Revue Musicale de Lyon 1903-12-15/À travers la Presse

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À travers la Presse

Les reprises du Chalet et de la Fille du Régiment ont eu une très mauvaise presse. Citons le Salut Public (Amaury).

« Si la municipalité qui préside à nos destinées locales est avancée en politique, elle est, en musique, terriblement réactionnaire à certains jours. Au moins conviendrait-il, quand on veut revenir à ce répertoire presque antédiluvien, d’abaisser notablement le prix des places. À tout faire que d’aller entendre de l’opérette, il vaut mieux traverser le Rhône et passer sa soirée au Nouveau-Théâtre : on n’y paie pas huit francs un fauteuil, et, avec Mlle Mariette Sully, le spectacle y est certainement plus agréable. »

L’Express Républicain (L.) proteste à cette occasion contre certains procédés de la direction du Grand-Théâtre.

« Depuis la reprise du Barbier de Séville, nous n’avions pas revu M. Boulo. La direction a pris, en effet, l’habitude d’établir parmi ses pensionnaires une sorte de classement correspondant aux diverses catégories de spectateurs.

« Au public des « premières », s’il s’agit d’opéra-comique, on fait entendre M. Gautier ; M. Boulo suffit aux spectateurs de la semaine et ceux du dimanche doivent se contenter de M. Vialas.

« Pour le grand opéra, une gradation analogue nous fait descendre de M. Verdier à M. Gautier, puis à M. Viviany, en attendant que M. Echenne soit chargé d’assurer le service des matinées du dimanche.

« Il en est de même pour les artistes de tous les autres emplois, et il arrive que la distribution de certains opéras soit parfois tellement bouleversée, comme dans Salammbô dimanche dernier, que les chanteurs ne savent plus, eux-mêmes, où ils en sont et quels sont leurs rôles respectifs.

« Je n’ai pas à insister sur le caractère peu démocratique de ce singulier procédé et de ce sans-gêne avec lequel sont traités les spectateurs du dimanche. Il me suffira de constater que les directions antérieures à la régie ont été sévèrement blâmées et rappelées à l’ordre chaque fois qu’elles se permettaient de pareils errements. »

Lyon Universitaire (Fafner).

« Il nous revient de diverses sources que le public intellectuel papote ferme au sujet des prochaines représentations de tout ou partie du divin Anneau du Niebelung. Un de mes amis, généralement bien informé, m’affirmait l’autre jour avec la plus déplorable conviction, que, pour imiter de plus près Bayreuth on allait transformer à cette occasion le foyer du Grand-Théâtre en buffet, à la mode allemande. Complétons l’information en annonçant que la direction vient de décider que les trompettes sonneraient, toujours à l’instar de Bayreuth, les thèmes caractéristiques de chaque tableau, sous le péristyle à la fin des entractes ; en outre, il est question de planter, pour plus de ressemblance encore, une forêt, rue Lafont et rue Puits-Gaillot, on aura ainsi d’une façon frappante, l’illusion d’un pélerinage au Festspielhaus bayreuthien. »

Dans la Revue du Nouveau Siècle, notre collaborateur J. Sauervein donne du Style en musique une excellente définition que nous reproduisons ci-dessous :

« Le style, c’est l’application en détail de l’idée d’ensemble. Une œuvre de style, par exemple en architecture, est une œuvre où chaque ornement, chaque pierre, pour ainsi dire, est marquée d’un sceau, ne pourrait pas appartenir à un autre édifice. Il en est de même en musique : ce qui fait si hideuses les compositions de M. Léoncavallo, par exemple, c’est que l’idée d’ensemble n’existe pas et que, par suite, il est superflu de la chercher dans les détails. Il y a un style italien, mon Dieu ! qui en vaut bien un autre : Il Trovatore peut déplaire à certains, mais du moins, il n’y a pas de dissonances choquantes, de ces heurts maladroits qui prouvent que le compositeur, au lieu d’écouter la grande voix unique de son inspiration, s’est adressé à droite, à gauche, un peu partout : d’où l’aspect hétérogène de son œuvre. En matière d’interprétation, il y a deux cas à considérer : ou bien l’on interprète une œuvre faite de pièces et morceaux, dénuée de style, où la pensée manque. Dans ce cas, il n’y a qu’une ressource : tirer de chaque partie, de chaque détail, en particulier, son maximum d’effets, sans se soucier de faire concourir ces effets de détail à un effet d’ensemble. C’est une maigre ressource, mais le plus grand génie ne pourra faire une œuvre d’art du personnage de Caravadossi. « Au contraire, si l’on interprète du Gluck, du Bach, ou du Wagner, il est essentiel que chaque détail, fût-ce un simple gruppetto, un simple apoggiature, soit traduit comme une partie intégrante de l’œuvre. Dans Gluck, par exemple, la déclamation lyrique, tout en demandant de la vie et de la chaleur, doit demeurer assez austère, assez digne dans la passion même pour que la ligne mélodique garde sa noblesse et se déroule non pas pompeusement, certes, mais avec un certain décorum… »

M. Arthur Pougin, le musicographe bien connu, dont les opinions très spéciales sur R. Wagner, en particulier, s’étalent dans les colonnes du Dictionnaire Larousse, a porté récemment sur l’Étranger ce jugement original :

« La partition de l’Étranger n’est autre chose qu’une vaste leçon d’harmonie, ou mieux un traité pratique de modulation qui dure près de deux heures, ce qui est peut-être excessif pour un exercice de ce genre dont le charme est un peu subtil. Par exemple, quand on a étudié ça on sait à quoi s’en tenir sur la manière de passer de tonalité en tonalité sans courir le risque de s’appesantir un instant sur une seule. Il n’y a pas dans ces deux cents pages de musique huit mesures, que dis-je ? il n’y a pas quatre mesures de suite qui soient dans le même ton. Quand on sort de là, on donnerait un billet de la Banque centrale de Monaco pour entendre le commencement de la cavatine de Figaro dans le Barbier de Séville. Songez donc ! quarante mesure en ut, sans même l’ombre d’un accord diminué ! C’est ça une joie !

« Quant à de l’inspiration, il y en a dans l’Étranger comme dans le creux de ma main. Des dièses, des bémols, des doubles dièses, des doubles bémols, des accords fantasques, des agrégations étranges, des cadences évitées, des enharmonies, tout ce que vous voudrez ; mais pour le reste, bernique ! Je me suis pourtant laissé dire qu’il y avait dans la partition des leitmotive. Je n’en crois pas un mot, car pour ça il faudrait qu’il y ait au moins des motifs, et dame… »

L’immortalité assurée aux critiques de Scudo sur Richard Wagner, nous la promettons sans crainte aux chroniques musicales de M. Arthur Pougin…