Revue des Romans/Alexandre Furcy Guesdon

La bibliothèque libre.
Revue des Romans (tomes 1 et 2)
(p. 310-318).
◄  I. 046
II 268  ►

GUESDON (Furcy),
petit-fils de Préville, né à Paris, en 1782, littérateur plus connu par le pseudonyme de Mortonval, qu’il a adopté depuis 1825.


LE COMTE DE VILLAMAYOR, ou l’Espagne sous Charles IV, 5 vol. in-12, 1825. — Une femme belle et pauvre, d’une origine illustre, avait secrètement épousé don Sébastien, fils du comte de Villamayor. La liberté, la vie peut-être du jeune couple et de leurs deux enfants, tenait au secret de cette union. Il ne fut pas violé ; dona Isabel se dévoua d’elle-même à l’opprobre, contente d’acheter, au prix de sa gloire, la sûreté de tout ce qui lui était cher. Sur ces entrefaites, don Sébastien part pour le Mexique. En son absence, le jeune Mariano, son fils, provoqué par des outrages, tue son ennemi et disparaît. Don Sébastien ne survécut pas à cette nouvelle, et sa veuve, indigente, sans amis, seule avec son Éléna, traverse de nouveau les mers pour venir dans un village obscur cacher son nom et ses malheurs. Sa fille, modèle de grâce et de beauté, inspire une vive passion au comte Fernando de Mansilla, qui propose en vain à la jeune inconnue un mariage secret, auquel résiste dona Isabel. Séduit par sa passion et par les conseils de l’intrigant Pérès, le jeune Fernando se décide à faire enlever Éléna. Ce Pérès n’était pas seulement un agent d’intrigues, c’était un propagateur du libéralisme, sous les ordres de Pépillo, qui avait choisi cette occasion pour l’exécution d’une de ses entreprises les plus hardies, que le hasard renversa. Pérès fut arrêté avec Pépillo, avec Fernando même, et enfermé dans la prison du village où se trouvait l’habitation de dona Isabel. Comme on allait procéder à l’interrogatoire de Pérès, un hasard heureux fit tomber entre ses mains les titres qui constataient la naissance du fils d’Isabel ; il ne lui fut pas difficile de persuader à celle-ci, alors âgée et crédule, qu’il était son fils ; mais la scène se passait en présence d’un témoin en apparence impassible, et qui pourtant était le plus tourmenté de tous. Ce témoin est le véritable Mariano, connu sous le nom de don Mathias, et investi de la dignité de corrégidor. Il reconnaît sa mère et n’ose l’avouer ; il voit un intrigant lui voler son nom, et n’ose le démasquer ; tout réussit donc en apparence à Pérès ; mais les jeunes sœurs de la victime de Mariano ayant imploré justice contre le meurtrier de leur frère, Pérès se trouve pris dans ses propres filets : s’il persiste dans sa fraude, il est dévoué à la mort comme assassin, et à la peine des faussaires s’il confesse qu’il n’est point le comte de Villamayor. Enfin, la vérité se manifeste ; Villamayor reprend ses droits ; Pérès est envoyé aux présides, et Fernando épouse Éléna.

