Revue Musicale de Lyon 1903-11-17/La Symphonie Lyonnaise

La bibliothèque libre.

les concerts

La Symphonie Lyonnaise

La Symphonie Lyonnaise n’a pas été l’œuvre d’un jour et son histoire est plus longue que beaucoup ne le pensent, même parmi ses membres actuels.

Née en 1899 de la réunion de quelques fervents de la musique, elle a grandi dans un patient silence, se développant peu à peu, progressant régulièrement, avec une tenace persévérance qui est tout à l’honneur de ses fondateurs.

En 1899, la Symphonie Lyonnaise n’avait pas encore de nom, pas de chef, elle comptait tout au plus une dizaine d’amis, se réunissant chez l’un d’eux pour faire de bonne musique. Bientôt, elle atteignit le chiffre de 20 musiciens et dès lors, la Société nouvelle choisir pour directeur le sous-chef d’une de nos meilleures musiques d’infanterie, M. Ducousso.

Cette heureuse direction valut à la Société un commencement de renommée. La bonne marche et l’intérêt croissant des répétitions, attiraient de nouveaux adhérents et, à la fin de l’hiver 1900, l’orchestre, désormais complet, comptait plus de 40 musiciens, et l’exécution d’un concert public devenait possible : le 22 juillet 1901, la Symphonie Lyonnaise donnait, sur invitation, son premier concert.

Cette manifestation de son réel effort artistique acquit à la Société de nouvelles et nombreuses sympathies, et l’augmentation du nombre des musiciens rendait bientôt insuffisant le local où M. Ducousso dirigeait ses premières répétitions. La Symphonie Lyonnaise loua donc, rue Vauban, no 2, où elle est encore, une salle vaste qu’elle fit commodément aménager, grâce à une souscription libre ouverte parmi les membres exécutants.

Peu après, un second concert était donné dans les mêmes conditions et avec le même succès que le précédent.

Mais là ne s’arrêtait pas l’activité de nos musiciens, et en février et mars 1902, ils prêtaient leur concours à deux grandes auditions, l’une à Villefranche-sur-Saône, organisée par l’Harmonie Caladoise, l’autre à Lyon, aux Folies-Bergères, pour l’exécution du Trèfle à quatre feuilles de notre excellent compatriote M. V. Neuville.

À cette époque, M. Ducousso fut obligé d’abandonner la direction. Son départ fit comprendre combien l’autorité et les capacités d’un chef étaient indispensables ; l’intérim ne put être rempli. Quelques membres montraient déjà leur mécontentement, lorsque la nomination de M. Mariotte, au Conservatoire, laissa quelque espoir.

Musicien consommé, compositeur, artiste désintéressé, M. Mariotte dirigeait depuis plusieurs années l’Association Symphonique de Saint-Étienne, succédant à M. J. Luigini.

Deux membres furent chargés de la délicate démarche auprès de lui, nous disons délicate, car il s’agissait de tout demander, sans rien offrir.

M. Mariotte, avec tout l’intérêt qu’il porte à tout ce qui est artistique, promit son concours. Comprenant l’effort de la Société, louant son zèle vers un but élevé, il sut, dès le premier jour, acquérir les sympathies et l’amitié de tous.

Les répétitions reprirent avec un intérêt nouveau, et quelque temps après, le 19 juin 1902, salle de l’Eldorado, le troisième concert fut donné. Cette nouvelle exécution fut décisive, la Symphonie Lyonnaise était bien créée, elle existait et pouvait s’affirmer. Dans le cours de la saison 1902-1903, elle donne quatre grands concerts, en même temps qu’elle prêtait son concours à la fête des Anciens Élèves des Lazaristes, où elle exécutait un oratorio de Th. Dubois et au grand concert de la Schola Cantorum Lyonnaise.

Enfin, un nouvel honneur était réservé à la Symphonie Lyonnaise. Désignée par le Comité du Centenaire Berlioz, pour remplir la partie orchestrale des fêtes données à la Côte-Saint-André, elle eut le glorieux devoir de faire entendre pour la première fois, aux Côtois, les œuvres de leur génial compatriote.

L’honneur était périlleux, et malgré toute la bonne volonté des musiciens et de leur chef, on pouvait craindre que la tâche ne fût au-dessus des forces de la Symphonie. Celle-ci soutint cependant, dignement, le rôle qui lui incombait, et le résultat fut tout à son avantage.

La Symphonie Lyonnaise a fait sa rentrée mercredi en donnant aux Folies-Bergère un grand concert dont nous donnons plus loin le compte rendu.

Voici, à titre de documents, les programmes des quatre concerts donnés pendant la saison 1902-1903.

1er  concert
1. 
4e  symphonie en si bémol. 
 Beethoven.
2. 
Air de Rinaldo (Mlle Dauphin). 
 Haendel.
3. 
Ouverture de la Flûte enchantée
 Mozart.
4. 
Suite en
 Saint-Saëns.
5. 
Plaintes au Vent
 Mariotte.
 
