Revue Musicale de Lyon 1903-12-22/Bibliographie

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BIBLIOGRAPHIE

Hector Berlioz et la Société de son temps, par Julien Tiersot (librairie Hachette, 3 fr. 50).

Voici un livre qui paraît à son heure, puisque l’heure est à Berlioz et que le monde musical fête de toutes parts son glorieux centenaire. Mais quand l’heure sera passée, ce livre continuera de demeurer comme l’étude la plus sérieusement documentée et la plus pénétrante qu’on ait encore consacrée à l’illustre musicien.

On l’a dit : Berlioz n’était pas seulement un romantique ; c’était le romantique même. Avec son génie violemment individuel, sa sensibilité débordante, son amour audactieux de la couleur, son goût passionné pour les littératures étrangères et particulièrement pour la poésie de Shakespeare, il n’est pas seulement le contemporain des Hugo et des Delacroix ; il est, de tous les hommes de cette admirable génération, celui peut-être qui la représente et la résume le plus complètement.

Le premier mérite de M. Tiersot c’est de l’avoir compris et d’avoir replacé Berlioz dans le courant de la vie romantique, de nous l’avoir montré en relations avec les Vigny, les Dumas, les Balzac, les Georges Sand, et revivant lui-même tour à tour les passions de Faust et de Roméo, de Werther et d’Antony.

Mais, non moins qu’sa personne et son tempérament, l’art de Berlioz est étudié ici dans ses origines et dans son développement, puis exactement défini par ses affinités et ses contrastes. C’est ainsi qu’en nous transportant au pays de Berlioz, M. Tiersot nous révèle à la fois quelques-unes des plus touchantes intimités de sa vie et certaines origines lointaines, mais incontestables, de son inspiration musicale. En le rapprochant ailleurs des musiciens de son temps, ou en opposant son œuvre à la leur, il nous fait saisir, avec une précision qui ne sera pas dépassée, les traits essentiels et caractéristiques du génie de Berlioz : en particulier la ques- tion des relations effectives de Berlioz avec Wagner, et des différences foncières par lesquelles, en dépit de leurs tendances également révolutionnaires, ils se distinguent radicalement l’un de l’autre, peut être considérée dès maintenant comme définitivement étudiée.

Au reste, il n’est pas un musicien, pas un amateur éclairé qui ne connaisse les excellents travaux de M. Tiersot sur l’histoire de la musique française. On retrouvera dans son nouveau livre ses mérites ordinaires, la sûreté de sa méthode, l’exactitude du jugement critique ; mais on sera, d’autre part, séduit, sans nul doute, par un certain ton de sympathie chaleureuse, qui achève d’assurer à l’ouvrage son caractère de vivante originalité.