Revue des Romans/Louis-Philippe-Antoine-Charles, comte de Ségur

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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SÉGUR (Louis-Philippe, comte de),
né à Paris le 11 décembre 1753, mort le 27 août 1832.


MÉMOIRES OU SOUVENIRS ET ANECDOTES, 3 vol. in-8, 1824 ; 3e édit. 3 vol. in-8, 1827. — Monsieur le comte de Ségur a fondé sa réputation littéraire sur des ouvrages plus importants, mais il est douteux qu’il ait jamais rien écrit de plus agréable que ses Mémoires. La curiosité du lecteur sera vivement excitée quand on saura que le hasard a voulu qu’il fût successivement colonel, officier général, voyageur, navigateur, courtisan, fils de ministre, ambassadeur, négociateur, prisonnier, cultivateur, soldat, électeur, poëte, auteur dramatique, collaborateur de journaux, publiciste, historien, député, conseiller d’État, sénateur, académicien et pair de France ; et qu’il a été en relation avec toutes les personnes marquantes de la cour de Louis XV et de Louis XVI, qu’il a connu sous des rapports d’affaires et de société Catherine II, Frédéric le Grand, Joseph II, Gustave III, Washington, Kosciusko, la Fayette, Nassau, Mirabeau, Napoléon, ainsi que les chefs des partis aristocratiques et démocratiques, et les plus illustres écrivains de son temps. — Dans l’impossibilité où nous sommes de donner une analyse même succincte de ces curieux Mémoires, nous nous bornerons à la citation suivante, concernant les funérailles de Louis le Grand.

« Jamais spectacle ne fut plus indigne de son objet, ou plutôt n’en fut une profanation plus révoltante : ce monarque fut inhumé au milieu des cris d’une insolente allégresse… cette pompe fut mal ordonnée, mal conduite… Le corps de Louis XIV fut porté à Saint-Denis, et son cœur fut déposé dans l’église des Jésuites, suivant ses dernières volontés. L’affluence fut prodigieuse sur le passage du convoi ; le peuple, comme la cour, s’était rangé du parti du duc d’Orléans, et se faisait une vive image des plaisirs qui allaient succéder aux malheurs et à la sombre sévérité de la vieillesse de Louis XIV. Dix années de souffrances et de contrainte étaient tout ce qu’il se rappelait du règne le plus brillant de la monarchie. Jamais un passé plus glorieux n’excita moins de souvenirs… Le nom du père le Tellier était chargé de malédictions. On se répandit dans les guinguettes établies sur le chemin de Saint-Denis, on buvait, on chantait, on se livrait à des transports indécents, tels qu’on les eût à peine permis un jour destiné à l’allégresse. Des vaudevilles licencieux volaient de bouche en bouche ; le nom de Louis et de Mme  de Maintenon y étaient souillés d’opprobre. Partout où s’avançait le char funèbre, on entendait redoubler les cris et les chants de cette grossière ivresse. Les restes de Louis XIV, insultés en 1715, furent exhumés en 1793 avec tous ceux de nos rois. La monarchie avait déjà reçu quelque atteinte le jour où le deuil d’un tel monarque fut profané. »