Revue littéraire — 14 mars 1833

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Revue littéraire — 14 mars 1833

BULLETIN THÉATRAL.


14 mars 1833.

Il n’y a d’important dans les nouvelles théâtrales de la quinzaine, que Gustave iii. Quelle drôle de chose que de rendre compte d’un opéra ! Un opéra nouveau est une si drôle de chose par lui-même !

Autrefois dans une académie royale de musique, on se serait imaginé qu’on allait entendre de la musique. Quant à moi, je ne suis point musicien, je puis le dire comme M. de Maistre, j’en atteste le ciel, et tous ceux qui m’ont entendu jouer du piano. Mais je crois qu’en vérité je n’en ai pas besoin cette fois-ci. Ce qu’il y a de plus joli dans Gustave, en fait de musique et de poème, c’est un galop.

Oui, un galop ! il n’y a que cela dans la pièce. Vous croyez peut-être que j’en veux dire du mal. Point du tout ; la pièce est admirable, car le galop est divin. Et comment aurait-on pu amener le galop sans la pièce ? comment la pièce aurait-elle fini sans le galop ? Vous voyez bien que cela se tient. Remarquez, je vous prie, comme ce galop est amené

Vous savez que Gustave iii a été assassiné par un de ses amis, nommé Ankastroëm, par la raison qu’il lui avait fait perdre son argent, en changeant la valeur des papiers publics. C’est une raison comme une autre, et qui vaut bien celle pour laquelle M. Levasseur tire un coup de pistolet à M. Adolphe Nourrit, le seul crime de M. Nourrit étant, à ma connaissance, de chanter une ariette ou deux à mademoiselle Falcon. Ankastroëm était donc à couteau tiré depuis un an ou deux avec son bon roi ; M. Levasseur est très bien avec M. Nourrit. C’est son favori, son confident intime : le premier acte s’ouvre là-dessus.

Je conviens que le caractère de Gustave est très bien compris par le costumier. Sa redingote verte est admirable. Nonchalamment couché sur un sopha, le sage monarque se fait jouer un ballet, pour se délasser des soins de son empire ; mais dussé-je passer pour un maniaque et un ignorant, je ne saurais approuver les roses-pompons de couleur écarlate qu’il porte à ses souliers.

Au second acte, nous sommes chez la sorcière. Quelle sorcière ? dites-vous ; c’est ce que j’allais vous demander. Mais qu’il vous suffise d’apprendre que le roi est déguisé en matelot. Le costume va à ravir au jeune page, mademoiselle Dorus. La sorcière prédit au roi qu’il sera assassiné amen dico vobis. Et comme Jésus-Christ, Gustave reçoit de son futur meurtrier la poignée de main de Judas.

Au troisième acte, nous sommes en plein vent. La décoration est superbe. Ankastroëm trouve sa femme en rendez-vous avec son maître et comme le mari de Molière, il se charge de la reconduire voilée. Il paraît d’après ce que j’ai entendu dire, que ce mari, qui ne reconnaît pas sa femme, et qui lui offre galamment le bras pour la ramener à la ville, est d’un effet très dramatique. Voilà comme tout change avec le temps.

Au quatrième acte, Ankastroëm, qui a reconnu sa femme, chante dans ses appartemens avec un petit nombre d’amis.

Au cinquième acte, voilà où j’en voulais venir, on danse le galop. Ceux qui n’ont pas vu ce galop, ne savent rien des choses de ce monde. Jamais l’éclat des bougies, le bruit d’une fête, le parfum des fleurs, la musique, la folie et la beauté, n’ont fait une heure de plaisir comparable à celle-là. Jamais les masques agaçans, les costumes bizarrement accouplés, les dominos et les grotesques, n’ont fait ondoyer leurs mille couleurs avec plus de grâce et d’esprit sous l’éclatante lueur des lustres. Jamais un collégien lisant les Mille et une Nuits n’a vu passer dans ses rêves du soir une fantasmagorie plus voluptueuse et plus enivrante. L’ensemble en est éblouissant ; l’analyse en est amusante. Si c’est là ce qu’on appelle l’art du théâtre, son but est rempli. La réalité est vaincue ; et la magie n’ira pas plus loin.

Et je vous le demande, que nous importe le reste ? que nous importe à nous qui venons nous accouder sur un balcon deux heures après dîner, que l’art soit en décadence, que la vraie musique fasse bâiller, que les poèmes de nos opéras dorment debout ? que nous importe que les bouffes aient perdu la vogue, que l’admirable talent de Rubini s’épuise en difficultés et danse sur la corde comme l’archet de Paganini ? que nous importe qu’on en soit venu pour attirer la foule, jusqu’à faire de nos opéras des concerts, et de nos concerts des opéras, qu’on nous donne un acte de l’un, un acte de l’autre, qu’on mutile Don Juan (Don Juan !), qu’on n’ait plus ni le sens commun ni l’envie de l’avoir, qu’avaient du moins nos pères, que les principes soient à tous les diables, et madame Malibran en Angleterre ? Il nous reste un galop, et du moment qu’on danse qu’importe sur quel air ? j’aime autant mes yeux que mes oreilles.

