Revue des Romans/Johnstone

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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JOHNSTONE, né en Irlande, mort en 1800.


CHRYSAL, ou Aventures d’une guinée, trad. par J. P. Fresnais, 2 vol. in-12, 1768-69. — On dit que Chrysal fut composé en 1760. Ce roman satirique avait été annoncé par les journaux comme « un récit détaillé et impartial de tous les événements remarquables du temps actuel dans toute l’Europe. » La publication suivit immédiatement cette annonce ; et comme le roman, écrit d’un style nerveux, riche de couleurs et d’images, offrait au lecteur la chronique secrète de tous les principaux personnages vivants, il s’empara sur-le-champ de l’attention publique. — Chrysal est un ouvrage qui a une grande analogie avec le Diable boiteux de le Sage. Dans ces deux ouvrages, les auteurs ont introduit un esprit doué de la faculté de lire les pensées et d’expliquer les aberrations de l’esprit humain ; mais l’auteur français a été infiniment plus heureux que Johnstone dans le personnage intermédiaire. Asmodée est un lutin d’une conception admirable, et le lecteur prend autant de plaisir au développement du rôle de ce démon, qu’à aucun de ceux qu’il dévoile et analyse à nu pour l’instruction de don Cléofas. Chrysal, au contraire, n’est qu’un esprit élémentaire, sans sensation, sans passions, qui ne fait autre chose que réfléchir comme un miroir les objets qui lui sont présentés, sans y rien ajouter. C’est surtout dans le ton de la satire que les aventures de Chrysal diffèrent de celles des héros de le Sage ; les folies de cet auteur nous font rire ; l’auteur anglais peint des vices et des crimes qui nous font horreur ; les caractères qu’il retrace sont d’une horrible vérité ; mais Johnstone aurait pu rendre sa satire aussi piquante et tout aussi sévère, en épargnant au lecteur la grossièreté de quelques-unes des scènes qu’il réprouve. Mais Johnstone, qui était doué d’un caractère ardent, s’est livré sans réserve au penchant de ce caractère ; comme la plupart de ses personnages étaient vivants, et dès lors faciles à reconnaître, il leur offrait un miroir où ils pouvaient voir l’image de leurs traits les plus hideux. Son style est soutenu et énergique ; son talent de personnification n’est pas moins remarquable ; ses personnages se meuvent, respirent, parlent avec toute la vérité d’une existence réelle. Ses sentiments sont en général ceux d’un censeur hardi, fier, arrogant et indigné contre un siècle lâche et corrompu. L’auteur de Chrysal a donné la clef des personnages qui figurent dans son ouvrage ; cette clef, publiée par William Davis dans son Recueil d’anecdotes bibliographiques et littéraires, est jointe au texte avec quelques notes explicatives des événements et des personnages en place qui appartiennent à l’histoire : on a laissé les anecdotes scandaleuses particulières enveloppées du mystère qui les couvre dans le texte.