels se tenaient cachés les trois amis ; et tandis que les bœufs se vautraient dans la rivière, Black Peter examinait la piste qui avait été préparée dans l’intention de le décevoir. Il montra enfin à ses hommes les bambous brisés de l’autre côté du courant d’eau et se mit à proférer d’horribles blasphèmes.

« C’est en cet endroit qu’ils ont passé, fit-il, et il n’y a pas longtemps de cela, je vous l’affirme ; nous les tenons, mais ne perdons pas un moment. Toi, Jem, ne donne pas une goutte d’eau-de-vie à ces maudits noirs, car les canailles d’honnêtes gens ont volé nos fusils, et il ne nous reste plus que des armes inégales encore faut-il que les noirs puissent s’en servir. Dieu me torde ! si je rattrape jamais mon « minton » je les tuerai tous les uns après les autres, y compris le vieux récitateur de patenôtres. Je ne fais exception que pour la jeune fille ; elle deviendra ma compagne au milieu des bois ; car elle m’appartient de droit, maintenant que j’ai mis fin aux exigences de maître Bill.

— N’importe ! dit celui qu’on appelait Jem, ces moricauds n’ont pas précisément trouvé de leur goût la façon dont tu as planté le couteau dans l’estomac de leur chef. Là-bas, du côté de Melbourne, cette façon d’agir s’appelle un assassinat.

— Bah ! j’ai épargné une corde de chanvre aux hommes du gouvernement : Bill devait s’attendre à être pendu, répliqua Black Peter. Le gredin était encore plus coupable que moi, ce qui n’est pas peu dire. »

Tout en parlant ainsi, les interlocuteurs juraient et sacraient à faire peur aux honnêtes garçons qui les écoutaient. Ceux-ci éprouvèrent un vrai soulagement lorsque ces misérables, ayant avalé un dernier verre d’eau-de-vie, se levèrent pour continuer leur chemin.

« Allons en route, fit Peter. Ne perdons pas de temps, les amis des lois et du gouvernement seront bientôt forcés de s’arrêter, car les chevaux qu’ils nous ont volés doivent être harassés de fatigue. Ils sont perdus ! Lorsque nous aurons repris nos armes et nos montures, dès que nous aurons mis une balle dans la tête de ces maudits voleurs, nous irons chercher à trafiquer avec les nouveaux colons. »

Après quelques minutes de réflexion, Black Peter s’adressa aux sauvages dans leur idiome et leur dit des choses qui parurent les réjouir car ils dansèrent et frappèrent leurs armes les unes contre les autres, comme pour manifester leur joie. Puis tous ces bandits se remirent en route.

Les sentinelles virent enfin ces gens-là traverser la rivière, et continuer à avancer, tombant ainsi dans le piège qui leur était tendu. Toutefois ni Arthur ni ses deux compagnons ne se décidèrent à descendre avant qu’une demi-heure se fût écoulée, c’est-à-dire lorsqu’ils eurent perdu de vue les « coureurs des bois ».

« Quelles canailles s’écria Gérald. Rien ne m’eût empêché de faire feu sur ce misérable, si j’avais eu un fusil. Oui, certainement, j’aurais vengé l’assassinat de Bill. J’étais dans mon droit.

— Je ne crois pas, mon ami, riposta Hugues. La justice de notre pays ne pense pas de la même façon. C’est le jury qui doit condamner un criminel n’est-il pas vrai, Arthur ?

— Il serait assez difficile de rassembler ici un jury, répliqua celui-ci : aussi je me serais volontiers chargé de débarrasser la société de ce bandit ; par malheur, en faisant feu sur cet homme, nous aurions attiré sur nous cette troupe de scélérats, plus nombreux que nous ne le sommes. Ayons confiance ! Dieu saura bien livrer ce meurtrier à la justice de ses semblables. »

Tout en parlant ainsi, les jeunes gens traversèrent le bois et parvinrent près de leurs parents et amis, qui les attendaient avec anxiété.

