Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch6

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Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 43-50).
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CHAPITRE VI

Une charmante retraite. – La tortue.– Le royaume des moustiques. – Exploration à la découverte. – Le grand lac de l’intérieur. – La carcasse d’un navire naufragé. – Traces de pas sur le sable. – Retour au campement.


Après avoir marché pendant une demi-heure, à peine, les naufragés du Golden-Fairy parvinrent à un endroit de la côte couvert d’arbres touffus ressemblant fort à des banians dont le tronc et les branches se dressaient et s’abaissaient pour reprendre racine, de façon à former une sorte de colonnade. Du côté de la mer, ces arbres étaient dépourvus de feuillage, par suite des atteintes fréquentes du flux et du reflux. Toute cette végétation, vers la partie basse, se trouvait couverte d’huitres, et les amas de ces mollusques paraissaient hors de l’eau, car la marée était basse en ce moment.

Derrière ce bosquet sauvage, qui couvrait une partie de la montagne au pied de laquelle étaient parvenus les Mayburn et leur suite, on apercevait des arbres d’une grande taille ; on eût dit qu’une barricade impénétrable s’élevait à l’horizon, comme pour empêcher toute intrusion étrangère à l’intérieur du pays.

Arthur découvrit bientôt un charmant berceau de verdure, formé par les arbres aux branches pendantes ; il appela sa famille, en lui indiquant cet endroit comme bien préférable à la roche nue sur laquelle ils avaient abordé.

Les jeunes gens montrèrent alors à jenny Wilson l’énorme tortue couchée sur sa carapace, et attendant le couteau du sacrifice ils lui désignèrent l’innombrable quantité d’huîtres, ne demandant qu’à être ouvertes et mangées ; les crabes qui s’échappaient de dessous chaque pierre qu’ils relevaient deci delà, et les oiseaux qui, par volées, s’abattaient sur la plage ou venaient se percher dans les arbres.

« Il me semble, dit alors Jenny Wilson, charmée à la vue de cette abondance de provisions, que nous pourrions nous arrêter ici quelques jours, tant que durera le beau temps. L’important, c’est de trouver de l’eau fraîche.

— M’est avis que nous découvrirons quelque belle source là-bas, vers l’endroit ou croissent les grands arbres. En attendant nous avons une tonne d’eau, que nous irons chercher ; car nous camperons ici, n’est-ce pas ?

— J’ai déjà apporté une cafetière pleine et un sac de biscuit, répliqua Jenny. Ruth a également traîné sa cage à poules, avec les oiseaux y contenus.

— Mais, ma chère enfant, observa Gérald, ces pauvres bêtes vont crever là dedans. Voyons ! nous allons fabriquer au plus vite un poulailler au-dessus du niveau de la marée sous un abri convenable. »

Ce qui fut dit fut fait en un quart d’heure. Entre les branches basses d’un arbre de forme bizarre, les jeunes gens tressèrent une prison aérée, qui pouvait parfaitement contenir les « cocottes » de Ruth. Celles-ci, une fois en liberté dans cet espace assez large, se mirent à glousser et à chanter, en signe de joie de reconnaissance. Le coq réveillait tous les échos d’alentour.

Pendant que ceci se passait, Jack et Wilkins avaient mis à mort la tortue : à coup de hache, ils dépecaient la chair de ce chélonien en ayant bien garde de ne pas entamer l’écaille du dos, qui, disaient-ils, devait être fort utile dans le ménage de la famille. On fit du feu, et sur la braise du foyer on plaça la grande écaille remplie d’eau et de chair de tortue.

Cette marmite d’un nouveau genre étonna grandement Jenny Wilson qui regrettait toujours sa vaisselle maladroitement brisée par Ruth.

Le reste de la chair du chélonien fut suspendu à l’ombre des arbres, après avoir été dûment salé avec le contenu du baril emporté du bord du Golden-Fairy par les naufragés ; mais chacun fut d’avis que cette « conserve » ne devait pas être laissée ainsi exposée plus d’un jour ; car, sous ce climat brûlant, elle serait indubitablement corrompue.

« Si vous voulez introduire plus de variété dans votre ordinaire, observa Hugues s’adressant à Jenny Wilson nous allons abattre quelques-uns de ces oiseaux.

