Revue des Romans/Victor-Joseph Étienne de Jouy

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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JOUY (Victor Jos. Étienne de),
de l’Académie française, né à Jouy en Josas, en 1769.


L’ERMITE DE LA CHAUSSÉE D’ANTIN, ou Observations sur les mœurs et les usages des Français au commencement du XIXe siècle, 5 vol. in-12 ou in-8, 1812-14. — Il y a maintenant plus de cent ans que deux beaux esprits de l’Angleterre, Addison et Steele, entreprirent de composer, sous le titre de Spectateur, une feuille périodique, consacrée, non pas à la politique et aux nouvelles comme toutes les autres, mais à la peinture des mœurs du temps, à la censure des vices, des ridicules et des travers de la société. L’Ermite de la Chaussée d’Antin s’est proposé cette feuille pour modèle, et l’imitation est marquée de presque toutes les manières imaginables. Comme Steele et Addison, il met en tête de chaque numéro une épigraphe prise le plus souvent dans quelque poëte latin ; comme eux, entre les correspondants fictifs dont il est lui-même le secrétaire, il a pour correspondants très-réels deux ou trois hommes d’esprit qui le questionnent, l’agacent, et lui font de petites querelles entremêlées de compliments fort doux ; comme eux, il a débuté par donner un portrait de sa personne et un récit de ses habitudes journalières où il n’y a pas un seul mot de vrai ; comme eux, il a son article sur les enseignes, sur les sépultures, sur la loterie, sur les laquais, sur les maisons de campagne, etc., etc. ; comme eux surtout (et c’est ici le rapport le plus essentiel et le plus honorable), il joint à la connaissance du cœur humain celle de la société ; au talent d’observer avec justesse, celui de peindre avec fidélité ; au courage d’attaquer les vices de toutes les classes, les défauts de tous les caractères et les ridicules de toutes les professions, l’estimable attention d’épargner les personnes et d’éviter presque toujours les traits de ressemblance individuelle ; enfin, à toute la solidité des principes et du raisonnement, il joint tout l’agrément du badinage et tout le sel de la bonne plaisanterie. Le Spectateur et l’Ermite diffèrent cependant à quelques égards. Le premier n’a pas craint de traiter ex professo les questions les plus graves, les plus ardues de la morale spéculative, de la métaphysique et même de la théologie, tandis que l’Ermite effleure tout au plus en passant quelques points de la morale usuelle, et se garde bien d’aborder les matières abstraites, réservées aux philosophes et aux écrivains religieux.

CÉCILE, ou les Passions, 5 vol. in-12, 1827. — Le tableau que M. de Jouy, après tant d’autres, a tracé de l’amour, n’est pas sans art et sans élégance ; mais il manque de profondeur et d’originalité : il a le caractère de la réminiscence plutôt que d’une création, et paraît calqué sur la Nouvelle Héloïse. On remarque, en effet, entre les deux ouvrages, le rapport exact d’une imitation et de son original ; ce sont deux amies, l’une sérieuse et l’autre gaie ; un père impérieux, une mère confiante et faible, un oncle que le rôle de précepteur mène à celui d’amant de sa nièce ; un ami dévoué qui prêche en vain la sagesse ; un premier baiser de l’amour, et la scène même du cabinet de Julie, à cela près seulement que la Julie du nouveau roman est présente aux transports de son amant ; la fatale péripétie dont les suites amènent, parmi les personnages que nous connaissons déjà, une petite fille fort intéressante ; le désespoir qui suit la perte de l’innocence, les soins de l’amitié et de la tendresse maternelle ; l’exil du séducteur, qui cherche en vain des consolations dans la philosophie, et qui, après une sorte de controverse où il soutient, contre les réfutations de son ami et de sa maîtresse, que la Providence est le nom de baptême donné au hasard, finit par devenir fou. Le dénoûment est plus heureux que celui de la Nouvelle Héloïse. Anatole de Césane recouvre la raison ; Cécile, qu’on avait enfermée dans un couvent, recouvre la liberté ; ils fuient ensemble en Amérique, d’où les événements de la révolution leur permettent bientôt de revenir.

Nous connaissons encore de M. De Jouy : La Galerie des Femmes (contenant huit nouvelles), 2 vol. in-12, 1799. — Le franc Parleur, 2 vol. in-12, 1814. — L’Ermite de la Guiane, 3 vol. in-12 ou in-8, 1816. — L’Ermite en province, 14 vol. in-12, 1818 et ann. suiv. — Les Ermites en prison (voy. Jay). — Les Ermites en liberté (voy. Jay). — Le Centenaire, 2 vol. in-8, 1833.