Revue des Romans/Narcisse-Achille de Salvandy

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839


SALVANDY (Narcisse-Achille de),
de l’Académie française, né à Condom le 11 juin 1796.


DON ALONZO, ou l’Espagne, histoire contemporaine, 4 vol. in-8, 1824. — Don Alonzo est la mise en scène des événements qui depuis pendant vingt-cinq ans ont traversé la Péninsule, et qui, en passant, ont ébranlé toutes les classes de ce pays d’une agitation qui dure encore. La première partie de cette action s’accomplit sous le règne de Charles IV : les intrigues du palais, les orages populaires, le mécontentement de la grandesse, enfin la révolution d’Aranjuez et l’avénement de Ferdinand au trône des Espagnes, sont les faits au milieu desquels l’auteur d’Alonzo a jeté ses héros dès le commencement de son livre. Napoléon, avec ses vaillantes armées, apparaît au second acte : alors on voit se former dans toutes les provinces ces guérillas qui ont tenu en échec le plus vaillant capitaine du monde. C’est surtout cette époque que l’auteur s’est attaché à reproduire avec une exactitude scrupuleuse et les plus minutieux détails ; rien d’intéressant comme le récit des habitudes de ces hommes qui, de laboureurs tout à coup devenus guerriers, se multiplient par la rapidité de leur course, et bravent du haut de leurs rochers les vainqueurs de la plaine. Le retour de Ferdinand au palais de ses pères forme le dénoûment de l’ouvrage.

Le personnage principal, à l’enfance duquel nous semblons assister, grandit sous les yeux du lecteur. D’abord, c’est un jeune étudiant, abandonné, seul et sans expérience, au milieu d’un monde qu’il ne connaît pas. Bientôt, victime d’un amour funeste et d’une lâche trahison, il est comme exilé au delà des mers. Mais l’infortune devient propice aux âmes fortes, elle leur révèle le sentiment de toute leur puissance. Alonzo, par son courage, par sa modération, se couvre de gloire au Mexique ; il est rappelé, le grade de colonel devient sa récompense. Quelques années s’écoulent, et ce même homme, calme, impassible au milieu du bouleversement de sa patrie, oppose à l’invasion étrangère la double résistance d’une énergie civique et guerrière ; dans les cortès de Cadix, il sert la patrie de son éloquence, de ses lumières, comme il l’avait servie de son épée. Enfin, l’honneur national est vengé ; la cause de l’indépendance l’emporte sur les vainqueurs du monde, et des légions étrangères ne foulent plus le sol de l’Espagne. Mais la joie du vertueux citoyen sera de courte durée, et le temps des épreuves n’est pas passé pour lui ; si la patrie triomphe, une faction triomphe avec elle… Alonzo et ses nobles amis sont envoyés aux galères ! — À côté de cette grande image d’Alonzo, paraissent divers personnages dont les physionomies sont habilement nuancées : d’abord Maria, sœur présumée d’Alonzo, qui plus tard devient sa compagne, son épouse, et dont le caractère offre le contraste d’une angélique douceur et d’une noble exaltation patriotique ; puis une comtesse Mattéa, dont toute la tendresse pour Alonzo n’est que de l’orgueil, et dont la douleur, quand elle ne mérite plus d’en être aimée, s’exhale par la vengeance. Un caractère fort bien tracé d’un bout à l’autre est celui du marquis de C…, premier époux de Maria. Cet honnête chambellan porte tour à tour la clef de Ferdinand et celle de Joseph ; rien ne saurait altérer l’imperturbabilité de son service ; une seule légitimité le touche, celle du maître régnant ; et telle est l’innocente candeur de ses habitudes serviles, qu’il pense bien mériter de Ferdinand pour s’être dévoué au roi Joseph. M. de Salvandy a bien observé les hommes et les choses, et ses tableaux de mœurs sont aussi fidèles que variés ; soit qu’il nous introduise au lever fastueux du favori, soit qu’il raconte les honteuses querelles du vieux monarque, les intrigues de la Camarilla, ou des succès populaires, un coloris vital anime et vivifie ses descriptions. M. de Salvandy a bien compris l’Espagne et ses antiques habitudes, aux prises, dans la classe éclairée, avec ses nouveaux besoins ; d’un trait il peint ce peuple, « tenant à la liberté par son orgueil, au despotisme par sa paresse. » Supérieur à tout esprit de secte et de faction, il blâme toutes les erreurs et rend justice à toutes les gloires. Considéré comme tableau de mœurs, on ne peut refuser de reconnaître dans Alonzo des descriptions fidèles et animées, et une grande connaissance de la situation morale du pays. En l’examinant comme roman, on peut reprocher à l’auteur d’avoir multiplié les personnages hors de toute mesure ; il faut vraiment une attention soutenue et une heureuse mémoire, pour suivre le fil des aventures de chacun des acteurs qu’il met en scène ; ensuite les événements qui rapprochent ou éloignent chacun des personnages, sont amenés avec une invraisemblance qui frappe tous les lecteurs, et qui a le grave inconvénient de refroidir l’intérêt que feraient naître des situations souvent attachantes, mais qui s’accumulent avec une telle abondance, que l’esprit se refuse à croire à la possibilité des faits annoncés.