— C’est inutile, répondit Max Mayburn à son fils. Dieu nous a comblés en nous procurant de si nombreuses provisions ; il ne faut donc pas l’offenser en détruisant sans nécessité ces innocentes créatures. D’autre part je ne suit pas fâché de pouvoir étudier à mon aise les mœurs de ces oiseaux, qui semblent ne pas avoir peur de nous. Voyez, mes enfants, comme ils se tiennent immobiles sur le rocher ; on dirait qu’ils sont empaillés. »

Au milieu de ce bien-être, un désagrément sans remède était venu inquiéter les naufrages. Les moustiques étaient si nombreux sous les abris des arbres verts, que Max Mayburn était grandement incommodé de leurs piqûres.

« Notre père ne pourra pas rester exposé à ces morsures insupportables, dit Marguerite. Il nous faut absolument pénétrer au milieu de l’île où la Providence nous a jetés, ou retourner vers le rocher sur lequel nous nous trouvions tout à l’heure. De toutes façons, il est urgent de fabriquer une tente à l’aide de notre voile. »

On convint alors qu’après le repas on retournerait, pour une nuit au moins, sur la roche où l’on avait abordé avec le radeau. La chair de la tortue était cuite à point avec autant de soins que Jenny Wilson pouvait en donner ; car les condiments de cuisine étaient primitifs et les instruments de cuisson inconnus. On s’assit, et chacun se servit des fourchettes et des couteaux sauvés du naufrage. Quant aux assiettes, on y suppléa par des écailles d’huîtres, les plus larges qu’on avait pu se procurer.

Dès que le repas fut terminé, on songea à fuir les moustiques au plus vite ; et cependant les naufragés furent poursuivis à une assez grande distance par une nuée de ces insectes. Enfin les tortionnaires lilliputiens abandonnèrent leur proie au moment où les Mayburn arrivaient près des rochers du récif.

À ce moment-là, un cri de détresse poussé par Hugues et Gérald arrivés les premiers, vinrent frapper les oreilles du reste des voyageurs.

Ces deux braves cœurs annonçaient une mauvaise nouvelle. En effet, ils avaient découvert le vol de tous les tonneaux et paquets laissés par eux sur le lieu de leur premier campement.

« Nous aurions dû surveiller ce misérable Peter, s’écria Wilkins. S’il n’est pas venu dîner avec nous, c’est qu’il méditait quelque infamie. »

Les jeunes gens s’étaient avancés jusqu’à l’endroit où ils avaient laissé les épaves. Toutes les billes de bois avaient disparu. On comprit alors que le convict s’était hâté de reconstruire le radeau, et qu’il s’était aussitôt éloigné, emportant avec lui les provisions, un des fusils, la poudre et le plomb.

« Ce qu’il y a de pis, ajouta Jack c’est qu’il m’a volé également ma boîte de menuisier, y compris la hache, qu’il m’avait empruntée ce matin.

— Pourquoi la lui avoir prêtée ? murmura Wilkins d’un ton de colère. Il paraît que les coquins ont plus de chance que les honnêtes gens.

— Ne parlez pas ainsi, riposta Marguerite. Les méchants ne réussirent jamais, même sur la terre. Black Peter court peut-être à des dangers qu’il eût évités en restant avec nous, et, qui plus est, sa conscience va le poursuivre partout où il ira. On ne peut espérer l’assistance de Dieu que quand on est honnête et loyal.

— Où peut-il avoir dirigé son embarcation ? demanda Hugues.

— Je crois qu’avec cette frêle construction il lui sera seulement possible de naviguer autour de l’île ; il abordera sans doute à l’est, d’où, à son idée, on doit voir la terre ferme. La mauvaise action de cet homme nous cause un grand dommage ; mais nous dormirons du moins à notre aise en sachant que ce misérable ne menace plus notre vie. »

La nuit vint, et, la prière faite en commun, chacun demanda au repos l’oubli de ses peines et la force nécessaire pour supporter de nouvelles épreuves.

Quand l’aube apparut, on tint conseil pour savoir quel parti on devait prendre ; Max Mayburn paraissait très abattu ; Marguerite ne cachait pas son anxiété ; mais tous les jeunes gens semblaient concevoir les meilleures espérances et montraient une grande énergie.

« Mes amis, dit Arthur à Hugues et à Gérald, veuillez m’écouter avec attention. Rien de mieux que de faire la chasse aux tortues ; tuez même, si bon vous semble, des oiseaux pour notre ordinaire, j’y consens ; car, avant tout, nous devons manger pour conserver notre santé ; mais l’important est de nous rendre compte de notre position, de savoir en quel lieu du globe nous nous trouvons. Rien ne nous prouve que nous soyons ici sur une île.