LE TARTUFE MODERNE, 3 vol. in-12, 1825. — Le but que l’auteur s’est proposé dans ce roman a été évidemment de dévoiler les ruses et les projets des jésuites. Il a peint surtout avec talent un certain abbé Laurent, émissaire secret de Rome ou de Montrouge, qui brouille une honnête famille, empêche un mariage assorti, met obstacle à tout le bien que veut faire un riche protestant dans le pays qu’il habite, expulse un excellent curé de la paroisse qu’il édifiait par ses vertus ; et tout cela, pour faire restituer à l’Église un bien légalement aliéné. Le personnage qui contraste le plus avec l’abbé Laurent, est une vieille et sévère janséniste, qui cite à tout propos saint Augustin, mais qui est juste et charitable ; la scène dans laquelle elle dispute avec l’abbé Laurent sur la grâce, est extrêmement piquante. Parmi les personnages secondaires, dont les caractères sont assez bien tracés et soutenus, on remarque celui d’un chevalier et d’une comtesse de l’ancien régime, qui ont conservé, après trente années de révolution, toute la légèreté, toute l’insouciance et tous les vices de leur temps. Le portrait d’un jeune homme qui, né bon et sensible, devient un monstre d’ingratitude, est aussi tracé de main de maître : il avait été formé, séduit par l’abbé Laurent ; c’était un jésuite de robe courte. Le caractère de l’abbé Laurent passe pour avoir été tracé d’après celui d’un fonctionnaire public, bien connu en France par son intolérance, son dévouement à la cour de Rome et à la congrégation. — Le Tartufe moderne est le livre d’un homme de bien, qui a en horreur l’hypocrisie. On y trouve, en assez grand nombre, des maximes qui ne dépareraient pas un ouvrage politique ; celle-ci, par exemple : « Remarquez que, dans un pays où triomphent les principes de ces hommes avides et ambitieux (les jésuites), c’est-à-dire, là où l’élément sacerdotal domine dans l’action du pouvoir, là aussi se trouve, sous un gouvernement despotique, la plus grande somme des maux de l’humanité. La proposition contraire est également vraie ; en sorte qu’on peut dire, en forme d’adage politique, que le bonheur des gouvernés est en raison inverse de l’influence du sacerdoce dans les gouvernements. »

FRAY EUGÉNIO ou l’Auto-da-fé de 1680, 4 vol. in-12, 1826. — Fray Eugénio est moins un roman que l’histoire véridique de l’auto-da-fé de 1680. La scène se passe en Espagne, et commence au moment où, dans toute l’innocence de son âge, et avec tant de regrets, arrive à Madrid la nièce de Louis XIV. L’auto-da-fé de 1680, qui présente cent vingt victimes, qui dura dix heures, et auquel elle fut obligée d’assister, fut la plus belle des fêtes données à l’occasion de son mariage avec Charles II. Dans le roman, où il s’agit pour l’héroïne d’être brûlée vive ou d’épouser son amant, d’être duchesse et l’amie toujours chérie de la jeune reine, l’auteur a trouvé le moyen de faire passer les événements à travers toutes les classes, et par conséquent de montrer les mœurs dominantes dans une foule de personnages qui ont tous un caractère particulier, quoique tous portent l’empreinte de préjugés nationaux. Un seul se distingue par un esprit supérieur, par les services qu’il rend à son pays ; il est abattu. Il se relève sous un autre nom, avec la même activité, la même force de conception ; mais comme rien n’est plus rare que de se faire deux fois une grande existence politique, le roman finit en laissant son avenir incertain. Parmi les autres personnages, on distingue aussi une vieille femme dégradée par la misère, dont l’esprit est égaré, qui se croit franchement sorcière, et dont toutes les actions inspirent un intérêt qui va quelquefois jusqu’à l’émotion.

Ce roman ne contient aucune scène marquante, même parmi les plus effroyables, dont l’authenticité ne soit depuis longtemps hors de doute et de discussion. Tous les faits ont été puisés aux sources les plus respectables, notamment dans la correspondance des ambassadeurs, et dans l’ouvrage de José del Olmo, familier du saint-office, intendant des bâtiments du roi, architecte choisi pour ordonner toutes les pompes de l’auto-da-fé de 1680, et historien de cette cérémonie. L’auteur du roman n’a donc rien inventé, et ce qui révolte avec raison les mœurs du dix-neuvième siècle, est positivement ce que le dix-septième présentait à l’admiration de la postérité. Nous avons, en France, un idée fort incomplète de ce qu’on appelle un auto-da-fé et de l’effet qu’il peut produire sur les peuples. Il est impossible de se figurer une cérémonie plus magnifique : la cour en représentation ; le trône du grand inquisiteur élevé de quarante pieds au-dessus de la place qu’occupe le roi ; toutes les corporations en mouvement ; une variété infinie de costumes ; les plus grands seigneurs étalant un luxe ruineux ; la procession des hérétiques ; de grands mannequins représentant d’une manière bizarre ceux qui sont morts dans l’inquisition, et portant eux-mêmes leurs os desséchés avec des bras postiches ; vingt incidents mêlés au spectacle principal, et tenant sans cesse la curiosité en éveil ; enfin, la nécessité pour tous les spectateurs de sourire pour ne pas être suspects, forment certainement un tableau auquel nul autre ne peut être comparé, et qui fait regretter, pour l’enseignement de notre génération, de ne pas avoir une traduction complète de l’ouvrage de José del Olmo.

