Revue des Romans/Jacques Cazotte

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839


CAZOTTE (Jacques),
né à Dijon en 1720, mort sur l’échafaud révolutionnaire le 25 sept. 1792.


LE DIABLE AMOUREUX, nouvelle espagnole, in-8, 1772. Cette édition est rare et recherchée à cause des figures grotesques et d’une préface, qui est une satire du luxe de gravures dont on ornait souvent alors des écrits forts médiocres. — Dans ce roman, le bon Cazotte semble ne vouloir raconter qu’un long rêve ; mais ce rêve est plein d’agrément. Du fond, d’abord très-sombre, puisqu’il s’agit de magie noire et d’évocations diaboliques, qui se produisent primitivement sous l’aspect le plus repoussant et le plus terrible, ressortent des couleurs vives, fraîches et brillantes. Le lecteur, qui ne s’attendait qu’aux idées sombres et lugubres d’un sujet qui le met en rapport avec les puissances infernales, et dont Béelzébuth est le héros, ou tout au plus aux idées grotesques que peuvent faire naître la passion et les transports d’un diable amoureux, est intéressé par un amour tendre et délicat. Il n’y a point d’héroïne de roman plus jolie, plus sensible, plus touchante et plus séduisante que Biondetta ; à tout l’esprit, à toutes les grâces, à tous les talents d’une femme charmante, à toute la puissance de la beauté, à tous les moyens de séduction d’une femme tendre et passionnée, elle joint les prestiges d’un ordre surnaturel, renverse les obstacles, rapproche les distances, fait naître les occasions à volonté, et profite de tout avec une grande dextérité. Le dénoûment est vague, et aussi vaporeux que tout l’ouvrage ; l’auteur, qui n’en était pas trop content lui-même, y est revenu à deux fois ; mais la seconde fois il n’a fait que l’allonger sans le rendre meilleur : peut-être même préférerait-on le premier. Puisqu’il est bien décidé que cette séduisante Biondetta n’est autre chose que Béelzébuth, on aimerait mieux que son triomphe sur Alvarez ne fût pas aussi complet ; or, dans le second dénoûment, il est aussi complet que possible.

LE LORD IMPROMPTU, nouvelle romanesque, in-8, 1771. — Cet ouvrage a été traduit en français sous le titre de Lismor, ou le Château de Clostern, 2 vol. in-12, 1800. — Richard, le héros de ce roman, est un si joli garçon qu’il passe au besoin pour une très-jolie fille, et inspire aussi aux deux sexes les plus vives passions. Mais la fortune l’a traité beaucoup moins bien que la nature : né de parents inconnus, ayant perdu une protectrice qui lui en tenait lieu, il est obligé de se faire laquais, et de cacher sous une livrée tous les beaux dons de la nature, et la brillante culture de son esprit, orné de mille connaissances et de mille talents divers. Richard devient amoureux de la maîtresse qu’il sert, jeune personne bien élevée, d’une famille distinguée, qui ne tarde pas à partager l’amour qu’elle inspire. De cet amour, fort contrarié comme on le pense bien, naissent des situations intéressantes. Richard, poursuivi par le père irrité de sa jeune maîtresse, est protégé par un être singulier, qu’il prend d’abord pour une bohémienne, ensuite pour un capitaine de hussards, puis pour sa mère, puis pour son père, puis pour sa tante, et qui joue fort bien tous ces rôles, mais celui de capitaine de hussards mieux que tous les autres. C’est cependant la mère de Richard ; séduite dans sa jeunesse par un Irlandais qui l’abandonne, elle le poursuit, et quoique grosse de quatre mois, elle l’attaque l’épée à la main pour le mettre à la raison, et le tue pour l’engager à l’épouser, ce qu’il fait d’assez bonne grâce un quart d’heure avant sa mort. — De toutes les productions de Cazotte, le Lord impromptu est celle qu’on relit avec le plus de plaisir ; aussi originale que les autres productions du même écrivain, elle a de plus le mérite d’expliquer par des procédés naturels tout le mystérieux et l’extraordinaire des situations qu’il y a rassemblées ; la curiosité y est constamment irritée, l’intérêt y domine sans cesse, sans que l’un et l’autre soient achetés au prix du bon sens et de la vraisemblance. Le dénoûment donne à Richard un pair d’Angleterre pour oncle, une lady pour mère, une fortune immense pour héritage, et son amante Dorothée pour femme. La métamorphose se fait en un moment ; la surprise est complète, et pourtant rien n’est forcé ; le récit de la mère de Richard met le lecteur au fait, en montrant les ressorts bien simples qui ont fait tout mouvoir ; ce récit a encore un autre mérite, celui de nous attacher singulièrement à la destinée d’une famille où l’on trouve des caractères très-originaux, mais des vertus peu communes. C’est là que Cazotte a déployé toute sa bonté d’âme sans cacher ce qu’il avait de raison. Tour à tour on est attendri, étonné, ravi ; et l’effet le plus honorable de cette production, c’est de laisser le lecteur avec un sentiment d’estime pour l’auteur qui a mis en scène de si bonnes gens, en inventant des incidents si agréablement combinés.