– En tout cas, l’endroit me paraît bien désert, ajouta Marguerite d’un air désolé.

— Nous sommes plus mal, j’en conviens, que n’était Robinson Crusoé, fit Hugues à sa sœur, car nous n’avons pas de chèvres, comme lui, et aucun quadrupède ne s’est encore montré à nos yeux. Quant aux bipèdes, y en a-t-il ici ?

— Plaise à Dieu que non, répliqua Arthur ; car il y a plus à craindre d’eux que des goélands et des mouettes.

– En effet, surtout si ces bipèdes étaient des sauvages, remarqua Gérald. Il nous faudrait leur faire la guerre, et nous les réduirions assurément, en vrais Anglais que nous sommes.

— C’est bien dit… en paroles, mon ami, répliqua Arthur ; mais avec quelles armes te battrais-tu ?

– Hélas ! c’est vrai j’oubliais la déplorable condition de notre arsenal. Voyons ! comptons nos instruments de défense : un fusil d’abord, et très peu de munitions ; un coutelas, deux canifs, un couteau à découper la viande, nos couteaux de table, et après ?. Qui de vous possède quelque bonne épée de Tolède ?

– Moi, peut-être, observa Marguerite en riant ; n’ai-je pas un couteau d’argent pour peler les fruits, et une paire de ciseaux ?

— C’est encore quelque chose, fit Arthur ; à votre tour, Jenny Wilson ; voyons, videz vos poches. »

La brave femme exhiba une trousse contenant des aiguilles, du fil et des ciseaux, un dé, une râpe à l’usage des noix muscades, un tire-bouchon et une demi-douzaine de fourchettes.

Jack, en homme prudent, avait conservé dans ses poches un gros couteau, des clous et un marteau.

Vint ensuite Max Mayburn, qui sortit de son sac une paire de tenailles, une trousse d’instruments de chirurgie, un album pour dessiner et des crayons tous objets que Gérald regarda en dissimulant un sourire.

« Allons ! dit-il alors, hâtons-nous de fabriquer des arcs et des flèches, des piques et des massues. Les arbres de la forêt seront fort bons pour cet usage.

— En attendant, il s’agit de faire sérieusement le tour de notre île, si réellement c’est une île, observa Arthur. Nous allons laisser ici Wilkins et Jack pour veiller à notre camp nous n’emporterons que le fusil et les munitions que ce maudit convict a daigné nous laisser ; mais ne craignez rien, nous ne tirerons pas notre poudre aux moineaux. — Surtout, mes enfants, ne répandez pas le sang de vos semblables, s’écria le père. Nous sommes ici des envahisseurs, n’agissons pas en conquérants ; qu’il nous suffise de nous tirer d’affaire. Quand bien même on nous attaquerait, ne répondons pas à nos ennemis ; contentons-nous de les éviter.

— Mais, cher père, il ne nous est pas possible de fuir sans ailes. Nous sommes acculés ici il nous faut vaincre ou mourir. N’importe ! continua Hugues, nous agirons avec prudence. Arthur est notre chef : c’est un vrai Conrad. D’ailleurs nous allons seulement à la découverte, et non pas à la guerre. »

Les jeunes gens, après avoir pris congé de ceux qui restaient au camp, s’acheminèrent vers les arbres à huîtres, près desquels ils avaient déjeuné la veille, pénétrèrent dans l’intérieur de cette forêt touffue, et parvinrent enfin de l’autre côté de ce buisson épineux.

Ils traversèrent le lit d’un ruisseau à moitié desséché, car on n’y voyait que des flaques d’eau croupie, peu ragoûtante, et n’invitant pas à se désaltérer ceux qui passaient par là.

Plus loin, les explorateurs eurent à gravir des monticules de sable avant de parvenir sur une montagne assez élevée, couverte de débris de pierres, au milieu desquelles poussait une végétation de plantes appartenant à l’espèce textile.

Tout autour d’eux régnait le silence le plus profond ; ces lieux offraient un aspect de désolation qui navrait le cœur, et ce chaos était d’autant plus affreux à contempler, qu’on apercevait deci delà des troncs morts d’une espèce d’acacia, ressemblant à de grands squelettes décharnés.