LA DAME DE SAINT-BRIS, 2 vol. in-12, 1828. — Cet ouvrage est la première partie d’une sorte de trilogie sur les événements les moins connus du temps de la Ligue, et qui sont restés comme ensevelis dans le livre peu lu de Pasquier, intitulé des Recherches de la France. Le vieux et naïf auteur s’étonne que les historiens de cette guerre civile n’aient presque point parlé des conférences de Catherine de Médicis avec le roi de Navarre au château de Saint-Bris sur les bords de la Charente. Pasquier en rapporte des particularités pleines d’intérêt. Il s’agissait pour Catherine de conquérir son gendre Henri de Navarre à la cause royale. Aussi, connaissant le faible de ce prince vert-galant, la reine mère avait-elle amené à Saint-Bris cette multitude de jeunes et belles filles, qu’elle appelait son escadron volant ; elle s’était fait suivre aussi d’un cortége de décorateurs et de musiciens italiens, et de tout l’attirail d’un théâtre. Ses filles d’honneur jouaient la comédie et dansaient des ballets. Toutes ces séductions furent infructueuses sur l’esprit de Henri, épris des charmes de la dame de Saint-Bris, dont le château avait été choisi par Catherine pour le lieu de ces conférences, qui demeurèrent sans résultats politiques. Les dialogues entre la reine mère et Henri sont racontés en détail par Pasquier. Le roman en a fait son profit ; ils donnent à son œuvre une grande couleur de vérité, qui se reflète avec bonheur sur les autres parties du drame fruit de son invention.

LE FILS DU MEUNIER (première partie, le Siége de Rouen), 4 vol. in-12, 1828. — C’est encore dans l’ouvrage de Pasquier que l’auteur a puisé les scènes principales de ce roman historique, qui fait suite au précédent. L’institution si bizarre du jugement de la gargouille, laquelle ne fut abolie que par la révolution de 1789, et dont Pasquier raconte plaisamment les détails très-sérieux, a suggéré au romancier l’idée d’un roman neuf et attachant. Une partie des acteurs qui figurent dans la Dame de Saint-Bris, reparaissent dans le Siége de Rouen : on sait que Henri IV, déjà roi, échoua dans l’entreprise qu’il tenta pour s’emparer de cette ville, afin de préparer son entrée à Paris. Certains passages de ce roman annoncent un esprit fort original, plein de grâce et d’énergie, toutes les fois que l’auteur prend librement son essor. Nous citerons, parmi les chapitres du siége de Rouen qui nous ont paru porter plus évidemment le cachet du talent, ceux intitulés : les Portraits de famille, la Lettre, la Délivrance, etc.

LE FILS DU MEUNIER (deuxième partie, le Siége de Paris), 5 vol. in-12, 1828. — Cette fois l’auteur s’est inspiré de la satire Ménippée, et de cette foule d’écrits furibonds de la Ligue en délire, que les porte-paniers du palais colportaient dans Paris, assiégé par les troupes royales. Le journal de l’Étoile, et une foule d’autres livres de la même époque, ont aussi fourni au romancier des traits de mœurs qui l’ont puissamment aidé à la peindre avec vérité. L’histoire du Fils du Meunier se poursuit et s’achève dans cette dernière partie de la trilogie.