« Tout va bien ! s’écria Gerald. Ils ont passé, et c’est nous qui allons les suivre, mais sans courir, n’est-ce pas Arthur ? car nous n’avons pas le moindre désir de rejoindre ces misérables-là.

— Crois-tu, mon cher enfant, dit Max Mayburn à son fils, qu’il soit prudent de nous aventurer hors de cette retraite assurée ? Qui nous dit que ces convicts ne reviendront pas sur leurs pas, quand ils s’apercevront qu’ils ont perdu la trace ? Dans ce cas ils n’hésiteraient pas à nous massacrer.

— Bill se trouvait-il en leur compagnie » demanda Davy avec un sentiment de honte.

Arthur dut alors apprendre avec toutes les précautions possibles la fin déplorable du malheureux convict, et le pauvre Davy pleura amèrement sur le sort de son frère infortuné.

« C’est lui qui avait fait de moi ce que je suis, disait-il. Je lui pardonne. Mais je l’aimais, et je reconnais que Dieu l’a puni comme il le méritait, car il l’avait terriblement offensé. Que le Seigneur ait pitié de lui dans l’autre monde ! »

Marguerite profita de l’occasion pour expliquer à ce coupable repentant qu’il avait un moyen de racheter ses fautes il fallait pour cela qu’il eût une grande confiance en Celui qui sait tout et voit tout, en Celui qui pardonne à qui se repent.

Wilkins éprouva également une grande émotion à la nouvelle de la mort de Bill, et pourtant il murmura aux oreilles de Jenny :

« J’aime autant savoir qu’il ne se trouvera plus sur notre chemin ; Bill était encore un plus grand gredin que Black Peter, ce qui n’est pas peu dire. »

Comme le cheval blessé par l’émeu ne pouvait pas encore reprendre son service. Arthur déclara qu’il marcherait après les autres sans être monté. L’aîné des Mayburn se porta à l’avant-garde avec Davy, à qui il prodigua à son tour des consolations et de bons conseils. On continua à s’avancer le long de la rive droite de la rivière, où le sol était plus fertile, et sur laquelle les chevaux marchaient bien mieux qu’au milieu des buissons.

Pendant trois jours, aucun incident fâcheux ne vint troubler les voyageurs, qui renaissaient à l’espérance. Ils pénétrèrent enfin dans une contrée plantureuse, couverte d’arbres élancés, sur lesquels les bourgeons se montraient prêts à s’ouvrir. Sur ces arbres se tenaient perchés des milliers d’oiseaux qui chantaient et égayaient la solitude de la forêt.

À mesure que les fugitifs avançaient, ils apercevaient devant eux une chaîne de montagnes qui, lorsqu’ils s’en approchèrent, leur parut couverte de broussailles et sillonnée de gorges profondes, qu’on eût dites placées là pour obstruer le passage.

« Nous ferions bien d’avancer avec précaution de ce côté-ci, observa Arthur. Il me paraît probable que nous voici sur la piste de nos ennemis, et nous aurions très bien pu les devancer.

— Qu’importe ! après tout. Nous avons deux fusils, répliqua Gérald, et rien ne serait plus facile que de défendre un de ces passages contre tous nos ennemis réunis. Ainsi, avec les armes à feu et les archers par derrière pour nous aider, nous viendrions bien vite à bout de nos ennemis.

— Dieu nous préserve d’être jamais obligés d’ensanglanter ce pays dit Max Mayburn.

– Marchez à l’arrière, mon père, dit Arthur nous allons partir en reconnaissance avant de nous aventurer dans ces montagnes.

— Choisis un défilé étroit, mon ami, fit Gérald au chef de la caravane. Ce sera un endroit excellent pour nous défendre au besoin. Mais qu’entends-je ? Quel est l’animal qui fait un pareil bruit ? C’est la première fois que ces sons frappent mes oreilles depuis que nous sommes en Australie.

— Mon bon frère Jack, disait Ruth, montée en croupe avec celui ci, arrête : c’est un ours pareil à ceux qui dansent dans les foires.