OLLIVIER, roman poétique en XII chants, 2 vol. in-18, 1762. — Le fond de ce conte n’est pas neuf, la morale y est un peu blessée ; mais l’auteur a su rajeunir avec tant d’art une vieille histoire des Mille et une Nuits, qu’il se l’est appropriée ; et l’intérêt dont il couvre sa fable rend le lecteur si indulgent pour ses héros, qu’au lieu de condamner leurs petites erreurs, il prend, sans y penser, le parti de les trouver charmantes. Il est bien vrai qu’elles le sont. Le jeune page, le plus doux, le plus honnête, le plus spirituel, le plus tendre des pages ; cette jeune princesse, la plus belle, la plus naïve, la plus sincère des princesses, sont deux amants comme on n’en voit point, ou du moins comme on n’en voit plus. La faute qu’ils commettent par étourderie, les persécutions qui en résultent pour eux, la fuite précipitée d’Ollivier, emportant avec lui le fruit d’un moment de faiblesse qu’il veut cacher à tout le monde et qu’il est forcé d’abandonner sur les grands chemins ; l’emprisonnement d’Agnès, livrée à la fureur de sa belle-mère, la comtesse de Tours, femme violente et vindicative, dont elle a refusé d’épouser le fils, parce qu’il est laid et méchant, pour écouter Ollivier, qui a une jolie figure et un très-bon cœur ; les événements multipliés qui font courir le monde aux principaux personnages de cette action moitié héroïque, moitié comique ; les épisodes ingénieux que l’auteur a semés dans l’ouvrage et qui réveillent à chaque instant l’attention ; les prouesses du page devenu chevalier ; les services éminents qu’il rend au père de sa maîtresse ; la colère obstinée de celui-ci qui, reconnaissant toujours dans son libérateur le séducteur de sa fille, le repousse toujours avec indignation, après l’avoir accueilli avec enthousiasme ; enfin, le dernier prodige de valeur, qui triomphe des ressentiments du comte, dont Ollivier délivre inopinément les États ; tout cela, embelli d’un style léger, piquant, original, offre une composition dont les irrégularités ont un charme inexprimable. Au dénoûment, la vaillance d’Ollivier est récompensée par une bonne souveraineté, son amour, par la main de celle qu’il aime, et la tendresse des deux amants par le retour de leur enfant, qui leur est rendu comme par miracle. — La partie comique n’est pas la moins agréable de l’ouvrage. Il est impossible au philosophe le plus grave de ne pas se dérider aux aventures de Strigilline, cette fée emplumée qui attire dans un piége le spirituel Enguerraud, qui le met en cage, et lui joue mille tours plaisants.

L’HONNEUR PERDU ET RETROUVÉ, nouvelle héroïque, imprimée dans le tome II des Œuvres badines de l’auteur (4 vol. in-8, 1816). — Dans cette nouvelle, il s’agit d’une héroïne du nom de Primrose, qui se sauve du château de son père, petit prince suzerain, pour aller se réfugier dans les bras de Conan de Bretagne, son protecteur et son amant. Dans son voyage, elle fait naufrage sur les côtes de la principauté de Galles, où elle a beaucoup de peine à résister aux tentatives d’un autre amant ; elle parvient cependant à garder son cœur au brave Conan, qui se met en route pour la chercher, parvient à la retrouver, l’emmène dans ses États, et l’épouse solennellement.

On doit encore à Cazotte : La Patte du chat, conte zinzinois, in-12, 1741. — Mille et une Fadaises, contes à dormir debout, in-12, 1742. — Les Œuvres badines contiennent en outre quatorze contes qui n’ont pas été, que nous sachions, imprimés séparément. — Il a fait aussi une suite aux Mille et une Heures, par Gueulette.