MAURICE PIERRET, 5 vol. in-12, 1830. — Sous le règne de la terreur, une jeune fille noble, dont les parents sont morts sur l’échafaud, habite seule le manoir paternel, vieux château dans lequel les jacobins de la ville voisine mettent une garnison de l’armée révolutionnaire. Elle est contrainte par la violence d’épouser un homme du peuple, Maurice Pierret. Elle est à peine sortie de l’enfance, laide, gauche, habillée comme sa grand’mère. Elle a horreur de Maurice, petit rustre de dix-sept ans, hideux, grossier, qui la déteste. Toutefois elle s’opiniâtre, avant d’aller à la municipalité, à être mariée par un prêtre, vieillard que l’on cache dans une retraite inaccessible du château. À peine mariés, les jeunes époux réclament tous deux le divorce, et se fuient à leur grande joie réciproque. Des années s’écoulent ; Maurice devient un avocat célèbre, un homme très-aimable et fort beau. La jeune fille est devenue une femme charmante et parfaite. Ils se revoient au moment où les parents de Pauline veulent la marier à un gentilhomme ; mais quoique divorcée, pieuse, elle ne peut oublier qu’un prêtre a béni sa première union. Maurice s’est épris d’une vive passion pour sa femme ; elle l’aime aussi ; mais une foule d’obstacles s’opposent à leur réunion : une circonstance tout à fait imprévue l’opère sans effort au moment où, prêts à se séparer une seconde fois, ils se faisaient d’éternels adieux.

DON MARTIN GIL, histoire du temps de Pierre le Cruel, 2 vol. in-8, 1831. — Le sujet de ce roman, puisé dans les chroniques castillanes, remonte aux temps si pittoresques, si rudes, si animés, de Pierre le Cruel et de Blanche de Bourbon, deux figures où contrastent avec tant d’éclat tout ce que la force a d’énergie et de cruauté, tout ce que la jeunesse a de grâce et de poésie. Mouvements et cris de passions, splendeur sauvage de la monarchie espagnole, descriptions locales d’une vérité à la Walter Scott, forme et couleurs, tout dans l’ouvrage de M. de Mortonval décèle le romancier qui sait peindre ce qu’il voit, et qui voit ce qu’il pense. — Martin Gil, c’est l’ami d’enfance de Pierre le Cruel, que celui-ci éloigne lorsqu’il monte sur le trône. Maria de Padilla devient la maîtresse du jeune exilé avant de passer dans les bras du vertueux monarque, et ce n’est que pour se venger de l’infidélité de son amant qu’elle consent à jouer en apparence seulement le rôle de royale courtisane. Lorsque Blanche de Bourbon devient l’épouse du monarque espagnol, la famille de Maria, dont le roi est éperdument épris, emploie la calomnie et la trahison pour se défaire de Blanche, qui est accusée d’un criminel amour pour son beau-frère, et meurt empoisonnée dans sa prison. Martin Gil, échappé aux périls de la vie des cours, oublie son premier attachement pour la belle Maria, et trouve le bonheur dans une paisible retraite auprès de la simple et bonne Margarida, sa cousine.

LE CAPUCIN DU MARAIS, 4 vol. in-12, 1833. — Pendant l’hiver de 1750, un bourgeois de Paris reçoit une lettre anonyme par laquelle on le somme de déposer, la nuit, de l’or au pied d’un arbre de l’avenue du Cours-la-Reine ; s’il n’obéit pas à cette injonction, il sera tué. Le bourgeois porte cette lettre au lieutenant criminel, qui l’engage à déposer la somme à l’endroit indiqué. La police est aux aguets ; on saisit un homme au moment où il se baisse comme pour ramasser l’or du bourgeois. Le procès s’instruit au Châtelet ; l’accusé proteste de son innocence ; on va l’appliquer à la torture, il avoue le crime. On le condamne au supplice de la roue. Le lieutenant criminel doute encore de la justice de son sanguinaire arrêt. D’une fenêtre de l’hôtel de ville, il assiste à l’exécution ; il attend qu’au moment d’être livré aux bourreaux, le criminel ait fait une dernière confession au prêtre qui l’assiste. Alors, il fait tout suspendre et ordonne qu’on lui amène le confesseur. Seul avec lui, le juge se prosterne aux pieds du prêtre, et le conjure, au nom du ciel, de lui dire si cet homme, prêt à paraître devant Dieu, persiste à nier son crime. Le confesseur, plus pâle, plus troublé que le patient lui-même, tombe comme foudroyé sur un siége, sans mouvement et sans voix ; le juge embrasse ses genoux, il le presse et obtient enfin l’aveu désiré… Le condamné est innocent. C’est le confesseur lui-même qui a commis le crime qu’un autre allait expier sur l’échafaud. L’histoire de ce jeune prêtre, plus malheureux encore que coupable, et racontée par le lieutenant criminel, est le sujet du roman dont le récit précédent n’est que l’exposition. — Le Capucin du Marais est un roman de l’école de l’abbé Prévost, plus près du drame que de la comédie, pour ce qui est de la peinture des passions ; moins attrayant par la combinaison des incidents que par le naturel du récit, mais non sans artifice toutefois dans le laisser-aller des digressions et du style ; simplicité bien rare aujourd’hui, où l’on est forcé de rappeler chaque jour aux auteurs ampoulés ou maniérés : « qu’il ne faut pas d’imagination pour s’abuser, pour mentir, pour être extraordinaire ; mais qu’il en faut beaucoup pour être naturel et vrai, même alors qu’on invente. » M. de Mortonval a médité ce axiome-là, nous en sommes sûrs. Aussi, en lisant son exposition, on croirait qu’il reproduit un extrait d’une cause célèbre ; ce n’est qu’après réflexion que l’on reconnaît un art exquis dans cette simplicité, qui enchaîne l’attention et la curiosité à tel point qu’on appartient corps et âme à l’auteur pendant tout le reste de l’ouvrage.

