Revue Musicale de Lyon 1903-10-20/Salammbô
SALAMMBO
Le Grand-Théâtre rouvre ce soir ses portes avec la création à Lyon de Salammbô. Je ne parlerai pas aujourd’hui de la musique de cette œuvre, me réservant d’en donner, dans un prochain article, un compte rendu détaillé, mais je veux rappeler simplement dans quelles conditions elle fut écrite et représentée.
Le roman de Flaubert ne semblait guère destiné à fournir le sujet d’un drame lyrique. Ces monotones descriptions de bataille, ces détails à perte de vue sur les mœurs carthaginoises effaçant les personnages et allanguissant l’action en font une œuvre didactique au premier chef, insuffisamment mouvementée et nullement lyrique. C’est cependant Flaubert lui-même qui conçut le projet d’en tirer un libretto. Il fit mieux puisqu’il écrivit de sa propre main (le manuscrit a été conservé par M. Spoëlberch de Lovenjoul) le plan de l’opéra, dont il voulait confier la rédaction définitive à Théophile Gautier et la partition à Verdi. Gautier mourut sans avoir écrit quoi que ce soit de l’œuvre projetée. Flaubert choisit alors comme collaborateur Catulle Mendès, et Verdi ne voulant décidément pas de ce sujet, on songea à Reyer qui accepta.
Mendès se faisait attendre, occupé par d’autres travaux, et peu enthousiaste, semble-t-il, du schéma qu’on le forçait à suivre. Flaubert impatienté, se retourna, sur le conseil de Reyer, vers Camille du Locle, qui avait déjà collaboré avec Blau à la confection du livret de Sigurd.
Le libretto prêt, Flaubert mourut. Reyer remit à plus tard la composition de Salammbô, à peine commencée. Sigurd n’avait été accepté nulle part en France, et Reyer se promit de ne faire jouer ces œuvres que dans l’ordre où elles avaient été composées. Aussi, après le grand succès de Sigurd, Salammbô fut-elle présentée à l’Opéra. Le départ de Mme Rose Caron pour la Monnaie de Bruxelles entraîna le retrait de l’œuvre qui, du reste, n’avait pas été mise en répétition.
Le 10 février 1890, Salammbô passa enfin à la Monnaie. La première représentation fut un triomphe. L’interprétation était d’ailleurs parfaite. Voici comment les rôles étaient distribués : Salammbô, Mme Rose Caron ; Taanach, Mlle Wolf ; Mathô, M. Sellier ; Hamilcar, M. Renaud ; Schahabarim, M. Vergnet ; Narr Hâvas, M. Sentein ; Spendius, M. Bouvet.
Le Grand-Théâtre de Lyon ne voit pas figurer Salammbô pour la première fois sur son répertoire. Dans la saison 1889-90, cette œuvre fut distribuée, et la première représentation devait avoir lieu quelques jours après la création à Bruxelles. L’épidémie d’influenza fit remettre la première. Elle n’eut pas lieu. Et c’est treize ans plus tard qu’on songe à la reprendre.
Le 16 mai 1892, l’Opéra où venait d’avoir lieu l’échec du Mage, reprenait l’œuvre de Reyer avec quelques-uns des interprètes de Bruxelles. Mme Caron, Renaud et Vergnet gardaient leurs rôles. Taanach était chantée par Mlle Vincent, Mathô par Saléza qui fut excellent, Narr Hâvas par Delmas et Spendius par G. Beyle.
Nous allons résumer en quelques lignes la donnée scénique de Salammbô. On verra à quel point elle diffère du récit du romancier.
Premier acte. — Les mercenaires embauchés par Carthage n’ont pas été payés. Ils dînent dans les jardins d’Hamilcar. Le festin dégénère rapidement en orgie. Les soldats délivrent les esclaves enfermés dans l’ergastule, et pillent le palais du Sufféte. La fille d’Hamilcar, Salammbô, qui s’est consacrée au culte de la déesse Tânit reproche aux mercenaires leurs excès. Leur chef Matho, s’éprend de la jeune fille, mais il va quitter Carthage, conduisant ses soldats révoltés contre la ville.
2me acte. — Des prêtres célèbrent les mystères de Tânit. Matho guidé par Spendius pénètre dans le temple et vole le Zaïmph, le manteau sacré de la déesse. Il rencontre Salammbô qui maudit le ravisseur.
3me acte. — Le Conseil des anciens s’assemble et charge Hamilcar de poursuivre les révoltés. Un autre tableau nous montre Salammbô rêvant sur sa terrasse, tandis que les colombes quittent Carthage pour gagner la Sicile.
4me acte. — Salammbô vient au camp des mercenaires pour reprendre le Zaïmph. Elle y parvient en effet grâce à Matho, à l’amour duquel elle cède, et à qui elle ravit le voile pendant qu’il part au combat. Un changement de décor nous fait assister à la défaite des mercenaires.
5me acte. — Matho et Spendius vont être suppliciés. Salammbô qui doit frapper Matho de sa propre main, se donne la mort à elle-même, et tombe sur le corps de son amant.
Telle est, ramenée à un schème squelettique, l’action de Salammbô. Notre prochaine chronique sera consacrée à l’analyse thématique de cette œuvre, et à l’interprétation qu’elle aura reçue au Grand-Théâtre.