— Un ours grogne ; mais ce que j’entends est un beuglement ou un rugissement : celui d’un lion, répondit Hugues ; marchons, nous allons avoir au moins quelque sensation agréable. Attention ! aux armes »

Jack et Ruth se trouvaient un peu en avant des autres, lorsque tout à coup, au milieu d’un buisson placé devant eux, ils virent s’élancer un taureau sauvage, – ou plutôt échappé de quelque colonie, — qui, baissant la tête, s’élança contre ceux qui venaient le troubler dans ses méditations. La bête était énorme, couverte d’un poil roux et noir, et le front armé de deux cornes courtes et pointues. L’œil en feu, soufflant comme un phoque, on devait le prendre pour un animal dangereux, et il l’était en effet.

Le taureau s’arrêta pourtant quelques instants, faisant voler la terre avec ses pieds de derrière, et poussant des beuglements faits pour inspirer la terreur.

Jack allait faire volte-face pour laisser le passage libre à l’animal ; mais avant qu’il eût pu empêcher Ruth de lui ôter sa force d’agir, — car celle-ci serrait son frère à l’étouffer, — le courageux garçon fut lancé hors de sa selle par un bond de sa monture, à qui le taureau avait appliqué un coup de corne en plein poitrail.

Ruth était également tombée au milieu des buissons.

Jack, quoique meurtri par sa chute, se releva aussitôt et courut à sa sœur pour lui porter secours. Il la releva et la plaça derrière un gros arbre ; puis, armé d’un épieu, il se retourna vers la bête furibonde. Le cheval qu’il montait avait été jeté les quatre fers en l’air, et la bête enragée le piétinait de toutes ses forces, quoique Wilkins, arrivé sur ces entrefaites, la frappât à coups de zagaies, aidé par Hugues, qui ne se lassait pas un seul instant.

À un moment donné, le taureau se tourna du côté de Jack, qui l’attendait de pied ferme ; mais, avant qu’il se fut élancé, on entendit une détonation : Arthur, pour mettre fin à cette bataille inégale, venait d’étendre le taureau par terre en lui adressant un coup de feu.

La bête, un instant inerte, se releva de nouveau furieuse, et Arthur se vit forcé de redoubler, dans la crainte de voir Wilkins terrassé par les cornes de cet ennemi à quatre pattes. Enfin le taureau s’étendit sur le sol en râlant et en se tordant dans des convulsions.

Wilkins prit dans ses bras la petite Nakina, à qui il fit voir le monstre qui ne remuait plus. Le convict regrettait fort qu’on abandonnât aux oiseaux de proie un gibier d’une telle valeur ; mais il fut facile de se convaincre que la chair était de mauvaise qualité, et les fugitifs décidèrent qu’on laisserait là le taureau.

On se demandait alors d’où pouvait venir cette bête, qui n’appartenait certainement pas à la faune australienne. Dans le cas où elle aurait fui loin de quelque colonie, on devait se réjouir d’être près des pays civilisés ; mais n’y avait-il pas d’autres taureaux devenus sauvages, dans les montagnes au milieu desquelles les voyageurs allaient s’aventurer ?

Une ouverture étroite s’offrait aux yeux des fugitifs, passage très convenable pour organiser une défense en cas de besoin. Arthur prit les devants en compagnie de Gérald ; il voulait s’assurer que l’on pourrait facilement s’avancer dans ce défilé.

Tout à coup Gérald s’adressa à Arthur à mi-voix.

« Il me semble entendre là-haut un bruit de pas au milieu des buissons. Arrêtons-nous, je vais décrocher une flèche dans cette direction.

— N’en fais rien, mon ami ; si c’était un second taureau, ta flèche, en l’atteignant, ne ferait que l’irriter. Je n’entends plus rien, avançons. »

Au moment où ces paroles s’échangeaient, une pierre détachée de la roche supérieure vint tomber à leurs pieds. Gérald descendit aussitôt de cheval et se mit à grimper le long des parois de la roche, tandis qu’Arthur lui criait :

« Descends ! descends donc ! te dis-je.