MON AMI NORBERT, in-8, 1834. — Mon ami Norbert est un personnage fortement empreint d’actualité ; son affaire à lui, c’est de faire fortune ; son but unique, c’est de parcourir l’échelle sociale, degré par degré : parti du plus bas, il arrive au plus haut, sans dévier, sans retomber jamais : en sa personne il résume tout l’industrialisme moderne. Un jour, trouvé sur la grande route, au milieu d’une troupe de mendiants, il sollicite la grâce de s’asseoir derrière une voiture jusqu’à la ville prochaine, et accepte sans rougir l’aumône d’un écu. Arrivé dans la ville, il commence par y manger du pain sec, buvant dans le creux de la main l’eau des fontaines, et dormant sous l’auvent des boutiques ; puis, entrevoyant le moyen de commencer un petit commerce, il emprunte un louis d’or et réalise des bénéfices immenses par rapport à son capital : il triple son emprunt, et ses bénéfices croissent en proportion. Bientôt il obtient chez un négociant une place modeste, dont la variété de ses talents et la justesse de son coup d’œil font une place importante. Bref, de station en station, Norbert finit par apercevoir son but ; alors il conçoit un coup décisif, périlleux, mais brillant ; il le tente, il réussit, et prouve qu’avec du bon sens, de l’activité et de la persévérance, on peut arriver à la fortune. Mais pour suivre l’exemple de Norbert, il faut subordonner toutes les passions à une seule idée, et combien peu d’hommes possèdent cette faculté. Voyez, autour de Norbert, seul, ferme, inébranlable comme le chêne, que de faibles roseaux le vent des passions agite et plie ! Autour de lui l’amour brûle et dévore, la jalousie égare, la calomnie flétrit ! Seul, réfugié dans l’idée de sa fortune à faire, il échappe aux douleurs dont tous les autres sont atteints, et tandis qu’il s’enrichit par son intelligence, un autre se ruine par ses folies : en face de l’édifice, si humble à son origine, qu’il bâtit de ses mains, un édifice éclatant, somptueux, s’écroule tout à coup et tombe en poussière ! Tel est le mouvement du monde, que reproduit avec fidélité le livre de M. Mortonval.