Vous croyez peut-être que c’est par fantaisie que l’opéra est à la mode ? pas du tout ; il y a une raison à tout ce qui se fait sous la lune, et la Providence sait pourquoi un siècle porte des habits carrés plutôt qu’un autre. C’est l’éternelle sagesse elle-même qui a mis le moyen âge en pantalon collant, et pas un atome de poudre à la Richelieu n’est tombé impunément sur la nuque de la régence. Avez-vous été au Gymnase depuis peu ? aux Variétés ? à la Porte-Saint-Martin ? Êtes-vous convaincu qu’on y bâille ? je ne vous demande si vous êtes allé aux Français, car il paraît qu’à la lueur de certaines lampes mal entretenues d’une huile épaisse, il se joue chaque jour sous une voûte déserte au coin du Palais-Royal une certaine quantité de drames ignorés. Mais pour tout dire en un mot, êtes-vous allé hier, irez-vous demain ailleurs qu’à l’Opéra ? Là est le siècle tout entier. Que nos musiciens apprennent à jouer des contredanses ; qu’ils songent à entourer ce divin spectacle de languissantes mélodies, de molles sérénades ; à ce prix, on veut encore de leurs efforts ; que nos poètes sachent amener une fête, une orgie ; qu’ils placent à propos dans leur cadre douze légères folies armées de leurs grelots ; qu’on y assassine un roi ou deux, si vous y tenez, mais que nous ayons des bals à la cour, et des galops.

À propos de galop, voilà le carnaval qui se meurt. C’est aujourd’hui la mi-carême, bien qu’il n’y ait plus de carême. N’y a-t-il pas eu quelque part des criailleries contre notre carnaval de cette année ? Il appartient à un pédant ennuyé de vivre, d’injurier des mascarades. À qui diable une mascarade a-t-elle jamais fait tort de sa vie ? On se plaint que les jeunes gens aillent aux Variétés ; je demande où l’on veut qu’ils aillent. Le faubourg Saint-Germain n’a pas donné un bal ; il ne s’y prend pas une glace, il ne s’y attèle pas quatre chevaux par jour. La Chaussée-d’Antin bâille fort aussi, quoiqu’on y attèle beaucoup et qu’on y mange de même. Pourquoi le jour du bal de l’Opéra, lorsque le directeur a voulu faire une tentative hardie et nouvelle, personne n’y a-t-il répondu ? Pourquoi ce jour-là comme les autres, pas une femme du monde n’a-t-elle osé prendre le masque ? je ne dis pas le domino ; ce vieil et insipide oripeau se promène depuis long-temps dans le désert. Mais on nous parle des mœurs de la régence ; en quoi les nôtres valent-elles mieux ?

Lorsque la reine de France, déguisée en marchande de violettes, venait avec sa cour à l’Opéra, l’esprit pouvait entrer dans les plaisirs de la soirée, et il sortait de ces lèvres de carton rose d’autres choses que les hurlemens de l’ivresse et les saletés du cabaret. Vous appelez ces mœurs infâmes ; vous repoussez les femmes dans leurs ménages, et vous entourez d’une grille de fer le berceau de leurs filles. Cela est très sage, très juste, très décent. Mais un jeune homme ne se marie pas à vingt ans, et tous les ans le mardi gras vient à son heure, qu’on veuille ou non de lui. Accorderez-vous à la jeunesse qu’elle ait des sens, des besoins de plaisir, parfois même des jours de folie ? Où voulez-vous qu’elle les passe ? C’est un Anglais silencieux qui glisse sous une table inondée de porter, sans proférer une plainte, et qui s’éteint dans l’eau-de-vie avec le papier embrasé qui la brûle. Il faut aux Français des voitures pleines de masques, des torches, des théâtres ouverts, des gendarmes et du vin chaud. Tant pis pour le siècle où les cabarets sont pleins et où les salons sont vides. Donnez la terre aux saint-simoniens, à chacun une pioche et un bonnet de coton. Ôtez à l’or sa valeur, au plaisir son attrait ; faites de la société un champ de blé de la Beauce, où pas un épi ne dépasse l’autre. Vous n’aurez plus alors de jeunesse dorée, ni de Longchamp sur le boulevard Italien. Mais tant que vous voulez vivre dans un pays libre, où chacun peut faire ce qu’il entend, où l’or est en cours, où le plaisir est à bon marché, ne vous étonnez pas que les jeunes gens aillent en masque ; et vous, législateur prudent et circonspect, qui prêchez la morale publique, souvenez-vous de Caton l’Ancien, qui félicitait un jeune homme en le voyant sortir d’un lieu de débauche.