— Je n’en ferai rien avant d’avoir découvert d’où vient le caillou, qui a failli détériorer mon pauvre nez. »

Un moment après, Arthur entendait O’Brien dire à quelqu’un qu’il ne pouvait voir :

« Holà ! mon ami, qui donc espionnez-vous ainsi ? »

L’aîné des Mayburn éprouva un sentiment de stupéfaction à ces paroles inattendues, et, attachant aussitôt sa monture à un arbre, il s’assura de la charge de son fusil, et parvint en quelques bonds sur la plate-forme des rochers, assez à temps pour empêcher Gérald de frapper de son épieu un grand diable à la figure assez désagréable, avec qui il se débattait depuis quelques instants.

Cet inconnu, apercevant Arthur, s’écria :

« Combien êtes-vous ? Nous n’avons pas peur, et nous allons vous le prouver.

— Mon brave garçon, il paraît que nous faisons erreur l’un et l’autre. Vous nous prenez pour des « coureurs des bois », et nous avions la même opinion sur votre compte. Hélas ! nous ne sommes que de pauvres naufragés, qui avons été volés par les bandits de tout ce que nous avions pu arracher à la mer. Nous sommes en route pour retrouver des colons nos amis.

— Allons assez de mensonges comme cela, mon jeune voyageur. Je ne crois pas à ces inventions, puisque vous êtes monté sur un cheval qui nous appartient.

— C’est possible mais il est facile d’expliquer cette circonstance. Nous avons dérobé les chevaux que vous avez vus aux coquins qui nous retenaient prisonniers, et nous nous sommes enfuis.

— Bah c’est encore une histoire inventée à plaisir, répliqua l’inconnu. Mais n’importe ! suivez-moi près de mon maître, à qui vous raconterez tout cela. Je ne pense pas qu’il ajoute foi à ces griefs.

– Rien ne nous sera plus agréable que de faire connaissance avec votre maître, fit Arthur, surtout s’il habite près d’ici. Qui est-il ? comment se nomme-t-il ?

— C’est un colon, murmura l’homme aux manières rudes, qui cherche en ce moment un chemin pour pénétrer au milieu de ces montagnes.

— Rien de mieux ! Voulez-vous nous montrer la route la plus facile pour aller à lui ? Non seulement nous n’aurons aucune objection pour vous suivre, mais encore nous lui amènerons nos compagnons et les chevaux qui lui ont été volés. »

L’inconnu examina avec une certaine anxiété les étrangers qui causaient ainsi avec lui. Il laissa O’Brien s’en aller pour ramener le reste de la petite troupe des fugitifs, en gardant Arthur comme otage. Mais quel ne fut pas son étonnement quand il vit revenir avec le jeune homme Max Mayburn, sa fille et les autres !

À la vue de ce vieillard respectable, l’inconnu mit la main à son chapeau, et, sans mot dire, prit la tête de la caravane, pour être le premier à annoncer à son maître la rencontre extraordinaire qu’il venait de faire.

Les voyageurs, ne perdant pas de vue leur guide, pénétrèrent à travers des ravines étroites et buissonneuses, — un vrai labyrinthe, — qui allaient toujours en montant. Ils parvinrent enfin sur un plateau couvert de pâturages et encaissé au milieu de rochers élevés. Un troupeau de chevaux paissait dans l’herbe, et l’on voyait à la base d’une sorte de falaise géante un groupe d’hommes prenant leur repas sur un gazon verdoyant.

L’aîné des Mayburn, qui examinait les inconnus, poussa tout à coup un cri de joie :

« Charles Deverell !

— Arthur ! Arthur ! s’écria celui-ci, — car c’était bien Charles Deverell, — monsieur Mayburn ! miss Marguerite ! par quel miracle arrivez-vous au milieu de ces montagnes ?

— Nous venons près de vous accusé de vol, répondit Arthur en riant. Votre employé nous conduit devant votre tribunal comme coupable d’avoir dérobé des chevaux qui vous appartiennent.