Les jeunes gens furent d’avis qu’ils se trouvaient réellement sur une île déserte.

Ils s’avancèrent encore sur ce sol inhospitalier, sans parler, en proie à une tristesse indicible, jusqu’au moment où ils atteignirent un bouquet d’arbres verts, parmi lesquels Arthur reconnut avec un sentiment de joie des choux palmistes d’une soixantaine de pieds de hauteur. Hugues exprima le désir de grimper au sommet d’un de ces arbres, pour couper la partie tendre et mangeable ; mais son frère l’engagea à remettre cette opération à un autre moment, et il lui montra des herbes marécageuses, des joncs élancés, qui indiquaient la proximité de l’eau.

En effet, après un quart d’heure de marche, les explorateurs se trouvèrent en face d’un grand lac aux eaux limpides, au milieu desquelles se jouaient d’énormes poissons tandis que sur les bords une multitude de palmipèdes jabotaient et s’ébattaient en construisant leurs nids. Les bords du lac étaient couverts de moules, et s’il n’y eût pas eu là des moustiques et des mouches, on eût pu se croire dans un vrai paradis terrestre, surtout en comparant cet endroit à la plage desséchée, aux rochers arides, sur lesquels les jeunes gens avaient laissé leurs parents et amis.

« C’est ici que nous allons dresser notre camp retranché, déclara Hugues.

— Allons chercher notre arrière-garde pour l’établir en ces lieux. Nous aurons chair et poisson à notre heure et à notre bon vouloir. Mais nous serons entourés de ces maudits ennemis ailés, à aiguillons piquants, ajouta Gérald, en écrasant un énorme moustique sur son nez.

— Pour éviter ce voisinage désagréable, nous choisirons un endroit assez éloigné de l’eau, répondit Arthur. Avant tout, il s’agit de savoir si nous ne trouverons pas ici des ennemis plus dangereux que les moustiques, et pour cela nous devons explorer la côte. »

Les jeunes gens continuèrent leur marche, et Gérald, puis Hugues eurent la bonne chance de tuer quatre canards, qu’ils mirent dans leur sac. Ils parvinrent enfin, en traversant de superbes pâturages et des bosquets fus, jusqu’à l’entrée d’une forêt formée par des arbres très élevés, sur la pente de laquelle ils aperçurent une baie étroite, pareille à celle où ils avaient abordé avec leur radeau.

Un promontoire s’avançait jusqu’à une certaine distance dans la mer, appuyé de l’autre côté sur les bords de la forêt. La marée était basse quand les jeunes gens arrivèrent en cet endroit il leur fut donc facile de faire le tour de ce cap et de parvenir de l’autre côté, où se trouvaient d’énormes quartiers de roches au milieu desquelles, à leur grand étonnement, les explorateurs découvrirent la carcasse d’un énorme navire séparé en deux : l’arrière à droite, l’avant à gauche.

Cette vue alarma d’abord les Mayburn et Gérald O’Brien ; mais ils s’avancèrent résolument vers l’épave.

« Qui sait s’il y a là quelque être vivant ? se demandaient-ils.

– C’est impossible, répondit Hugues : le naufrage date de loin ; regardez la chaîne est toute couverte de rouille. »

Les vagues se brisaient contre les rochers et rendaient l’abordage de l’épave assez difficile, et même fort dangereux ; mais les jeunes gens purent se convaincre que le navire jeté sur les rochers avait été brisé par la force des vagues. Il ne restait plus de cette vaste construction que des planches, des mâts, des débris informes, auxquels personne n’avait touché depuis nombre de mois. La partie supérieure de la poupe et de la coque du bâtiment jusqu’au mât de misaine se trouvait intacte jusqu’aux sabords ; mais les jeunes gens ne trouvèrent pas un cadavre, et surtout aucune embarcation.

Arthur fut d’avis que l’équipage avait réussi à se sauver, en emportant tous les objets qui leur étaient nécessaires.

Il n’y avait donc là que du bois à prendre ; toutefois, au pied du mât de misaine, Gérald aperçut une hache, qui, quoique rouillée, devint pour lui une vraie trouvaille.

« Allons ! dit Arthur, rentrons au camp. Notre père et Marguerite seraient alarmés s’ils ne nous voyaient pas revenir. Demain nous retournerons ici faire des recherches au milieu de l’épave. Les matelots naufragés, ou bien les vagues, ont probablement tout emporté ; n’importe, les vergues et les chaînes pourront nous être utiles.