ISLAOR, ou le Barde chrétien, nouvelle gauloise, in-12, 1825. — L’action de cette nouvelle se passe vers l’an 363 de l’ère chrétienne, au moment de la mort de l’empereur Julien. Le lieu de la scène est une montagne, au pied de laquelle Cherbourg florissait déjà sous le nom de Coriallum. L’auteur suppose une invasion partielle de Francs commandés par Clodoald. Ce chef des barbares contemple des hauteurs du Roulle l’incendie de la ville et des habitations qui couvrent la riche campagne offerte à ses regards. Les soldats lui amènent un vieillard qu’ils viennent d’arracher à l’asile où il se cachait. On va précipiter l’infortuné dans les flammes d’un vaste bûcher allumé sur la cime de la montagne, lorsque Pharamonde, femme de Clodoald, sort de la tente de son époux, demande la grâce du vieillard, et l’engage à chanter sur la lyre les exploits des guerriers de sa patrie. Le chant du vieux druide est le récit de l’histoire d’Islaor. Elle intéresse vivement Pharamonde ; mais le barbare Clodoald, indigné de la bassesse du père d’Islaor, qui avait trahi son pays et ses dieux, et, pour ainsi dire, livré son fils aux cruels ennemis de la foi, interroge le vieillard, et lui demande quel a été le sort de cet homme coupable. « Hélas ! s’écrie-t-il, en tombant aux genoux du farouche vainqueur, plaignez-moi ; le barde chrétien était mon fils ! » Clodoald, plus courroucé de l’aveu que touché du repentir, saisit aussitôt sa hache d’armes et fait voler dans le bûcher allumé devant lui la tête du vieux barde. Ce récit est semé de réflexions philosophiques empreintes d’une morale élevée.

*NATALIE, in-8, 1833. — Natalie est un petit pamphlet contre le divorce attribué généralement à M. de Salvandy, mais où la touche féminine se reconnaît à la grâce et à la délicatesse du style. Tous les développements du roman ne tendent qu’à montrer quelle est, dans le monde, la position fausse de celles qui ont le malheur de se séparer d’un premier mari. — Natalie est une jeune femme charmante, qui réunit la grâce et la beauté aux qualités du cœur. Elle a rencontré un beau jeune homme du nom d’Ernest, qui la sauve d’un grand danger et qu’elle finit par aimer ; mais le destin les a séparés par une barrière insurmontable… Natalie est une femme divorcée ! Avec toutes ses qualités aimables et ses dix-neuf ans, elle a beaucoup de légèreté dans le caractère, et se laisse mener par une madame d’Artville, qui la conduit dans un bal déguisé chez M. Delmère, rival d’Ernest. Ce même Delmère est blessé dans un duel, et Natalie, dont le nom a été compromis dans cette affaire, va lui faire une visite, sans savoir que c’est lui qui a mal parlé d’elle, et que c’est Ernest qui l’a défendue. Ernest, qui est lui-même dangereusement blessé, et que cette démarche de son amie choque cruellement, rompt avec elle toute relation. Natalie meurt d’amour ; c’était la seule manière de lui faire oublier son divorce.

*CORISANDRE DE MAULÉON, ou le Béarn au XVe siècle, 2 vol.  in-8, 1835. — François Phébus, mourant dans son adolescence, après avoir ceint la couronne de Navarre que lui avait léguée son grand-père le roi Jean, tel est le héros choisi par M. de Salvandy. Phébus, combattant pour le trône de Navarre, que lui dispute une faction ennemie, vient, déguisé en page, sur les terres de Béarn pour consulter un vieil et sage ermite. À l’ermitage, il rencontre Corisandre de Mauléon, dont l’illustre famille appartient à la faction qui lui est opposée. Corisandre, prenant Phébus pour un simple page, l’aime et en est aimée. Plus tard, cédant à l’exaltation de son caractère, et séduite par l’éclat d’un sacrifice, elle épouse, à la place de sa sœur, le connétable de Lérin, chef du parti qui disputait la couronne de Navarre à Phébus. Lorsque le connétable, contrainte de céder à l’empire des événements, se rend à Pampelune pour assister au couronnement de Phébus, il emmène avec lui sa jeune épouse, qui, reconnaissant le page qu’elle aimait dans le roi qu’elle admirait sans le connaître, tombe dans un violent désespoir. Peu de jours après la cérémonie du couronnement, Phébus meurt en jouant d’une flûte empoisonnée, et Corisandre trouve la mort dans un précipice des Pyrénées.