Le Vautour (Mlle Dauphin). 
 —
6. 
Ouverture du Roi d’Ys
 Lalo.
2me  concert
œuvres lyonnaises
1. 
Ouverture de Taï-Tsoung
 Guimet.
2. 
Trois Pièces dans le Style ancien
 Jemain.
3. 
Ouverture pour le Roi Lear 
 Savard.
4. 
Symphonie en fa
 V. Neuville.
5. 
Légende, pour violon (M. Rosset). 
 Mariotte
6. 
Deux Poèmes (M. Drevet). 
 Tremisot.
7. 
Ouverture Symphonique
 A. Reuchsel.
3me  concert
1. 
Ouverture d’Hænsel et Gretel
 Humperdinck.
2. 
Holberg-suite
 Grieg.
3. 
Stances de Polyeucte (M. Millet) 
 Gounod.
4. 
Marche funèbre d’Hamlet
 Berlioz.
5. 
2e  concerto en sol mineur (M. Mariotte). 
 Saint-Saëns.
6. 
Introduction du 1er  acte de Fervaal
 V. d’Indy.
7. 
Air du Freischülz (M. Millet). 
 Weber.
8. 
Morceau symphonique de Rédemption 
 C. Franck.
4me  concert
1. 
Ouverture de La Vie pour le Tsar
 Glinka.
2. 
Dans les Steppes de l’Asie Centrale
 Borodine.
3. 
a) Résignation
 C. Cui.
 
b) De quel Nom t’appeler ? 
 —
 
c) La Reine de la Mer (Mlle Janssen). 
 Borodine.
4. 
Ouverture de Patrie
 Bizet.
5. 
Prélude du Déluge, solo de violon (M. Rosset). 
 Saint-Saëns.
6. 
Rêves (Mlle Janssen). 
 R. Wagner
7. 
1e symphonie en mi bémol. 
 Saint-Saëns.

Le concert de mercredi dernier marque un progrès très sensible sur ceux de la saison dernière. L’ensemble est plus ferme, moins flottant, les cuivres sont presque très bons et — chose extraordinaire — les seconds violons ont suffisamment fait entendre leur partie jusqu’alors si sacrifiée. La direction de M. Mariotte est toujours excellente.

Les parties les plus réussies ont été l’exécution de la Symphonie en ut de Beethoven, très satisfaisante encore qu’un peu lourde dans le Menuetto et celle de la Suite Algérienne de Saint-Saëns dans laquelle certains solistes ont joué comme de vrais professionnels. L’interprétation du Prélude du 3e  acte des Maîtres-Chanteurs a été suffisante malgré sa difficulté et en dépit de quelques fautes des cors et des seconds violons. Nous ne parlerons pas des Sonatines d’automne de M. Mariotte, très bien interprétées par Mme Mauvernay ; elles font l’objet d’une bibliographie que nos lecteurs trouveront plus loin.

Nous sommes très heureux de constater les progrès de la Symphonie Lyonnaise et le succès qu’elle a remporté car cette excellente société, qui nous donne les seuls concerts d’orchestre que nous puissions entendre à Lyon, doit vivre et aussi se développer et s’améliorer tous les jours.

Concert Marteau

M. Henri Marteau est né en 1874 et commença la musique de très bonne heure sous la direction de sa mère et d’un professeur suisse et termina ses études de violon avec le maître Léonard. Depuis 1900, il est professeur d’une classe de virtuosité au Conservatoire de Genève ; les nombreux concerts qu’il a donnés l’ont rendu célèbre. En France, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Suède, en Russie, aux États-Unis, il fut partout acclamé à l’égal des plus grand violonistes. Et c’est justice car il possède la pureté, le style, la profondeur et aussi une merveilleuse beauté du son. Il a eu avec M. Willy Rehberg un succès très vif à son concert de dimanche, dont le programme comportait : la sonate en ré mineur no 2 (op. 121) de Schumann ; celle en la majeur no 2 (op. 100) de Brahms et celle en mi bémol (op. 18) de Richard Strauss.

Ce programme était extrêmement intéressant parce qu’il présentait trois œuvres émanant de trois générations de musiciens de l’école allemande et, il faut bien le confesser, ce n’est pas l’école moderne qui est sortie victorieuse de l’épreuve.

Schumann met toujours en œuvre des matériaux de premier ordre : il le fait quelquefois avec une certaine maladresse, mais sur ses pensées plane toujours une atmosphère de génie qui charme tour à tour et étreint.

Chez Brahms avec un talent d’écriture et de présentation toujours égal, souvent supérieur à celui de son devancier, la qualité de l’idée diminue ; la phrase est moins typique, moins personnelle, moins distinguée ; par suite, elle frappe moins et, malgré la sûreté du plan et l’ingéniosité des développements, l’œuvre garde un caractère terne et incolore.

Chez Strauss, le talent s’accentue et dépasse celui des deux autres mais aussi les qualités d’invention sont bien inférieures. Les motifs musicaux deviennent parfois, disons le mot, d’une banalité déconcertante et pourtant, Dieu sait si le compositeur est talentueux.

La sonate de Strauss est écrite avec un brio, une fougue, une science de développement musical qui contraste avec la platitude de l’idée. Celle-ci tient tantôt de l’opéra comique, de l’opéra italien, du drame lyrique de Wagner et de quoi sais-je !! Quelle salade… mais elle est toujours coquettement habillée, souvent même elle a du panache et à cause de cela elle plaît au public !… parfois même ne dirait-on pas qu’elle vise à lui plaire ?

Ah ! qu’il serait donc consolant après ce savant méli-mélo d’entendre les dix premières mesures de la sonate de Franck… mais chut !… on dirait que je fais aussi du panache…

Schola Cantorum

Les répétitions de la Schola Cantorum lyonnaise ont repris vendredi dernier ; les chœurs ont lu l’admirable motet O vos omnes de Vittoria qui sera exécuté au premier concert avec Judas Macchabée de Hændel.