Revue des Romans/Étienne Pivert de Senancour

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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SÉNANCOURT (Étienne-Pierre de), né à Paris en 1770.


OBERMANN, 2 vol. in-8, 1804. — Nouvelle édition augmentée d’un supplément, avec une préface, par M. Sainte-Beuve, 2 vol. in-8, 1833. — On pouvait croire qu’en fait de tristesse on n’irait pas plus loin que Werther, Young, Childe-Harold : Obermann a reculé cette limite. Obermann, ce livre qui n’aboutit à rien, qui soulève toutes les questions, qui touche à toutes les solutions, pour les rejeter ensuite avec dégoût ; ce sentier tortueux qui ne conduit ni aux champs, ni à la ville, qui ne suit aucune direction connue, qui n’a ni fin ni point d’arrêt, qui passe à travers tout et qui n’arrive à rien ; ce livre malade, découragé, chancelant, n’est ni une théorie, ni un système, ni un roman, ni une peinture de mœurs ; c’est une étude psychologique très-curieuse, l’autopsie d’une âme malade, exécutée par une pensée subtile, pénétrante, attentive, reproduite dans un style plein de charmes, de clarté, de grandeur et de douceur éloquente ; c’est enfin le type de la philosophie pleureuse et vide qui, après avoir eu quelques instants de vogue éphémère, n’a pu réussir à s’implanter parmi nous. Si les faits n’étaient là pour le démontrer, nous n’en voudrions pour preuves que le sort d’Obermann, écrit il y a près de quarante ans, qui a traversé le Directoire, l’Empire et la Restauration, sans laisser aucune trace de son passage. Tout au plus quelques auteurs, qui ont voué un culte spécial à la tristesse, connaissaient son existence et allaient y puiser des épigraphes ; aussi, lors de la réapparition d’Obermann, le nom de M. de Sénancourt et de son livre n’auraient pas retenti dans le monde littéraire avec tant d’éclat, si un critique distingué, M. de Sainte-Beuve, chez qui la mélancolie a une onction pleine de charme, n’avait eu la fantaisie d’en opérer la résurrection.

ISABELLE, in-8, 1833. — Isabelle est le pendant d’Obermann ; c’est une femme qui cherche la solitude et qui est victime de cette courageuse présomption qui se croit assez forte pour espérer de vivre de l’idée par l’idée ; elle éprouve une passion que des circonstances à demi indiquées et sa propre volonté rendent malheureuse : elle se regarde, elle s’étudie souffrir avec une résignation un peu surnaturelle ; ses douleurs sont psychologiquement notées par années et sous la forme épistolaire. Nous ne ferons pas ici l’analyse détaillée d’Isabelle ; nous renvoyons le lecteur au livre lui-même ; nous dirons seulement que les événements en sont simples ; et certes il y a de l’audace à se présenter au public avec cette simplicité, dans un temps où les livres sont hérissés d’incidents romanesques, bizarres, faux, écrits dans un style qui hurle au lieu d’exprimer.

Nous connaissons encore de cet auteur : Rêveries sur la nature primitive de l’homme, etc., in-8, 1798-99.