— Je suis heureux de trouver mes bêtes entre vos mains, répliqua Deverell. Mais racontez-moi de quelle façon mon berger vous a rencontrés.

— Je vais vous le dire, répondit celui-ci. Un coup de feu ayant attiré mon attention, j’avais voulu savoir qui l’avait tiré. Je m’avançai dans la direction de l’endroit où la détonation devait avoir eu lieu. Et quel ne fut pas mon étonnement en voyant un jeune homme monté sur Sally, votre monture favorite ! Voilà les gens qui ont volé mon maître, me dis-je ; et je les interpellai vigoureusement. Nous en vînmes aux mains, et l’on finit par s’expliquer. Cela fait, les deux gentlemen sont allés chercher leurs amis, et nous sommes venus jusqu’ici. Voilà toute l’histoire. »

Tandis que Deverell écoutait ce récit, les voyageurs avaient mis pied à terre, et chacun à son tour avait serré la main au colon, dont les yeux étaient remplis de larmes.

Celui-ci expliqua à son tour dans quelles circonstances il se trouvait loin de sa maison : il était venu en cet endroit pour attaquer les « coureurs des bois », qui avaient si audacieusement volé son bien et celui de son frère Édouard.

« J’ai amené, ajouta-t-il, trois de nos gardiens pour rallier le bétail volé quant aux autres personnes, elles appartiennent à la police des frontières, une institution indispensable dans ce pays privé de toute force armée. »

Ces attachés du gouvernement colonial avaient l’aspect rude et menaçant avec leurs habits blancs étriqués, leurs pieds nus et leurs cheveux longs. Ils étaient armés de sabres et de pistolets.

Leurs yeux s’arrêtèrent plutôt sur Wilkins et Davy que sur les autres voyageurs. Davy semblait honteux de se présenter de nouveau devant le frère de son maître, qui paraissait, lui aussi, très étonné de le retrouver en compagnie des Mayburn. Toutefois Charles Deverell ne dit rien et remit à plus tard une question à ce sujet.

« Ne vous souvient-il pas, Charles, dit Hugues au colon, que Gérald et moi nous préférions rester avec votre famille, au lieu d’aller courir jusqu’aux grandes Indes pour nous faire conduire en palanquin ? Arthur et Marguerite n’en disaient rien, mais ils pensaient comme nous. Seul mon père avait mis dans sa tête de viser le Gange et ses rivages. En somme, ce n’est point par le fait de notre volonté, mais par la puissance de la Providence, que nous voilà de nouveau réunis. À cette heure, nous sommes tous d’avis que ce que nous avons de mieux à faire, c’est de nous établir comme colons dans la belle Australie.

— Ce qui ne sera pas une tâche sans difficulté, observa Max Mayburn puisque voici notre ami Charles Deverell qui, malgré son expérience, ne peut éviter d’être pillé par les « coureurs des bois » et les sauvages réunis. J’avoue que je vivrais dans de continuelles angoisses si nous nous établissions dans le voisinage du désert.

— Bah mon cher protecteur, remarqua Gérald, n’y a-t-il pas des voleurs même au beau milieu de l’Angleterre ?

— Sans doute, mon ami, sans doute, ajouta Charles Deverell ; aucun pays civilisé n’a encore pu déraciner les mauvais instincts d’une partie de ceux qui l’habitent : Dieu seul pourrait y réussir s’il le voulait. Mais, cher monsieur Mayburn, rassurez-vous : quand vous et miss Marguerite aurez visité notre habitation, vous conviendrez que nous sommes et devons y être en sûreté. Qui plus est, le poste de police qui est installé dans notre voisinage est très bien organisé. Nous avons des domestiques sur qui l’on compter, des palissades solides, et nous nous croyons parfaitement protégés. Allons remettez les rênes de vos montures à mes domestiques, puis asseyez-vous pour prendre votre part du repas. Cela fait, vous me conterez votre histoire et votre odyssée. »