Revue des Romans/Théodore Muret

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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MURET (Théodore), né à Rouen.


LE CHEVALIER DE SAINT-PONS, histoire de 1784, 2 vol. in-8, 1834. — Depuis la publication des Confessions, ce beau livre dont les ennemis de Rousseau ont tant abusé contre lui-même, leur chef d’accusation le plus grave s’est formulé en cette phrase aussi fausse que banale : « Rousseau, l’auteur d’Émile, mettait ses enfants à l’hospice. » Calomnie gratuite ! Ce n’est pas l’auteur d’Émile qui mettait ses enfants à l’hospice, c’est au contraire l’auteur d’Émile qui s’en repent et qui s’en confesse ! Force nous était de rappeler cette distinction, aujourd’hui que l’on revient encore sur la faute de Rousseau, et que l’on s’attache à exprimer de cette faute toutes les conséquences imaginables et possibles. Le roman qui nous occupe n’a pas d’autre but, c’est une fiction entée sur l’histoire, dans l’intention de rendre l’histoire plus coupable, plus odieuse, de l’envenimer dans sa source, de la noircir a posteriori, et tout cela par haine de la philosophie et des philosophes. — Le drame du chevalier de Saint-Pons, varié dans ses détails, a pour base la supposition que l’un des cinq enfants, confiés successivement par Rousseau à des mains mercenaires pour être déposés à l’hospice des Enfants-Trouvés, n’est point parvenu à sa destination ; qu’un grand seigneur, formé à l’école de la philosophie moderne, l’a intercepté en route, et élevé comme son fils, mais que le comte de Saint-Pons s’était tacitement réservé le droit de confirmer ou de briser cette paternité adoptive, selon que le chevalier suivrait ou ne suivrait pas certaine ligne de conduite. Une circonstance le détermine à la briser, au moment où le chevalier allait contracter un brillant mariage et se voir admis à la cour. L’orgueil cause la chute du chevalier, qui perd tout à la fois, nom, fortune, avenir, et qui, déchu du rang du fils d’un grand seigneur, ne peut remonte à celui de fils d’un grand homme, le seul témoin dont la voix l’eût soutenu étant mort avant d’articuler les paroles légales. L’inceste se mêle aux malheurs de Maurice, et en comble la mesure. Il retrouve sa sœur dans une pauvre fille par lui séduite du temps qu’il était chevalier : la pauvre fille se donne la mort. Maurice devient fou ; pendant plusieurs années, il va errant dans les lieux qu’habita l’auteur d’Émile ; on l’aperçoit dans l’île Saint-Pierre, aux Charmettes, et la dernière fois étendu sans vue dans l’enceinte du Panthéon, près de l’urne cinéraire de Rousseau, le lendemain de son apothéose.

GEORGES, ou Un entre mille, in-8, 1835. Georges Verneuil a vingt-cinq ans, sept à huit mille livres de rente, et Georges ne se sent pas la force de se résigner à la médiocrité, encore moins celle de s’ouvrir une sphère plus large et plus élevée. Las d’user sa jeunesse dans d’insipides orgies, dans de vulgaires intrigues, Georges essaie de séduire une femme dont la vertu rehausse les charmes, et il échoue. Mme  Derbrée reste fidèle à un mari tristement despote et joueur. Cette humiliation porte à Georges le coup de grâce ; il se décide à mourir, et il écrit à sa mère que, lorsqu’elle recevra sa lettre, il aura cessé d’exister. Cependant, en face du malheureux imaginaire il y avait un malheureux véritable, et tandis que le premier reculait lâchement devant l’ombre de l’infortune, le second soutenait une lutte courageuse contre la véritable infortune, et la réduisait enfin à merci. Vainqueur de l’épreuve, Paul Bénard se hâte d’accourir chez Georges Verneuil, son ami, et le surprend à l’instant fatal, un pied posé sur le seuil de la vie, d’où il s’apprête à sortir. Paul devine le projet de Georges, le combat, le terrasse comme il a dompté le malheur. Georges vivra ; mais la lettre écrite à sa mère est déjà partie ; il faut la devancer s’il est possible, et voilà Georges qui s’élance, pressant les postillons, les chevaux, répandant l’or. Il arrive ; la lettre l’a précédée de quelques minutes, et sa mère expire à ses yeux. Au lieu de se tuer lui-même, c’est sa mère qu’il a tuée. Georges ne vivra donc que pour expier, dans une lente agonie, une folle velléité de soudaine destruction. Tel est en substance le plaidoyer de M. Théodore Muret contre le suicide.

Nous connaissons encore de cet auteur : Jacques le Chouan, Madame en Vendée, in-8, 1832. — Mademoiselle de Montpensier, 2 vol. in-8, 1836.