— Je voudrais bien, dit Gérald en soupirant, trouver quelque chose à manger.

— M’est avis que la mer a dévoré toutes les provisions, fit Hugues. Regardez, mes amis, il n’y a pas même un tonneau vide dont nous puissions faire usage. Bonté divine ! nous nous sommes trop attardés ; déjà la marée monte, et elle nous a coupé tout moyen de retraite. Nous voilà forcés de rester ici.

— Non pas ! regardez là-bas, à l’arrière, répliqua Arthur ; la mer n’a point atteint cette roche, et nous pourrons passer en nous hâtant. »

En effet, les explorateurs abandonnèrent au plus vite l’épave, et s’élancèrent au milieu du chaos de rochers et de pierres qui faisait obstacle aux vagues. Il leur fallut une grande énergie pour ne pas perdre courage. Ils touchaient enfin sur la rive, quand tous les trois poussèrent un cri en découvrant devant eux l’écaille d’une tortue dont la chair n’avait certainement pas été arrachée sans l’aide d’une main humaine.

« Que devons-nous penser de ceci ? demanda Arthur à ses amis.

— Un des hommes du navire naufragé est peut-être encore dans ces parages, répliqua Hugues.

— Alors c’est lui probablement qui aura dépecé la tortue, » ajouta Arthur en reprenant courage.

En avançant encore sur la plage, la pensée des amis changea de cours, lorsqu’ils découvrirent sur le sable des marques irrécusables de pieds nus ; les traces d’un feu récemment éteint, la tête de la tortue saignant encore, une épine durcie au foyer, et enfin une sorte de javeline barbelée, qui, lancée d’une main sûre, devait être une arme terrible.

« Emportons ces armes avec nous fit Hugues.

— N’en faisons rien, au contraire. Quels que soient les hommes à qui ces objets appartiennent, nous devons les laisser : il ne faut rien voler, afin de ne pas nous créer des ennemis. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’effacer les traces de notre passage en ces lieux, et de décamper au plus vite.

— Fuir ! s’écria O’Brien ; mais Marguerite nous traiterait de poltrons.

— Nous ferons en sorte de ne pas mériter cette qualification de la part de ma sœur, répliqua Arthur. Je vous le répète, il ne faut pas laisser ici la moindre trace de nos pas. »

Ce qui fut dit fut fait. Mais il n’y avait pas grand’chose à inventer pour arriver à ce but. En mettant les pieds sur les pierres, on ne pouvait deviner qu’un être humain avait suivi le chemin par où les explorateurs s’avançaient. Arthur servait de guide à son frère et à Gérald ; il les conduisit tous deux à travers bois avec une rare sagacité ; si bien qu’après une heure de marche les trois jeunes gens apercevaient le campement du rocher et se trouvaient bien près des autres naufragés.

« Mon avis, dit alors l’aîné des Mayburn, est que nous sommes dans une île habitée. Les hommes dont nous avons découvert les traces se rendent quelquefois de leurs plantations à la côte pour procéder à la pêche des tortues.

— Tu crois donc qu’ils demeurent au milieu des terres ? demanda Hugues à son frère. Qui sait si nous ne sommes pas ici sur les côtes de l’Australie ?

— Je ne le pense pas mais pourtant cela pourrait être. Tout au moins cette île ne doit pas en être à une trop grande distance. N’importe, l’essentiel est de ne pas nous rencontrer avec les sauvages.

— Il serait bien désirable de se procurer une embarcation, murmura O’Brien tout en pressant le pas. Qui sait si Jack ne pourrait pas réussir dans ce genre de construction ?

— Par malheur nous n’avons pas d’instruments pour ce travail, et notre temps est précieux. Pour le moment, songeons moins à une embarcation qu’aux moyens de nous tirer d’embarras. Je ne pense pas que des naturels aient trouvé l’épave du navire naufragé ; je propose donc de transporter notre camp dans cette anse privilégiée.

— Ce sera charmant, observa Gerald en frappant des mains ; déménageons au plus tôt.

— Auparavant nous tiendrons conseil, répliqua Arthur. On ne doit pas agir à la légère. Mais j’aperçois Jack qui, monté sur un arbre, nous fait des signaux. Voyez ensuite, là-bas, Marguerite qui s’avance à notre rencontre pour apprendre les nouvelles de notre excursion. »