LE SECRET D’ÉTAT, in-8, 1836. — Au milieu de la nuit du mardi gras, par une pluie battante, un fiacre verse dans une rue étroite et fangeuse ; on en retire deux femmes en dominos et masquées. Une des voisines accourue avec des flambeaux se prend de pitié pour ces pauvres femmes meurtries, évanouies ; elle les fait porter chez elle. Un chirurgien est appelé, il saigne une des blessées ; sa compagne apprend au docteur qu’il vient de donner des soins à la jeune marquise de Castelnéro. Seul avec la marquise, le chirurgien lui apprend qu’un malheureux hasard l’a conduite dans une maison de prostitution. La marquise était sortie de son hôtel à l’insu de son mari, jaloux jusqu’à la frénésie, et de sa belle-mère, femme austère et orgueilleuse dont elle est l’esclave. Quoique sa démarche secrète n’eût point de but coupable, elle s’épouvante à l’idée qu’une indiscrétion peut en révéler le mystère. Elle recommande le secret au chirurgien seulement à l’égard de sa compagne, Mlle Céleste. Par malheur cette jeune fille, d’une beauté remarquable, a été vue démasquée dans ce lieu infâme, par un jeune homme qui raconte cette circonstance à celui qui peu de temps après allait épouser Céleste. Le mariage est rompu, Céleste est déshonorée. Il faut que la marquise, pour justifier Céleste, avoue que c’est elle-même qui, bien qu’innocemment, a conduit la jeune fille dans cette maison abominable. Dans son embarras, elle s’adresse à sa belle-mère, laquelle, connaissant le caractère violent de son fils, et trop certaine que cet aveu entraînerait des conséquences funestes, déclare que c’est elle-même qu’on a vue masquée avec Céleste, dans un lieu infâme où la chute de sa voiture l’a contrainte à chercher un asile. Quant au motif de son excursion nocturne, dans un fiacre, et en costume de bal, sans aucune suite, elle, si grande dame, si fière et si dévote, il lui faut un moyen de s’expliquer d’une manière satisfaisante : elle le trouve en mettant en jeu l’orgueil et l’intérêt de son ami le prince de Massérano, ambassadeur d’Espagne. Par la crainte de la révélation d’un fait qui le couvrirait de ridicule aux yeux de l’Europe et le perdrait à Madrid, elle le contraint à déclarer que la démarche mystérieuse de la vieille marquise est un secret d’État qu’elle n’a pas le droit de dévoiler. Ainsi Céleste est justifiée, et la jeune marquise échappe aux dangers qui la menaçaient.

CHARLES DE NAVARRE, 2 vol. in-8, 1836. — Gaston Phœbus, comte de Foix, venait de sanctionner la paix avec les Armagnacs, par le mariage de son fils Yvain avec Béatrix d’Armagnac. Charles de Navarre, qui avait longtemps compté sur un mariage entre sa fille et le jeune comte de Foix, attira près de lui Yvain et sa jeune épouse, sous le prétexte de venir rendre hommage à sa mère, femme de Gaston Phœbus, qui s’était retirée près de lui après l’assassinat par Phœbus, de Pierre de Béarn. Yvain désirait ardemment une réconciliation entre son père et sa mère ; Charles de Navarre profita de ce désir et de la naïve simplicité d’Yvain, auquel il remit un petit sachet plein d’une poudre miraculeuse qui devait ramener son père à de meilleurs sentiments dès qu’il en aurait goûté. Yvain se chargea de mêler cette poudre aux aliments de son père ; mais au moment où il exécutait ce dessein, un page le dénonça, et Phœbus fut sauvé, car la soi-disant poudre miraculeuse était un violent poison. Le comte de Foix, croyant que son fils avait tramé avec sa mère un complot contre ses jours, s’abandonna aux transports de sa fureur, et dans un accès de frénésie il tua Yvain. Trop tard désabusé, il mourut de désespoir, après avoir déjoué les coupables intrigues de Charles de Navarre, qui expia par sa mort les crimes de sa vie ; le feu prit à son lit, et il fut presque entièrement consumé avant qu’on pût le secourir. — Le comte Gaston Phœbus, tel que le représente l’auteur, est le type fidèlement reproduit de ces hauts et puissants seigneurs, exerçant un pouvoir souverain, étalant un faste royal, superbes et cruels, se livrant sans retenue à la fougue de leurs passions, et faisant tout plier sous leur main de fer. La féodalité du XIVe siècle apparaît armée de toutes pièces dans le château de Coarase : le souverain, le feudataire, les prêtres, le chevalier, le vassal, l’écuyer, le page, la chasse, la guerre, l’amour, tout s’agite, se pose, parle selon les mœurs et les lois de l’époque, dans ce roman plein de charme et d’intérêt, dans cette histoire puisée aux bonnes sources, formulée avec une élégante et précieuse concision.